Le Quotidien du 10 juillet 2018 : Droit des étrangers

[Brèves] «Il en ressort que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle»

Réf. : Cons. const., décision n° 2018-717/718 QPC, du 6 juillet 2018 (N° Lexbase : A1710XWA)

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[Brèves] «Il en ressort que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/46621833-breves-il-en-ressort-que-la-fraternite-est-un-principe-a-valeur-constitutionnelle
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par Marie Le Guerroué

le 11 Juillet 2018

► En réprimant toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l'accessoire de l'aide au séjour de l'étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public.

 

► Les dispositions qui instaurent une immunité pénale en cas d'aide au séjour irrégulier, ne sauraient, sans méconnaître le principe de fraternité, être interprétées autrement que comme s'appliquant également à tout autre acte d'aide apportée dans un but humanitaire que ceux déjà énumérés par ces dispositions.

 

Tels sont les apports de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 6 juillet 2018, au nom du principe de fraternité, qu'il qualifie pour la première fois de principe à valeur constitutionnelle (Cons. const., décision n° 2018-717/718 QPC, du 6 juillet 2018 N° Lexbase : A1710XWA ; v., sur ce thème, S. Slama, Délit de solidarité : actualité d'un délit d'une autre époque, Lexbase, éd. pub., n° 456 N° Lexbase : N7658BWK ; P. Le Monnier de Gouville, Liberté - Egalité - Solidarité, Lexbase Pén., 2018, n° 6 N° Lexbase : N4569BXI).

 

Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 11 mai 2018 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 622-1 (N° Lexbase : L8951IU3) et L. 622-4 (N° Lexbase : L8952IU4) du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Cass. crim., 9 mai 2018, F-D, deux arrêts, n° 17-85.737 N° Lexbase : A6218XMA et n° 17-85.736 N° Lexbase : A6181XMU).

 

Les deux requérants, condamnés pour aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d'un étranger en France -aussi dénommé «délit de solidarité»- (CA Aix-en-Provence, 13ème ch., 8 août 2017, n° 2017/568 N° Lexbase : A6565WQ9 ; CA Aix-en-Provence, 13ème ch., 11 septembre 2017, n° 2017/628 N° Lexbase : A0239WWR) reprochaient aux dispositions précitées de doublement méconnaître le principe de fraternité. D’abord, parce que les exemptions pénales prévues ne s'appliquaient pas à l'entrée et à la circulation d'un étranger en situation irrégulière sur le territoire français et, ensuite, parce qu’aucune immunité n’était prévue en cas d'aide au séjour irrégulier pour tout acte purement humanitaire n'ayant donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte. 

 

  • La fraternité, un principe à valeur constitutionnelle

 

Les Sages relèvent, d’abord, qu'aux termes de son article 2 : «La devise de la République est ‘'Liberté, Egalité, Fraternité’" et que la Constitution se réfère, également, dans son préambule et dans son article 72-3, à l'«idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité». Ils en déduisent, pour la première fois, que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle et qu’il découle de ce principe la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national.

 

Ils précisent, toutefois, qu'aucun principe, aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national et, que l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Il appartient, à ce titre, au législateur d'assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l'ordre public. 

 

  • Sur la limitation à la seule aide au séjour irrégulier de l'exemption pénale prévue au 3° de l'article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

 

Le Conseil juge, sur ce point, qu’en réprimant toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l'accessoire de l'aide au séjour de l'étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Il censure donc les mots «au séjour irrégulier» figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

 

Le Conseil constate, en revanche, qu'une telle exemption ne doit pas nécessairement être étendue à l'aide à l'entrée irrégulière, qui, à la différence de l'aide au séjour ou à la circulation, fait naître par principe une situation illicite. 

 

  • Sur la limitation de l'exemption pénale aux seuls actes de conseils juridiques, de prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes et aux actes visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de l'étranger

 

Il juge, sur ce second point, que les dispositions du 3° de l'article L. 622-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui instaurent une immunité pénale en cas d'aide au séjour irrégulier, ne sauraient, sans méconnaître le principe de fraternité, être interprétées autrement que comme s'appliquant également à tout autre acte d'aide apportée dans un but humanitaire que ceux déjà énumérés par ces dispositions. Sous cette réserve, il considère que le législateur n'a pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de fraternité par le 3° de l'article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est donc écarté. 

Enfin, le Conseil précise qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement et qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée, le Conseil constitutionnel juge que l'abrogation immédiate des mots «au séjour irrégulier» figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 aurait pour effet d'étendre les exemptions pénales prévues par l'article L. 622-4 aux actes tendant à faciliter ou à tenter de faciliter l'entrée irrégulière sur le territoire français. Elle entraînerait des conséquences manifestement excessives. Il reporte, par conséquent, au 1er décembre 2018 la date de cette abrogation.

 

Cette décision fera l’objet d’un commentaire du Professeur Serge Slama dans la revue Lexbase Hebdo - édition publique n° 511 du 19 juillet prochain (cf. l’Ouvrage «Droit des étrangers» N° Lexbase : E4048EYL).

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