Réf. : Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-42.755, M. Alain Foucart c/ Société Distrimusic international, F-P+B (N° Lexbase : A1676EPR)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Décision
La proposition d'une modification du contrat de travail, que le salarié peut toujours refuser, ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement. Ce dernier est donc tenu de proposer au salarié dont le licenciement est envisagé tous les emplois de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure, sans pouvoir limiter ses offres en fonction de la volonté présumée de l'intéressé de les refuser. |
I - Modification du contrat de travail et difficultés économiques
Lorsqu'une entreprise est dans une situation économique difficile, l'employeur est en mesure de procéder à des suppressions d'emploi, conduisant à des licenciements pour motif économique. Cet enchaînement n'a cependant rien d'inéluctable. Le redressement de l'entreprise peut, en effet, passer, dans un premier temps, par des modifications des contrats de travail acceptées par les salariés. L'arrêt rapporté fournit une illustration de cette situation.
Confrontée à d'importantes difficultés financières lui imposant des mesures drastiques pour assurer sa pérennité, une société avait proposé à l'ensemble de son personnel commercial une modification du système des commissions destinée à réduire ses charges sociales. Cette modification, qui relevait à l'évidence de la catégorie des modifications du contrat de travail (1), ne pouvait, de ce fait, être imposée aux salariés. L'un d'entre eux l'ayant refusé, il avait été licencié. Cette issue n'a évidemment rien de surprenant dès lors que l'employeur, confronté au refus d'un salarié d'une modification de son contrat de travail, n'a d'autre choix que de renoncer à celle-ci ou de licencier le salarié (2).
Dans la mesure où la modification trouve son origine dans les difficultés économiques rencontrées par l'entreprise, le licenciement consécutif au refus, qui ne saurait y trouver sa cause, relève de la catégorie des licenciements économiques, conformément aux prescriptions de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) (3). L'employeur se doit donc de respecter les règles applicables à ce type de licenciement et, au premier chef, l'obligation de reclassement prévue par l'article L. 1233-4 (N° Lexbase : L1105H9S).
Un employeur ne saurait licencier un salarié pour motif économique, du moins de manière licite, sans respecter au préalable son obligation légale de reclassement. Ainsi que l'exige l'alinéa 2 du texte précité, "le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure".
Cette disposition, qui ne fait que retranscrire l'obligation pour l'employeur d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, commande que celui-ci offre d'abord au salarié un emploi de même catégorie ou un emploi équivalent, c'est-à-dire un emploi qui n'emporte pas une modification du contrat de travail (4). Ce n'est qu'à défaut que l'employeur est en mesure de proposer un poste de catégorie inférieure ou, plus largement, un emploi impliquant une modification du contrat de travail.
Le salarié peut donc être confronté à une double modification de son contrat de travail, la première consécutive aux circonstances économiques affectant l'entreprise, la seconde découlant du respect par l'employeur de son obligation de reclassement. Mais, et c'est l'enseignement de l'arrêt rapporté, le refus opposé par le salarié à la première modification ne peut dispenser l'employeur du respect de son obligation de reclassement, alors même qu'elle emporte une modification identique à la première.
II - Refus d'une modification du contrat de travail et obligation de reclassement
Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, "la proposition d'une modification du contrat de travail que le salarié peut toujours refuser, ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement". Cette solution ne constitue pas, loin s'en faut, une nouveauté (5). Difficile à appréhender en tant que telle, cette solution se comprend beaucoup mieux dès lors qu'on la rapporte aux faits de l'espèce.
Le salarié licencié à la suite du refus de la modification de son contrat de travail (6) avait saisi la juridiction prud'homale afin de contester la validité de son licenciement. Pour dire que ce dernier avait une cause réelle et sérieuse et le débouter de sa demande d'indemnité, l'arrêt attaqué avait énoncé que, s'il existait, selon l'annonce publiée fin novembre 2005 dans la presse locale, des emplois disponibles de commerciaux à pourvoir, le reclassement du salarié dans l'entreprise ne pouvait se faire qu'aux nouvelles conditions proposées par l'employeur conformément au projet d'avenant n° 8. Le salarié ayant refusé ces nouvelles conditions, son reclassement était impossible.
L'arrêt est, de ce point de vue (7), censuré par la Chambre sociale au visa de l'article L. 1233-4 du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, "en statuant comme elle a fait, alors que l'employeur étant tenu de proposer au salarié dont licenciement était envisagé tous les emplois disponibles de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure sans pouvoir limiter ses offres en fonction de la volonté présumée de l'intéressé de les refuser, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
La censure opérée par la Cour de cassation pouvait apparaître inéluctable si l'on a égard au fait que les juges d'appel avait relevé au fond que l'employeur n'avait fait aucune proposition de reclassement au salarié licencié, alors qu'ils avaient relevé que des postes disponibles existaient dans l'entreprise. Mais on comprend le raisonnement suivi par ces mêmes juges du fond, lorsque l'on a égard au fait que le reclassement dans ces emplois ne pouvait se faire qu'aux "nouvelles conditions" proposées par l'employeur, c'est-à-dire moyennant une modification du système des commissions que le salarié avait précisément refusé dans un premier temps, ce qui avait entraîné son licenciement.
Ce raisonnement ne peut, cependant, être admis, dans la mesure où, ainsi que le relève la Cour de cassation, il conduit à présumer que le salarié refusera les postes proposés. Un tel refus n'a cependant rien d'inéluctable. Ce n'est pas la même chose de refuser une modification du contrat de travail et de décliner une proposition de reclassement impliquant une modification, serait-elle identique à la première. La décision prise par le salarié n'intervient pas dans les mêmes circonstances. Lorsque le salarié s'oppose à une modification de son contrat de travail décidée en raison de circonstances économiques, le licenciement n'est pas encore décidé, même s'il est envisageable. En revanche, lorsqu'une proposition de reclassement est faite au salarié, le licenciement a bel et bien été décidé, même si, moyennant l'acceptation du poste proposé, il pourra être évité. En outre, admettre le raisonnement retenu par les juges du fond dans l'affaire sous examen revient à dispenser l'employeur du respect de son obligation de reclassement ; ce qui ne peut être toléré.
Cette solution doit être appliquée également lorsque, consécutivement à une réorganisation de l'entreprise décidée pour sauvegarder sa compétitivité, l'employeur propose au salarié un poste impliquant une modification de son contrat de travail. Si le salarié la refuse et que l'employeur opte pour le licenciement, il doit respecter son obligation de reclassement, alors même qu'elle le conduit à proposer le poste refusé.
Décision
Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-42.755, M. Alain Foucart c/ Société Distrimusic international, F-P+B (N° Lexbase : A1676EPR) Cassation partielle de CA Rennes, 5ème ch. prud'homale, 1er avril 2008 Texte visé : C. trav., art. L. 1233-4 (N° Lexbase : L1105H9S) Mots-clefs : modification du contrat de travail ; refus ; licenciement pour motif économique ; obligation de reclassement ; respect Lien base : (N° Lexbase : E9308ESK) |
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