La lettre juridique n°446 du 30 juin 2011 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'organisation collective du temps de travail ne peut faire l'objet d'un avantage individuel acquis

Réf. : Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-42.807, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4990HTY)

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N5895BS7

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par Christophe Radé, Professeur agrégé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 30 Juin 2011

Le Code du travail use et abuse de la distinction entre les relations individuelles et collectives de travail, sans que l'on sache toujours très bien concrètement ce que recouvre cette différence. C'est ce que confirme ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 8 juin 2011, dans lequel la Haute juridiction devait déterminer si le bénéfice d'une pause quotidienne de 45 minutes assimilée à du temps de travail effectif était susceptible d'être qualifiée d'"avantage individuel acquis", au sens où l'entend l'article L. 2261-14 du Code du travail (N° Lexbase : L2442H9C) (I). La réponse négative de la Haute juridiction, fondée sur la notion d'"organisation collective du temps de travail", doit être approuvée (II).
Résumé

Constitue, notamment, un avantage collectif, et non un avantage individuel acquis, celui dont le maintien est incompatible avec le respect par l'ensemble des salariés concernés de l'organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable.

Commentaire

I - Les critères de l'avantage individuel acquis

Critères légaux. La règle légale du maintien des avantages individuels acquis dont les salariés conservent le bénéfice lorsque l'accord dénoncé ou mis en cause n'a pas été remplacé dans l'année, pose des problèmes classiques d'interprétation, notamment parce que la notion d'avantage "individuel" n'est pas des plus aisées. La distinction entre "individuel" et "collectif" sert bien de base à certaines distinctions au sein même du Code du travail, et ce depuis les origines, mais son contenu concret n'a pas toujours grand-chose à voir avec ce que suggère le plan. Ainsi, le plan du Code, dans sa version actuelle applicable depuis le 1er mai 2008, range les règles des licenciements "collectifs" dans la première partie consacrée aux relations individuelles (c'est-à-dire fondées sur le contrat de travail), et la rémunération dans la partie consacrée aux relations collectives (c'est-à-dire fondée sur les accords collectifs)... C'est dire s'il n'est pas possible ici de s'en tenir à une approche aussi formelle.

Précisions jurisprudentielles. L'examen de la jurisprudence fournit quelques indications.

Certains avantages peuvent ainsi se rattacher soit à l'une, soit à l'autre des catégories. Ainsi, le montant, ou niveau (1), le mode et la structure (2) de la rémunération sont des avantages "individuels", alors que les "systèmes" de rémunérations (3) et les règles de réévaluation sont collectifs (4).

D'autres questions ont été réglées de manière plus radicale ; il en va ainsi des avantages qui touchent aux conditions de travail et qui ont été qualifiés de "collectifs" , ou encore les jours de repos accordés aux cadres en forfait-jour qui sont "de nature exclusivement collective" (6).

Synthèse doctrinale. La doctrine s'est essayée, également, à dégager des critères. Dernièrement, Gérard Vachet tentait une synthèse des différentes propositions (7) et distinguait les "avantages collectifs par nature [...] qui peuvent bénéficier à d'autres salariés : par exemple, les dispositions fixant l'ordre des licenciements économiques, l'horaire collectif ou encore certaines règles concernant les conditions de travail" des "avantages collectifs par finalité, (c'est-à-dire) l'ensemble des dispositions ayant pour objet la représentativité du personnel, le droit syndical ou encore la négociation collective car celle-ci prévoit des avantages institués pour bénéficier à une collectivité de salariés". Mais comme le reconnaît l'auteur lui-même, la question des dispositions relatives à la durée du travail n'est pas des plus aisées car toutes les règles ne sont pas de manière évidente collective par nature.

II - L'exclusion des règles d'organisation collective du temps de travail

L'affaire. L'avantage en cause était une pause journalière de 45 minutes considérée comme un temps de travail effectif et dont les salariés continuaient de réclamer le bénéfice en dépit de l'extinction de l'accord dont elle était issue. La cour d'appel leur avait donné raison et considéré qu'il s'agissait ici d'un avantage qui définissait la structure de la rémunération, dont on sait qu'elle est traitée comme un avantage individuel depuis 2008 (8).

Tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse l'arrêt, pour violation de l'article L. 2261-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2419H9H), après avoir considéré que "le maintien de cet avantage était incompatible avec le respect par les salariés concernés de l'organisation collective du travail qui leur était applicable, puisque cela les conduisait à travailler 45 minutes de moins que le temps de travail fixé, ce dont elle aurait dû déduire que cet avantage ne constituait pas un avantage individuel acquis par les salariés".

Une solution justifiée. C'est donc parce que l'avantage touchait à "l'organisation collective du travail" qu'il ne pouvait être qualifié d'avantage "individuel". L'affirmation semble juste. Il ne faut en effet pas confondre la question de la durée du travail, qui est collective, et celle du temps de travail individuel des salariés. La durée du travail, faite d'une durée normale et de durées maximums, est en effet collective par nature (lorsqu'elle résulte d'une norme collective, cela va sans dire). Il n'y a qu'à parcourir le Code du travail pour s'en convaincre, et singulièrement son article L. 3122-33 (N° Lexbase : L0389H9B) qui indique clairement que, "pour répondre aux demandes de certains salariés, les employeurs sont autorisés à déroger à la règle de l'horaire collectif de travail et à pratiquer des horaires individualisés...". Ce caractère collectif par nature ressort de nombreuses autres dispositions : l'article L. 3121-10 (N° Lexbase : L0300H9Y) qui dispose, en effet, que "la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaine civile" ; l'article L. 3121-42 (N° Lexbase : L3963IBE) qui fait référence à "l'horaire collectif de travail applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe", etc. (9)

Le temps de travail des salariés est, en revanche, individuel car ces derniers peuvent être conduits à travailler moins que la durée collective, et se trouver alors être à temps partiel, ou plus, et bénéficier alors d'heures supplémentaires. Mais dans cette hypothèse il doit s'agir d'un mode d'organisation collectif du temps de travail, c'est-à-dire commun à tous les salariés et non pas réservé à une fraction du collectif. Considérer, dès lors, que le bénéfice d'un avantage en matière de durée de travail, qui les crédite de 45 minutes de travail effectif en moins à accomplir chaque jour, est collectif, apparaît comme une nécessité en ce que cet avantage modifiait la durée collective du travail.


(1) Cass. soc., 26 novembre 1996, n° 93-44.811, publié (N° Lexbase : A4045AA3) ; Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-44.712, FS-P+B (N° Lexbase : A2927DGI) ; Cass. soc., 9 novembre 2010, n° 09-40.744, FS-D (N° Lexbase : A9012GGU).
(2) Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.799, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4995D9U), v. nos obs., La structure conventionnelle de la rémunération, avantage individuel acquis, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6737BGM) ; Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-43.580, FS-D (N° Lexbase : A4093EAT), JCP éd. S, 2008, p. 1553, note F. Dumont.
(3) Cass. soc., 12 février 1991, n° 89-45.314, publié (N° Lexbase : A4265AA9).
(4) Cass. soc., 22 avril 1992, n° 88-40.921, publié (N° Lexbase : A1512AAA).
(5) Cass. soc., 1er juin 2005, n° 04-16.994, FS-P+B (N° Lexbase : A5622DI3), v. les obs. de G. Auzero, La notion d'avantage "individuel", Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N5394AIM), JCP éd. E, 2006, 1356, note G. Vachet, JCP éd. S, 2005, 1091, note B. Gauriau, Dr. soc., 2005, p. 1065, obs. Ch. Radé, D., 2006, pan. p. 29, spéc. p. 36 à 38, obs. P.-E. Berthier.
(6) Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-40.830 et n° 08-40.831, F-D (N° Lexbase : A3514ELQ), JCP éd. S, 2009, p. 1599, note G. Vachet.
(7) E. Dockès, L'avantage individuel acquis, Dr. soc., 1993, p. 826 ; A. Bugada, L'avantage acquis en droit du travail, thèse Aix-en-Provence, PUAM 1999 ; Y. Aubrée, Le concept légal d'avantages individuels acquis, RJS, 2000, p. 699.
(8) Cass. soc., 1er juillet 2008, préc..
(9) C. trav., art. L. 3123-7, al. 2 (N° Lexbase : L3894IBT) : "pendant les périodes travaillées, le salarié est occupé selon l'horaire collectif applicable dans l'entreprise ou l'établissement". C. trav., art. L. 3121-43 (N° Lexbase : L3869IBW) et L. 5122-1 (N° Lexbase : L9665IEP): "réduction collective de l'horaire de travail pratiqué dans l'établissement ou partie d'établissement en deçà de la durée légale de travail".

Décision

Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-42.807, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4990HTY)

Cassation, CA Aix-en-Provence, 9ème ch. A, 14 mai 2009, n° 2009/460 (N° Lexbase : A8429HKE)

Texte visé : C. trav., art. L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C)

Mots-clés : accords collectifs, dénonciation, avantages individuels acquis, durée du travail

Liens Base : (N° Lexbase : E2256ETQ)

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