Réf. : Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW)
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par Christian Boyer, avoué près la cour d'appel de Toulouse
le 07 Octobre 2010
Ignorant le fait qu'en plus de quinze ans et malgré la volonté de 445 avoués le Gouvernement n'est parvenu qu'à une communication électronique partielle dans sept ou huit cours d'appel, ce décret fait le pari de la procédure dématérialisée pour tous, soit 50 000 avocats, pour les déclarations d'appel et les constitutions à compter du 1er janvier 2011, pour les autres actes au plus tard le 1er janvier 2013 (article 15 du décret). Ceci implique une automatisation de la procédure avec des délais (A) et des sanctions (B).
A - Les délais à surveiller par chaque partie
Du jour de l'appel, l'appelant dispose de trois mois pour conclure (C. pr. civ., art. 908 N° Lexbase : L0390IGK) au lieu de quatre mois accordés par l'actuel article 915 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0966H4K), qui donnait toute satisfaction.
L'appelant devra surveiller l'avis qui lui sera délivré par le greffier d'avoir à signifier la déclaration d'appel. Il disposera pour ce faire d'un mois du jour de l'avis.
Au cas de défaillance persistante de l'intimé (C. pr. civ., art. 902 N° Lexbase : L0422IGQ), l'appelant devra à nouveau l'assigner (C. pr. civ., art. 911 N° Lexbase : L0377IG3) dans le mois de l'expiration du délai de trois mois, ce qui pourra ralentir la procédure.
L'appelant pourra aussi, comme l'intimé, surveiller les délais imposés à ce dernier pour vérifier que les sanctions prévues sont prononcées de façon ponctuelle.
Quant à l'intimé, il surveillera comme à l'habitude le délai de quinzaine du jour de l'assignation (C. pr. civ., art. 902). Il veillera ensuite à respecter le délai de deux mois (C. pr. civ., art. 909 N° Lexbase : L0416IGI) pour conclure, du jour de la notification des conclusions de l'appelant. Il est vraisemblable que ce délai s'ajoutera au premier délai de quinzaine, ce qui allongera le cours de la procédure.
Les intimés sur appel incident ou provoqué bénéficient d'un délai de deux mois (C. pr. civ., art. 910 N° Lexbase : L0412IGD) pour conclure en réponse. On remarque qu'il peut ici s'agir de l'appelant principal lui-même. Ce délai lui est imposé dans le cadre d'un appel incident, mais il peut avoir à répondre à des moyens et pièces de l'intimé alors même qu'il n'y a pas d'appel incident de ce dernier. Dans ce cas, ce sera un délai de mise en état banal et sans sanction qui lui serait accordé.
Comment expliquer une rigidité et une sévérité accrues vis à vis de l'appelant en cas de conclusions contenant appel indicent ?
L'intervenant forcé aura lui aussi un délai particulier de trois mois (C. pr. civ., art. 910, al. 2) pour conclure dès qu'il recevra assignation. Là aussi, ce délai s'ajoutera probablement au délai de quinzaine de toute assignation, ce qui pourra ralentir l'évacuation de certaines procédures, notamment dans le cas d'assignation en intervention de mandataire judiciaire en cours de procédure d'appel.
Les délais d'éloignement sont spécifiquement maintenus (C. pr. civ., art. 911-2 N° Lexbase : L0420IGN).
Enfin, le conseiller de la mise en état (CME) doit examiner le dossier dans les quinze jours de l'expiration de chacun des délais.
Qu'il soit rassuré, ce délai n'est pas prévu à peine de sanction.
B - Les sanctions draconiennes
Partant du principe incontournable que les procédures sont trop longues et que ces lenteurs sont produites par l'avocat et l'avoué, ce décret prévoit une panoplie de sanctions. Pas moins de dix en vingt-trois articles.
Le juge ne pourra ni en user ni en abuser puisqu'elles sont pour l'essentiel "automatiques", d'office.
- Nullité :
- Caducité :
- Irrecevabilité relevée d'office :
Le professionnel rompu aux "routines" de l'appel qu'est l'avoué est déjà inquiet d'un alourdissement des formalités qui n'a ni sens, ni but.
Quelle est la cour d'appel qui, à ce jour, connaît les difficultés pour fixer des affaires à bref délai ?
La multiplication des délais et des sanctions, rigidifiée dans une communication électronique dont personne à ce jour n'a une idée précise, va générer des contre-pouvoirs procéduraux, ouverts en germe par le décret, que seuls des spécialistes avisés et au contact des magistrats ayant le sens des réalité et le souci de la justice pourront mettre en oeuvre.
II - Les nécessaires contre pouvoirs
Les acteurs du procès d'appel seront toujours les parties et les magistrats assistés nécessairement des greffiers.
A - Les parties actrices de l'instance
La présentation, ci-dessus, pourrait laisser penser qu'il n'y a aucune possibilité d'un vrai débat. D'autres exigences pèsent sur les parties :
La demande d'aide juridictionnelle qui retarde le point de départ des délais essentiels (des articles 908, 909 et 910 du Code de procédure civile, et de l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 N° Lexbase : L0627ATE) sera certainement utilisée de façon massive pour créer des conditions d'un débat équilibré et pour éviter ou retarder le paiement de la taxe parafiscale en cours de création.
Le déféré des ordonnances du conseiller de la mise en état est élargi notamment au cas de caducité.
Quels seront les cas et conditions de succès de ces recours ? Les débats seront riches, innovants et ne sont encadrés dans aucun délai, sauf celui original de quinzaine de la requête aux fins de déféré (C. pr. civ., art. 916, al. 2 N° Lexbase : L0410IGB).
Les appelants vont probablement réinventer des conclusions d'appel modélisées, rappelant les actes d'appel motivés de l'"ancien temps". Bien d'autres "parades" seront à créer et inventer dans la pratique pour préserver le fondement même du procès que ce décret souhaite manifestement mettre à mal au nom d'un productivisme judiciaire que l'on espérait désuet.
B - Le magistrat suroccupé
Le magistrat de la cour, en lisant ce texte, peut penser qu'il aura la "vie belle". Tout est automatique, le dossier devant lui parvenir très (trop ?) vite et en meilleur état à l'audience de plaidoirie (ou ce qu'il en reste...).
En lisant plus attentivement, il s'aperçoit qu'il devra examiner le dossier dans les quinze jours des échéances procédurales (C. pr. civ., art. 912), fixer une date d'audience en urgence, prononcer des ordonnances de caducité d'office, des irrecevabilités d'office, pourra abréger chaque délai en fonction des "nécessités".
En outre, si de nouveaux échanges de pièces et conclusions sont nécessaires, il établit un calendrier (C. pr. civ., art. 912, al. 2) ce qui permet d'espérer dans ce cas le maintien d'une mise en état intelligente et à visage humain.
La clôture partielle, créée en 2005, qui peut aussi avoir une efficacité certaine, est constatée par ordonnance motivée sans recours, sauf demande devant ce même magistrat (C. pr. civ., art. 913). La contradiction paraît évidente.
On voit, ça et là, poindre à nouveau la suspicion contre l'auxiliaire de justice. C'est sa carence et non celle du justiciable qui est présumée. De peur que le mandataire ne cache cette dernière à son mandant le greffe adressera directement l'ordonnance de clôture à la partie, sans qu'il soit précisé si la même diligence sera accomplie au cas de rétractation de la clôture.
En revanche, rien n'est prévu dans les cas où il n'y a pas de magistrat de la mise en état (affaires urgentes par nature). L'article 914 nouveau et les autres pouvoirs seront confiés au Président de chambre ? A la cour en formation collégiale ?
On voit ici que la logique administrative et gestionnaire n'a pu supprimer le procès. Le citoyen pourra légitimement s'en réjouir.
Il est permis de se demander pourquoi le pouvoir exécutif semble transformer les cours d'appel en laboratoire d'essai d'une justice robotisée ?
Le procès était, selon Motulsky, "la chose des parties". Ce n'était pour certains pas satisfaisant.
Il devint "la chose du juge". C'était insuffisant.
Par ce décret, deviendrait-il le jouet de l'exécutif ?
Gageons qu'il restera toujours des avoués, même réincarnés en avocats spécifiquement équipés, formés et motivés auprès de magistrats conservant le sens premier de leur mission, au contact de greffiers eux aussi dévoués à l'oeuvre de justice.
Trop encadrer les formes du procès nuit au fond du débat. Est-ce acceptable et sain en démocratie ?
Annexe 1 : pour un schéma récapitulatif, voir
Annexe 2 : Les principaux délais
Appelant | 3 mois pour conclure | |
Conclusion + Appel incident de l'intimé | 2 mois pour répondre | |
Non-constitution | Assigner dans le mois du dépôt des conclusions | |
Ou, avis du greffe | Dénoncer la DA dans le mois | |
Intimé | 2 mois à compter du jour des conclusions de l'appelant | |
Appel incident ou provoqué | 2 mois pour répondre | |
Intervenant forcé | 3 mois à compter de l'assignation pour conclure | |
Copie des pièces déposées 15 jours avant l'audience (pas de sanction) |
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