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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Charlotte Hammelrath : Il faut bien voir que le monde du travail et les relations employeur/salarié ont considérablement évolué ces dernières décennies. Avant, le chef d'entreprise avait une image "paternaliste" et protectrice, lorsqu'on parlait de risques, étaient visés les risques physiques. Aujourd'hui, l'évolution du monde de l'entreprise implique un management plus collaboratif, avec, certes, davantage d'autonomie pour les salariés, mais, également, une culture du résultat et de la performance plus importante dans une structure de plus en plus complexe. Ceci explique que le chef d'entreprise est à l'heure actuelle confronté à des risques humains ou psychosociaux, c'est-à-dire à une certaine forme de tension humaine résultant de la mise en oeuvre d'une stratégie définie dans un environnement concurrentiel (stress, violence au travail, harcèlement moral et discriminations).
Selon l'Ani du 2 juillet 2008 (1), "un état de stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face" ; l'accord-cadre sur le stress au travail signé par les partenaires sociaux européens le 8 octobre 2004, disposant, quant à lui, que "le stress est un état accompagné de plaintes ou dysfonctionnements physiques, psychologiques ou sociaux, et qui résulte du fait que les individus se sentent inaptes à combler un écart avec les exigences ou les attentes les concernant" (2).
Lexbase : Quel est le cadre juridique aujourd'hui applicable ?
Charlotte Hammelrath : Le cadre juridique s'est construit en plusieurs étapes depuis le premier texte en la matière, qui remonte à une Directive communautaire de 1989 (3). Plusieurs dates clés sont à retenir. Il y a d'abord eu l'accord-cadre européen du 8 octobre 2004, qui avait pour objet "d'augmenter la prise de conscience et la compréhension du stress au travail, par les employeurs, les travailleurs et leurs représentants ; et d'attirer leur attention sur les signes susceptibles d'indiquer des problèmes de stress au travail". Cet accord-cadre a été transposé en droit interne par l'Ani du 2 juillet 2008, étendu par arrêté du 23 avril 2009 (N° Lexbase : L1970IEP), le rendant ainsi obligatoire à tous les employeurs. Plus récemment, le 9 octobre 2009, le Gouvernement annonçait la création d'un plan d'urgence sur la prévention des risques psychosociaux dans les entreprises des secteurs publics et privés, l'une des mesures phares de ce plan étant la demande d'ouverture de négociations sur le stress dans toutes les entreprises de plus de 1 000 salariés (4). Ces négociations devaient être engagées avant le 1er février 2010. A défaut, l'entreprise devra présenter un diagnostic et un plan d'action établi en concertation avec les représentants du personnel.
Lexbase : Sur quel fondement engager la responsabilité de l'employeur ?
Charlotte Hammelrath : Le risque pour l'employeur, à la fois civil et pénal, est important. Il existe également un risque d'image pour l'entreprise et un risque de "business".
L'employeur a, aujourd'hui, une obligation générale de résultat. Rappelons que, si le Code du travail prévoit une obligation générale de sécurité, son article L. 4121-1 (N° Lexbase : L1448H9I) retenant que "l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs", la Cour de cassation a précisé, dans ses arrêts "amiantes" du 28 février 2002, que cette obligation générale de sécurité était une obligation de résultat (5). Le manquement à cette obligation de sécurité de résultat a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Aujourd'hui, cette obligation de résultat s'applique aussi bien à la santé physique que mentale des salariés.
Cette notion va même très loin, car dans un attendu de principe formulé dans deux arrêts du 3 février 2010 (6), la Cour de cassation est encore plus sévère à l'encontre de l'employeur Elle y affirme, en effet, que l'employeur, "tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité, manque à cette obligation, lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel" (pourvoi n° 08-44.019 : l'employeur est responsable car il aurait dû prendre des mesures préventives, c'est-à-dire en amont du harcèlement et non pas curatives, comme c'était le cas, en l'espèce) ou de violences physiques ou morales (pourvoi n° 08-40.144). Or l'obligation de sécurité de résultat ne permet pas à l'employeur de se "déresponsabiliser" en prouvant qu'il n'avait pas connaissance du harcèlement.
Il sera désormais difficile pour un employeur d'échapper à leur responsabilité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements, car il demeure responsable et doit agir en amont. Il est alors intéressant de rappeler la jurisprudence antérieure en matière d'obligation de sécurité de résultat afin d'expliciter le caractère contraignant de son évolution à l'égard de l'employeur.
Concrètement, cela implique la mise en place d'une prévention efficace (C. trav., art. L. 4121-3 N° Lexbase : L1452H9N) ; l'information et la formation de l'ensemble des acteurs de l'entreprise, notamment celle des managers ; l'amélioration des modes organisationnels et la prise en compte d'un juste équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Rappelons également que, depuis un décret du 5 novembre 2001, l'employeurs a l'obligation de mettre en place un document unique d'évaluation, quelle que soit la taille et l'activité de l'entreprise, mis à jour chaque année, y compris sur les risques psychosociaux (C. trav., art. R. 4121-1 N° Lexbase : L3625ICA et suivants) (7). L'employeur ayant omis l'établissement ou la mise à jour du document unique s'expose à une sanction pénale : contravention de 5ème classe (1 500 euros).
Lexbase : Quels sont les autres acteurs concernés ?
Charlotte Hammelrath : En premier lieu, le CHSCT. Lorsque survient un problème dans une entreprise mettant en jeu des risques humains, le réflexe devient de saisir le comité d'hygiène. Les enquêtes peuvent alors mener très loin. L'arrêt "Snecma" du 5 mars 2008 (8) est, à cet égard, très révélateur, dans la mesure où, confirmant que l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et qu'il lui est interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés, il a estimé que la nouvelle organisation mise en place par l'employeur était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés et que sa mise en oeuvre devait, en conséquence, être suspendue.
Il faut également compter avec le CE et les délégués syndicaux, qui tendent à prendre beaucoup d'importance dans la mesure où ils doivent désormais être consultés sur les accords et où ils font obligatoirement partis des négociations. Il ne faut pas négliger ici le rôle du médecin du travail et des services de la santé au travail (Cnamts, Anact...).
L'employeur ou le salarié peuvent également faire appel à un médiateur, afin d'apaiser les conflits, son intérêt est d'aider les parties à trouver une solution amiable. Ce médiateur est d'ailleurs prévu par les textes en cas de harcèlement moral, l'article L. 1152-6 (N° Lexbase : L0734H93) disposant qu'"une procédure de médiation peut être mise en oeuvre par toute personne de l'entreprise s'estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause".
Lexbase : Qu'en est-il de la prévention des facteurs de risques dans la réalité des entreprises ?
Charlotte Hammelrath : Sur l'analyse des facteurs de risques, plusieurs moyens permettent de s'apercevoir qu'une entreprise présente des difficultés. Il suffit, tout d'abord, d'étudier son mode organisationnel, c'est-à-dire la répartition de la charge de travail, les objectifs donnés et les moyens mis en place pour les réaliser. On va ensuite s'intéresser aux conditions de travail et à l'environnement (locaux, bureaux...). A ces facteurs doit également s'en ajouter un autre : la communication mise en place (entretien annuel, communication interne, messagerie, système d'évaluation...).
Sur un plan purement pratique, le turn-over peut aussi être un signe, dans le même ordre d'idées, le contenu des contrats de travail, le nombre de contentieux, le nombre d'arrêts de travail ou encore le nombre d'expertises CHSCT sont autant de signes révélateurs permettant de cerner la santé mentale de l'entreprise.
Il est important de souligner, ici, qu'il est difficile d'établir une règle car chaque entreprise a ses contraintes. Il existe un cadre, mais il faut nécessairement l'adapter à chaque entreprise en fonction de sa taille, de sa santé financière et du secteur dans lequel elle évolue.
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