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N2362BNS
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
A priori, si ce n'est une mention FP-P+B+R, "rien de vraiment neuf sous les tropiques"... Le formalisme et le strict encadrement de la mobilité professionnelle géographique sont de jurisprudence constante depuis des années. Tant il est vrai qu'à bouger au-delà d'un certain nombre de kilomètres -apprécié souverainement par les juges du fond-, modification du contrat de travail il y a, avec son cortège de complications des relations salariés-employeurs (prévenance, courriers, acceptation, etc.). Ici, un ersatz de modernité : si la mobilité est temporaire, l'acceptation du salarié semble passer à la trappe devant l'intérêt de l'entreprise : oui, mais sous conditions, donc. Entre la chèvre et le chou, cette décision illustre parfaitement cette sociologie de la mobilité géographique professionnelle qui scinde, outrageusement dans un monde juridique qui se veut d'une parfaite égalité, mobilité externe contrainte et mobilité interne promotionnelle.
Quelques points de repère s'imposent à ce stade de notre littérature : tout d'abord, les Français sont relativement peu mobiles, seuls 40 % d'entre eux ont changé de résidence dans les dix dernières années (contre 60 % des Finlandais) ; et, lorsqu'ils déménagent, ne croyez pas que ce soit pour des raisons professionnelles, mais tout simplement parce qu'ils ne sont pas satisfaits de leur domicile. Les raisons professionnelles motivent un tiers des déménagements à l'échelle de la vie. Et, même si les raisons professionnelles sont, dans les années 1990, plus fréquemment invoquées qu'au cours des années 1980 (18,3 % des ménages), elles ne retrouvent pas les niveaux observés à la fin des années 1970. Mais, à lire les mêmes enquêtes, plus de 50 % déclarent préférer déménager dans une autre région pour trouver du travail plutôt que de rester au même endroit et de s'inscrire au chômage : ce qui paraît rassurant au demeurant, mais prend des allures de choix cornélien, entre Charybde et Scylla.
"L'humanité se divise en trois catégories : ceux qui ne peuvent pas bouger, ceux qui peuvent bouger, et ceux qui bougent" écrivait Benjamin Franklin.
Penchez-vous sur Cécile Vignal, Maître de conférences en sociologie et rattachée au Clersé-CNRS de l'Université de Lille 1, et son étude sur la conciliation de la mobilité résidentielle et de la mobilité professionnelle, et vous découvrez, sans que cela soit pour vous une révélation de Damas, que "pour une majorité de salariés, la mobilité professionnelle s'accompagne d'un changement d'employeur (mobilité externe). Ces situations, souvent contraintes, concernent essentiellement les salariés peu qualifiés ou en début de carrière : la perte d'un emploi suite à un licenciement, la fin d'un contrat à durée déterminée ou d'une mission d'intérim, les propositions de mutation suite à la délocalisation d'une entreprise multiplient les déménagements suscités par l'emploi ; et lorsque la mobilité professionnelle est interne (entre deux établissements d'une entreprise ou de la fonction publique), elle offre généralement des perspectives de carrière et de promotion. D'après certaines enquêtes statistiques, la promotion professionnelle implique souvent un déplacement géographique, notamment vers les grandes agglomérations. Ce sont alors les salariés les plus qualifiés qui en bénéficient le plus souvent. Ces mouvements sont, en outre, loin d'être anecdotiques. Au cours des années 1990, plus d'un cadre ou ingénieur sur quatre quittant une entreprise appartenant à un groupe le fait pour occuper un emploi dans ce même groupe". Et, au final, vous comprendrez pourquoi le droit social, si prompt à défendre l'intérêt du plus faible, encadre si strictement la mobilité géographique... des salariés.
Et, c'est là que le bât blesse ! Ou si vous préférez, que la démonstration perd sa cohérence. La mobilité, lorsqu'elle est contrainte, c'est qu'elle est externe, des suites d'une situation de précarité ou d'absence même d'emploi ; lorsqu'elle est interne, c'est, le plus souvent, qu'elle est signe de promotion. Alors pourquoi la freiner, l'encadrer si strictement, la confondre, en l'apparentant à une modification du contrat de travail, avec l'objet même du travail demandé au salarié ? Le droit au bonheur, mon cher Watson !
Ce droit au bonheur inscrit dans la Constitution américaine, et nulle part ailleurs, comme si décréter le bonheur ne pouvait être la preuve que d'un certain impérialisme jugé mal venu, par ceux-là mêmes qui encensent l'exception sociale française ; un droit au bonheur qui conduit nos apparatchiks de la politique sociale, d'une part, à promouvoir la mobilité géographique à coup de prestations sociales mobilité, de crédits d'impôt et autre exonération de droit de mutation, et, d'autre part, promouvoir les vertus, bien ordonnées, pas encore décrétées -accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail-, du travail... à domicile, du télétravail, quoi !
Que nous vente t'on pas l'efficacité, le meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée personnelle, l'enrichissement des tâches, pour le salarié ; l'optimisation de la productivité, l'augmentation de la motivation par la responsabilisation des salariés, la réduction des retards liés aux difficultés de déplacement, la réduction des frais généraux et des dépenses par la réduction des coûts de surface entraînés par la délocalisation, pour l'employeur. Et puis, c'est tellement "développement durable" ! Si 80 % des travailleurs changent de commune pour aller accomplir leur labeur et que cela ne leur convient pas du tout pour la majorité d'entre eux, c'est pour des raisons X ou Y, mais toutes liées au droit au bonheur. Car le bonheur, avec l'âge, c'est chez soi : "léger, l'enfant se plaît dans la mobilité ; le vieillard, dans la gravité" nous livre Caius Cornelius Gallus... et en aucun cas la mobilité professionnelle !
Alors, si Dimitri Houtcieff invoque les mannes du venire contra factum, l'interdiction de se contredire consubstantielle à tout système juridique, dans un numéro de la Semaine Juridique de novembre dernier, la maïeutique du principe de cohérence n'est pas prête de porter ses fruits en matière de politique sociale. Toute restituée soit la cohérence de l'acte juridique ou celle du comportement, cette mise à jour du principe du Bien -cher à Battifol, dans Problème de base de philosophie du droit- n'est pas prêt de brider la règle de stigmatisation de la contradiction sociale.
"Mobilité et stabilité ne sont pas antinomiques : un cycliste n'est stable sur sa bicyclette qu'en avançant". Et, il n'y a qu'un homme politique aguerri comme Jacques Chirac, pour faire la synthèse de cette contradiction dans La France pour tous.
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