La lettre juridique n°375 du 10 décembre 2009 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Décembre 2009

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N5942BMZ

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ont été sélectionnés, ce mois-ci, trois arrêts rendus pas la Chambre commerciale de la Cour de cassation : alors que le premier arrêt, en date du 17 novembre 2009, apporte une précision intéressante sur les conséquences de la dissimulation volontaire au liquidateur judiciaire de l'existence d'une créance sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 ; les deux autres arrêts, rendus dans le cadre de la même affaire le 3 novembre 2009, reviennent sur la cession de créance, le report d'exigibilité et la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

  • La conséquence de la dissimulation volontaire au liquidateur judiciaire de l'existence d'une créance (Cass. com., 17 novembre 2009, n° 07-21.157, FS-P+B N° Lexbase : A1496EP4)

Tant sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR) que sous celui de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le débiteur doit, à l'ouverture de la procédure collective, remettre au mandataire judiciaire (anciennement dénommé représentant des créanciers) ou au liquidateur judiciaire la liste de ses créanciers. Ces organes adressent alors aux créanciers connus, au rang desquels figurent les créanciers de cette liste, l'avertissement d'avoir à déclarer les créances.

Il est classique qu'un débiteur peu scrupuleux omette volontairement de faire figurer certains de ses créanciers sur cette liste, ce qui va conduire à l'absence d'avertissement d'avoir à déclarer les créances. Cette tentation était d'autant plus forte, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, que l'absence de déclaration de la créance au passif entraînait l'extinction de celle-ci. Un intéressant arrêt, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 novembre 2009, a trait aux conséquences de cette dissimulation volontaire par le débiteur de l'existence d'une créance.

Au regard des faits de l'espèce, régie par les dispositions de la loi du 25 janvier 1985, un débiteur avait omis de faire figurer l'un de ses créanciers sur la liste remise au liquidateur judiciaire, de sorte que, non averti d'avoir à déclarer, le créancier avait subi l'extinction de sa créance par suite de son absence de déclaration au passif. Quelques temps après le prononcé de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, le créancier a assigné le débiteur en paiement de dommages-intérêts représentant l'équivalent de sa créance éteinte. La cour d'appel (CA Rennes, 18 septembre 2007) avait fait droit à cette demande sur le fondement des articles 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) et L. 622-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L7027AI4) dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005.

Sur le pourvoi formé par le débiteur, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 1382 du Code civil. Cette décision des Hauts magistrats revêt un double intérêt. D'une part, elle énonce clairement le fondement sur lequel le créancier peut exercer son action à l'encontre du débiteur et, d'autre part, elle précise le montant auquel le créancier peut prétendre au titre de l'exercice de cette action.

Pour condamner le débiteur, l'arrêt de la cour d'appel visait l'article 1382 du Code civil mais faisait également référence à l'article L. 622-32 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (devenu C. com., art. L. 643-11 IV N° Lexbase : L3338ICM). La Chambre commerciale constate que la cour d'appel a fait une "référence erronée mais surabondante à l'article L. 622-32 du Code de commerce", texte qui permet aux créanciers antérieurs à l'ouverture de la procédure collective de reprendre leur droit de poursuite individuelle à l'encontre du débiteur lorsque ce dernier a commis une fraude.

La sanction du débiteur qui a dissimulé l'existence de l'un de ses créanciers ne pouvait pas être prononcée sur ce fondement. L'application des exceptions posées par l'article L. 622-32 -notamment celle fondée sur la fraude du débiteur- présuppose, en effet, que le créancier antérieur, qui souhaite reprendre son droit de poursuite individuelle, ait déclaré sa créance et, en cas de vérification de celle-ci, qu'il ait été admis (1). Comment, en effet, un créancier dont la créance est éteinte pourrait-il prétendre à la reprise de ses poursuites alors qu'il n'est plus créancier du fait de l'extinction, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, de sa créance non déclarée ? La fraude du débiteur, qui a volontairement dissimulé l'existence de l'un de ses créanciers, ne permet pas de tenir en échec l'extinction de la créance non déclarée. Ainsi avait-il été jugé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qu'une créance éteinte ne pouvait justifier une reprise des poursuites individuelles au motif de la fraude commise par le débiteur (2).

En cas d'extinction de la créance, la poursuite du débiteur ne peut intervenir, comme le souligne la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté, que sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (3). La fraude du débiteur, auteur d'une dissimulation volontaire, est donc sanctionnée sur le terrain de la responsabilité délictuelle. Dès lors que la dissimulation frauduleuse est nécessairement postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, la créance de dommages-intérêts qui en découle a également, ainsi que l'a souligné un auteur (4), une nature postérieure. En conséquence, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, cette créance est couverte par les dispositions de l'article L. 621-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L6884AIS), de sorte qu'elle peut être recouvrée par le créancier qui n'est pas soumis aux sujétions subies par les créanciers antérieurs.

La solution est-elle différente sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises ?

Le contexte législatif est profondément modifié par la suppression de l'extinction de la créance attachée à l'absence de déclaration.

Désormais, le défaut de déclaration de la créance entraîne l'impossibilité pour le créancier de participer aux répartitions ou de percevoir des dividendes (cf., C. com., art. L. 622-26, al. 1er N° Lexbase : L2534IEL). Puisque la créance non déclarée n'est plus éteinte, le créancier pourra, après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif, reprendre l'exercice de ses poursuites individuelles dès lors que celles-ci sont possibles. Ainsi, sur le fondement de l'article L. 643-11 IV du Code de commerce, le créancier, victime d'une fraude, pourra reprendre ses poursuites individuelles contre le débiteur, personne physique, nonobstant la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif. Cette reprise des poursuites individuelles constitue assurément une sanction à l'égard du débiteur qui sera poursuivi par son créancier en recouvrement de l'intégralité de sa créance.

Sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, l'intérêt que peut trouver le débiteur à dissimuler l'un de ses créanciers n'apparaît plus avec la même évidence. La question se pose donc de savoir si le fait de dissimuler volontairement l'existence d'une créance au mandataire judiciaire ou au liquidateur demeure constitutif d'une fraude à l'égard du créancier. La réponse pourrait sembler négative dès lors, d'une part, que l'absence de déclaration de la créance n'entraîne plus l'extinction de celle-ci et que, d'autre part, l'omission volontaire du débiteur constitue désormais un cas autonome de relevé de forclusion (5). En effet, le nouvel article L. 622-26, alinéa 1er, du Code de commerce prévoit que le juge-commissaire relève de la forclusion les créanciers qui établissent que leur défaillance est due à une "omission volontaire du débiteur". La dissimulation intentionnelle peut donc désormais être utilisée comme un motif de relevé de forclusion, à condition toutefois que l'action en relevé de forclusion soit introduite dans les délais. Or, le délai classique de relevé de forclusion a été considérablement réduit depuis l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 puisqu'il est passé de un an à six mois à compter de la publication du jugement d'ouverture (C. com., art. L. 622-26, al 3).

Si le créancier n'a pas introduit l'action en relevé de forclusion à temps, il peut songer à assigner le débiteur en responsabilité et solliciter l'octroi de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Cependant, cette action ne lui sera d'aucune utilité. En effet, cette créance de dommages-intérêts sera une créance postérieure mais assimilée à une créance antérieure. Elle ne bénéficiera donc pas du traitement préférentiel octroyé par les articles L. 622-17 (N° Lexbase : L3493ICD) et L. 641-13 (N° Lexbase : L3405IC4) puisqu'elle ne sera pas née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ni née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur.

Il restera alors au créancier de tenter d'invoquer la fraude du débiteur, qui sera plus difficile à établir car, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, l'intérêt que peut avoir le débiteur à dissimuler ses créanciers est moins évident qu'auparavant. Si la fraude est retenue, le créancier pourra envisager, après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif, la reprise de l'exercice de son droit de poursuite individuelle au titre de sa créance non déclarée en invoquant précisément "la fraude à l'égard d'un ou de plusieurs créanciers" visée à l'article L. 643-11 IV du Code de commerce.

Il y a un autre intérêt pour le créancier à choisir comme fondement de son action les dispositions de l'article L. 643-11 IV du Code de commerce plutôt que celle de l'article 1382 du Code civil. En effet, la hauteur du droit de reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif sur le fondement de l'article L. 643-11 IV du Code de commerce trouve comme seule limite le montant de la créance que le créancier n'a pas déclarée par suite de la faute constitutive de la fraude du débiteur. En revanche, si le créancier poursuit le débiteur sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la poursuite est nécessairement limitée au montant du préjudice subi par le créancier non déclarant qui est classiquement nettement inférieur à celui de la créance non déclarée. Il s'agit là du second point souligné par l'arrêt du 17 octobre 2009.

Après avoir constaté que le débiteur avait commis une faute constitutive d'une fraude engageant sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, l'arrêt de la cour d'appel avait retenu que les créanciers étaient en droit d'obtenir à titre de dommages-intérêts le paiement de l'équivalent de leur créance éteinte par la fraude du débiteur. Cependant, l'arrêt de la Chambre commerciale énonce qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, dès lors que le montant des dommages-intérêts doit être égal au préjudice subi par l'auteur de la demande. Le préjudice lié à l'extinction de la créance s'élève non pas au montant de la créance éteinte par la fraude du débiteur mais est égal au montant que le créancier aurait pu percevoir dans le cadre des répartitions. En conséquence, dès lors que la déclaration de la créance n'offre aucun espoir de recouvrement, aucune condamnation à titre de dommages-intérêts ne peut être prononcée à l'encontre du débiteur dont la fraude n'aura pas servi ses intérêts.

Ainsi, la poursuite du débiteur fraudeur sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil doit placer le créancier dans la même situation que celle qui aurait été la sienne s'il avait déclaré sa créance dans les délais ou s'il avait été relevé de forclusion.

En conclusion, il apparaît que, en termes de stratégie contentieuse, il est préférable pour le créancier, victime d'une dissimulation frauduleuse de la part de son débiteur personne physique, de choisir comme fondement de son action le droit de reprise des poursuites individuelles posé à l'article L. 643-11 IV du Code de commerce plutôt que se contenter de se faire relever de la forclusion. En effet, le créancier relevé de forclusion ne pourra prétendre qu'à la perception -souvent hypothétique- de répartitions, alors que la reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure sur le fondement de la fraude du débiteur lui permettra de poursuivre ce dernier à hauteur de l'intégralité du montant de la créance. Rien n'empêche d'ailleurs le créancier d'agir successivement sur ces deux fondements. Dans un premier temps, la dissimulation volontaire du débiteur lui permettra d'être relevé de la forclusion puis admis au passif. Dans un second temps, la dissimulation, si elle s'avère frauduleuse, lui permettra de reprendre ses poursuites après clôture de la procédure.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • Cession de créance, report d'exigibilité et clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif (Cass. com., 3 novembre 2009, deux arrêts, n° 07-14.993, FS-P+B N° Lexbase : A8070EMT et n° 07-15.233, FS-D N° Lexbase : A8071EMU)

La procédure de liquidation judiciaire peut être clôturée de deux façons. La plus courante est la clôture pour insuffisance d'actif. Elle correspond à environ 98 % des clôtures de liquidation judiciaire. Le débiteur ne peut payer l'intégralité de son passif, soit qu'il n'y a plus d'actifs à réaliser, soit que la réalisation de l'actif résiduel est plus coûteuse que ce qu'elle ne rapporterait à la collectivité des créanciers. La procédure de liquidation judiciaire peut également être clôturée sur le constat qu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créances. Il s'agit de la clôture pour l'extinction du passif exigible. La solution résulte de l'article L. 622-30, 1° du Code de commerce (N° Lexbase : L7025AIZ, anciennement loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, art. 167 N° Lexbase : L6562AHI), dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, et de l'article L. 643-9, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L5568HDL), dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, qui indique qu'il y a place à clôture de la liquidation judiciaire "lorsqu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers".

La précision selon laquelle le passif exigible, et non pas simplement le passif, doit ou peut être payé peut surprendre. En effet, la liquidation judiciaire entraîne, par principe, déchéance du terme. L'affirmation n'est toutefois plus complètement exacte depuis la loi de sauvegarde des entreprises, puisque l'article L. 643-1, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3504ICR), dans la rédaction que lui donne l'ordonnance du 18 décembre 2008, dispose que "lorsque le tribunal autorise la poursuite de l'activité au motif que la cession totale ou partielle de l'entreprise est envisageable, les créances non échues sont exigibles à la date du jugement statuant sur la cession ou, à défaut, à la date à laquelle le maintien de l'activité prend fin".

En réalité, la précision selon laquelle l'on raisonne ici sur le passif exigible est importante, car rien n'interdit à un créancier, dont la créance est, au jour du jugement de liquidation judiciaire, exigible, ou l'est devenue par suite de l'ouverture ou du prononcé de la liquidation judiciaire, de renoncer à l'exigibilité de sa créance, en accordant à son débiteur des délais de paiement.

Cette technique, qui consiste pour le créancier à abandonner, non sa créance, mais l'exigibilité de celle-ci, peut-être un instrument particulièrement appréciable pour le débiteur, qui lui évite ainsi, le plus souvent, la vente d'un bien, et spécialement son immeuble d'habitation.

C'est la question au centre de deux arrêts de la Chambre commerciale du 3 novembre 2009.

En l'espèce, une société civile immobilière est placée en liquidation judiciaire. Trois créances sont déclarées à son passif. Une personne physique a réglé l'une de ces créances et a racheté une deuxième créance. Une seconde personne physique a identiquement racheté la troisième créance. Dans ces conditions, la SCI a demandé la clôture de sa liquidation judiciaire pour extinction du passif exigible, entendant ainsi échapper à la vente de l'immeuble qui était sa propriété. Les nouveaux titulaires des créances ont déclaré renoncer à réclamer l'exigibilité de leur créance, ces sommes ne devant être remboursées qu'à l'issue des opérations de liquidation amiable et après cession ferme de l'immeuble de la SCI et encaissement du prix de cession. Quelques jours plus tard, le juge-commissaire devait autoriser la vente de gré à gré de l'immeuble de la SCI. Opposition était formée à l'encontre de cette décision. Le tribunal devait confirmer l'ordonnance. La SCI et les deux nouveaux titulaires des créances devaient alors former un appel nullité en prétendant que le juge-commissaire avait excédé ses pouvoirs, excès de pouvoir confirmé par le tribunal, en autorisant la vente d'un bien en l'absence de passif exigible.

La cour d'appel ne devait pas donner gain de cause aux appelants. Deux pourvois ont alors été formés, le premier par la SCI (n° 07-15.233), le second par les deux titulaires de créances (n° 07-14.993).

Dans le premier pourvoi (n° 07-15.233), il était reproché à la cour d'appel d'avoir rejeté la demande de clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour extinction du passif exigible, alors que les nouveaux titulaires des créances avaient renoncé à l'exigibilité de celle-ci. La particularité de l'espèce tenait non à l'abandon de l'exigibilité de la créance, mais au fait que cet abandon n'émanait pas du créancier originaire, mais du cessionnaire de la créance. Quelle importance objectera-t-on ? Nous allons voir, en réalité, que c'est bien là toute la difficulté, pour la Cour de cassation.

Il importe de rappeler, tout d'abord, que la Cour de cassation a admis précédemment la possibilité pour le créancier d'origine de renoncer à l'exigibilité de sa créance. Rien n'interdit, en effet, au titulaire d'une créance exigible, de reporter l'exigibilité de sa créance (6). Ce report d'exigibilité ne s'analyse pas, selon la Cour de cassation, en une transaction. Il n'est donc pas besoin d'autorisation du juge-commissaire. Il s'agit d'un réaménagement de la dette. Ainsi, le passif exigible par l'effet d'une déchéance du terme intervenue avant jugement d'ouverture ou par l'effet de la liquidation judiciaire devient à terme. Il n'y a donc pas d'obstacle à la clôture par extinction du passif, la demande de clôture s'analysant en un droit propre du débiteur (7). Pour autant, cette clôture n'interdit pas au créancier de demander le paiement au débiteur et à son codébiteur. Il ne peut se réfugier derrière l'autorité de la chose jugée attachée au jugement de clôture par extinction du passif pour prétendre que la créance est éteinte (8). De la même façon, la clôture de la procédure, qui intervient parce que le liquidateur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers, n'a pas autorité de chose jugée quant à l'extinction des créances admises au passif (9).

Cette possibilité pour le créancier d'origine de reporter l'exigibilité de sa créance n'était pas discutée en l'espèce. Il y avait en effet eu une cession de créance et le report d'exigibilité avait été l'oeuvre du cessionnaire de la créance.

Il est admis, ensuite, que l'extinction du passif de la liquidation judiciaire permettant la clôture pour insuffisance d'actif puisse être l'oeuvre d'un tiers. Mais, en ce cas, le tiers devra payer en lieu et place du débiteur sans être investi des droits de créancier en lieu et place du créancier payé. Toute cession de créance ou subrogation est donc exclue (10).

C'est la solution reprise, en l'espèce, par la Cour de cassation, dans le second arrêt (n° 07-14.993). Elle affirme que "si les rachats de créances sont établis, ceux-ci ont eu pour effet de produire un changement de créancier et non d'éteindre le passif exigible de la SCI, dans la mesure où [les nouveaux titulaires des créances], qui bénéficient d'une subrogation dans les droits [des créanciers d'origine] ne justifient pas avoir fait un abandon de créance pur et simple".

Si le principe posé par la Cour de cassation ne souffre pas de difficulté, en revanche, il n'est pas véritablement répondu à l'argument avancé par le pourvoi. En effet, si le cessionnaire de la créance ou celui subrogé dans les droits du créancier d'origine renonce à l'exigibilité de sa créance, en octroyant au débiteur des délais de paiement, alors il n'y a plus de créance exigible. Peu importe, dans ces conditions, que le report d'exigibilité soit consenti par le créancier d'origine, par le cessionnaire de la créance ou la personne subrogée dans les droits du créancier. Le constat s'impose : les créances ne sont plus exigibles.

Si les créances, objet de la cession ou de la subrogation sont les seules dans la procédure collective du débiteur, alors, d'évidence, la clôture de la procédure pour extinction du passif peut intervenir. Il ne s'agit pas, en effet, d'une clôture pour extinction du passif, ce qui aurait permis de comprendre la réserve formulée par la Cour de cassation sur le fait que la créance n'ait pas été abandonnée, mais seulement d'une disparition de l'exigibilité du passif.

Ainsi, la solution adoptée par la Cour de cassation ne semble pas pouvoir être approuvée, compte tenu de la confusion commise, nous semble-t-il, entre l'extinction du passif et l'extinction du passif exigible.

Dans cette même affaire, un autre pourvoi en cassation avait été diligenté par la SCI, reprochant à la cour d'appel d'avoir rejeté l'argument tenant à l'excès de pouvoir commis par le juge-commissaire à autoriser la vente de gré à gré de l'immeuble, alors que cette vente était intitule, faute de passif exigible. La Cour de cassation va déclarer irrecevable le pourvoi en considérant que le juge-commissaire n'avait commis aucun excès de pouvoir. Il importe ici, pour la compréhension de la solution, de rappeler que, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, applicable aux faits de l'espèce, les jugements par lesquels il est statué sur les recours formés contre les ordonnances du juge-commissaire ne sont pas susceptibles d'appel. Ce principe est toutefois tenu en échec, mais au seul profit du ministère public, en matière de réalisations d'actifs du débiteur en liquidation judiciaire. Ainsi, en l'espèce, seul le ministère public disposait-il du droit d'interjeter appel à l'encontre du jugement statuant sur le recours formé contre l'ordonnance du juge-commissaire ordonnant la vente de gré à gré de l'immeuble du débiteur. L'appel réformation étant irrecevable, seule subsistait la possibilité d'un appel nullité, ce qui présupposait qu'un excès de pouvoir ait été commis par le juge-commissaire, confirmé par le tribunal. La Cour de cassation, en l'espèce, va déclarer irrecevable le recours nullité, faute d'excès de pouvoir. Elle énonce, en principe de solution, que "le tribunal n'a fait qu'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 622-16 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises en ordonnant la vente de gré à gré de l'immeuble à la SNC S, dès lors que la procédure de liquidation judiciaire n'était pas clôturée".

Certes, il ne peut être discuté qu'aucun texte n'interdit à un liquidateur de vendre l'immeuble d'un débiteur en liquidation judiciaire et, plus généralement, tous les actifs de celui-ci, tant que la procédure n'est pas clôturée. Pour autant, cette affirmation nous semble excessive. La possibilité pour le liquidateur de vendre les actifs du débiteur s'inscrit dans la finalité de la liquidation judiciaire : liquider les actifs, c'est-à-dire les rendre liquides afin de permettre le désintéressement des créanciers. Dès lors qu'il n'est plus question de désintéresser les créanciers, faute de passif exigible, il ne peut plus être davantage d'actualité de continuer à vendre les actifs. A notre sens, le liquidateur sort de sa mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers, dont il a la charge, en continuant à vendre des actifs du débiteur, alors que cette vente est inutile au regard de désintéressement des créanciers de la procédure collective.

Ainsi, dans cette affaire, nous ne pouvons souscrire aux analyses de la Cour de cassation. La généralité de la formule employée, en ce qui concerne la possibilité pour le liquidateur de continuer à vendre des actifs tant que la procédure de liquidation judiciaire n'est pas clôturée ne saurait emporter notre conviction. En outre, la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour extinction du passif exigible, nous semble possible dès lors qu'il n'existe plus, ainsi que l'énoncent les textes, de passif exigible, peu important que le passif existe toujours, et peu important que le report d'exigibilité n'ait pas été l'oeuvre du créancier d'origine, mais d'une personne cessionnaire de la créance ou subrogée dans les droits de ce créancier.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) CA Paris, 8ème ch., sect. B, 11 octobre 2001, D., 2001, AJ 3435 ; v., en ce sens, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2010/2011, n° 592.66.
(2) Cass. civ. 2, 26 juin 2003, n° 01-16.166, M. Pascal c/ Mme Juliette, FS-P+B (N° Lexbase : A9760C8Y), Bull. civ. II, n° 215 ; Act. proc. coll., 2003/17, n° 223 ; Dr. et proc., 2003/6, p. 354, note E. Putman ; LPA, 18 février 2004, n° 35, p. 3, note F.-X. Lucas.
(3) Dans le même sens, Cass. com., 2 mai 2001, n° 98-16.146, Agence de l'eau Adour-Garonne c/ Société Usine de Longchamp (N° Lexbase : A3383ATH), Bull. civ. IV, n° 81, D., 2001, AJ 1725, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2001, chron. 1470, n° 10, obs. Ph. Pétel, Act. proc. coll., 2001, n° 119, obs. C. Régnaut-Moutier ; Cass. com., 14 janvier 2004, n° 01-01.728, M. Christian Poignand de La Salinière c/ M. Jean-Jacques Joly, F-D (N° Lexbase : A8636DA4), obs. de P.-M. Le Corre, La fraude et la reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif , Lexbase Hebdo n° 112 du 18 mars 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N0877AB4) ; Cass. com., 15 février 2005, n° 02-13.814, Société Cegelec Sud-Est c/ Société Soudures et applications électriques (SEAE), F-D (N° Lexbase : A0947DHK) ; Cass. com., 12 avril 2005, n° 03-20.901, Crédit immobilier de Savoie c/ M. Roger Dutruc, F-D (N° Lexbase : A8732DHU), Gaz. proc. coll., 2005/2, p. 19, obs. D. Voinot, Gaz. proc. coll., 2005/2, p. 25, obs. P.-M. Le Corre.
(4) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 592.66.
(5) Sur le caractère autonome de ce cas de relevé de forclusion, v. Rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 53 et p. 218 ; adde P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 665.53 ; E. Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté, Delmas, 2ème éd., 2007, n° 1109 ; J.-Cl. Com., J. Vallansan, fasc. 2352, Déclaration et admission des créances, éd. 2007, n° 136 et no 158. V., solution implicite, CA Paris, 3ème ch., sect. B, 8 novembre 2007, n° 07/02567, M. Trésorier du Raincy c/ Maître Olivier Chavanne de Dalmassy (N° Lexbase : A8173DZQ), RTDCom., 2008, p. 194, n° 2, obs. A. Martin-Serf.
(6) CA Versailles, 13ème ch., 8 mars 2007, RG n° 06/01077.
(7) Obs. M. Sénéchal, Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 36.
(8) Cass. com., 4 octobre 2005, n° 03-17.619, M. Michel Barth c/ Banque populaire de l'Ouest, F-P+B (N° Lexbase : A7050DKC), Bull. civ. IV, n° 192 ; D., 2005, AJ 2806, obs. A. Lienhard ; D., 2006, somm. 82, nos obs. ; JCP éd. E, 2006, chron. 1006, p. 74, n° 9, obs. M. Cabrillac ; Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 36, obs. M. Sénéchal.
(9) CA Reims, ch. civ., 1ère sect., 9 août 2005, RG n° 04/02177 ; adde, en ce sens, Voinot, n° 673.
(10) CA Bordeaux, 26 novembre 1987, Cah. jurispr. Aquitaine, 1988, 254 ; adde, J.-Cl. Com., J. Vallansan, fasc. 2770, Clôture pour insuffisance d'actif, éd. 2008, n° 21.

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