La lettre juridique n°676 du 17 novembre 2016 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Application du bail professionnel à une société mutuelle

Réf. : Cass. civ. 3, 20 octobre 2016, n° 15-20.285, FS-P+B (N° Lexbase : A6567R94)

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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et de l'Institut de droit des affaires (IDA), Directeur du Master professionnel Ingénierie des sociétés

le 17 Novembre 2016

L'arrêt rendu le 20 octobre 2016 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, publié au Bulletin, est relatif au bail professionnel. Il doit en cela retenir l'attention tellement les arrêts rendus en cette matière sont rares. La solution est d'autant plus intéressante qu'elle concerne non pas un professionnel libéral mais une société mutuelle.
En l'occurrence, le 31 mars 2006, une SCI donne à bail en renouvellement des locaux à usage de bureaux à la société mutuelle. Par lettre recommandée du 11 juin 2011, la locataire donne congé à effet du 31 mars 2012, date à laquelle elle a quitté les lieux, puis elle assigne le bailleur en validité du congé et en remboursement du loyer du deuxième trimestre 2012. A titre reconventionnel, la société bailleresse a demandé l'annulation du congé et le paiement des loyers jusqu'au deuxième trimestre 2013 inclus et, à titre subsidiaire, l'allocation d'une indemnité égale au montant des loyers exigibles au 31 mars 2015.
Les demandes de la bailleresse étant rejetées, elle forme un pourvoi en cassation, également rejeté au motif, d'une part, "qu'ayant relevé que la [preneuse] avait pris à bail des locaux à usage de bureaux pour les besoins de son activité professionnelle, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que les dispositions d'ordre public de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 (N° Lexbase : L8834AGB), dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 4 août 2008 (N° Lexbase : L7358IAR), étaient applicables et que le caractère lucratif ou non de l'activité était indifférent", et ,d'autre part, "qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que la faculté d'extension conventionnelle du statut des baux commerciaux suppose que les parties manifestent de façon univoque leur volonté de se placer sous ce régime, que la qualification de bail commercial, la mention dans la convention selon laquelle 'le preneur bénéficiera du statut de la propriété commerciale' ainsi que la référence aux règles du Code de commerce ne suffisaient pas à caractériser une renonciation en toute connaissance de cause et dépourvue d'ambiguïté aux dispositions d'ordre public de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 permettant de rompre le bail à tout moment par congé donné par lettre recommandée, la cour d'appel a pu en déduire que le congé était régulier". Se trouve ainsi confirmée l'applicabilité du bail professionnel pour des locaux à usage de bureaux, dont le statut est d'ordre public, au détriment du bail commercial et indépendamment du caractère lucratif ou non lucratif de l'activité (I), lequel bail commercial peut tout de même être applicable par la soumission conventionnelle (1) (II).

I - Un bail professionnel applicable indépendamment du caractère lucratif ou non de l'activité

Contrairement au statut très complexe des baux commerciaux, les dispositions sur le bail professionnel, sur lesquelles il convient de revenir, sont assez laconiques (A). Pour autant, elles sont d'ordre public et doivent trouver application pour des locaux à usage de bureaux pour les besoins de leur activité professionnelle, en l'absence d'option non équivoque pour le statut des baux commerciaux (B).

A - Régime du bail professionnel

Aux artisans et commerçants le bail commercial, aux professions libérales le bail professionnel.

Les dispositions sur le bail professionnel se trouvent principalement à l'article 57 A (2), qui fait partie des quelques dispositions non abrogées de la loi du 23 décembre 1986 et qui complètent, par leur caractère d'ordre public, le droit commun des baux des articles 1708 (N° Lexbase : L1831ABG) et suivants du Code civil qui restent applicable aux baux exclusivement professionnels.

Selon ce texte :
"Le contrat de location d'un local affecté à un usage exclusivement professionnel est conclu pour une durée au moins égale à six ans. Il est établi par écrit.
Au terme fixé par le contrat et sous réserve des dispositions du troisième alinéa du présent article, le contrat est reconduit tacitement pour la même durée.
Chaque partie peut notifier à l'autre son intention de ne pas renouveler le contrat à l'expiration de celui-ci en respectant un délai de préavis de six mois.
Le locataire peut, à tout moment, notifier au bailleur son intention de quitter les locaux en respectant un délai de préavis de six mois.
Les notifications mentionnées au présent article sont effectuées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier.
Les parties peuvent déroger au présent article dans les conditions fixées au 7° du I de l'article L. 145-2 du Code de commerce
(N° Lexbase : L5029I3N)".

S'agissant de la durée, le bail professionnel est, aux termes de l'alinéa 1er de l'article 57 A, conclu pour une durée au moins égale à six ans. Autrement dit, il peut être plus long, mais pas plus court. Il n'y a pas de statut comparable à celui des baux au plus égal à deux ans (trois ans depuis la loi "Pinel" n° 2014-626 du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D) dans le statut des baux commerciaux. Mais il faut rappeler que le locataire, et le locataire seul, peut donner congé à tout moment moyennant un préavis de six mois (al. 4).

Le bail commercial, quant à lui, est conclu pour une durée qui ne peut être inférieure à neuf ans. Certes le locataire peut donner congé à l'expiration de chaque période triennale, mais seulement si le bail ne le lui interdit pas (3). Dans le statut des baux professionnels, le bailleur ne peut donner congé en cours de bail, même en cas de nécessité de travaux alors que c'est le cas dans le statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-4 N° Lexbase : L2010KGK).

S'agissant du renouvellement du bail professionnel et de la fixation d'un nouveau loyer, aux termes du deuxième alinéa de l'article 57 A précité, le bail professionnel se renouvelle, à son expiration, pour une durée semblable, c'est-à-dire pour six ans, ou plus si les parties ont conventionnellement prévu une plus longue durée. Mais ce renouvellement n'est pas un droit pour le locataire ou une obligation pour le propriétaire. Chacun d'eux peut éviter la tacite reconduction en dénonçant le bail six mois avant son échéance. En d'autres termes, il n'existe pas de "propriété libérale" comparable à la propriété commerciale propre aux baux commerciaux.

Dans la pratique, en dehors du cas dans lequel le bailleur veut récupérer les locaux pour son usage personnel, ou pour les vendre, ou pour toute autre raison qu'il n'a pas à justifier, il délivrera le congé mais fera une proposition pour un nouveau bail, moyennant un loyer qu'il estimera plus proche du prix du marché. En effet, aucune disposition impérative ne vient régir le loyer de renouvellement comme dans le statut des baux commerciaux. Il n'y a ni référence à une valeur locative quelconque, ni à un plafonnement imposé par le législateur. En général, les baux professionnels contiennent, néanmoins, une clause d'indexation du loyer.

Pour autant, en pratique, c'est rarement un problème pour le locataire. Il faut, en effet, rappeler que les locaux professionnels sont en général des appartements au premier étage des immeubles, ou bien sont situés dans des immeubles de bureaux et qu'il n'y a pratiquement jamais de valeur économique du pas de porte des locaux qu'ils risquent de quitter ou de ceux qu'ils risquent de devoir retrouver. Mais il n'y a pas plus de sécurité pour le bailleur, qui, si son locataire n'accepte pas de conclure un nouveau bail pour un nouveau loyer, risque fort de se retrouver avec des locaux vacants qu'il aura certainement de la difficulté à relouer pour le prix que le locataire sortant aura refusé. Et si le locataire a mal respecté ses engagements en ce qui concerne notamment le paiement des ses loyers, le bailleur sera libre de donner congé sans avoir à en justifier le bien-fondé des motifs devant le juge, dans l'hypothèse où son locataire prétendrait se maintenir dans les lieux.

S'agissant de la cession du bail professionnel, les dispositions impératives de l'article 57 A sont muettes. C'est par conséquent le droit commun, le Code civil et ses dispositions de l'article 1717 (N° Lexbase : L1839ABQ), qui s'applique : "le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. Elle peut être interdite pour le tout ou partie. Cette clause est toujours de rigueur".

Or, force est de constater que de tout temps, tous les actes portant baux d'habitation, ou professionnels, ont contenu une clause interdisant la cession ou la sous-location sans le consentement express, préalable et par écrit du bailleur. On ne retrouve pas ici les dispositions protectrices du droit du locataire contenues dans le statut des baux commerciaux. En effet, l'article L. 145-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L5033I3S) répute non écrites, quelle qu'en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du statut des baux commerciaux à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise. Le même caractère impératif est attaché au second alinéa de cet article, concernant la transmission de plein droit du bail en cas de fusion, de scission de sociétés ou en cas d'apport partiel d'actif.

Mais dans la pratique, les locataires sont peu gênés par cette solution. Il faut en effet rappeler :
- que, dans la majeure partie des situations, la valeur économique du pas-de-porte est quasiment nulle ;
- que, dans l'hypothèse ou le successeur présenté par le locataire reprend le fonds libéral dans sa totalité, le propriétaire tentera simplement d'obtenir une actualisation de loyer de son futur locataire ;
- que, dans l'hypothèse où il s'agira d'installer une nouvelle activité, le propriétaire pourra mieux négocier un nouveau loyer mais il sera néanmoins tenu de rester dans un prix de marché, au risque de se retrouver avec des locaux vacants, difficiles à relouer, puisque son locataire actuel a la faculté de rompre le bail à tout moment sauf à respecter le préavis de six mois.

Il faut enfin savoir que depuis la "LME" du 4 août 2008, l'article L. 145-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5029I3N) prévoit que le statut des baux commerciaux s'applique "aux baux d'un local affecté à un usage exclusivement professionnel si les parties ont conventionnellement adopté ce régime".
Cette option est d'ailleurs stipulée également par le dernier alinéa de l'article 57 A depuis ladite "LME" : "les parties peuvent déroger au présent article dans les conditions fixées au 7° du I de l'article L. 145-2 du Code de commerce".

Dans la pratique, cette option est rarement utilisée, les preneurs et les bailleurs y voyant en général une restriction à la souplesse du bail professionnel. Seuls quelques cabinets libéraux importants dont les investissements sont lourds, par exemple les cabinets d'analyses médicales, y ont recours.

Au demeurant, pour pouvoir bénéficier de cette protection minimale instaurée par la loi du 6 juillet 1989 (loi n° 89-462 N° Lexbase : L8461AGH), encore faut-il que le local loué soit bien destiné à un usage professionnel Un local professionnel est celui où le locataire exerce une profession ou une fonction, dont il tire des revenus de façon habituelle ; pour entrer dans le champ d'application de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, il ne faut pas que cet usage relève d'un statut plus particulier, en raison de son caractère commercial ou industriel par exemple (4).

Les professions médicales ou paramédicales sont concernées ainsi que les professions du droit, de l'assurance, les agents commerciaux, etc..

Les sociétés mutuelles le sont aussi, comme en témoigne l'arrêt commenté.

B - Champ d'application du bail professionnel

Le bail professionnel ne concerne pas que les professions libérales réglementées. Il peut concerner potentiellement tous les baux d'un local affecté à un usage exclusivement professionnel, sauf si les parties ont conventionnellement adopté le statut des baux commerciaux, sans équivoque.

Telle était la situation en l'espèce, dont les faits sont antérieurs à la "LME", d'où la précision de la Cour de cassation : "dès lors que le locataire a pris à bail des locaux à usage de bureaux pour les besoins de son activité professionnelle, les dispositions d'ordre public de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 4 août 2008, sont applicables, le caractère lucratif ou non de l'activité étant indifférent".

Le preneur était une société mutuelle et le bailleur une SCI. Selon cette dernière, c'est le statut des baux commerciaux qui devait s'appliquer (5). En substance, elle invoquait les arguments suivants :
- les dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 ne s'appliquent qu'au contrat de location d'un local affecté à un usage exclusivement professionnel et, partant, ne s'appliquent pas au contrat de location d'un local affecté à l'exercice d'une activité non lucrative ;
- si la renonciation à un droit ne peut résulter que d'actes manifestant, sans équivoque, la volonté de renoncer, la renonciation à un droit né et acquis, fût-il d'ordre public, peut aussi bien être expresse que tacite ;
- en soumettant expressément le bail qu'elles concluent aux dispositions qui régissent les baux commerciaux, alors que ce bail entre dans le champ d'application des dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, et en convenant, au surplus, dans ce bail de stipulations conformes aux dispositions qui régissent les baux commerciaux, mais contraires aux dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, les parties manifestent, sans équivoque, leur volonté de renoncer à l'application à ce bail des dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986.

Le bailleur soutenait donc que du fait du caractère non lucratif de l'activité du preneur, le bail professionnel ne pouvait pas s'appliquer, d'autant moins qu'à la lecture du contrat, certaines des stipulations pouvaient laisser penser que les parties avaient opté pour le bail commercial. L'assimilation du caractère non lucratif à celui non professionnel n'est pas saugrenue. Toutefois, l'idée de lucre, propre au secteur commercial il est vrai, est dépassée. Le curseur du raisonnement s'est déplacé vers le statut professionnel (6). L'avènement du secteur de l'ESS et des entreprises de l'ESS ne le dément pas. Cela n'est pas sans contraste avec la formidable attractivité du droit commercial, qui n'est, malgré tout, pas sans limite.

La Cour de cassation n'est pas sensible à cette argumentation. Le local étant affecté à un véritable usage professionnel et à défaut d'option expresse pour le statut des baux commerciaux (7), c'est le statut des baux professionnels d'ordre public qui devait s'appliquer. En outre, l'article 57 A ne distinguant pas selon que l'activité est lucrative ou pas, ledit statut s'applique indépendamment de cette distinction.

Peut-être le bailleur aurait-il dû rechercher la commercialité de la mutuelle. En effet, les mutuelles ne sont pas en principe des commerçants (8), conformément aux articles L. 322-1-2 (N° Lexbase : L3653I8S) et L. 322-1-3 (N° Lexbase : L2832KRC) du Code des assurances. Mais elles peuvent l'être, par exemple, si leurs statuts prévoient un objet commercial (9). Faute d'argumentation en ce sens, la mutuelle, en l'espèce, doit être considérée, d'abord, comme un professionnel, ensuite comme un professionnel non commerçant, lui permettant de bénéficier du bail professionnel.

II - La soumission conventionnelle au statut des baux commerciaux

Bien que les faits fussent antérieurs à la loi du 4 août 2008, la Cour de cassation répond au bailleur concernant la soumission conventionnelle au statut des baux commerciaux.

On le sait, le statut des baux commerciaux est applicable également à des non-commerçants à la seule condition d'un accord de volonté entre les parties, d'une absence totale d'équivoque.

La Cour de cassation a ainsi pu juger, à propos d'activité de bureau d'études et de diffusions d'ouvrages religieux, que : "ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui, pour dire que des locataires, n'exerçant pas à une activité commerciale, peuvent bénéficier d'une indemnité d'éviction, retient, au vu des termes du bail, de son avenant et des lettres échangées, que les bailleurs ont entendu conférer aux preneurs des avantages équivalents à ceux résultant du statut des baux commerciaux sans rechercher si ces bailleurs avaient manifesté de manière non équivoque leur volonté de ne pas se prévaloir des conditions auxquelles est subordonné le bénéfice de ce statut" (10).

Elle a également estimé que : "ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer soumis au décret du 30 septembre 1953 le bail consenti à un laboratoire de biologie médicale n'exerçant pas une activité commerciale énonce qu'on observe dans ce contrat des clauses habituellement rencontrées dans les baux commerciaux sans rechercher si le bailleur avait manifesté la volonté de ne pas se prévaloir des conditions auxquelles est subordonné le bénéfice du statut des baux commerciaux" (11).

Elle a encore considéré, à propos de l'activité de masseur-kinésithérapeute, bénéficiant d'un bail mixte (professionnel et habitation) que "justifie légalement sa décision de soumettre, lors du renouvellement un bail au statut des baux commerciaux la cour d'appel qui relève que le bail conclu pour une durée de 9 ans avec révision triennale et faculté pour le preneur de le faire cesser à l'expiration d'une période de 3 ans dans les formes et délais prévus par l'article 5 du décret du 30 septembre 1953, faisait expressément référence avec ses avenants à ce décret et que la mention bail commercial - révision triennale', figurait en tête de la lettre par laquelle le bailleur avait transmis au preneur le dernier avenant" (12).

Ce qui compte donc c'est la "la volonté non équivoque du bailleur de placer le bail sous le régime du statut des baux commerciaux", étant précisé que la question peut se poser à son tour de la forme que peut prendre cette volonté certaine et non équivoque (13). Quoi qu'il en soit, la destination (non commerciale en l'occurrence) importe peu : le statut des baux commerciaux peut être étendu conventionnellement à un preneur non commerçant (14).

Au demeurant, contrairement à ce que l'on pourrait penser, c'est parfois le bailleur lui-même qui impose au preneur la conclusion d'un bail commercial. Par exemple, une SELARL d'avocats à laquelle le bailleur aurait imposer ledit statut : il n'y a pas vraiment d'intérêt pour les avocats locataires mais si c'est le choix du bailleur... Telle est d'ailleurs un peu la situation en l'espèce puisque c'est le bailleur qui revendiquait le statut des baux commerciaux.

Dans une intéressante affaire concernant une sociétés d'avocats, la Cour de cassation juge que :
"Le contrat de location d'un local affecté à un usage exclusivement professionnel est conclu pour une durée au moins égale à six ans. Au terme fixé par le contrat et sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l'article 57 de la loi du 23 décembre 1986, le contrat est reconduit tacitement pour la même durée. Chaque partie peut notifier à l'autre son intention de ne pas renouveler le contrat à l'expiration de celui-ci en respectant un délai de préavis de six mois. Le locataire peut à tout moment notifier au bailleur son intention de quitter les lieux en respectant un délai de préavis de six mois.
Un bail a été conclu avec une société de conseils juridiques par acte authentique visant les dispositions du décret du 30 septembre 1953. La société locataire a donné congé en application de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986. Pour accueillir la demande du bailleur en paiement des loyers et charges jusqu'à la fin de la période triennale, l'arrêt attaqué retient que quelle que soit la nature de son activité la société anonyme a choisi pour l'exercer la forme juridique commerciale, qu'elle a conclu en tant que société commerciale, un bail commercial soumis au statut, qu'elle n'a donc pas vocation à réclamer le bénéfice des dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, qui ne vise pas sa situation.
En statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 peuvent s'appliquer à une société ayant une forme commerciale, la cour d'appel a violé le texte susvisé
" (15).

Et avant cette affaire, un arrêt l'avait admis :
"N'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que l'article 57 A introduit dans la loi du 23 décembre 1986 par la loi du 6 juillet 1989, ne régissait pas les locations consenties à des personnes morales, à moins d'un accord exprès des parties, le moyen est irrecevable, comme nouveau, mélangé de fait et de droit.
Le bail tacitement reconduit constituant un nouveau contrat, la cour d'appel a retenu, à bon droit, sans violer l'article 2 du Code civil
(N° Lexbase : L2227AB4), que l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 était applicable à compter du renouvellement du bail et que le preneur pouvait délivrer congé à tout moment, en respectant un préavis de six mois.
La tacite reconduction d'un bail à usage professionnel, conclu pour 3 ans à compter du 1er février 1987, constituant un nouveau contrat, une cour d'appel retient à bon droit que l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 est applicable à compter du renouvellement du bail et que le bailleur peut délivrer un congé à tout moment en respectant un préavis de 6 mois
" (16).

En réalité, depuis la "LME" du 4 août 2008, les choses sont claires. En effet, l'article 43 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 a enrichi les dispositions de l'article 57 A précité d'un dernier alinéa, par la possibilité de soumettre conventionnellement le local professionnel au statut des baux commerciaux. Concomitamment, l'article L. 145-2, I s'est enrichi d'un 7° au terme duquel : Les dispositions du présent chapitre s'appliquent également : [...] 7° Par dérogation à l'article 57 A de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l'investissement locatif, l'accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l'offre foncière, aux baux d'un local affecté à un usage exclusivement professionnel si les parties ont conventionnellement adopté ce régime".

Par conséquent, ce sont les baux professionnels qui s'appliquent aux libéraux, même réunis en sociétés commerciales (17), sauf option pour les baux commerciaux (18), d'ailleurs que les baux soient conclus en nom propre ou au moyen d'une SEL (19), qui emporte alors exclusion automatique des baux professionnels, si, bien entendu, l'option est claire et univoque.

Il en va de même pour toutes les activités professionnelles, relevant du secteur "civil", qu'elles soient lucratives ou pas, et notamment des mutuelles.

Depuis la "LME", cette soumission conventionnelle est donc optionnelle et exclusive.

En l'espèce, la Cour de cassation ne manque pas de relever : "qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que la faculté d'extension conventionnelle du statut des baux commerciaux suppose que les parties manifestent de façon univoque leur volonté de se placer sous ce régime, que la qualification de bail commercial, la mention dans la convention selon laquelle 'le preneur bénéficiera du statut de la propriété commerciale' ainsi que la référence aux règles du code de commerce ne suffisaient pas à caractériser une renonciation en toute connaissance de cause et dépourvue d'ambiguïté aux dispositions d'ordre public de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 permettant de rompre le bail à tout moment par congé donné par lettre recommandée, la cour d'appel a pu en déduire que le congé était régulier".

La Cour de cassation semble admettre, indirectement et alors qu'elle a bien indiqué que l'article 57 A était applicable dans sa version antérieure à la "LME", que les parties auraient pu en l'occurrence soumettre leur bail au statut du bail commercial. Or en l'espèce, les seuls indices en ce sens n'étaient pas probants. De sorte que le congé, qui n'avait à respecter les formes et délais des baux commerciaux, était valable.


(1) Mais pas en l'occurrence car les faits sont antérieurs à la "LME" du 4 août 2008.
(2) A noter que la loi "Pinel" (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D) a instauré un article 57 B consistant à prévoir, désormais, un état des lieux à l'entrée et à la sortie d'un bail professionnel. La mesure est dupliquée pour les baux dérogatoires (C. com., art. L. 145-5 N° Lexbase : L5031I3Q) et pour les baux commerciaux (C. com., art. L. 145-40-1 N° Lexbase : L4974I3M).
(3) Etant précisé que le contrat peut le lui interdire uniquement dans certaines hypothèses (depuis la loi "Pinel" du 18 juin 2014) : cf. C. com., art. L. 145-4, al. 2 (N° Lexbase : L2010KGK).
(4) CA Paris, 6ème ch., sect. A, 30 octobre 1995 ; Loyers et copr., 1996, comm. 111.
(5) Face au congé du preneur, le bailleur souhaitait avoir paiement des loyers jusqu'au deuxième trimestre 2013 inclus, voire jusqu'au 31 mars 2015 (le congé du preneur avait effet au 31 mars 2012). Il recherchait ainsi le paiement de loyers de toute une triennale.
(6) C'est le cas, par exemple, de l'article 2061 du Code civil (N° Lexbase : L2307AB3) sur les clauses compromissoires, valables à raison d'une activité professionnelle.
(7) Le bail étant de 2006, la "LME" n'était pas encore en vigueur.
(8) Cass. civ. 1, 22 octobre 1996, n° 93-17.255, publié (N° Lexbase : A9381AB3), RTDCom., 1997, p.85, obs. J. Derrupé.
(9) Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-17.599, F-P+B (N° Lexbase : A7606EGS), Bull. civ IV, n° 64.
(10) Cass. civ. 3, 6 juillet 1982, n° 80-12.958, publié (N° Lexbase : A7483AGA), Bull. civ. III, n° 167, cité in J. Debeaurain, Guide des Baux commerciaux, 17ème éd., Ann. des Loyers 2013, p. 1160, note de bas de page 91.
(11) Cass. civ. 3, 4 mars 1987, n° 85-17.137, publié (N° Lexbase : A6656AAR), Bull. civ. III, n° 38, cité in J. Debeaurain, Guide des Baux commerciaux, préc., p. 1160, note de bas de page 91.
(12) Cass. civ. 3, 23 mars 1994, n° 92-15.035, publié (N° Lexbase : A6995ABP), Bull. civ. III, n° 60, cité in J. Debeaurain, Guide des Baux commerciaux, préc., p. 1160, note de bas de page 92.
(13) Cf. J. Debeaurain, Guide des Baux commerciaux, préc.,, p. 1161.
(14) Cf., par ex., CA Paris, 16ème ch., sect. A, 27 juin 2007, n° 06/06213 (N° Lexbase : A4418DYB).
(15) Cass. civ. 3, 7 novembre 2001, n° 99-20.976, FS-P+B (N° Lexbase : A0658AXN), Bull. civ. III, n° 122 ; Loyers et copr., 2002, n°26, obs. B. Vial-Pedroletti
(16) Cass. civ. 3, 10 juin 1998, n° 96-15.626, publié (N° Lexbase : A5464ACD) Bull. civ. III, n° 119.
(17) Attention cependant aux baux consentis non aux professionnels libéraux eux-mêmes mais à une société de moyens : une décision de la cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 12ème ch., 1ère sect., 10 mars 2011, n° 10/05992 N° Lexbase : A3545HAK, Lexbase, éd. aff., 2011, n° 248 N° Lexbase : N0586BSI) a refusé le bénéfice du bail professionnel dans une telle hypothèse. La raison invoquée est que la SCM n'exerce en elle-même aucune activité, se contentant de répartir les coûts d'exploitation entre les praticiens.
(18) Sur la question v., J. Debeaurain, Guide des Baux commerciaux, préc., p. 1163, n° 105.
(19) J. Mestre, D. Velardocchio et A.-S. Mestre-Chami, Lamy Société commerciales, 2013, n° 5518.

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