Réf. : Cass. crim., 31 mai 2011, n° 11-81.459, F-P+B (N° Lexbase : A3424HTY)
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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'université Montesquieu - Bordeaux IV
le 30 Juin 2011
La Cour de cassation ne fait certes qu'approuver la motivation de la chambre de l'instruction, de sorte que n'exprimant pas sa propre doctrine, la portée de la solution serait bien mince. Mais ce faisant, la Haute juridiction fait droit à la nullité invoquée, ce qui laisse augurer de nombreuses procédures diligentées par les avocats, qui ne manqueront de s'engouffrer dans la brèche ainsi ouverte. La portée pratique de la solution est donc décisive puisque toutes les gardes à vue, mêmes antérieures à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle portant réforme de la garde à vue (1), qui ne répondent pas à la double exigence d'assistance effective d'un avocat et de notification du droit au silence sont exposées à la nullité des actes accomplis. En revanche, la portée de la solution est plus incertaine en ce qui concerne la détermination des personnes bénéficiaires de tels droits. Car, si la Chambre criminelle approuve la chambre de l'instruction d'avoir décidé que le droit de ne pas s'accuser implique tant la notification du droit au silence que l'assistance d'un avocat, elle l'approuve également d'avoir ajouté que "cette nécessité devient impérieuse lorsque la personne privée de sa liberté d'aller et venir est, comme en l'espèce, un mineur âgé de quinze ans". Aussi faudra-t-il se demander si la portée de la solution est limitée au seul mineur ou si elle doit être étendue à toute personne placée en garde à vue, ce que nous croyons.
Au plan théorique, la solution est fondée sur le "droit de ne pas s'incriminer" ou, dit-on parfois, de ne pas "s'auto-incriminer". Pour évocatrices qu'elles soient, ces expressions, fruit des traductions en langue française -toujours imparfaites- des décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, ne sont guère correctes : l'incrimination étant la description du comportement infractionnel, seuls les textes et, à travers eux, le législateur incriminent un comportement donnant lieu à une peine ; un particulier ne saurait s'incriminer lui-même. Aussi est-il préférable d'évoquer le droit de ne pas s'accuser ou, mieux encore, le droit de ne pas participer à sa propre condamnation, expression d'autant mieux fondée qu'elle permet d'englober toutes les manifestations du principe, au-delà du seul droit au silence.
Quoiqu'il en soit, de ce fondement unitaire découlent deux conséquences : le droit à l'assistance d'un avocat et la notification du droit au silence durant la garde à vue, lesquels n'opèrent pas au même moment de la mesure. Tandis que l'assistance effective d'un avocat doit intervenir lors des auditions, c'est-à-dire pendant la durée de la garde à vue (I), la notification du droit au silence est un préalable à la mesure et doit donc intervenir dès le début de la garde à vue (II).
I. Le droit à l'assistance effective d'un avocat durant les auditions
Par cet arrêt, la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient confirmer que le droit de ne pas s'accuser implique l'assistance effective d'un avocat durant les auditions de la personne gardée à vue. L'affirmation n'est que l'aboutissement d'une évolution jurisprudentielle dont seules les principales évolutions seront ici brièvement rappelées.
Ce fut, d'abord, la Cour européenne des droits de l'Homme qui lança les premières offensives en posant, dans les arrêts "Salduz" (2) et "Dayanan" (3), l'exigence de l'assistance effective d'un avocat pendant la durée de la garde à vue, suivie d'ailleurs en ceci par certaines juridictions du fond françaises, qui n'hésitaient plus à déclarer le régime des gardes à vue contraire aux principes de la Convention (4). Mais, concernant la Turquie, ces décisions n'avaient pas encore une portée décisive sur le régime de la garde à vue française. L'incertitude n'allait toutefois pas durer bien longtemps puisque la Cour de Strasbourg condamna l'Etat français, dans un arrêt "Brusco contre France", pour violation du droit à un procès équitable au motif, notamment, que la personne gardée à vue ne bénéficie pas de l'assistance effective d'un avocat dès le début de la mesure et pendant les interrogatoires (5). Ce fut, ensuite, le Conseil constitutionnel qui poursuivit l'assaut en décidant que la personne placée en garde à vue doit pouvoir bénéficier, en règle générale, de l'assistance effective d'un avocat pendant toute la durée de la mesure (6). Ce fut, enfin, tant la Chambre criminelle (7) que l'Assemblée plénière (8) de la Cour de cassation qui portèrent la dernière estocade en décidant, sur le fondement de l'article 6 de la CESDH, que toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat.
Si la cause est désormais entendue, comme en témoigne un tel déferlement jurisprudentiel, la portée réelle de l'exigence effective d'un avocat reste encore toutefois à préciser.
Tout d'abord, quant au moment où la personne gardée à vue doit bénéficier de l'assistance effective d'un avocat, la Cour de cassation vient ici préciser qu'elle doit prévaloir "durant ses auditions". Or, ce faisant, la Cour de cassation paraît en deçà des exigences posées tant par la jurisprudence, interne (9) ou européenne (10), que par la loi nouvelle portant réforme de la garde à vue (11) qui sont unanimes à considérer que la personne gardée à vue doit bénéficier de la présence de son conseil dès le début de la mesure et lors des interrogatoires. Le recul pourrait toutefois n'être qu'apparent car, dans les faits de l'espèce, la personne gardée à vue avait pu s'entretenir confidentiellement avec un avocat préalablement à ses auditions, de sorte que la Haute juridiction se contenterait ici de condamner les seuls manquements effectifs au droit à l'assistance d'un avocat.
Ensuite, si le dialogue des juges a mis en lumière l'exigence uniforme de l'assistance effective d'un avocat, la portée de cette exigence demeure pour le moins incertaine tant il existe une multitude de degrés dans l'assistance. Le terme assistance doit-il être interprété restrictivement, comme visant uniquement l'office de défense et de conseil de la personne gardée à vue, ou doit-il au contraire être entendu largement, selon les directives de la Cour de Strasbourg, comme incluant la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le contrôle des conditions de détention ? L'assistance effective d'un avocat implique-t-elle une communication du dossier à l'avocat ? L'avocat pourra-t-il poser des questions au cours de la garde à vue ? Ni cet arrêt, ni la loi nouvelle d'ailleurs, n'apportent de précision à cet égard.
Enfin, quant à la détermination des personnes devant bénéficier de l'assistance effective d'un avocat, cet arrêt pourrait de prime abord laisser penser que seuls les mineurs bénéficient d'un tel droit. En effet, si la Chambre criminelle approuve la chambre de l'instruction d'avoir décidé que le droit de ne pas s'accuser implique tant la notification du droit au silence que l'assistance effective d'un avocat, elle l'approuve également d'avoir ajouté que "cette nécessité devient impérieuse lorsque la personne privée de sa liberté d'aller et venir est, comme en l'espèce, un mineur âgé de quinze ans". Cette première interprétation serait toutefois contestable car si le droit à l'assistance d'un avocat est, comme l'indique la chambre de l'instruction, une "nécessité", il doit également prévaloir pour les majeurs, quand bien même cette nécessité serait plus "impérieuse" pour les mineurs. Non spécifique aux mineur, le droit à l'assistance d'un avocat doit être conçu comme un droit général, valant pour toute personne placée en garde à vue, comme le confirme d'ailleurs la loi nouvelle qui n'opère à cet égard aucune distinction quant aux personnes susceptibles d'en bénéficier.
La même généralité doit encore prévaloir concernant la notification du droit au silence.
II. La notification du droit au silence dès le début de la garde à vue
Devançant là encore la loi nouvelle portant réforme de la garde à vue qui prévoit la notification du droit au silence à la personne placée en garde à vue (12), la Chambre criminelle décide que le "droit de ne pas s'incriminer, tel qu'il résulte de l'article 6 de la Convention exige, pour être effectif, une information préalable et adéquate du suspect, laquelle implique la notification du droit au silence".
Cette effectivité du droit au silence est le fruit d'une laborieuse et chaotique conquête. Alors que l'article 116, alinéa 4, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3714IGN) imposait au juge d'instruction d'avertir la personne qu'il envisage de mettre en examen, "qu'elle a le choix soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d'être interrogée", la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, relative à la présomption d'innocence (N° Lexbase : L0618AIQ), avait organisé un système semblable au profit de la personne placée en garde à vue, laquelle devait être informée de son droit "de ne pas répondre aux questions posées par les enquêteurs". Soucieuse de ne pas ériger en principe le silence de la personne mise en cause, la loi n° 2002-307 du 4 mars 2002 (N° Lexbase : L1451AXZ) a privilégié une autre formule en prévoyant que le gardé à vue devait être informé de son droit "de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire". Encore sauve, l'effectivité du droit au silence fut toutefois remise en cause par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure (N° Lexbase : L9731A9B), qui abrogea purement et simplement cette disposition de l'article 63, alinéa 1er, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9743IPK). Sans doute le droit au silence continuait-il à exister au plan théorique ; mais, dès l'instant que la personne gardée à vue n'était pas concrètement informée de ce droit, celui-ci demeurait largement illusoire. On était bien loin du modèle imposé par la Cour suprême des Etats-Unis qui décidait, dès 1966, qu'"avant tout interrogatoire, l'intéressé doit être informé qu'il a le droit de garder le silence, que toute déclaration de sa part pourra être retenue contre lui en justice" (13).
Conformément aux exigences conventionnelles (14), la Cour de cassation vient donc restaurer l'effectivité du droit au silence, avant même l'entrée en vigueur de la réforme de la garde à vue, en se fondant sur le droit de ne pas s'accuser ou de ne pas participer à sa propre condamnation. Alors que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (N° Lexbase : L6816BHW) proclame, en son article 14.3 g, que toute personne suspectée a le droit de "ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable", la Convention européenne ne prévoit pas semblable disposition (15). La Cour européenne n'en considère pas moins que, "même si l'article 6 de la Convention ne le mentionne pas expressément, le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable" (16).
Non absolu, un tel droit comporte toutefois un certain nombre de limites. D'une part, s'opposant seulement à ce que la personne poursuivie soit tenue de collaborer en accomplissant des actes contribuant à établir son implication, il ne fait pas obstacle à ce que les enquêteurs obtiennent de la personne mise en cause des éléments de preuve contre sa volonté. Ainsi a-t-il pu être décidé que ce principe "ne s'étend pas à l'usage, dans une procédure pénale, de données que l'on peut obtenir de l'accusé en recourant à des pouvoirs coercitifs, par exemple des documents recueillis en vertu d'un mandat [une perquisition en droit français], des prélèvements d'haleine, de sang, d'urine, de cheveux et de tissus corporels en vue d'une analyse ADN" (17). Le fondement du droit de ne pas s'accuser peut ainsi apparaître : la personne suspectée n'étant pas un auxiliaire de la justice, on ne saurait lui imposer d'alimenter l'accusation portée contre elle (18). D'autre part, la Cour de Strasbourg décide que, si l'exercice du droit de se taire ne saurait être considéré comme un aveu nécessaire de culpabilité (19), le silence n'en est pas moins un élément d'appréciation de la culpabilité dont le juge peut légitimement tirer des conséquences pour forger son intime conviction (20).
Malgré ces limites, le droit de ne pas s'accuser ou de ne pas participer à sa propre condamnation apparaît comme un principe général, qui dépasse le cadre du seul droit au silence.
Sans doute un tel droit comprend-il d'abord au premier chef le droit de se taire et de ne pas répondre aux questions posées. En conséquence, les déclarations faites par un accusé alors qu'il était dans l'obligation de déposer sous peine de sanctions pénales sont-elles frappées d'irrégularité (21). La question devient cependant plus complexe lorsqu'un individu est entendu comme témoin puisqu'il a alors l'obligation tant de prêter serment que de dire la vérité (22) sous peine de s'exposer aux sanctions du refus de prêter serment ou du faux témoignage (23). Depuis fort longtemps, l'obligation de prêter serment est jugée incompatible avec l'exercice des droits de la défense de la personne mise en examen, du prévenu ou de l'accusé (24). En revanche, la Chambre criminelle avait refusé d'étendre la solution aux personnes simplement placées en garde à vue en estimant qu'elles étaient tenues de prêter serment (25). Cette jurisprudence a toutefois été rendue caduque par la loi du 9 mars 2004 qui a exclu les personnes gardées à vue de l'obligation de prêter serment (26), étendant de la sorte encore un peu plus le domaine du droit de se taire.
Mais ce principe est plus riche en virtualités et comprend ensuite le droit de ne pas être contraint de produire des pièces compromettantes. Cette contrainte exercée contre la personne suspectée peut être d'ordre physique (27) ou morale et consister en la menace d'une sanction organisée par les autorités publiques. Ainsi, viole le droit de ne pas s'accuser la condamnation judiciaire d'une personne ayant refusé de communiquer aux autorités compétentes des pièces destinées à établir des infractions pouvant lui être imputées (28). Alors qu'en procédure civile, l'article 11 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1126H4H) oblige toute personne à apporter son concours à la justice, la matière pénale marque ici sa spécificité, en créant au profit de la personne poursuivie un droit de ne pas collaborer.
Enfin, et c'est peut-être là le contenu le plus symbolique du principe, le droit de ne pas participer à sa propre condamnation comprend encore le droit de mentir. Bien qu'une partie de la doctrine le conteste, cette application du principe trouve en premier lieu à s'appliquer en procédure pénale. Ainsi, dans l'arrêt "Brusco contre France" (29), pour condamner les dispositions anciennes du Code de procédure pénale qui obligeaient les personnes placées en garde à vue à prêter serment au nom du droit de ne pas participer à sa propre incrimination, la Cour s'est particulièrement attachée à souligner la pression subie du fait de l'incrimination du faux témoignage, ce qui revient implicitement mais nécessairement à leur reconnaître le droit de mentir aux enquêteurs. De même, la Chambre criminelle a pu censurer, au visa de l'article 14.3 g PDCP, un arrêt ayant prononcé une peine d'emprisonnement fondée sur le fait que le prévenu refusait de reconnaître sa culpabilité (30). Mais c'est aussi en second lieu en droit pénal de fond que le droit de mentir se trouve indirectement consacré. Ainsi, l'infraction de faux témoignage (31) ne trouve-t-elle à s'appliquer qu'à l'endroit des personnes ayant effectué une déposition mensongère sous serment. Or, le témoin étant le seul à prêter serment dans le cadre d'une procédure pénale, la personne poursuivie peut donc mentir sans encourir les peines de l'article 434-13 du Code pénal (N° Lexbase : L1785AM3). Dans le même ordre d'idées, la jurisprudence a pu décider que l'infraction de dénonciation calomnieuse n'est pas constituée lorsque les dénonciations sont faites dans le but de se défendre (32), de sorte qu'il est possible de calomnier autrui pour ne pas s'accuser.
Pour finir, on peut se demander si la Cour de cassation n'aurait pas été plus inspirée de fonder tant la notification du droit au silence que le droit à l'assistance d'un avocat directement sur les droits de la défense dès lors que le droit de ne pas s'accuser n'est qu'une expression de cet ensemble plus vaste. Un tel fondement aurait peut-être été préférable tant il est vrai que les contours du droit, encore balbutiant, de ne pas s'accuser demeurent incertains, notamment quant à la qualité d'"accusé" au sens autonome du droit de la Convention européenne (33). Tel est sans doute, toutefois, le prix de l'applicabilité directe du droit conventionnel dans notre interne qui s'accommode décidemment de mieux en mieux de notions au contenu à géométrie variable.
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