Réf. : Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0887YN8)
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par Blanche Chaumet
le 05 Décembre 2018
► Caractérise l'existence d'un pouvoir de direction et de contrôle de l'exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination et partant, d’un contrat de travail, le juge qui constate d'une part, que l'application était dotée d'un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d'autre part, que la société disposait d'un pouvoir de sanction à l'égard du coursier.
Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui statue pour la première fois sur la qualification du contrat liant un livreur à une plate-forme numérique dans un arrêt rendu le 28 novembre 2018 promis aux honneurs de son Bulletin (Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0887YN8, sur les Exemples dans lesquels le lien de subordination juridique est retenu, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E7628ESC).
L’affaire. En l’espèce, une société utilisait une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plateforme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous un statut d’indépendant. A la suite de la diffusion d’offres de collaboration sur des sites internet spécialisés, M. X (le livreur) a postulé auprès de cette société et effectué les démarches nécessaires en vue de son inscription en qualité d’auto-entrepreneur. Au terme d’un processus de recrutement, les parties ont conclu le 13 janvier 2016 un contrat de prestation de services. Le livreur a saisi la juridiction prud’homale le 27 avril 2016 d’une demande de requalification de son contrat en un contrat de travail.
Le raisonnement de la cour d’appel. Pour rejeter le contredit, dire que le livreur n’était pas lié par un contrat de travail à la société et dire le conseil de prud’hommes incompétent pour connaître du litige, la cour d’appel retient que les documents non contractuels remis au livreur présentent un système de bonus (le bonus «Time Bank» en fonction du temps d’attente au restaurant et le bonus «KM» lié au dépassement de la moyenne kilométrique des coursiers) et de pénalités («strikes») distribuées en cas de manquement du coursier à ses obligations contractuelles.
Elle retient que si, de prime abord, un tel système est évocateur du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur, il ne suffit pas dans les faits à caractériser le lien de subordination allégué, alors que les pénalités considérées, qui ne sont prévues que pour des comportements objectivables du coursier constitutifs de manquements à ses obligations contractuelles, ne remettent nullement en cause la liberté de celui-ci de choisir ses horaires de travail en s’inscrivant ou non sur un «shift» proposé par la plate-forme ou de choisir de ne pas travailler pendant une période dont la durée reste à sa seule discrétion.
Elle ajoute que cette liberté totale de travailler ou non, qui permettait au livreur, sans avoir à en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque forfait horaire ou journalier mais aussi par voie de conséquence de fixer seul ses périodes d’inactivité ou de congés et leur durée, est exclusive d’une relation salariale.
A la suite de cette décision, le livreur s’est pourvu en cassation.
La cassation. En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 8221-6, II du Code du travail (N° Lexbase : L8160KGC).
Contextualisation dans la note explicative. Par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C), le législateur a esquissé une responsabilité sociétale des plate-formes numériques en insérant les articles L. 7341-1 (N° Lexbase : L6767K9I) à L. 7341-6 dans le Code du travail prévoyant des garanties minimales pour protéger cette nouvelle catégorie des travailleurs. Il ne s’est toutefois pas prononcé sur leur statut juridique et n’a pas édicté de présomption de non-salariat.
Dans la jurisprudence de la Chambre sociale, la caractérisation d’une relation de travail salarié repose sur des éléments objectifs. Le salarié est celui qui accomplit un travail sous un lien de subordination, celui-ci étant caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187 N° Lexbase : A9731ABZ, Bull. 1996, V, n° 386). La seule volonté des parties est impuissante à soustraire un travailleur au statut social qui découle nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail (Ass. plén., 4 mars 1983, deux arrêts, n° 81-11.647 N° Lexbase : A5653AAM et n° 81-15.290 N° Lexbase : A3665ABD, Bull. 1983, Ass. plén., n° 3). Enfin l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (Cass. soc., 17 avril 1991, n° 88-40.121 N° Lexbase : A9244AAM, Bull. 1991, V, n° 200).
Si l’appréciation des éléments de fait et de preuve permettant de déterminer l’existence ou l’absence d’un lien de subordination relève du pouvoir souverain des juges du fond, la chambre sociale exerce toutefois un contrôle de motivation en s’assurant qu’ils tirent les conséquences légales de leurs constatations (Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 05-43.031 à 05-43.035, FS-P+B N° Lexbase : A8575DL8, Bull. 2005, V, n° 349).
Au cas d’espèce, après avoir relevé l’existence d’un système de bonus et de malus évocateur «de prime abord [...] du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur», la cour d’appel avait néanmoins rejeté la demande de requalification du contrat aux motifs que le coursier n’était lié à la plate-forme numérique par aucun lien d’exclusivité ou de non-concurrence et qu’il restait libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler ou de n’en sélectionner aucune s’il ne souhaitait pas travailler.
Ce raisonnement est censuré par l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 novembre 2018.
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