La lettre juridique n°446 du 30 juin 2011 : Éditorial

Immigration, intégration, nationalité : recherche contrat social désespérément

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N5887BST

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Immigration, intégration, nationalité : recherche contrat social désespérément. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4741821-immigration-integration-nationalite-recherche-i-contrat-social-i-desesperement
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Soixante-deux lois ayant trait à la nationalité ont été publiées au Journal officiel depuis 1889. Seulement, neuf lois s'attachent à régir l'immigration depuis 1860 -dont sept d'entre elles ont été publiées au Journal officiel depuis 1993-. Une seule loi allie, à la fois, l'immigration, l'intégration et la nationalité : celle du 16 juin 2011, récemment promulguée après validation constitutionnelle en bonne et due forme.

Sept lois relatives à l'immigration depuis 1993 (loi n° 93-1027 du 24 août 1993 ; loi n° 93-1417 du 30 décembre 1993 ; loi n° 97-396 du 24 avril 1997 ; loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 ; loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 ; loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 ; loi n° 2011-672 du 16 juin 2011) : la cadence est effarante au regard du long siècle de stabilité règlementaire que la France a pu connaître en la matière. Et, pourtant, l'immigration n'est pas un phénomène nouveau, puisqu'il est consubstantiel à la France et à son Histoire.

C'est comme si, tout à coup -dans les années 90-, la régulation de l'immigration ne s'opérait plus naturellement, mais devait être contrainte par la loi, non tant dans son principe, que dans son quantum, et plus récemment, dans sa qualité (cf. l'objectif présidentiel d'immigration choisie et d'immigration professionnelle).

Pour sûr, le dernier opus en date tente le tout pour le tout, mettant ainsi les pieds dans le plat, voire le feu aux poudres : adjoindre les concepts interactifs et sensibles que sont l'immigration, l'intégration et la nationalité ; chacun des concepts représentant, dans le meilleur des mondes, l'avenir de l'autre, dans un cycle non révolutionnaire, mais bien au contraire, de progrès et de stabilité sociale.

Et, d'ailleurs, le préambule de la loi nouvelle ne s'y trompe pas : "L'immigration est une chance, si elle est maîtrisée. L'immigration est un facteur de progrès, si elle conjugue l'intérêt du migrant, l'intérêt du pays d'accueil, et l'intérêt du pays d'origine. Fondée sur cette conviction, la politique du Gouvernement se veut équilibrée, juste et ferme, assurant à la fois la maîtrise de l'immigration et l'intégration effective des migrants". L'intention est assurément noble, mais les moyens sont-ils bons, du moins, équilibrés ?

La loi assure, certes, la transposition de trois Directives européennes : la Directive "carte bleue européenne" du 25 mai 2009, la Directive "sanction" du 18 juin 2009 et la Directive "retour" du 16 décembre 2008 ; ce faisant la loi crée de nouveaux outils de promotion de l'immigration professionnelle, de lutte contre l'immigration irrégulière et l'emploi d'étrangers sans titre. Mais, on retiendra essentiellement cet article 8 qui prévoit que, lors du renouvellement de la carte de séjour intervenant au cours de l'exécution du contrat d'accueil et d'intégration ou lors du premier renouvellement consécutif à cette exécution, l'autorité administrative tient compte du non-respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l'étranger, des stipulations du contrat d'accueil et d'intégration s'agissant des valeurs fondamentales de la République, de l'assiduité et du sérieux de sa participation aux formations civiques et linguistiques, et à la réalisation de son bilan de compétences professionnelles. A travers cette disposition, c'est une politique d'intégration, conforme aux orientations du séminaire sur l'identité nationale -dont les débats si décriés n'ont fait l'objet d'aucun consensus national- qui s'est tenu le 8 février 2010 sous la présidence du Premier ministre, qui est ainsi traduite.

L'idée de départ est, pourtant, bonne ; du moins légitime, en ce qu'elle invoque nécessairement les mânes de Jean-Jacques Rousseau et de son contrat social, publié en 1762, fondement républicain s'il en est. Pour mémoire, le "promeneur solitaire" envisageait le contrat social comme un pacte d'aliénation de l'Homme afin de lui garantir la liberté et l'égalité ; la somme de ces pactes contractés volontairement assurant l'essor de la démocratie. Ainsi, en renonçant à sa liberté naturelle, l'Homme s'assure une liberté civile. "Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir" : la société, pour ne pas dire la civilisation, relève de l'Etat de droit qui suppose "l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ; et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres" (Livre I, Chapitre 6). Et, le "rêveur de Colombes" d'ajouter : "Quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il ne considère que lui-même ; et s'il se forme alors un rapport, c'est de l'objet entier sous un point de vue à l'objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C'est cet acte que j'appelle une loi" (Livre II, Chapitre 6).

Et, l'on entrevoit, dès lors, la contrariété qu'il peut y avoir entre les récentes lois portant sur l'immigration, dont la loi du 16 juin 2011 ne fait pas exception, et leur assise philosophique, pour ne pas dire "droit-de-l'hommiste" que constitue assurément l'oeuvre de Rousseau.

D'abord, le contrat social suppose que "chacun de nous [mette] en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et [que] nous recev[i]ons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout". Par conséquent, l'engagement est total et identique pour tous ; personne n'a intérêt à le rendre injuste car, cette injustice, le concernerait directement ; et chacun se donnant à tous ne se donne finalement à personne. En imposant un "contrat d'accueil et d'intégration" aux immigrants et en établissant un "brevet de bonne et due intégration" sous l'appréciation de l'autorité administrative aux seuls immigrés souhaitant intégrer le corps social de la société française, la loi pose comme axiome que les "natifs" s'aliènent naturellement à l'intérêt général et à l'expression de la souveraineté populaire : affirmation posée comme vraie et indémontrable, l'égalité des co-contractants au pacte social aurait sans doute nécessité une identité de traitement, du moins à cet égard ; c'est-à-dire une manifestation non équivoque de l'appartenance de chacun, quel qu'il soit, à une communauté et à ses valeurs, sans distinction du lieu de naissance...

Ensuite, la particularité des lois relatives à l'immigration et la nationalité est qu'elles sont l'expression d'un peuple (les français) sur le sort d'un autre peuple (les immigrés) ; étant entendu que seul le pacte social permet l'intégration du second au sein du premier. Le peuple ne considérant plus lui-même, mais l'autre, la loi en perd dès lors de sa superbe. Mais, on conviendra qu'aucun autre système n'est plus légitime pour établir les lois de la République et, plus particulièrement, les lois régissant l'immigration. Car l'on est, en la matière, devant l'éternelle question de la poule et de l'oeuf : la loi est, a minima, l'expression d'une communauté populaire ; or, soit la loi française est l'expression de la volonté du seul peuple français, et nous tombons dans l'écueil ci-dessus constaté ; soit elle est l'expression d'un agrégat populaire, et ne mérite pas la qualité de loi n'étant pas, dès lors, rattachée à une communauté de destin -puisqu'il s'agit précisément d'en fixer au préalable les fondements-.

Toujours est-il qu'il y a une certaine "condescendance civilisationnelle", conforme au mythe du "bon sauvage" et à son auteur, à penser que seul le passage de l'Homme de l'état de nature à l'état civil, par l'intermédiaire du contrat social, lui permet d'acquérir la liberté morale et la possibilité de propriété garanties par la loi. Faut-il lire Jules Michelet pour se souvenir que "en nationalité, c'est tout comme en géologie, la chaleur est en bas ; aux couches inférieures, elle brûle" (Le Peuple)...

Reste qu'en matière d'immigration, l'oeuvre législative s'apparente plus volontiers au courant impressionniste en ce qu'elle est caractérisée par des impressions fugitives, une mobilité des phénomènes, qu'à l'aspect stable et conceptuel des choses... A moins qu'elle ne relève du pointillisme, auquel cas c'est avec le recul que l'on pourra apprécier toutes les couleurs vives de l'oeuvre législative quinquennale en la matière. Mais si les couleurs primaires semblent faire l'unanimité, ce sont les couleurs complémentaires qui peinent à se dessiner.

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