Réf. : Cass. soc., 15 juin 2011, n° 10-60.392, FS-P+B ([LXB=A7347HTB)])
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 30 Juin 2011
Résumé
En cas de remplacement du représentant des salariés, le délai de contestation intervient, à peine de forclusion, dans les deux jours, ce délai ne courant qu'à compter de la proclamation nominative des résultats de l'élection ou, à défaut, de l'accomplissement de la formalité de dépôt du procès-verbal au greffe. Par ailleurs, en raison des fonctions et prérogatives attribuées au représentant des salariés, la méconnaissance des règles régissant leur désignation ou leur remplacement porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession. |
Observations
I - L'élection du représentant des salariés
En application de l'article L. 621-4, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L8847INY), dans le jugement d'ouverture, le tribunal "invite le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel à désigner un représentant parmi les salariés de l'entreprise. En l'absence de comité d'entreprise ou de délégués du personnel, les salariés élisent leur représentant, qui exerce les fonctions dévolues à ces institutions par les dispositions du présent titre. [...] Lorsqu'aucun représentant des salariés ne peut être désigné ou élu, un procès-verbal de carence est établi par le débiteur" (1).
Ce texte établit une stricte hiérarchie s'agissant de la désignation du représentant des salariés. Celui-ci est, en effet, désigné en priorité par le comité d'entreprise. Si ce dernier n'existe pas, soit que l'entreprise emploie moins de cinquante salariés, soit qu'ayant franchi ce seuil, il n'a pu être mis en place, ce sont les délégués du personnel qui désignent l'organe. Ce n'est donc qu'en l'absence de ces institutions représentatives du personnel qu'il est véritablement élu par les salariés de l'entreprise. On peut à cet égard se demander si le fait que les représentants du personnel ne parviennent pas à se mettre d'accord sur un nom autorise le débiteur à solliciter directement les salariés (2). L'article L. 621-4, qui ne permet aux salariés d'élire le représentant qu'en l'absence d'institutions représentatives du personnel, semble l'exclure. Mais il est vrai que ce même texte prescrit l'établissement d'un procès-verbal de carence lorsqu'aucun représentant des salariés ne peut être désigné ou élu ; ce qui paraît ménager une issue en cas de mésentente entre les représentants du personnel.
L'article R. 621-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L0860HZU) fixe le délai imparti pour désigner ou élire le représentant des salariés en disposant que "dans les dix jours du prononcé du jugement d'ouverture, le représentant légal de la personne moral débitrice ou le débiteur personne physique, assisté de l'administrateur s'il en a été désigné, réunit le comité d'entreprise, les délégués du personnel ou, à défaut, les salariés".
Bien que l'article L. 621-4 du Code de commerce ne soit pas des plus explicites en ce qu'il vise la "désignation" du représentant des salariés par le comité d'entreprise ou les délégués du personnel, il nous semble que cette "désignation" ne peut être effectuée qu'au terme d'une élection, à laquelle participeront les représentants élus au comité d'entreprise ou les délégués du personnel, qu'ils soient titulaires ou suppléants (3). S'agissant de la seule élection du représentant par les salariés, l'article R. 621-14 du Code de commerce précise qu'elle se réalise par vote secret au scrutin uninominal à un tour.
Si l'élection du représentant des salariés est inutile lorsque l'entreprise ne comporte qu'un seul salarié (4), elle conduit à une situation curieuse lorsqu'elle en emploie deux ; ce qui était précisément le cas dans l'espèce considérée. Sauf à ce que les deux salariés se mettent d'accord, sans qu'il soit nécessaire d'ailleurs et pour d'évidentes raisons d'organiser un vote secret, on aboutira à un procès-verbal de carence.
En tout état de cause, et conformément aux prescriptions du second alinéa de l'article R. 621-14, le procès-verbal de désignation du représentant des salariés, ou le procès-verbal de carence est immédiatement déposé au greffe du tribunal.
Il convient enfin de souligner qu'en application du dernier alinéa de l'article L. 621-7 du même code (N° Lexbase : L3447ICN), "le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel ou, à défaut, les salariés de l'entreprise peuvent seuls procéder au remplacement du représentant des salariés". Ce texte exclut que le tribunal saisi de la procédure collective procède à un tel remplacement. On peut aussi considérer qu'il institue une sorte de "parallélisme des formes", en ce sens qu'il interdit qu'un représentant des salariés désignés par le comité d'entreprise soit remplacé par un représentant élu par les salariés ou désigné par les délégués du personnel. Une telle pratique reviendrait à nier la hiérarchie instaurée par la loi entre les institutions représentatives du personnel et la collectivité des salariés.
II - La contestation de l'élection du représentant des salariés
Si le législateur a pris soin d'organiser une faculté de contestation de l'élection du représentant des salariés, il a omis de préciser certains points. Au titre des dispositions expresses, il convient, en premier lieu, de faire mention du second alinéa de l'article L. 621-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L3975HBT) qui dispose que "les contestations relatives à la désignation (5) du représentant des salariés sont de la compétence du tribunal d'instance qui statue en dernier ressort". Il faut, en second lieu, se tourner vers l'article R. 621-15 du même code (N° Lexbase : L6027IAH) qui apporte quelques précisions quant à la procédure à suivre.
Saisi par déclaration au greffe, le tribunal d'instance statue en dernier ressort dans les cinq jours de sa saisine, sans frais, ni forme de procédure et sur simple avertissement qu'il donne deux jours à l'avance à toutes les parties intéressées. La décision du tribunal d'instance est notifiée par le greffier dans les deux jours (6).
Ainsi qu'on peut le constater, le législateur a souhaité privilégier la rapidité, ce qui se conçoit aisément afin de ne pas paralyser le cours de la procédure par une contestation portant sur l'élection du représentant des salariés. Illustration en est encore donnée par le fort bref délai de contestation, fixé à deux jours par l'article R. 621-15, qui indique, en outre, que ce délai court à compter de la désignation du représentant des salariés. On admettra que le texte est, à cet égard, un peu court, en se bornant à viser "la désignation" (7). Cela est d'autant plus vrai que, vu la brièveté du délai pour contester, il ne doit pas y avoir de place pour l'hésitation. Cette question était précisément au coeur de l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.
En l'espèce, M. X, juriste au cabinet de Me Y, avocat, avait été élu représentant des salariés, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte le 22 janvier 2009 à l'égard de son employeur. Exposant avoir appris, le 8 avril 2009, qu'il avait été remplacé dans sa fonction de représentant des salariés le 3 mars 2009, il a contesté ce remplacement devant le tribunal d'instance, saisi par déclaration au greffe du 21 juin 2010. L'Union générale des ingénieurs, cadres, techniciens de la CGT est intervenue volontairement à l'instance. Pour dire forclose la contestation du salarié dont le tribunal avait été saisi le 21 juin 2010, le jugement attaqué a retenu que l'intéressé avait eu connaissance, dès le 14 avril 2009, de son remplacement intervenu le 3 mars 2009.
Ce jugement est censuré par la Cour de cassation au visa des articles L. 621-4, L. 621-6, L. 621-7, R. 621-14 et R. 621-15 du Code de commerce, ensemble les principes généraux du droit électoral. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "il résulte de la combinaison des textes et principes susvisés que, dans les dix jours du prononcé du jugement d'ouverture de la procédure collective, le représentant légal de la personne morale débitrice ou le débiteur personne physique, assisté de l'administrateur s'il en a été désigné, réunit le comité d'entreprise, les délégués du personnel ou, à défaut, les salariés ; les salariés élisent leur représentant par vote secret au scrutin uninominal à un tour ; le procès-verbal de désignation du représentant des salariés est immédiatement déposé au greffe du tribunal saisi de la procédure collective ; la contestation de la désignation doit intervenir, à peine de forclusion, dans les deux jours de celle-ci ; ce délai ne court qu'à compter de la proclamation nominative des résultats de l'élection ou, à défaut, de l'accomplissement de la formalité de dépôt du procès-verbal au greffe ; il en va de même en cas de remplacement du représentant des salariés".
La solution retenue par la Cour de cassation a le mérite de la clarté. Le délai de deux jours pour contester l'élection du représentant des salariés ou son remplacement, dont on a vu qu'il obéit aux mêmes règles que l'élection, court à compter de la proclamation nominative des résultats de l'élection ou, à défaut, de l'accomplissement de la formalité de dépôt du procès-verbal au greffe. La priorité accordée à la proclamation nominative des résultats est logique dès lors que celle-ci intervient, par hypothèse, avant le dépôt du procès-verbal.
Cela étant, on peut éprouver quelque peine à déterminer précisément le fondement de la règle ainsi énoncée par la Cour de cassation et il semble bien que l'on soit en présence d'une pure création prétorienne. Pour autant, on ne saurait en faire le reproche à la Cour de cassation, qui devait ici combler les lacunes de la loi. Cela démontre, une nouvelle fois, la plasticité de ces "principes généraux du droit électoral", figurant, on le rappelle, dans le visa de l'arrêt, spécialement lorsque, comme en l'espèce, ils ne sont pas identifiés par la Cour de cassation (8). Ainsi qu'il a été relevé, "cette référence à des principes généraux du droit apparaît aujourd'hui d'une grande utilité ; devant la grande pauvreté de la législation applicable aux élections professionnelles, elle permet au juge de ne pas s'enfermer dans le déni de justice ; elle est aussi plus souple qu'un renvoi explicite ou implicite au code électoral" (9). Mais, faute d'être précisément identifiés, ces principes généraux du droit électoral ne sont pas aisément mobilisables pour les plaideurs (10).
Il faut, pour conclure, faire état de la réponse apportée par la Cour de cassation au premier moyen du pourvoi de l'UGICT-CGT. Celui-ci avait été motivé par l'irrecevabilité opposée par le jugement attaqué à son intervention volontaire au soutien de l'action du salarié. Pour ce faire, le tribunal saisi du litige s'était borné à relever que le représentant des salariés ne peut être considéré comme une institution représentative du personnel au sens du Code du travail.
La décision est à nouveau censurée, cette fois-ci au visa des articles L. 2132-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2122H9H) et R. 621-14 du Code de commerce. Selon la Chambre sociale, "en raison des fonctions et prérogatives attribuées au représentant des salariés, la méconnaissance des règles régissant leur désignation ou leur remplacement porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession".
La solution retenue doit être à nouveau approuvée. La motivation des juges du fond était pour le moins curieuse et contestable. Ce n'est pas parce que le représentant des salariés ne peut être assimilé à une institution représentative du personnel que l'intérêt collectif de la profession n'est pas en jeu. Ce qui importe ce sont, ainsi que le souligne la Chambre sociale, ses fonctions et prérogatives et, par voie de conséquence, les règles régissant leur désignation ou leur remplacement.
(1) L'article L. 621-4 intéresse la procédure de sauvegarde. V. aussi les articles L. 631-9 (N° Lexbase : L2554IEC, redressement judiciaire) et L. 641-1 (N° Lexbase : L3431IC3, liquidation judiciaire) du Code de commerce.
(2) V. en ce sens, TI Chambéry, 14 mars 1986, Gaz. Pal. 1986, 1, Somm. 142.
(3) On ne voit pas, en effet, comment les délégués du personnel pourraient matériellement désigner un représentant sans procéder à une élection. La désignation par le comité d'entreprise, personne morale, se conçoit mieux. Mais encore faudra-t-il qu'en amont les membres du comité se mettent d'accord sur le nom du représentant.
(4) V. en ce sens, TGI Paris, ord., 19 octobre 1994, Rev. proc. coll., 1996, p. 123, n° 5, obs. F. Taquet.
(5) Curieusement, le législateur ne parle plus ici de "l'élection".
(6) L'article R. 621-15 précise encore que le délai du pourvoi en cassation est de cinq jours. Le pourvoi est formé, instruit et jugé dans les conditions fixées par les articles 999 (N° Lexbase : L1201H4A) à 1008 du Code de procédure civile.
(7) Ce texte présente d'autres lacunes. Ainsi, aucun mot n'est dit sur les personnes en droit de contester l'élection du représentant des salariés.
(8) V. sur la question, F. Petit, Les principes généraux du droit électoral dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, D., 2005, p. 1815.
(9) F. Petit, ibid., spéc., pp. 1818-1819.
(10) Ainsi que le démontre M. Franck Petit dans sa note précitée, certains de ces principes sont en revanche clairement identifiés, tels la liberté des électeurs, l'égalité des candidats ou encore la liberté des candidatures.
Décision
Cass. soc., 15 juin 2011, n° 10-60.392, FS-P+B (N° Lexbase : A7347HTB) Cassation, TI Paris 6ème (contentieux des élections professionnelles), 24 septembre 2010 Textes visés : C. com., art. L. 621-4 (N° Lexbase : L8847INY), L. 621-6 (N° Lexbase : L3975HBT), L. 621-7 (N° Lexbase : L3447ICN), R. 621-14 (N° Lexbase : L0860HZU) et R. 621-15 (N° Lexbase : L6027IAH), les principes généraux du droit électoral ; C. trav., art. L. 2132-3 (N° Lexbase : L2122H9H) Mots-clés : procédures collectives, représentant des salariés, désignation, contestation, délai, point de départ, syndicat, intérêt collectif de la profession Liens Base : |
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