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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 30 Juin 2011
Lexbase : Pourquoi était-il nécessaire de légiférer sur le sujet ?
Marie Anne Gallot Le Lorier : La régulation du prix du livre numérique est au coeur des débats depuis environ trois ans ; elle a été initiée au ministère de la Culture et de la Communication dans le cadre de la commission constituée sous la présidence de Bruno Patino au premier semestre 2008 dont les réflexions ont donné lieu à un rapport remis le 30 juin 2008. Il est le premier à poser la nécessité d'une régulation du marché en reprenant l'esprit du prix unique appliqué depuis 1981 au livre imprimé. S'en sont suivis d'autres rapports : le bilan d'application de la loi du 10 août 1981, relative au prix du livre (loi n° 81-766 du 10 août 1981 N° Lexbase : L3886H3C), remis en mars 2009 par le rapporteur à la ministre de la Culture ; le rapport de la mission "Création et internet" conduite par MM. Zelnik, Toubon et Cerruti ; ou encore celui intitulé "pour un livre numérique créateur de valeurs" remis par Mme Christine Albanel au Premier ministre le 15 avril 2010. Tous ces documents vont dans le sens de l'adoption d'une loi instaurant un prix unique pour le livre numérique. En parallèle, l'Autorité de la concurrence, saisie par la ministre de la Culture, a rendu, le 18 décembre 2009, un avis dans lequel elle se prononce en faveur d'un tel encadrement et propose, d'ailleurs, un cadre assez précis (Autorité de la conc., avis n° 09-A-56, 18 décembre 2009, relatif à une demande d'avis du ministre de la culture et de la communication portant sur le livre numérique N° Lexbase : X9387AH7).
Il existe, en fait, deux motifs qui justifient cette intervention législative. D'une part, en France, il existe la loi "Lang" (loi n° 81-766) qui réglemente le prix du livre papier, et, d'autre part les éditeurs et les libraires français se trouvent confrontés aujourd'hui à des concurrents qui disposent de capacités financières sans commune mesure avec eux, qui font du discount appliquant des prix très bas. Or, il n'est pas possible que la création ne soit pas correctement rémunérée pour les auteurs comme pour les éditeurs.
Lexbase : Quel est le périmètre du texte ?
Marie Anne Gallot Le Lorier : Tout d'abord, la loi du 26 mai 2011 a vocation à s'appliquer :
- d'une part, aux livres publiés sous format numérique présentant un contenu intellectuel et répondant à un principe de réversibilité (c'est-à-dire également imprimés ou imprimables sans perte significative d'information) ;
- d'autre part, à l'ensemble des livres numériques qui répondront à cette définition, y compris à ceux qui auront été publiés antérieurement à la date d'entrée en vigueur des dispositions législatives.
Concernant le périmètre le texte s'applique à toutes les ventes de livres numériques en France ; ce qui signifie qu'il s'applique à des vendeurs étrangers. Relevons qu'à l'origine la proposition de loi prévoyait que le prix fixé par l'éditeur s'imposait aux seuls vendeurs de livres numériques installés sur le territoire français. Cette modification, qui a conduit à introduire une clause d'extra-territorialité, est issue d'un amendement sénatorial, qui a d'ailleurs été adopté à l'unanimité par le Sénat et non remis en question par l'Assemblée nationale.
Lexbase : Quelles sont les obligations mises à la charge des éditeurs et des vendeurs de livres numériques ?
Marie Anne Gallot Le Lorier : La loi du 26 mai 2011 pose, d'abord, l'obligation pour l'éditeur de fixer un prix de vente pour toute offre commerciale se rapportant à un livre numérique, qu'elle soit à l'unité ou groupée. Le prix est, en outre, soumis à une obligation de publicité. Par ailleurs, les personnes qui vont vendre des livres numériques seront tenues de respecter le prix fixé par l'éditeur quel que soit le canal de vente utilisé. Actuellement le décret d'application n'est pas encore sorti et va sans doute apporter des précisions sur cette visibilité des prix et sur les méthodes à employer.
Relevons que le non-respect de ces dispositions sera pénalement sanctionné, sans que l'on sache, pour le moment, les peines encourues, puisque l'article 7 de la loi renvoie, également, à ce décret le soin de leur détermination. On sait, toutefois, qu'il s'agit de peines contraventionnelles, comme c'est d'ailleurs le cas pour le non-respect des dispositions de la loi "Lang" sur le livre papier (loi n° 81-766 du 10 août 1981, art. 10 bis).
Lexbase : La loi vous semble-t-elle répondre aux objectifs fixés ? En fait, peut-on dire, selon vous, qu'il s'agit d'un "bon" texte ?
Marie Anne Gallot Le Lorier : Je pense que ce texte, qui semble bien avoir fait l'objet d'un consensus, a un objectif très louable qui consiste à voir la création bien rémunérée.Toutefois je ne peux pas dire que la loi telle qu'elle a été adoptée ne pose aucun problème, notamment concernant la clause d'extra-territorialité.
Lexbase : Justement quels sont les problèmes concernant cette clause ? Quelle est votre position sur cette question ?
Marie Anne Gallot Le Lorier : Le problème juridique est complexe au regard du droit de la concurrence européen. Sans rentrer dans les détails, certains ont mis en avant le fait que l'application du texte aux vendeurs étrangers pouvait contrevenir au principe de libre circulation des marchandises et au respect de la liberté de prestation de services. Plus précisément, il semble que se pose la question de la compatibilité du dispositif de la loi française avec le Traité et avec deux Directives relatives à certaines règles de fonctionnement du marché intérieur :
- la Directive 2006/123/CE, sur les services dans le marché intérieur (dite Directive "services" N° Lexbase : L8989HT4), dont l'objectif est de supprimer les obstacles à la liberté d'établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services entre les Etats membres ;
- et la Directive 2000/31/CE, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite "Directive sur le commerce électronique" N° Lexbase : L8018AUI), dont l'objectif est d'assurer la libre circulation des services de l'information entre les Etats membres.
Si, en effet, cette clause soulève des interrogations, rien ne permet toutefois de présager de l'issue du débat.
Il va, d'une part, y avoir des explications avec la Commission européenne ; les Français vont faire valoir leur position en mettant en avant l'exception de diversité culturelle. D'autre part, il n'est pas invraisemblable que d'autres pays européens nous emboîtent le pas. En outre, si aucune solution n'était trouvée avec la Commission et que cette dernière estimait que la législation française contrevient aux principes communautaires, la Cour de justice de l'Union européenne sera saisie de la question et rien ne permet, là non plus, de prédire quelle sera sa position. Enfin, dans le même temps, il ne faut pas non plus exclure l'idée que les acteurs étrangers, comme Amazone et Google, discutent et tentent de trouver un terrain d'entente.
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