La lettre juridique n°446 du 30 juin 2011 : Contrats administratifs

[Doctrine] Chronique de droit interne des contrats publics - Juin 2011

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics, rédigée par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis, laquelle met l'accent sur trois décisions. La première affirme et définit les conditions dans lesquelles l'administration peut régulariser à titre rétroactif un acte détachable dont l'annulation est susceptible de rejaillir sur le contrat administratif (CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2011, n° 327515, publié au recueil Lebon). La deuxième décision a trait au rejet de la demande d'annulation de la procédure de passation du contrat de partenariat portant sur la mise en place de l'"éco-taxe poids lourds" (CE 2° et 7° s-s-r.., 24 juin 2011, n° 347720 et n° 347779, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, la dernière décision confronte le principe d'inaliénabilité du domaine public à l'exigence de loyauté des relations contractuelles pour juger, au final, que la méconnaissance de la première ne fait pas obstacle au règlement d'un litige indemnitaire sur le terrain contractuel, dès lors que la clause entachée de nullité est divisible du reste du contrat (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mai 2011, n° 340089, publié au recueil Lebon).
  • Affirmation de la possibilité de régulariser rétroactivement l'acte détachable annulé pour vice de forme ou de procédure (CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2011, n° 327515, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5427HT8)

Au-delà des multiples changements, revirements et autres précisions jurisprudentielles intervenus au cours des dernières années en matière de contentieux des contrats administratifs, il est une constante qui demeure. Elle réside dans la recherche d'un équilibre entre les exigences de la légalité, d'une part, et de la sécurité juridique, d'autre part. Alors que l'annulation d'un acte détachable fut (trop) longtemps considérée comme non susceptible en elle-même de provoquer la remise en cause du contrat (cette annulation ayant un caractère "purement platonique" selon l'expression bien connue de Romieu), elle devint dans une période plus récente, et, principalement, à partir de l'intervention de la loi n° 95-127 du 8 février 1995, relative aux marchés publics et délégations de service public (N° Lexbase : L7737GTQ), attribuant au juge administratif un pouvoir d'injonction et d'astreinte en vue de l'exécution de la chose jugée, un moyen efficace permettant aux tiers de contester la validité d'un contrat, avant que la jurisprudence "Tropic" (1) ne vienne leur offrir un recours spécifique.

Seulement, ce recours en contestation de validité du contrat n'est ouvert qu'aux seuls tiers possédant la qualité de concurrent évincé. C'est dire que pour les tiers "ordinaires", la voie normale pour contester la légalité d'un contrat administratif demeure indirecte puisqu'elle nécessite d'attaquer un acte détachable par la voie du recours pour excès de pouvoir, puis de demander au juge de l'exécution d'enjoindre aux parties de tirer les conséquences de l'annulation ou, à défaut d'accord entre elles sur ce point, de saisir le juge du contrat afin qu'il se prononce (2). Ce long parcours contentieux permet in fine aux tiers d'obtenir la remise en cause du contrat, c'est-à-dire, en définitive, de faire prévaloir les exigences de la légalité sur celles de la sécurité juridique. Si cela n'a rien de choquant, il est, cependant, apparu, dans certaines hypothèses bien précises, que la remise en cause du contrat était parfois excessive ou largement disproportionnée par rapport au vice de légalité entachant l'acte détachable.

C'est dans ce contexte que l'arrêt du 8 juin 2011, rendu sur les conclusions de M. Bertrand Dacosta (3), vient utilement préciser les conditions dans lesquelles la personne publique peut régulariser un acte détachable dont l'annulation a été prononcée par le juge de l'excès de pouvoir. En l'espèce, la commune, propriétaire d'un terrain relevant de son domaine privé et sur lequel était implanté un complexe hôtelier, avait décidé de mettre fin au contrat d'exploitation qu'elle avait consenti à la société X et de le mettre en vente. Le conseil municipal avait autorisé l'exécutif local à signer un compromis de vente par une délibération du 16 septembre 2002. Saisi par un contribuable local d'un recours pour excès de pouvoir, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette délibération par un jugement du 6 janvier 2005, au motif que l'avis du service des domaines ne portait pas sur l'une des parcelles concernées. Mais le contrat de vente avait été préalablement signé par la commune, et cette dernière n'avait pas fait appel du jugement rendu par le tribunal administratif. La collectivité a préféré saisir à nouveau le service des domaines qui a validé la vente, et le conseil municipal a, alors, adopté une nouvelle délibération, le 23 février 2005, procédant à l'approbation rétroactive de la vente et confirmant la délibération du 16 septembre 2002. A la demande du même contribuable local, cette seconde délibération a été annulée par le tribunal administratif de Lyon, dont le jugement a été confirmé par la cour administrative d'appel de Lyon (4).

Saisi d'un recours en cassation, il appartenait au Conseil d'Etat de préciser si la régularisation rétroactive d'un tel acte détachable était possible, et selon quelles conditions. Il l'a fait aux termes d'un considérant de principe qui précise que "à la suite de l'annulation, par le juge de l'excès de pouvoir, de l'acte détachable de la passation d'un contrat, il appartient à la personne publique de déterminer sous le contrôle du juge, les conséquences à tirer de cette annulation, compte tenu de la nature de l'illégalité affectant cet acte [...] s'il s'agit, notamment, d'un vice de forme ou de procédure propre à l'acte détachable et affectant les modalités selon lesquelles la personne publique a donné son consentement, celle-ci peut procéder à sa régularisation, indépendamment des conséquences de l'annulation sur le contrat lui-même [...] elle peut ainsi, eu égard au motif d'annulation, adopter un nouvel acte d'approbation avec effet rétroactif, dépourvu du vice ayant entaché l'acte annulé". Appliquant ce raisonnement au cas d'espèce, le Conseil d'Etat a sanctionné l'erreur de droit commise par la cour administrative d'appel de Lyon qui, pour apprécier la légalité de la régularisation de la délibération du 16 septembre 2002 opérée par la délibération du 23 février 2005, s'était fondée sur les seules conséquences que le juge judiciaire pouvait être amené à tirer de l'annulation de la première délibération sur le contrat de vente. C'est dire que le Conseil d'Etat a considéré que le raisonnement développé par les juges lyonnais était trop restrictif, car limitant trop fortement les possibilités de régularisation.

L'apport de l'arrêt du Conseil d'Etat réside donc dans la reconnaissance de la possibilité, pour la personne publique, d'édicter un acte administratif ayant pour effet de régulariser rétroactivement un précédent acte annulé par le juge administratif. Le champ de cette possibilité est, cependant, précisément défini. Il ne s'agit évidemment pas de reconnaître à l'administration le pouvoir de régulariser tous les actes administratifs, quels qu'ils soient, indépendamment de leur objet et du motif pour lesquels ils ont été annulés. Seuls les actes relatifs aux conditions dans lesquelles la personne publique a donné son consentement sont concernés. Tel était précisément le cas en l'espèce, puisque la délibération de 2002 était entachée d'un vice de légalité externe. Ne sont donc vraisemblablement pas concernés, les actes susceptibles de préjudicier aux droits des tiers, spécialement lorsque l'annulation fait suite au non-respect des règles de publicité et de mise en concurrence, ou encore les hypothèses dans lesquelles l'annulation de l'acte détachable trouve sa source dans l'illégalité du contrat lui-même. De ce point de vue, l'arrêt du 8 juin 2011 ici commenté nous semble s'inscrire dans la continuité de la jurisprudence "Ville de Grenoble" (5) par laquelle le Conseil d'Etat avait considéré qu'un conseil municipal ayant approuvé un avenant devait être considéré comme ayant nécessairement donné son accord au contrat initial et, par voie de conséquence, validé la signature de ce même contrat par le maire. En revanche, le présent arrêt opère une rupture avec la jurisprudence "Société Hertz France" du 26 mars 1999 (6) qui avait considéré que l'incompétence du signataire du contrat impliquait nécessairement l'annulation de l'acte détachable et la résolution du contrat. Au total, l'arrêt du 8 juin 2011 traduit l'effort louable du juge administratif de faire primer les exigences de la sécurité juridique sur celles de la légalité toutes les fois où cela est possible.

  • Rejet de la demande d'annulation de la procédure de passation du contrat de partenariat portant sur la mise en place de l'"éco-taxe poids lourds" (CE 2° et 7° s-s-r.., 24 juin 2011, n° 347720 et n° 347779, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3777HUG)

C'est un contentieux riche d'enjeux qui vient d'être tranché par le Conseil d'Etat. Enjeu politique, tout d'abord, car il touche à la question de la mise en place de l'"éco-taxe poids lourds", autrement dit de l'éco-redevance kilométrique dont le principe avait été voté dans la loi dite "Grenelle 1" (loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement N° Lexbase : L6063IEB) et dont les modalités avaient été précisées par la loi de finances pour 2009 (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 N° Lexbase : L3783IC4) (taxe s'appliquant à tous les véhicules de transport de marchandises de plus de 3,5 tonnes). Enjeu financier, également, car le contrat de partenariat portant sur le financement, la conception, la réalisation, l'entretien, l'exploitation et la maintenance du dispositif nécessaire à la collecte, à la liquidation et au recouvrement de l'"éco-taxe poids lourds" avait été attribué par une décision du 8 février 2011 à la société X pour une durée de treize ans et pour un montant de plus de deux milliards d'euros.

L'importance de l'enjeu explique, pour une large part, le fait que la procédure de passation de ce contrat ait été portée devant le juge administratif. Plusieurs concurrents évincés, ont en effet, saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par une ordonnance remarquée du 8 mars 2011, a annulé la procédure de passation du contrat de partenariat. Saisi par le ministre chargé de l'Ecologie et la société X d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat a cassé l'ordonnance du juge des référés précontractuels au motif qu'elle n'avait pas fait une application correcte des principes posés par la jurisprudence "Smirgeomes" (7), qui conduisent à subjectiviser le référé précontractuel. Depuis cet arrêt et dans le respect de la lettre et de l'esprit de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1591IEN), il incombe, en effet, au juge du référé précontractuel de rechercher si les manquements dans la procédure de passation du marché dont les entreprises qui le saisissent se prévalent sont susceptibles de les avoir lésées en avantageant une entreprise concurrente. Or, l'ordonnance litigieuse ne permettait pas de déterminer si le juge du tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait procédé à cette vérification, et le Conseil d'Etat l'a donc logiquement annulée.

Il restait alors au Conseil d'Etat à régler l'affaire au fond et à se prononcer sur les moyens qui avaient justifié l'annulation de la procédure par le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Ce dernier avait souligné que l'évolution de la candidature de la société était contraire aux principes de transparence et d'intangibilité des candidatures, ainsi qu'aux dispositions du règlement de la consultation, que certains des critères d'attribution du contrat avaient été définis avec une marge excessive d'imprécision, et que l'impartialité des conseils de l'Etat n'était pas suffisamment établie. La Haute juridiction administrative a écarté ces éléments et, spécialement celui selon lequel l'Etat aurait méconnu le principe d'impartialité en s'adjoignant le conseil et le concours technique de sociétés filiales à 100 % d'un groupe qui entretenait des liens commerciaux avec la société attributaire.

Pour le Conseil d'Etat, le fait de recourir à l'assistance technique de sociétés filiales d'un groupe qui a collaboré ponctuellement avec la société X dans le cadre de projets de télépéages pour poids lourds lancés en Autriche et en Pologne, ne saurait, à lui seul, caractériser un manquement à l'impartialité de la part de ces conseils extérieurs dans le cadre de la présente procédure. Et cela, d'autant plus que cette collaboration est demeurée ponctuelle, puisqu'elle n'a représenté, au final, que 0,4 % du chiffre d'affaires du groupe et que la spécificité des prestations d'assistance technique en cause rendait inéluctable l'existence de relations d'affaires antérieures, dans d'autres pays, entre ces sociétés de conseil et des sociétés candidates, spécialisées dans les projets de télépéages. Par ailleurs, il est apparu au Conseil d'Etat que toutes les précautions avaient été prises pour garantir l'impartialité des conseils techniques chargés d'éclairer la commission consultative créée par le décret n° 2009-345 du 30 mars 2009, relatif aux modalités d'application du III de l'article 153 de la loi de finances pour 2009 (N° Lexbase : L8863IDM), elle-même appelée à rendre un avis sur la sélection et le choix des candidats.

  • Inaliénabilité du domaine public et loyauté des relations contractuelles (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mai 2011, n° 340089, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0970HQY)

L'arrêt du 4 mai 2011 rapporté confronte deux règles essentielles du droit administratif. Une très ancienne, l'inaliénabilité du domaine public, et l'autre plus récente puisque consacrée par la jurisprudence "Commune de Béziers" (8), l'exigence de loyauté des relations contractuelles. En l'espèce, un district avait conclu en 1991 avec une société d'économie mixte locale (SEML) une convention d'une durée de dix-huit ans ayant pour objet la construction et l'exploitation des aménagements destinés à la pratique du ski alpin sur le massif du Queyras. Cette convention comportait une annexe (qui était en réalité une seconde convention) aux termes de laquelle le district louait les remontées mécaniques à la SEML. La difficulté venait de ce que cette seconde convention était assortie d'une promesse de vente et que la SEML pouvait donc devenir propriétaire des équipements précités alors qu'ils appartenaient manifestement au domaine public et étaient donc protégés par le principe d'inaliénabilité du domaine public (9) .

La question posée par la présente affaire avait donc trait aux conséquences à tirer de la violation de la règle d'inaliénabilité du domaine public. Un contentieux s'était engagé devant le juge administratif et la cour administrative d'appel de Marseille (10) avait fait le choix de se placer sur le terrain contractuel pour régler les conséquences indemnitaires de la résiliation anticipée de la convention. Le Conseil d'Etat retient en l'espèce une autre analyse en appliquant une nouvelle fois la jurisprudence "Commune de Béziers" dont chacun sait qu'elle a permis de replacer le contrat au centre du contentieux contractuel. Après avoir rappelé le considérant de principe de cet arrêt, selon lequel "lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat [...] toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel", le Conseil d'Etat a sanctionné l'erreur de droit commise par la cour administrative d'appel de Marseille. Il a considéré qu'un contrat comportant une clause contraire au principe d'inaliénabilité du domaine public avait un contenu illicite. Cependant, il a également considéré que cette clause était divisible des autres clauses du contrat, et que le litige indemnitaire pouvait donc, de ce fait, être réglé sur le terrain contractuel.

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW), Rec. CE, p. 360.
(2) Sur les relations entre le juge de l'excès de pouvoir, le juge de l'exécution et le juge du contrat, cf. CE 2° et 7° s-s-r., 21 février 2011, n° 337349, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7022GZ4).
(3) Que nous remercions pour leur communication.
(4) CAA Lyon, 3ème ch., 3 mars 2009, n° 07LY01806 (N° Lexbase : A1267EEN).
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 296964, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1249EKH).
(6) CE, Sect., 26 mars 1999, n° 202256, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3523AXR), Rec. CE, p. 95, concl. J.-H. Stahl.
(7) CE, Sect., 3 octobre 2008, n° 305420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5971EAE).
(8) CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC), AJDA, 2010, p. 142, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, RFDA, 2010, p. 506, concl. E. Glaser, note D. Pouyaud.
(9) CE, sect. travaux publics, Avis, 19 avril 2005, n° 371234, EDCE, 2005, p.197.
(10) CAA Marseille, 6ème ch., 29 mars 2010, n° 07MA03229 (N° Lexbase : A8653EWE), Contrats Marchés publ., 2010, comm. 224, note G. Eckert.

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