Réf. : CAA de Nantes, 4 octobre 2018, n° 17NT00880 (N° Lexbase : A6903YEE)
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par Franck Laffaille, Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 14 Novembre 2018
La cour administrative d’appel de Nantes a jugé, dans un arrêt du 4 octobre 2018 que la détention des titres de société d’expertise comptable ne présente pas d’intérêt ou d’utilité à l’exercice d’une activité de commissaire aux comptes à titre individuel. Ces titres ne se rattachent donc pas à l’actif professionnel.
A quelles conditions l'exonération prévue à l'article 151 septies du Code général des impôts (N° Lexbase : L2429HLK) -en faveur des plus-values professionnelles d'éléments de l'actif immobilisé- est-elle applicable ? Telle est la question soumise à l'examen de la cour administrative d’appel de Nantes en ce début de mois d'octobre.
Dans le cadre d'une cession de titres de société inscrits au bilan d'une entreprise individuelle, le régime d'exonération de l'article 151 septies du Code général des impôts n'a pas vocation à recevoir application : selon le juge, il n'est pas démontré que la détention des titres était utile pour l'exercice de l'activité professionnelle. En 1993, est créée une entreprise individuelle pour permettre à Monsieur E. d'exercer ses activités d'expert-comptable, de commissaire aux comptes et d'expert judiciaire ; en 1996, à la suite de l'apport de la branche d'expertise comptable par la société 2et2, Monsieur E. reçoit 9997 titres de cette société, titres inscrits à l'actif de son entreprise individuelle ; en 2008, 7999 titres détenus dans la société sont cédés par Monsieur E.. Selon ce dernier, la plus-value réalisée mérite de bénéficier du régime d'exonération visé aux dispositions de l'article 151 septies du Code général des impôts.
L'administration fiscale conteste une telle lecture et remet en cause le régime de l'exonération : selon le service vérificateur, les titres cédés ne constituent pas des actifs de l'entreprise individuelle ; quant aux dividendes versés, en 2007 par la société 2et2, ils doivent être imposés en tant que revenus de capitaux mobiliers et point en tant que bénéfices non commerciaux.
Saisi, le tribunal administratif de Rennes ne fait pas droit à la demande des requérants tendant à la décharge des cotisations supplémentaires de contributions sociales (2007), d'impôt sur le revenu et de contributions sociales (2008) auxquelles ils ont été assujettis. Lecture combinée de l'article 151 septies du Code général des impôts et de l'article 93 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3954I7L) il doit y avoir. En vertu de ce dernier, le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu «est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession. Sous réserve des dispositions de l'article 151 sexies, il tient compte des gains ou des pertes provenant […] de la réalisation des éléments d'actif affectés à l'exercice de la profession [...]».
Que faut-il alors entendre par «éléments d'actifs affectés à l'exercice d'une profession non commerciale» au sens de l'article 93-1 du Code général des impôts ? Les éléments d'actifs peuvent tout d'abord s'entendre des biens qui -spécifiquement nécessaires à l'activité du contribuable- ne peuvent être distraits de l'actif professionnel. Les éléments d'actifs peuvent encore s'entendre des biens qui -de la nature de ceux dont l'usage est requis pour l'exercice de cette activité- sont effectivement utilisés à cette fin par le contribuable.
S'il en est propriétaire, ledit contribuable peut les maintenir dans son patrimoine personnel ou les rattacher à son actif professionnel (dans cette dernière hypothèse, cf. l'application de l'article 99 du Code général des impôts N° Lexbase : L3176LCM, avec des biens portés sur le registre des immobilisations). Toutefois, si la détention d'un bien ne revêt aucune utilité professionnelle, un tel bien ne peut constituer, au regard de la loi fiscale, un élément de l'actif professionnel. Cela vaut quand le contribuable a, à tort, inscrit ce bien sur le registre de ses immobilisations. Pour la cour administrative d’appel de Nantes, il est un motif qui ne saurait valoir à l'appui des prétentions des requérants : celui de la création de la société 2et2 en 1996. Si cette société a bien été créée en vue de la préparation de l'arrivée d'un associé dans l'expertise comptable, il n'est aucunement justifié que «la détention d'actions de cette société était une condition nécessaire à l'exercice de l'activité individuelle» Monsieur E. en tant que commissaire aux comptes et expert judiciaire.
Le requérant a décidé de poursuivre -postérieurement à la constitution de la société- ces deux activités, indépendamment de cette dernière. Certes, l'argument de la synergie est avancé, synergie entre activité d'expert-comptable (exercée désormais au sein de la société) et celle d'expert judiciaire. Cependant, les assertions des requérants ne sont pas corroborées par des éléments précis. Alors même que Monsieur E. a exercé -avant la création de la société 2et2- les activités de commissaire aux comptes et d'expert judiciaire, il n'est pas fait démonstration de la chose suivante : il n'est pas démontré que l'acquisition des parts de la société ait eu une «incidence précise» sur les activités visées. Les requérants «ne font état d'aucune incidence précise» ; ils se contentent d'invoquer des conventions de prestations.
En vertu de ces conventions de prestations, la société a fourni à Monsieur E. -moyennant facturations- des locaux, du matériel et du personnel afin d'assumer les missions qui sont les siennes. De telles prestations ne permettent pas -en elles-mêmes, par elles-mêmes- de mesurer «l'incidence précise» de l'acquisition des parts de la société sur les activités en question. Dit autrement, la détention des titres de la société d'expertise comptable n'était pas utile à l'exercice des deux autres activités professionnelles. Cela implique que les parts de la société ne peuvent pas être regardées comme relevant du patrimoine professionnel de Monsieur E. ; cela implique que l'administration fiscale a contesté à bon droit l'application du régime d'exonération prévu à l'article 151 septies du Code général des impôts en faveur des plus-values professionnelles d'éléments de l'actif immobilisé.
La question de l’éligibilité au régime d’exonération de plus-value professionnelles de l’article 151 septies du Code général des impôts est source de controverses. Bien souvent, il s'agit de cogiter sur la notion de délai, le délai de 5 ans. Citons, par exemple, une autre décision d'une autre cour administrative d’appel, celle de Douai (CAA Douai, 22 janvier 2015, n° 13DA01789 N° Lexbase : A6089NDU) : si les avocats stagiaires peuvent accomplir pleinement les actes attachés à la profession d'avocat (cf. l'indépendance conférée par la prestation de serment), ils ne peuvent disposer d'une clientèle personnelle. Ainsi, le requérant ne peut être regardé comme ayant exercé à titre individuel, avant la fin de son stage, l'activité ayant fait l'objet de la cession de clientèle (à l'origine de la plus-value professionnelle). Ainsi, le requérant n'a pas satisfait à la condition de durée d'exercice permettant de bénéficier de l'exonération prévue par les dispositions de l'article 151 septies du Code général des impôts.
Dans le cas de notre espèce d'octobre 2018, c'est le critère de l'appréciation de l'exercice de l'activité à titre professionnel qui mérite attention. Cet exercice professionnel signifie participation personnelle, directe et continue en ce qui concerne les actes indispensables à l'activité. S'il est logique d'ajouter que le respect d'une telle condition dépend de chaque situation de fait, cet ajout relève autant de la nécessité que du truisme. Aux dires de l'administration, s'impose une étude approfondie des actes et diligences accomplis par le contribuable ou la société dans la poursuite de l’activité, compte tenu de la nature et de la taille de l’entreprise. Cette analyse pourra être appuyée des éléments du contexte propre à chaque affaire tels que les autres activités exercées par les personnes concernées, leur qualification à participer à l’activité en cause, etc. La décision de la cour administrative d’appel de Nantes se lit encore à l'aune de l'interprétation administrative de la loi fiscale. Les requérants invoquent en effet l'article L. 80 A du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L4634ICM) et l'éventuelle méconnaissance -par l'administration- de la documentation de base 5-G-2112 paragraphe 13, reprise au BOI-BNC-BASE-10-20 paragraphe 170 (N° Lexbase : X7663ALE) (détermination du patrimoine professionnel des personnes réalisant des opérations imposables dans la catégorie des BNC). L'administration aurait dénaturé la notion même d'utilité (utilité de la détention de titres) ; l'administration aurait centré son argumentation sur la seule notion de nécessité, imposant des exigences allant au-delà de ce qui est requis. Selon les requérants, l'utilité -qui ne saurait être confondue avec la nécessité- est démontrée dès lors que la détention des titres revêt un intérêt pour l'exercice de la profession ; c'est à l'aune de cette utilité -qui n'est pas forcément une nécessité- que les requérants insistent sur la synergie entre les différentes activités.
La cour administrative d’appel de Nantes rejette sèchement un tel raisonnement, se contentant de répondre que la documentation visée «ne comporte pas d'interprétation différente de celle dont il est fait application». Les prétentions des requérants ne peuvent être accueillies au regard d'une autre argumentation : selon eux, la position de l'administration -qui ne remet pas en cause l'inscription au registre des immobilisations des titres de la société 2et2 lors de la vérification de comptabilité de l'entreprise individuelle pour les années 2001 à 2003- lui est opposable en vertu de l'article L. 80 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L6960LLD), sur le fondement du principe de loyauté. La cour administrative d’appel de Nantes écarte ce présumé grief : la position de l'administration -en ce qu'elle ne remet pas en cause l'inscription au registre des immobilisations des titres de la société 2et2- ne constitue pas une prise de position formelle invocable en vertu de l'article L. 80 B du Livre des procédures fiscales.
Achevant sa décision, la cour administrative d’appel s'arrête in fine sur la nature des produits financiers concernés et par le régime fiscal susceptible de leur être appliqué. Sur le fondement de l'article 109 du Code général des impôts, « 1 - Sont considérés comme revenus distribués : / [...] 2 - Toutes les sommes [...] mises à la disposition des associés [...] et non prélevées sur les bénéfices. [...]». La somme de 15998 euros versées en 2007 à Monsieur E. par la société 2et2 est réputée appartenir à la catégorie des revenus distribués passibles de l'impôt sur le revenu entre les mains du bénéficiaire. Une telle somme doit être incluse dans le revenu imposable du contribuable, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; par la négative, une telle somme ne doit pas être incluse dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
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