La lettre juridique n°380 du 28 janvier 2010 :

[Jurisprudence] A propos de l'efficacité du cautionnement d'un prêt immobilier doublé d'une promesse hypothécaire

Réf. : Cass. civ. 1, 19 novembre 2009, n° 08-19.173, Chambre de commerce et d'industrie de Sète, Frontignan et Mèze, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7488ENN)

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N9850BMR

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[Jurisprudence] A propos de l'efficacité du cautionnement d'un prêt immobilier doublé d'une promesse hypothécaire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212395-jurisprudence-a-propos-de-lefficacite-du-cautionnement-dun-pret-immobilier-double-dune-promesse-hypo
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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 07 Octobre 2010

Publié chaque année sous le patronage de la Banque mondiale, le rapport Doing Business s'emploie à mesurer l'efficacité de la "réglementation des affaires" (1) et entend démontrer l'existence d'une corrélation entre les qualités d'un système juridique donné et la performance économique de la juridiction où ce système s'applique. Parmi les critères contribuant à l'évaluation du sous-indice "Obtenir des prêts", calculé par ce rapport, l'efficacité des sûretés tient une bonne place : des prêteurs correctement protégés par le droit des sûretés sont enclins à distribuer plus de crédits. En réformant son droit des sûretés (2), la France entendait (au moins à demi-mot) relever ce défi (3). Avec son arrêt du 19 novembre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation apporte indirectement sa pierre à l'édifice. Les faits à l'origine de cette décision peuvent être ramenés à une cinématique plutôt simple. En 1988, deux sociétés co-emprunteuses au titre d'un prêt immobilier avaient fourni à leurs prêteurs à titre de sûreté, d'une part, le cautionnement de la Chambre de commerce et d'industrie locale et, d'autre part, une promesse d'hypothèque et de nantissement. En 1993, à la suite de divers manquements contractuels, l'un des prêteurs prononça la déchéance du terme du prêt et agit contre la caution. Cette dernière argua alors du fait qu'en ne rendant pas effectives les promesses de sûretés réelles dont il était le bénéficiaire, le créancier avait manqué à son obligation de loyauté envers elle. Aussi, devait-elle être libérée de toute obligation envers le créancier sur le fondement de l'article 2037 du Code civil (N° Lexbase : L2282AB7 ; C. civ., 2314, nouv. N° Lexbase : L1373HIP) .

Fondamentalement, trancher la question de savoir si les promesses de sûretés entrent dans le champ de l'article 2314 du Code civil revient à se prononcer sur l'efficacité du cautionnement au soutien duquel elles viennent : les inclure, c'est lui sceller un sort funeste ; les exclure, c'est préserver l'intérêt qu'il peut présenter pour le créancier.

C'est fort heureusement, à notre sens, que la Cour de cassation ne se rangea pas à la position défendue devant elle et décida, au contraire, que "si le créancier, bénéficiaire d'une sûreté provisoire, qui, dans le même temps, se garantit par un cautionnement, s'oblige envers la caution à rendre cette sûreté définitive, tel n'est pas le cas du créancier bénéficiaire d'une promesse d'hypothèque ou de nantissement, dès lors que la constitution de la sûreté est au seul pouvoir du promettant" (5).

En préservant un minimum d'efficacité au cautionnement renforcé par une promesse de sûreté (I), la Cour régulatrice fait preuve d'autant de bon sens juridique que de pragmatisme économique : le refinancement des portefeuilles de prêts immobiliers français, passablement ébranlé par la crise économique, devrait en profiter (ou, en tous cas, ne pas en souffrir) (II).

I - Une efficacité préservée

En refusant de voir dans la non-concrétisation d'une promesse de sûreté réelle une cause d'extinction du cautionnement (A), c'est bien l'efficacité d'un schéma de garantie assez largement répandu en France (nous y reviendrons) qu'assure la Cour de cassation. Ce faisant, elle ne ferme pas pour autant la porte à une action en responsabilité de la caution contre le créancier négligeant les intérêts de cette dernière (B).

A - La non-extinction du cautionnement en l'absence de concrétisation d'une promesse de sûreté réelle

Aux raisons qui font que l'obligation de la caution "s'éteint par les mêmes causes que les autres obligations" (6), s'ajoute une circonstance particulière (7) : celle que l'on résume par la périphrase "perte du bénéfice de cession d'actions ou de subrogation". Dans l'espèce étudiée ici, la caution entendait obtenir l'application de ce mécanisme prévu alors à l'article 2037 du Code civil (8). En droit positif, c'est désormais l'objet de l'article 2314 du Code civil qui dispose -et répute non-écrite toute clause contraire- que "la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution" (9).

Le plus souvent, on retient que ce motif de déchargement de la caution ne joue que si sont réunies deux conditions, dont aucune n'était vérifiée dans les faits de l'arrêt du 19 novembre 2009.

D'abord, le préjudice que la caution estime subir doit consister en la perte d'un droit préférentiel (voire exclusif) et certain.
S'agissant du cas qui nous occupe, ce qu'a perdu la caution c'est le bénéfice d'une hypothèque et d'un nantissement potentiels pour raison de ce que le créancier n'avait pas obtenu que les promesses dont il était bénéficiaire soient suivies d'effet. Or, la jurisprudence a établi, en des termes plutôt clairs, qu'une promesse d'hypothèque n'est pas un droit préférentiel (10) et qu'une promesse de nantissement ne permet pas à la caution d'invoquer l'article 2314 du Code civil (11). Sur ce fondement, il est des plus douteux qu'un quelconque droit certain ait été anéanti à la défaveur de la caution. L'arrêt commenté le met bien en exergue : la promesse de sûreté n'a rien d'une sûreté provisoire. Par conséquent, la caution, en l'espèce, ne pouvait légitimement prétendre avoir subi un préjudice du simple fait que les promesses de sûretés étaient demeurées lettres mortes.

Ensuite, le créancier doit être à l'origine exclusive de ladite perte.
En admettant (ce qui, encore une fois, ne nous semble pas être le cas) qu'une promesse de sûreté pourrait constituer un droit préférentiel, pour que l'ancien article 2037 du Code civil s'applique dans notre affaire, encore aurait-il fallu que le créancier soit à l'origine de la prétendue perte de cette prérogative.
Lorsqu'est consentie une sûreté provisoire (12) ou une sûreté légale (13), qu'il suffit d'inscrire pour qu'elle devienne efficace, la négligence du créancier qui omettrait de procéder à ladite inscription est clairement une faute sanctionnée par le jeu de l'actuel article 2314 du Code civil (14) : d'ailleurs, l'attendu principal le rappelle expressément (15). L'opinion des juges de cassation est qu'il en va différemment en matière de promesse de sûreté, les magistrats relevant en ce cas "que la constitution de la sûreté est au seul pouvoir du promettant". Si l'on admet qu'en matière de promesse de sûreté le promettant est incontournable lorsqu'il s'agit de rendre la sûreté effective, alors oui : il est sévère de faire peser sur les épaules du seul créancier, même professionnel du crédit, la charge d'obtenir in fine des sûretés. Mais, est-ce vraiment le cas ? Cela ne souffre d'aucun débat en matière d'hypothèque où l'acte authentique, incontournable, requiert que le promettant/futur constituant se présente devant le notaire (16). Pour ce qui est d'une promesse ayant pour objet une sûreté dépourvue de presque tout formalisme, un nantissement de créance, par exemple on peut se montrer plus circonspect : ne pourrait-on pas considérer que si elle détaille suffisamment la sûreté promise, la promesse de sûreté vaut sûreté et qu'il suffit alors au créancier de lever l'option ? En pratique, cette situation est assez peu susceptible de se présenter, mais elle laisse à penser que la "consensualisation" du droit des sûretés pourrait conduire à légèrement tempérer la position de la Cour de cassation pour l'avenir. La réforme de 2006 pourrait ainsi conduire à légèrement nuancer les conclusions de l'arrêt du 19 novembre 2009.

B - L'action en responsabilité comme alternative

Pour autant, la Cour de cassation ne laisse pas complètement dépourvue la caution faisant face à la demande en paiement d'un créancier bénéficiant de promesses de sûretés réelles non réalisées. En pareille situation, il existe au moins une alternative pour la caution. A titre liminaire, nous sommes d'avis qu'il convient d'écarter l'idée selon laquelle, en exerçant son recours subrogatoire (17), la caution pourrait lever l'option attachée à la promesse de sûreté accordée par le débiteur, lui-même, au créancier (ce qui était, en l'espèce, le cas) dans l'hypothèse où cette promesse demeurerait exerçable : l'admettre serait antithétique avec le refus opposé à la caution de se prévaloir de l'article 2314 du Code civil, tel que nous l'avons exposé plus avant.

Pour la caution, la voie du salut réside sans doute dans l'action en responsabilité à l'occasion de laquelle il lui est loisible de plaider, à titre reconventionnel (ou par voie d'exception), devant le juge qu'en ne s'efforçant pas d'obtenir du promettant qu'une sûreté soit constituée en application de la promesse, le créancier a commis envers elle une faute source de préjudice. Reste alors à déterminer si une responsabilité de la sorte est de nature contractuelle ou délictuelle. Tout en ayant bien à l'esprit le caractère unilatéral attribué unanimement au cautionnement (18), nous pencherions volontiers pour la thèse de la responsabilité contractuelle : dès lors que la Cour de cassation oblige le créancier titulaire d'une faculté à l'exercer conformément aux intérêts de la caution, témoignage de l'exigence de bonne foi contractuelle imposée au créancier, cela fait sens (19). En tout état de cause, c'est bel et bien la responsabilité contractuelle du créancier qui pourrait être engagée si était stipulée entre ce dernier et la caution une clause de porte-fort (20) prévoyant que le créancier s'engage envers la caution à obtenir que le promettant constitue effectivement la sûreté qu'il a promise. Néanmoins, il est raisonnable de penser qu'une telle clause, si elle est de nature à garantir le succès de l'action en responsabilité de la caution, n'est acceptée que très limitativement par les créanciers.

Il n'en reste pas moins que voir dans les circonstances dont il est ici question un cas d'ouverture de la responsabilité du créancier affaiblit quelque peu le bien-fondé de la solution arrêtée par la Cour de cassation le 19 novembre 2009 : au fond, n'y a t-il pas une incohérence à refuser à la caution le bénéfice de l'article 2314 en matière de promesses de sûretés tout en considérant que la responsabilité du créancier pourrait être engagée en pareil cas ? Déjà, les esprits les plus affutés ont perçu ce biais d'analyse (21) ; sur la question, raison ne leur est pas donnée par la Cour de cassation... pas encore.

Juger que le cautionnement donné à un créancier bénéficiaire d'une promesse de sûreté ne s'éteint pas si le créancier n'obtient pas la réalisation des promesses revient à assurer un minimum d'efficacité à ce schéma de garantie. Globalement, force est de reconnaître que la solution prête difficilement le flanc à la critique, et ce en dépit de ce qu'elle s'avère très favorable aux prêteurs de deniers dont elle protège grandement les intérêts. Les établissements de crédit devraient y trouver leur compte, tout particulièrement à l'occasion de leurs opérations de refinancement.

II - Une efficacité au service du refinancement

Ainsi que l'a relevé récemment un rapport du Sénat (22), une part importante (estimée à 47 % en 2006) des prêts immobiliers accordés en France est garantie non par une hypothèque mais par une caution, souvent doublée d'une promesse hypothécaire. On l'explique généralement par une marge plus importante pour les établissements de crédit sur les prêts cautionnés, liée au fait que les sociétés de caution font souvent partie du groupe de la banque prêteuse et à l'absence de fuites vers les professionnels de l'hypothèque que sont les notaires et les conservateurs des hypothèques. De fait, le besoin de refinancement des établissements de crédit français en matière immobilière concerne assez largement des crédits présentant des caractéristiques proches de ceux du prêt conclu dans notre espèce. En confirmant l'efficacité juridique schéma de garantie associant caution et promesse d'hypothèque, l'arrêt du 19 novembre 2009 contribue à ne pas tendre un peu plus les conditions de refinancement des prêts immobiliers octroyés par les banques françaises (A) et augure un minimum d'avenir heureux aux futures obligations à l'habitat (B).

A - Le statu quo des conditions de refinancement

La jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation est rassurante pour les établissements de crédit : les prêts immobiliers cautionnés et assortis d'une promesse de sûreté ne sont pas menacés d'être relégués au rang de créances chirographaires ! C'est un réel soulagement que l'on peut relativiser en gardant à l'esprit que souvent la caution d'un prêt immobilier octroyé par un établissement de crédit donné est fournie par une société financière du groupe dudit établissement.

Toutefois, l'arrêt de novembre 2009 peut être considéré sous un angle légèrement différent. Chacun le sait désormais : les établissements de crédit recourent à diverses techniques de refinancement, dont le principe consiste à mobiliser leurs portefeuilles de prêts immobiliers ; c'est le cas de la titrisation, par exemple. Ce faisant, ils dépendent notoirement de la notation financière attribuée par les agences de notation (23) aux titres financiers refinançant lesdits portefeuilles : schématiquement, le coût de refinancement est une fonction décroissante de la notation desdits titres. Quant à cette dernière, elle est fortement corrélée à la qualité du portefeuille sous-jacent ; parmi les critères permettant d'apprécier cette qualité, l'on trouve généralement le fait que les prêts refinancés sont garantis par des sûretés efficaces.

Dès lors, on perçoit bien l'un des enjeux d'importance de la décision rendue par la Cour de cassation : frapper de caducité les cautionnements sécurisant les prêts immobiliers octroyés par les établissements de crédit français du seul fait que les promesses hypothécaires dont bénéficient lesdits établissements n'ont pas été transsubstantiées en hypothèque aurait eu pour effet quasi-mécanique d'entraîner la révision à la baisse des notations financières accordées à bon nombre de programmes de refinancement de créances de prêts immobiliers. Le marché du refinancement des prêts immobiliers, plongé dans une atonie persistance, n'en avait nul besoin. Aussi, louons le bel effort -conscient ou inconscient, peu importe- de réalisme financier de la Cour de cassation.

B - La voie ouverte aux futures obligations à l'habitat

Non content d'avoir assuré la sécurité juridique des garanties attachées aux prêts immobiliers français, l'arrêt du 19 novembre 2009 est sans nul doute annonciateur de la belle réussite à venir des obligations à l'habitat.

Un court historique s'impose ici. Outre la titrisation stricto sensu (24), les marchés immobiliers ont appris à organiser leur refinancement via l'émission d'obligations sécurisées par des portefeuilles de créances immobilières : les Pfandbriefe allemandes en sont l'exemple le plus célèbre (25). Les obligations foncières, créées par la loi du 25 juin 1999, sur l'épargne et la sécurité financière (loi n° 99-532 N° Lexbase : L2208DYG), sont la "version française" de ces titres. Ne pouvant être émises que par une société de crédit foncier (qui est une société financière spécialisée), ces obligations procurent à leurs porteurs le bénéfice d'un super-privilège exorbitant du droit commun (26). En revanche -et compte tenu du privilège que nous venons de décrire, c'est logique-, elles ne peuvent refinancer que des actifs de grande qualité se conformant à des critères longuement et précisément décrits par les dispositions du Code monétaire et financier (27). Or, il se trouve que les prêts simplement garantis par un cautionnement doublé d'une promesse hypothécaire -tel celui dont il était question dans l'arrêt de novembre 2009- se voient réserver un sort mitigé :
- ils ne sont éligibles au refinancement par une société de crédit foncier que si la caution les concernant est une caution solidaire donnée par une établissement de crédit ou une entreprise d'assurance dont les capitaux propres s'élèvent au moins à douze millions d'euros et n'entrant pas dans le périmètre de consolidation dont relève la société de crédit foncier ;
- leur refinancement par une société de crédit foncier n'est possible que dans la limite du montant du capital restant dû ou de 60 % de la valeur du bien financé (C. mon. fin., art. R. 515-2 N° Lexbase : L9631DYD) ;
- et, surtout, le montant total des prêts cautionnés figurant à l'actif d'une société de crédit foncier ne peut excéder 35 % de ce montant (C. mon. fin., art. R. 515-6 N° Lexbase : L9635DYI).

Sans y voir une réécriture de la métaphore du chameau et du chas, concédons qu'il est plutôt malaisé de refinancer des prêts immobiliers cautionnés par une société de crédit foncier. Afin de palier cette difficulté, est apparue en France (sur un modèle anglo-saxon) une alternative pratique aux obligations foncières : les structured covered bonds. Il s'agit d'obligations émises par un établissement de crédit ad hoc -le plus souvent constitué par la société mère ou l'organe central (29) d'un groupe bancaire donné- afin de fournir des liquidités sous la forme de prêt à des établissements de crédit de son groupe contre la remise en sûreté, sous le régime des articles L. 211-38 (N° Lexbase : L2468IE7) et suivants du Code monétaire et financier, de créances de prêts immobiliers. Au final, ces titres financiers reproduisent bien le mécanisme des obligations sécurisées : ils contribuent au refinancement de prêts immobiliers et fournissent à leur porteur une sûreté de haut rang puisque constituée en tirant parti des vertus issues de la transposition française de la Directive dite "Collateral" (30). Abstraits de la rigidité des dispositions relatives à la composition de l'actif des sociétés de crédit foncier (31), les montages de structured covered bonds, purement contractuels, représentent probablement en France, à l'heure actuelle, le meilleur mode de refinancement des prêts immobiliers cautionnés. La preuve en est que la majorité des grands groupes bancaires français s'est dotée de cet instrument souple de refinancement.

Sensibilisé à la question par les milieux professionnels, le Gouvernement s'est récemment saisi de la question : ainsi, le projet de loi de régulation bancaire et financière déposé à l'Assemblée nationale par le Premier ministre le 16 décembre 2009 (32) se propose-t-il d'introduire à côté des obligations foncières les obligations à l'habitat (33). Les obligations à l'habitat -qui ne pourront être émises que par des émetteurs d'un genre nouveau : les sociétés de financement de l'habitat- devraient pouvoir être adossées à une variété d'actifs plus grande et dans des conditions moins strictes que celle prévalant en matière d'obligations foncières : en particulier les prêts cautionnés. Cela ne trompe pas : il s'agit de donner leurs lettres de noblesse (et un nom moins barbare !) aux structured covered bonds. Si la Cour de cassation avait ruiné une partie substantielle de l'efficacité du cautionnement d'un prêt immobilier pour lequel le prêteur dispose également d'une promesse hypothécaire, on peut raisonnablement penser que la "production" de tels prêts se serait, peu à peu, tarie au profit des prêts garantis purement et simplement par une hypothèque (ou toute sûreté équivalente), ce qui aurait laissé poindre en perspective un avenir mitigé pour les obligations à l'habitat (34). Au contraire, en ne condamnant pas de facto un funeste sort à la pratique française du prêt immobilier cautionné assorti d'une promesse hypothécaire, c'est bien le lit des futures obligations à l'habitat que fait l'arrêt du 19 novembre 2009.

Au final, il faut saluer et approuver la solution dégagée par la Cour de cassation, équilibrée et cohérente avec la jurisprudence existante. Rendue à propos d'une promesse de sûreté réelle, elle devrait pouvoir être généralisée à d'autres droits préférentiels potentiels, comme une promesse de caution par exemple. Au-delà, ce qui nous frappe, c'est l'actualité de cette solution qui ne concoure pas à une nouvelle dérive systémique et s'inscrit déjà dans la perspective de ce qui sera, à n'en pas douter, l'une des grandes lois de l'année 2010 : arrêt très prospectif que celui du 19 novembre 2009. Arrêt très sage également : plutôt maudire les prêts immobiliers cautionnés et assortis d'une promesse de sûreté, comme le fit, du haut de son bûcher, Jacques de Molay à l'adresse de Philippe le Bel que de statuer en sens contraire (35). Les juges de cassation ont été bien inspirés de s'en garder.


(1) Pour reprendre l'expression consacrée par le site publiant le rapport.
(2) Réforme que l'on doit à l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, relative aux sûretés (N° Lexbase : L8127HHH).
(3) A cet égard, voir les orientations données à la réforme dans le rapport du groupe de travail relatif à la réforme du droit des sûretés (dit "rapport Grimaldi"), p. 2 et 3.
(4) La réforme des sûretés que l'on doit à l'ordonnance n° 2006-346 (précitée) ayant conduit à une renumérotation (à droit presque constant) des articles concernant le cautionnement.
(5) Pour les besoins de ce commentaire, nous laissons volontairement à l'écart la question de la responsabilité du notaire rédacteur d'acte. L'arrêt du 19 novembre 2009, même s'il consacre quelques développements à la question (cf., sur ce point, les obs. de D. Bakouche, Le contrôle de l'exécution de l'obligation du notaire d'assurer l'utilité et l'efficacité des actes unis par un lien de dépendance, Lexbase Hebdo n° 13 du 7 janvier 2010 - édition profession N° Lexbase : N7188BM8) n'apporte finalement sur ce terrain guère plus que celui en date du 28 mai 2009 (Cass. civ. 1, 28 mai 2009, n° 07-14.075, F-P+B N° Lexbase : A3756EHL, Revue de droit bancaire et financier, novembre 2009, commentaire n° 195, par D. Legeais et, également, les obs. de D. Bakouche in La Chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Juillet 2009, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N1149BL7).
(6) C. civ., art. 2311 (N° Lexbase : L1210HIN).
(7) Plus généralement, s'agissant des causes d'extinction du cautionnement, n'hésitons jamais à nous replonger dans l'excellente prose du Professeur Mouly : Les causes d'extinction du cautionnement, Bibliothèque de droit de l'entreprise, 1980.
(8) Avec une rédaction inchangée.
(9) Mécanisme dont la doctrine a déjà eu l'occasion de souligner combien il était malaisé de lui dégager un fondement clair : cf. D. Houtcieff, Contribution à une théorie du bénéfice de subrogation de la caution, RTDCiv., 2006, p. 191 et s..
(10) Cass. civ. 1, 6 novembre 2001, n° 99-10.280, Mme Joseline Cormillot c/ Société BRED banque populaire, F-D (N° Lexbase : A0609AXT). En tous cas, ce n'est pas un droit préférentiel au jour où la caution s'engage.
(11) Cass. com., 5 février 2008, n° 07-10.480, Mme Thérèse Nero, veuve Georges, F-D (N° Lexbase : A7316D4Q).
(12) Telle une inscription provisoire de nantissement de fonds de commerce : Cass. mixte, 17 novembre 2006, n° 04-19.123, M. André Arribet c/ Société Comptoir bigourdan de l'électronique (N° Lexbase : A3516DSZ), P. Crocq, RTDCiv, 2007, 157.
(13) Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.531, Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) Nord de France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8313DUG) ; Ph. Delebecque et Ph. Simler, JCP éd. G, I, 158.
(14) En dépit d'une divergence à l'origine de laquelle se trouve la Chambre commerciale : Cass. com., 19 décembre 2006, n° 04-19.643, Société Banque populaire du Midi, F-P+B (N° Lexbase : A0827DTS), D., 2007, p. 369, obs. V. Avena-Robardet. Une partie de la doctrine conteste également cette obligation supplémentaire à la charge du créancier : D. Houtcieff, Le créancier titulaire d'une faculté s'oblige à l'exercer conformément aux intérêts de la caution, JCP, éd. E, 2006, 2775.
(15) La Cour écrit : "Le créancier, bénéficiaire d'une sûreté provisoire, qui, dans le même temps, se garantit par un cautionnement, s'oblige envers la caution à rendre cette sûreté définitive".
(16) Comme l'exige l'article 2416 du Code civil (N° Lexbase : L1322HIS).
(17) Celui de l'article 2316 du Code civil (N° Lexbase : L1140HI3).
(18) Ainsi que le rappelle, entre autres, Ph. Delebecque et, Ph. Simler, Droit civil : Les sûretés, La publicité foncière, Dalloz, 5ème éd., 2009, n° 260, p. 234.
(19) Cf. D. Houtcieff, idem. Voir aussi sur ce point : L. Aynes, P. Crocq, Les Sûretés - La publicité foncière, Defrénois, 2009, 4ème éd., n° 296, p. 132.
(20) C. civ., art. 1120 (N° Lexbase : L1208ABD).
(21) Ph. Simler, Cautionnement, Garanties autonomes, Garanties indemnitaires, Litec, 4ème éd., 2008, n° 827.
(22) Accès des ménages au crédit, Rapport d'information n° 261 de M. Joël Bourdin, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, 2006.
(23) Dont s'est récemment saisi le droit communautaire : Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit (N° Lexbase : L9149IEL), à propos duquel cf. les obs. d'E. Mazzei, Des réponses apportées à la crise par le droit financier : le cas des agences de notation, Lexbase Hebdo n° 377 du 7 janvier 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N9384BMI).
(24) Commercial Mortgage Backed Securitisation (CMBS) ou Residential Mortgage Backed Securitisation (RMBS) en matière immobilière.
(25) Leur naissance remonte au XIXème siècle. Depuis lors, leur attractivité de ne s'est jamais démentie : les Pfandbriefe constituent aujourd'hui le premier marché obligataire européen.
(26) Ainsi, l'article L. 515-21 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3619HZ3) précise que : "Nonobstant l'ouverture éventuelle de toute procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires à l'encontre du cédant postérieurement à la cession, la cession prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d'échéance ou d'exigibilité des créances, sans qu'il soit besoin d'autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs".
(27) Aux articles L. 515-14 (N° Lexbase : L3612HZS) à L. 515-17 du Code monétaire et financier. Il est possible de rassembler ces actifs en trois grandes catégories génériques : les prêts immobiliers garantis, les expositions sur personnes publiques et les créances assimilées à l'une de ces catégories.
(28) Par combinaison des articles L. 515-14 et R. 515-6 (N° Lexbase : L5053HZ8) du Code monétaire et financier
(29) Pour les groupes bancaires qui en sont dotés, du fait de la loi, tel le Crédit agricole (C. mon. fin., art. L. 515-20 N° Lexbase : L6343DIR et s.) ou le Crédit mutuel (C. mon. fin., art. L. 515-5 N° Lexbase : L9634DYH et s.).
(30) Directive 2002/47/CE du 16 juin 2002, sur les contrats de garantie financière (N° Lexbase : L4787A43), transposée en France par l'ordonnance n° 2005-171 du 24 février 2005, simplifiant les procédures de constitution et de réalisation des contrats de garantie financière (N° Lexbase : L0259G84).
(31) Ce qui ne fait fondamentalement pas des structured covered bonds des titres plus risqués que les obligations foncières : de nombreuses précautions sont prises à ce sujet (comme, entre autre, la présence d'un contrôleur de l'actif de l'émetteur qui reproduit peu ou prou le contrôle spécifique prévu à l'article L. 515-30 N° Lexbase : L6337DIK pour les sociétés de crédit foncier).
(32) Projet de loi de régulation bancaire et financière.
(33) Articles 19 et suivants du projet de loi.
(34) Sans compter que, comme nous l'avons mis en évidence plus haut, si ces obligations n'avaient été vouées qu'à refinancer des prêts inefficacement garantis, elles n'auraient probablement que modérément attiré l'appétit des investisseurs.
(35) A tout le moins, c'est ce que lui fait dire Druon dans Le Roi de fer (Les Rois Maudits, tome 1) : Jacques de Molay fut le dernier maître de l'Ordre du Temple. Condamné au bûcher en 1314 par Philippe le Bel, l'histoire veut qu'il ait profité de ses derniers instants pour lancer au Roi de France (notamment) : "Maudits ! Maudits ! Vous serez tous maudits jusqu'à la treizième génération de votre race !". Quatorze ans plus tard, en 1328, la dynastie capétienne s'éteignit... et treize générations après Philippe le Bel, Louis XVI fut guillotiné.

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