La lettre juridique n°380 du 28 janvier 2010 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le premier tour des élections professionnelles consacré dans sa double fonction électorale et syndicale

Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 09-60.203, Syndicat CFDT santé services sociaux 69 c/ Société Biomnis, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3135EQ8)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


On saura gré à la Chambre sociale de la Cour de cassation d'avoir sans délai pris la mesure de l'importance de la loi du 20 août 2008 (1) et d'avoir accéléré le traitement des pourvois dirigés contre les premiers jugements rendus depuis et ce afin d'apporter le plus rapidement possible les éclaircissements pratiques qui s'imposaient. Profitant d'une affaire mettant en cause deux irrégularités connues des processus électoraux, la Haute juridiction, en forme d'obiter dictum, nous livre par anticipation sa doctrine concernant la sanction des irrégularités affectant les "nouvelles" élections professionnelles organisées sur le fondement de la loi du 20 août 2008 (II), soulignant ainsi la dualité fonctionnelle des élections professionnelles, désormais moyen de désignation des institutions représentatives du personnel et de légitimation des syndicats et de leurs représentants dans l'entreprise (I).

Résumé

A moins qu'elles soient directement contraires aux principes généraux du droit électoral, les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections ou, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, si, s'agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise ou du droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical.

Constituent des irrégularités directement contraires aux principes généraux du droit électoral et affectant le déroulement du scrutin, de sorte qu'il n'avait pas à s'interroger plus avant sur leur incidence sur le résultat des votes, le retrait du nom d'un candidat, présenté par erreur par un syndicat de la liste de ses candidats aux élections de délégués du personnel dans le collège non cadre, postérieurement au début des opérations de votes par correspondance, alors qu'il n'a eu aucun élu, ainsi que l'absence de désignation d'un président dans l'un des bureaux de vote.

I - La dualité fonctionnelle des élections professionnelles après la loi du 20 août 2008

  • Objet de la réforme de la démocratie sociale

La réforme de la démocratie sociale intervenue par la loi du 20 août 2008 a considérablement bouleversé les principes qui régissent la représentation des salariés dans et hors l'entreprise (2). Pour s'en tenir à cette dernière, la loi a profondément réformé les règles de la représentativité syndicale en abandonnant la présomption de représentativité issue de la loi "Auroux" du 28 octobre 1982 et en imposant la preuve de sept critères cumulatifs et limitatifs, dont l'un fait directement référence à l'audience (de 10 %) du syndicat lors du premier tour des dernières élections professionnelles intervenues dans l'entreprise (3).

L'introduction par la loi d'une exigence électorale chiffrée a transformé la fonction même des élections professionnelles, qui se voient désormais reconnaître un double rôle, le premier, classique, de mode de mise en place des institutions représentatives du personnel (délégués du personnel et comité d'entreprise ou d'établissement), le second, moderne, de mesure de l'audience électorale dans (4) et hors l'entreprise (5).

Les règles techniques du droit électoral ont été modifiées à la marge pour tenir compte de la réforme et, notamment, de la volonté de permettre à de nouveaux syndicats "émergents" de participer au processus électoral dès le premier tour, ce qui leur permettra désormais d'obtenir, eux-aussi, une mesure d'audience, et de prétendre remplir l'exigence de 10 % des suffrages exprimés sans laquelle ils ne pourront être reconnus représentatifs dans l'entreprise ou l'établissement.

  • Impact sur le droit électoral professionnel

Les élections ayant changé de fonction, il était prévisible que le droit électoral allait évoluer, au-delà même des dispositions législatives nouvelles, dans la mesure où les juges mobilisent également, en droit du travail comme dans d'autres contentieux électoraux d'ailleurs, les "principes du droit électoral" destinés à garantir la sincérité du scrutin, mais aussi sa publicité, et qui sont issus du Code électoral.

La Cour de cassation a ainsi pu se fonder sur ses exigences pour conduire les juges du contentieux électoral à s'"assurer [de] l'identité des électeurs, ainsi que la sincérité et le secret du vote électronique, comme la publicité du scrutin" (6), à empêcher un même salarié d'être candidat, pour la même élection, sur deux listes différentes car "nul ne peut être candidat sur plus d'une liste" (7), et à affirmer que, "sauf circonstance exceptionnelle justifiant le vote par correspondance, le scrutin doit se dérouler dans des conditions identiques pour l'ensemble du corps électoral et sans interruption, à la date fixée pour les élections, entre l'heure d'ouverture et l'heure de clôture du scrutin" (8).

Les irrégularités relevées dans le processus électoral, lorsqu'elles ne sont pas expressément sanctionnées par la loi, peuvent conduire le juge à annuler les élections dès lors qu'elles ont eu une incidence sur les résultats électoraux. Ont ainsi été jugés comme ayant une incidence sur le scrutin "l'absence de président désigné dans les bureaux de vote [...] en raison de l'importance de ses attributions [qui] compromet dans son ensemble la loyauté du scrutin" (9), le fait que le protocole préélectoral "limite aux seules parties signataires de cet accord le droit d'assister aux élections et le droit de porter des observations sur le procès-verbal des élections" (10), le fait de ne pas permettre aux électeurs d'avoir accès librement au lieu du dépouillement (11) ou, encore, l'ouverture des urnes avant l'heure fixée pour la clôture du scrutin et la réception d'un vote sans dépôt dans l'urne (12).

En revanche, les incidents que le juge du contentieux électoral considère comme non déterminants ne permettront pas d'obtenir l'invalidation du scrutin (13), comme le défaut d'annexion des bulletins blancs ou nuls au procès-verbal des opérations de vote (14), la présence d'un représentant syndical extérieur à l'entreprise dont le comportement et les propos tenus, tenant pour l'essentiel en des conseils aux membres du bureau de vote et aux votants sur la manière de procéder, n'étaient pas constitutifs d'une irrégularité du scrutin (15) ou, encore, l'intervention d'un tiers, chargé d'opérations purement matérielles qui n'avait affecté ni la sincérité ni la loyauté des élections (16).

II - L'adaptation de la Cour de cassation au contexte nouveau issu de la loi du 20 août 2008

  • Intérêt de la décision

Cet arrêt en date du 13 janvier 2010 montre à la fois l'impact de la loi du 20 août 2010 sur le contenu du droit électoral, qui s'adapte pour répondre au nouveau rôle joué par les élections professionnelles, et livre une nouvelle illustration d'incident qui, affectant le déroulement du scrutin, doit conduire à son annulation sans qu'il soit nécessaire de prouver qu'il en a faussé le résultat.

L'arrêt se singularise, en premier lieu, par le caractère inédit de l'attendu de principe, aux termes duquel, "à moins qu'elles soient directement contraires aux principes généraux du droit électoral, les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections ou depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 si, s'agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise, ou du droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical".

Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, "les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation" que dans deux cas de figure, soit lorsqu'elles sont contraires aux dispositions du Code du travail ou aux principes généraux du droit électoral (17), auquel cas la nullité doit être prononcée sans égard à leur incidence réelle sur le résultat du scrutin, soit il ne s'agit que de "simples" "irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin", qui "ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections" (18).

Il faudra ajouter au second cas de figure, dans le prolongement de la réforme intervenue le 20 août 2008, l'hypothèse où, "s'agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise, ou du droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical".

  • Une formule à approuver

La solution retenue et ainsi formulée mérite pleinement approbation, car elle exprime la nouvelle fonction "syndicale" du premier tour des élections professionnelles, qui servent à mesurer l'audience des syndicats et des candidats pour déterminer la représentativité du syndicat et la légitimité du candidat. La formule suggérée invite donc le juge à observer la variation du résultat imputable à l'irrégularité, non constitutive d'une violation des principes généraux du droit électoral, même s'il sera parfois délicat de l'observer lorsqu'elle tiendra à des facteurs étrangers aux bulletins de vote. Mais on peut penser que, dans ces hypothèses litigieuses, l'élection sera annulée lorsque l'un des syndicats, ou l'un des candidats, sera proche des 10 %, et pourrait bien soit avoir indument profité de l'irrégularité, soit, au contraire, lorsqu'il risquera d'en avoir subi les conséquences.

  • Mise en oeuvre de la nouvelle formule

Reste à examiner comment la Cour de cassation a fait application de ces nouvelles consignes aux faits de l'espèce.

Dans cette affaire, les élections professionnelles avaient eu lieu le 13 mars 2009 et relevaient donc de plein droit des dispositions de la loi du 20 août 2008. Le 9 mars, la CFTC avait retiré la candidature d'une salariée cadre dans le collège non cadre aux élections des délégués du personnel titulaires alors que les opérations de vote par correspondance étaient engagées. Critiquant diverses irrégularités dans le déroulement du scrutin et, notamment, les conditions de présidence des quatre bureaux de vote pour l'élection des délégués du personnel et des membres du comité d'établissement, titulaires et suppléants, ainsi que les conditions de dépouillement des résultats, le syndicat CFDT santé sociaux du Rhône avait saisi le tribunal d'une demande en annulation de ces scrutins.

Cette demande avait été rejetée. Selon le tribunal d'instance, en effet, ni le retrait du nom d'un candidat, présenté par erreur par le syndicat CFTC, de la liste de ses candidats aux élections de délégués du personnel dans le collège non cadre, postérieurement au début des opérations de votes par correspondance, alors qu'il n'a eu aucun élu, ni l'absence de désignation d'un président dans l'un des bureaux de vote n'affectent la validité du scrutin dès lors que la preuve n'est pas rapportée que ces irrégularités ont exercé une influence sur le résultat des élections.

Ce jugement est cassé, de surcroit sans renvoi, la Cour de cassation relevant "que les irrégularités constatées étaient directement contraires aux principes généraux du droit électoral et affectaient le déroulement du scrutin, de sorte qu'il n'avait pas à s'interroger plus avant".

Pour reprendre la classification opérée par la Cour, ces incidents relevaient de la première catégorie, celle qui donne lieu à annulation dès lors qu'elles sont directement contraires aux principes généraux du droit électoral, et non de la seconde qui doivent avoir exercée une influence prouvée sur le résultat du scrutin.

Ce faisant, la Haute juridiction confirme les termes d'une précédente décision, par laquelle elle avait jugé que l'absence de désignation d'un président dans l'un des bureaux de vote devait entraîner l'annulation du scrutin "en raison de l'importance de ses attributions [qui] compromet dans son ensemble la loyauté du scrutin" (19).

La Cour considère également que le retrait du nom d'un candidat, présenté par erreur par le syndicat CFTC, de la liste de ses candidats aux élections de délégués du personnel dans le collège non cadre, postérieurement au début des opérations de votes par correspondance, constitue une irrégularité devant entraînant la nullité du scrutin, en ce qu'il contrarie un principe général du droit électoral, et ce sans qu'il soit nécessaire de prouver que ce retrait a pu influencer le résultat.

  • Une solution indiscutable

La solution est incontestable. L'article R. 100 du Code électoral (N° Lexbase : L3724HT4), qui constitue la source des principes généraux qui s'appliquent aux élections professionnelles, dispose, en effet, que "les candidatures ne peuvent être retirées que jusqu'à la date limite fixée pour le dépôt des candidatures". Le retrait tardif constitue alors une contravention à ce principe général qui justifie pleinement l'annulation de l'élection.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ). Voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale.
(2) V. notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317, préc..
(3) Rappelons que ce volet de la loi s'applique aux entreprises dont des les élections professionnelles ont été organisées sur le fondement de la loi nouvelle, la date déterminante étant celle de l'invitation à négocier le protocole préélectoral, qui doit être postérieur à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Les dispositions modifiant les conditions de validité des accords et conventions d'entreprises (minorité de 30 %) sont, en revanche, applicables dans les entreprises depuis le 1er janvier 2009.
(4) Il s'agit ici d'établir la représentativité syndicale, la légitimité des délégués syndicaux et la validité des accords collectifs.
(5) Rappelons que la mesure de l'audience des syndicats dans les branches et au niveau national et interprofessionnel s'appuie sur les résultats électoraux dans les entreprises.
(6) Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.509, M. Pascal Perrier c/ Banque Neuflize Schlumberger Mallet Demachy (NSMD), F-P+B (N° Lexbase : A3757DEU) ; Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-60.298, Syndicat Unsa Accenture c/ Société Accenture, F-D (N° Lexbase : A3799DPE).
(7) Cass. civ. 2, 28 mai 2003, n° 03-60.032, Préfet du Haut-Rhin c/ M. Khier Gharzouli, F-P+B (N° Lexbase : A6894CKK).
(8) Cass. soc., 23 mai 2000, n° 98-60.526, Syndicat CFDT-Métaux du pays d'Aix c/ Société Eurocopter Entreprises de Marignane et autres, inédit (N° Lexbase : A1668CZS).
(9) Cass. soc., 13 février 2008, n° 07-60.097, Société Sopafom, F-P+B (N° Lexbase : A9338D4M).
(10) Cass. soc., 20 avril 2005, n° 04-60.250, Syndicat CFE-CGC c/ UTICFDT, F-D (N° Lexbase : A9766DH8).
(11) Cass. soc., 18 décembre 2000, n° 00-60.033, Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes, (CARPIMKO) c/ Union des professions de santé libérales et autres (N° Lexbase : A8648AYX).
(12) Cass. soc., 5 juillet 2000, n° 99-60.345, M. Jean-Pierre Evraere c/ M. Manuel Rocamora, inédit (N° Lexbase : A0829CNZ).
(13) Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-60.404, Union locale CGT de la Seyne-sur-Mer et Ouest Var, F-D (N° Lexbase : A6432D94).
(14) Cass. civ. 1, 19 juin 2008, n° 07-12.671, M. Alain Roth, F-D (N° Lexbase : A2187D9U).
(15) Cass. soc., 12 juin 2002, n° 01-60.668, Société La Rectification industrielle c/ M. Serge Thermeau, F-D (N° Lexbase : A8853AYK).
(16) Cass. soc., 6 juin 2002, n° 00-60.488, Mme Michèle Lucchini, épouse Jourdan c/ Crédit commercial de France (CCF), FS-P (N° Lexbase : A9243AXM).
(17) Cass. soc., 20 octobre 1999, n° 98-60.405, Syndicat libre unité action (SLUA) c/ Société Le Nickel, société anonyme et autres, inédit (N° Lexbase : A7938CXB) ; Cass. soc., 25 septembre 2001, n° 00-60.162, Mme Chantal Chevallier (N° Lexbase : A1079AWU).
(18) En ce sens, Cass. soc., 10 mars 1983, n° 82-60.352, Dame Blanc c/ Entreprises Guichard-Perrachon et Compagnie, publié (N° Lexbase : A8929CGS) ; Cass. soc., 13 mars 1985, n° 84-60.608, Société Efi c/ Union des syndicats chrétiens d'employés techniciens (N° Lexbase : A3286AAX).
(19) Cass. soc., 13 février 2008, n° 07-60.097, préc..


Décision

Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 09-60.203, Syndicat CFDT santé services sociaux 69 c/ Société Biomnis, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3135EQ8)

Cassation sans renvoi TI Lyon, contentieux des élections professionnelles, 29 avril 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD), L. 2314-24 (N° Lexbase : L3759IBT) et L. 2314-5 (N° Lexbase : L2587H9P) et les principes généraux du droit électoral

Mots clef : élections professionnelles ; irrégularités ; sanctions

Lien base : (N° Lexbase : E1686ETM)

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