La lettre juridique n°380 du 28 janvier 2010 : Éditorial

Matronyme et castration patronymique

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Matronyme et castration patronymique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212384-matronyme-et-castration-patronymique
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Non au deux noms ! Il souffle comme un vent de révolte sur la question du nom de famille, à lire la dernière jurisprudence tant administrative que judiciaire.

"Familles je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur" écrivait Gide dans Les Nourritures terrestres. Et, comme le bonheur du couple, comme chacun le sait ou feint de ne pas le savoir, c'est l'enfant, on comprend, dès lors, combien patronyme rime si bien avec patrimoine.

Pèle mêle : le Conseil d'Etat retoque, le 4 décembre 2009, la circulaire prévoyant l'usage du double tiret dans le cadre de l'attribution des noms du père et de la mère à l'enfant né après 2005, ce double tiret n'existant pas dans la langue française et la création d'un signe distinctif nouveau relavant de la compétence législative. Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) et rédaction des actes civils et administratifs en français obligent ! Et la Cour de cassation n'est pas en reste, puisqu'elle accorde, le 4 décembre 2009 toujours, la possibilité à une jeune fille de prendre le nom de sa mère plutôt que de conserver le nom de son père condamné pour sévices à son encontre, mais refuse à une mère de modifier le nom paternel de son enfant en y adjoignant le sien, dans un arrêt rendu le 6 janvier 2010 ; l'enfant étant né avant l'application de la réforme issue des lois du 4 mars 2002 et 18 juin 2003, s'entend.

L'onomastique est décidément une science bien compliquée ! Surtout si vous ajoutez l'évolution juridique et sociale en prime. La loi du 6 fructidor de l'an II avait beau consacrer, certes la tenue de registres d'état civil, mais surtout l'immuabilité du nom de famille, l'article 1er disposant qu'aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autre que ceux exprimés dans son acte de naissance, les exceptions ont fait légion à commencer par la loi du 11 germinal de l'an XI et la possibilité d'obtenir un changement de nom pour toute personne qui en aurait quelque raison ; régime abrogé par la loi du 8 janvier 1993 et mais remplacé par les articles 61 à 61-4 du Code civil qui traduisent cette possibilité administrative de changer de prénom ou de nom, pour peu qu'il justifie d'un intérêt légitime.

Les raisons invoquées ? Traditionnellement, on cite la francisation du nom, le relèvement des français mort au combat, le risque d'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral, la consécration d'un nom d'usage dont la possession est établie et de bonne foi, la résurrection d'un nom familial prestigieux, voire l'enterrement d'un nom entaché d'infamie... Mais, le combat qui se livre, aujourd'hui, autour de la question du nom de l'enfant n'est pas de ces ressorts-ci ; il est de celui de l'empreinte sociale maternelle à travers les âges.

C'est bien parce que l'égalité des sexes commandait l'égalité "nymique" que la loi de 2002 offrit la possibilité aux deux parents d'accoler leurs deux noms pour n'en former qu'un à l'enfant né après 2005. L'ennui avec les lois, c'est que manifestement, elle ne sont pas toutes rétroactives -on avait fini par le croire au vu des dispositions législatives actuelles de plus en plus correctrices- ; et celle-ci instituait de facto deux régimes, avant et après 2005 ; la Cour de cassation n'opérant pas de rétroactivité in mitius en matière d'état civil -sauf à ce que l'on démontre que l'adjonction du nom de la mère soit si favorable à l'enfant né, peut-être !-.

Ah ! Il est bien loin le temps où l'on n'avait pas nom de famille ; entendons-nous bien, où l'on accolait à un prénom le lieu de naissance, le lieu d'habitation, le métier ou un signe physique distinctif... Autant de noms de substitution qui feront la richesse et la variété des patronymes français en 1539, puis, bien plus tard, avec l'instauration du livret de famille, en 1875. Mais, reconnaissons qu'à cette époque obscure (avant l'imprimerie et en plein illettrisme), hormis son titre nobiliaire, on n'avait que peu d'intérêt à se réclamer, dans le marbre, ubi et orbi, "fils de" : l'usage d'un nom et son emploi auprès de tous suffisaient.

C'est que la Liberté et son cortège de "droits à" et "droits de" ont fait fleurons ! En 1993, la loi abandonne le calendrier comme étalon mètre des prénoms de nos chères têtes blondes (une survivance de la loi du 11 germinal de l'an XI) pour la liberté de choisir le prénom de son enfant -avec les dérives auxquelles on pouvait s'attendre et le jugement sacramental d'un officier d'état civil décidant, si oui ou non, le prénom choisi porterait préjudice à l'enfant-. La liberté de choisir un prénom et la possibilité d'en changer pour raison légitime : pourquoi pas une déclinaison sur le nom ?

Parce que le nom, c'est l'identité sociale de l'individu. D'un nom, on offre à l'enfant une présomption -réfragable- de paternité, un lien affectif familial, une histoire, un positionnement social : les tenants d'une identité psychologique nécessaires à l'épanouissement de l'enfant. Interrogez un enfant de 3 ans : la première chose qu'il sait de source sûre, hormis son lien affectif avec ses parents, c'est son nom.

Et, Paul-Frédéric Girard -n'y voyez pas, pour moi-même, d'usurpation patronymique- de nous enseigner, dans son célèbre manuel de droit romain, datant de 1929, la tria nomina, dont les caractéristiques pourraient bien trouver échos à l'heure de la "matronymisation" progressive des noms de famille. Jugez plutôt que nos chers romains du Ier siècle usaient d'un praenomen qui permettait à l'enfant d'honorer un ancêtre ; d'un nomen qui identifiait l'individu comme appartenant à une gentilice, un clan ; et d'un cognomen, une sorte de surnom qui au fil des années permettait -et c'est là l'intérêt de l'incursion du droit romain au XXIème siècle- d'identifier une branche de la gentilice. Et, si à cette identification de la branche de la gens de l'enfant correspondait le nom maternel ? Ce cognomen, qui n'est qu'un nom d'usage, n'en est pas pour autant dévalorisé face au nomen ! J'en veux pour preuve : Cicéron est le cognomen de Marcus Tullius ! César, celui de Caius Julius ! Et Auguste, celui de Caius Octavius ! D'où il en ressort que l'on n'est jamais aussi bien identifié que par sa mère... quel que soit l'état civil de l'enfant.

"En donnant le nom à un enfant, il faut penser à la femme qui aura un jour à le prononcer" écrivit Jules Barbey d'Aurevilly dans... ses Diaboliques.

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