La lettre juridique n°380 du 28 janvier 2010 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La liberté syndicale dans tous ses états !

Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-19.917, Syndicat Spasaf CFDT, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2985EQM)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



Reconnue et garantie, pour ce qui est du droit interne, par l'alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), la liberté syndicale trouve un large champ d'application dans l'entreprise, sans pour autant être sans limites. Un important arrêt, rendu le 13 janvier 2010 par la Cour de cassation, qui aura les honneurs de son rapport annuel, en porte témoignage. La Chambre sociale vient y apprécier, à l'aune de la liberté précitée, le déplacement du local syndical par l'employeur et, conséquence de cet acte, les restrictions apportées au libre déplacement des délégués syndicaux et des salariés.



Résumé

Porte atteinte à la liberté syndicale, l'employeur qui déplace d'office, sans autorisation judiciaire préalable, le local syndical malgré l'opposition d'une organisation syndicale.

Le fait que les déplacements des délégués syndicaux ou des salariés pour aller de leur lieu de travail au local syndical, ou en revenir, les obligent à passer sous un portique de sécurité, à présenter un badge et éventuellement à subir une fouille, sans que l'employeur allègue que l'implantation du local syndical dans la zone de travail était impossible, caractérise une atteinte à l'activité syndicale.

I - Le déplacement du local syndical

  • Le droit à un local syndical

Affirmée et garantie par l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dans les termes suivants, "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix", la liberté syndicale est déclinée par plusieurs dispositions du Code du travail. Il faut, notamment, citer à cet égard l'article L. 2141-4 (N° Lexbase : L2149H9H), qui dispose, en deux alinéas, que "l'exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle de travail" et que "les syndicats professionnels peuvent s'organiser librement dans toutes les entreprises conformément aux dispositions du présent titre".

On comprend que cette liberté d'organisation n'est pas totale et qu'elle est, au contraire, encadrée par la loi. Il en va, notamment, ainsi du droit à un local syndical. Dans les entreprises ou établissements où sont occupés plus de deux cents salariés, l'employeur est tenu de mettre à la disposition des sections syndicales un local commun convenant à l'exercice de la mission de leurs délégués. Lorsque l'entreprise ou l'établissement compte mille salariés et plus, un local convenable, aménagé et doté du matériel nécessaire à son fonctionnement doit être attribué à chaque section syndicale (C. trav., art. L. 2142-8 N° Lexbase : L3775IBG). Il convient, enfin, de noter que, en application de l'article L. 2142-9 (N° Lexbase : L2172H9C), "les modalités d'aménagement et d'utilisation par les sections syndicales des locaux mis à leur disposition sont fixées par accord avec l'employeur".

Ce sont là les seules dispositions légales relatives au local syndical. Le législateur n'a donc nullement envisagé la question du déplacement du local syndical, qui était au coeur de l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.

  • L'affaire

En l'espèce, les syndicats d'une société disposaient de locaux dans le bâtiment d'exploitation de l'entreprise, dont l'accès était soumis à des mesures de contrôle en raison de son emplacement dans une zone aéroportuaire sécurisée. En 2005, la société a décidé de transférer ces locaux dans un bâtiment situé sur le parking de l'établissement, en zone d'accès libre en venant de l'extérieur. Plusieurs syndicats ont alors refusé ce déménagement en alléguant que les contrôles auxquels devaient se soumettre les salariés désirant se rendre depuis leur lieu de travail au local syndical ou en revenir portaient atteinte au libre exercice du droit syndical et à la liberté de circulation des délégués syndicaux. L'employeur, qui n'y avait pas été autorisé par une décision de justice, a néanmoins procédé à ce déménagement.

Ce "passage en force" a été jugé, en référé, constitutif d'un trouble manifestement illicite. Les syndicats ont, ensuite, saisi, au principal, le tribunal de grande instance pour obtenir leur réintégration dans les anciens locaux après leur remise en état et pour demander la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts.

Pour débouter les syndicats de leurs demandes, l'arrêt retient que l'employeur peut déterminer librement l'emplacement des locaux syndicaux. Par suite, si les syndicats refusent le transfert de leurs locaux d'un emplacement à un autre, aucun texte ne soumet celui-ci à un accord préalable et exiger une autorisation judiciaire sur un fondement purement prétorien est en contradiction absolue avec le pouvoir ainsi reconnue à l'employeur de déterminer librement l'emplacement des locaux syndicaux.

  • La solution

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l'article L. 2141-4 du Code du travail. Après avoir affirmé que "porte atteinte à la liberté syndicale, l'employeur qui déplace d'office, sans autorisation judiciaire préalable, le local syndical malgré l'opposition d'une organisation syndicale", la Chambre sociale décide qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes précités.

Cette solution peut être rapprochée de celle dégagée par un arrêt rendu le 26 septembre 2007 par la Cour de cassation, dans la même affaire, consécutivement à l'action en référé des syndicats (1). Toutefois, dans cette décision, la Chambre sociale ne s'était pas prononcée directement sur la question du déplacement du local syndical, mais sur le déplacement des salariés (v. infra, seconde partie).

L'intérêt premier de l'arrêt présentement commenté réside donc dans la position de principe adoptée par la Cour de cassation relativement au déplacement du local syndical. La solution retenue peut être ainsi résumée : dès lors qu'un syndicat s'oppose au déplacement du local syndical, l'employeur ne peut le décider d'office et doit obtenir une autorisation judiciaire préalable. De cela, il résulte que le déplacement des locaux syndicaux ne peut se faire sans le consentement, serait-il tacite, des syndicats. Cette solution, qui nous paraît devoir être approuvée, découle de la liberté syndicale et, plus particulièrement, de la règle édictée par l'article L. 2141-4, alinéa 2, du Code du travail précédemment évoqué, qui en constitue une déclinaison. Les juges du fond en avaient fait, en l'espèce, une bien curieuse application, puisqu'ils avaient fondé leur décision sur la liberté de l'employeur de déterminer l'emplacement des locaux. Or, si ce texte vise bien une liberté, c'est celle pour les syndicats de s'organiser dans l'entreprise. On ne saurait, certes, en déduire que les syndicats choisissent librement l'emplacement des locaux syndicaux dans l'entreprise. Il est, en revanche, certain qu'ils ont à cet égard leur mot à dire. A défaut d'accord, on ne peut faire autrement que de s'en remettre au juge pour décider si oui ou non il y a lieu de déplacer les locaux syndicaux.

Dans la mesure où est ici en cause la liberté syndicale, le juge aura, à notre sens, pour se prononcer, à mettre en oeuvre les prescriptions de l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P), dont on sait qu'elles protègent les droits des personnes, les libertés individuelles, mais aussi les libertés collectives. En réalité, il nous semble que le juge aura à arbitrer entre une liberté collective et un droit tout aussi fondamental : le droit de propriété de l'employeur. Cela conduit à relever que si l'article L. 1121-1 protège au premier chef les droits et libertés des salariés, dont on doit souligner qu'ils ne sont nullement visés par ce texte, on peut penser qu'il peut être sollicité par l'employeur lorsque ses droits et libertés sont menacés. Rien, et en tous cas pas la lettre du texte précité, ne l'interdit. Il faut, en outre, rappeler que, pour être reconnu dans toutes les entreprises, l'exercice du droit syndical doit respecter les droits et libertés garantis par la Constitution de la République (C. trav., art. L. 2141-4, al. 1er).

II - Les déplacements des délégués syndicaux et des salariés

  • Problématique

Le fait de déplacer le local syndical va, à l'évidence, avoir une répercussion sur le déplacement des délégués syndicaux et, plus largement, des salariés souhaitant y accéder. Pour être liés, ces déplacements doivent cependant être distingués, en ce qu'ils renvoient à des problématiques différentes. Cette distinction peut être déduite de l'arrêt rapporté, dans lequel la Cour de cassation prend soin d'apporter une réponse différente à ces deux problèmes, même si cela procède d'abord de la structure des différents pourvois.

Rappelons qu'en l'espèce, les syndicats s'étaient opposés au déménagement des locaux syndicaux en alléguant qu'il portait atteinte à la liberté de circulation des délégués syndicaux. Pour débouter les syndicats, les juges d'appel avaient retenu qu'il leur appartenait de vérifier si le nouveau local syndical présentait des avantages équivalents aux anciens et permettait le libre exercice du droit syndical. Or, tel était le cas, puisque, désormais, tous les salariés pouvaient avoir accès directement et librement au local situé sur le parking de l'établissement même en dehors des heures de travail, ce qui n'était pas le cas auparavant. En outre, les mesures de contrôle pour entrer et sortir du bâtiment de production ne concernaient désormais que les salariés désireux de se rendre au local syndical pendant la pause, et non plus comme avant tout le personnel.

La décision est à nouveau censurée par la Cour de cassation, au visa de l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ensemble les articles L. 2141-4 et L. 2143-20 (N° Lexbase : L2212H9S) du Code du travail.

  • La solution

Pour la Chambre sociale, la cour d'appel a violé ces textes. Ainsi qu'elle le relève à l'appui de sa décision, "il résultait de ses constatations que les déplacements des délégués syndicaux ou des salariés pour aller de leur lieu de travail au local syndical, ou en revenir, les obligeaient à passer sous un portique de sécurité, à présenter un badge et éventuellement à subir une fouille, sans que l'employeur allègue que l'implantation du local syndical dans la zone de travail était impossible". Pour la Cour de cassation, tout cela caractérisait une atteinte à l'activité syndicale.

Cette solution, qui rejoint celle qui avait été retenue par la Chambre sociale dans l'arrêt précité du 26 septembre 2007, doit là encore être approuvée. En application de l'article L. 2143-20 du Code du travail, les délégués syndicaux peuvent circuler "librement" dans l'entreprise. Cette liberté de circulation présente concrètement une importance considérable dans la mesure où elle permet aux délégués syndicaux d'exercer leur mission. Quel pourrait être, en effet, le rôle d'un délégué syndical qui serait "rivé" à son poste de travail ?

Une telle liberté de déplacement n'est pas expressément reconnue au salarié, ce qui est, somme toute, heureux et normal. Cela étant, la liberté syndicale exige que les salariés puissent librement accéder au local syndical, que ce soit en leur qualité d'adhérent au groupement syndical, de sympathisant ou, plus simplement, en tant que membre de la collectivité du personnel dont les intérêts sont défendus par les délégués syndicaux.

L'employeur ne saurait apporter des restrictions aux déplacements des délégués syndicaux ou des salariés ou, à tout le moins, des restrictions qui ne seraient pas "justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché" (C. trav., art. L. 1121-1). Ces restrictions existaient bien en l'espèce. Elles se matérialisaient par le passage sous un portique de sécurité, la présentation d'un badge et, éventuellement, une fouille. De telles mesures de sécurité, par ailleurs justifiées, étaient à n'en point douter susceptibles de décourager les délégués syndicaux et autres salariés de se rendre au local syndical. Mais il y a sans doute plus grave : elles étaient de nature à permettre à l'employeur de contrôler l'activité des délégués syndicaux et, surtout, d'identifier les salariés se rendant au local.

Il importe, néanmoins, de relever que de tels desseins ne pouvaient être en l'occurrence prêtés à l'employeur puisque ces restrictions découlaient du déplacement du local syndical. Il importe de revenir sur cet élément, puisque, si l'on comprend bien le motif de principe de la Cour de cassation, ces restrictions auraient pu être admises si l'employeur avait démontré qu'il lui était impossible d'implanter le local dans la zone de travail. Il convient à cet égard de se montrer prudent. Ce n'est pas parce que l'employeur aurait établi cette impossibilité, que les restrictions précitées auraient été justifiées ou, plus exactement, proportionnées.


(1) Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-13.810, Syndicat CFDT Servair 1, FS-P+B (N° Lexbase : A5806DYP), JCP éd. S, 2008, 1069, note B. Gauriau. Lire aussi, S. Tournaux, L'employeur peut-il contraindre les sections syndicales à changer de locaux, Lexbase Hebdo n° 276 du 11 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6163BCA).

Décision

Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-19.917, Syndicat Spasaf CFDT, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2985EQM)

Cassation de CA Paris, 1ère ch., sect. A, 9 septembre 2008

Textes visés : Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 6 du préambule ; C. trav., art. L. 2141-4 (N° Lexbase : L2149H9H) et L. 2143-20 (N° Lexbase : L2212H9S)

Mots-clefs : liberté syndicale, local syndical, déplacement par l'employeur, libre circulation des délégués syndicaux et des salariés, restrictions

Lien base : (N° Lexbase : E1844ETH)

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