La lettre juridique n°688 du 23 février 2017 : Éditorial

Open access, Open law : la guerre de Troie aura-t-elle lieu ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 23 Février 2017


Tempête dans le Landernau, d'aucuns éditeurs juridiques mettent à disposition du (grand) public certains de leurs contenus, qu'ils jugent, ce faisant et désormais, sans valeur ajoutée. Aussi, quidam peut avoir accès à l'ensemble de la législation et de la réglementation consolidées, à une foultitude de décisions de jurisprudence, et, Saint Graal, à des milliers de synthèses thématiques juridiques.

Cela fait les choux gras des commentateurs du marché de l'édition et de la documentation juridiques : sans doute parce que l'éditeur ainsi si novateur est un éditeur historique ; sans doute parce que l'éditeur ainsi si novateur aura attendu plus de 18 ans pour murir l'ouverture de "ses" données pourtant publiques à un public de non-abonnés.

Pourtant.

Et, pourtant, on n'est jamais plus généreux qu'avec ce qui appartient à tous. Quid de l'accès, 20 ans après Légifrance, à des codes consolidés ? Chacun sait que les éditeurs juridiques ont depuis longtemps une licence de rediffusion de "LégiCode" et autres "LégiLoi" et que, la publication sur Légifrance ayant force de loi, toute consolidation éditoriale n'emportera que le risque d'une mauvaise doxa de cette dernière. Bien entendu, on s'interrogera sur le fait de savoir si déverser des milliers d'articles de codes pour encombrer le web en espérant un référencement naturel pointant de facto sur des commentaires eux savants, à forte valeur ajoutée, et surtout payants, relève bien de la philosophie de l'open acces... Quant à l'accès à des milliers de fiches synthétiques juridiques pour le plus grand bien de l'intelligibilité du droit... Lexbase publie gratuitement ses milliers de synthèses, mises à jour elles quotidiennement, gratuitement sur le web... Et, il nous avait échappé que nous révolutionnions depuis des années le marché de l'édition juridique français... Dont acte.

Et, pourtant, il est amusant de voir combien les éditeurs les plus investis dans la libération de la jurisprudence... sont ceux qui l'ont délaissée, peu ou prou, pendant des dizaines d'années, sauf à lui trouver un intérêt exclusivement éditorial et partiel... sont ceux pour qui la législation et la réglementation étaient l'alpha et l'oméga de la panégyrie commerciale. Arcboutés, vent debout, contre la mise en place de Légifrance, en son temps, parce qu'attentant aux intérêts supérieurs de la maison rouge, la "vengeance" est un plat qui se mange froid : la jurisprudence, précarré d'autres éditeurs, ne pouvait échapper au dogme de la transparence et de l'accessibilité... Un partout, la balle au centre.

Et, pourtant, contrairement à la législation et à la réglementation, la jurisprudence n'est pas une donnée neutre ; c'est même une donnée sensible, voire ultra-sensible. Une dangerosité intrinsèque dont on pensait se dédouaner avec l'anonymisation, jusqu'à ce que l'on s'aperçoive que la pseudo-anonymisation si répandue était insuffisante voire infectieuse, quand la loi commande désormais le respect de la vie privée, quand les risques de reconnaissance personnelle ne peuvent être annihilés. Non, la jurisprudence n'est pas une donnée à mettre devant tous les yeux, quand bien même serait-elle anonymisée. Non seulement, donner accès au citoyen à des données jurisprudentielles souvent contradictoires est inefficace du point de vue de l'intelligibilité et de la pénétration du fait juridique et judiciaire dans la société ; mais surtout, on joue à l'apprenti sorcier en faisant croire au justiciable qu'il a accès au même état de la connaissance juridique que les professionnels, alors qu'il n'a pas le savoir et la compétence nécessaires pour séparer le bon grain de l'ivraie, pour adopter une stratégie juridique et judiciaire efficace. Que gagnerons nous à voir ainsi les clients arriver devant leur avocat avec la copie d'une loi et d'une jurisprudence d'appel (éventuellement cassée), comme un patient arbore une fiche doctissimo à son médecin traitant, alors qu'une loi spéciale déroge à la loi doctement présentée, alors que dix arrêts d'appel contredisent l'arrêt savamment décelé ?

Et, pourtant, la jurisprudence, source majeure du droit, doit être libérée. Oui, mais pour qui et à quelle fin ? Aux citoyens, une donnée judiciaire publique publiable (DJPP) -une contraction de l'arrêt dépouillé de toute donnée personnelle s'attachant à la substantifique moelle juridique de la décision publiée- ; aux professionnels du droit, au premier rang desquels les avocats, une donnée brute -leur déontologie l'autorisant-, éventuellement heureusement enrichie éditorialement, bien sûr, mais aussi algorithmiquement des décisions connexes de la même affaire, des affaires proches, penchant dans le même sens ou en sens contraire, des moyens les mieux accueillis, de ceux à proscrire... Eventuellement... car, d'une part, il serait de bon aloi que l'on ne joue pas avec la prédiction judiciaire sans une certaine transparence informatique permettant aux professionnels de relativiser les prédictions savamment concoctées dans les boîtes noires de la legal tech ; d'autre part, parce qu'il est étonnant de voir combien la foule se presse pour que soit libérée au plus vite une donnée brute jugée pourtant sans valeur intrinsèque.... Cherchez l'erreur.

Et, pourtant, de fait, les arrêts d'appel, notamment, sont accessibles par la grande majorité des avocats : qui sait que 75 % d'entre eux ont déjà accès à JURICA (la base de jurisprudence d'appel) à travers leurs accès documentaires mutualisés par leurs Ordres, y compris le barreau de Paris ? Qui sait que les 25 % restants peuvent y accéder également gratuitement, pour peu que leurs Ordres acceptent notre concours.

Et, pourtant La guerre de Troie aura-t-elle lieu ? : sans doute, si l'on refuse d'admettre que l'ouverture des données publiques doit s'opérer avec précaution. Or, cette précaution, seules les professions réglementées astreintes à une haute déontologie peuvent l'assurer ; à eux, pense-t-on, d'assurer la diffusion de la jurisprudence aux justiciables pour le plus grand bien de l'intelligibilité judiciaire.

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