Réf. : Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008, Société Costimex, F-P+B (N° Lexbase : A1681EPX)
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le renouvellement ou la prolongation de la période d'essai doit résulter d'un accord exprès des parties et exige une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié ne pouvant être déduite de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l'employeur. |
I - Rappel du formalisme exigé en matière de renouvellement de la période d'essai
La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) (3), a sensiblement modifié le régime juridique de la période d'essai en droit du travail. Les règles relatives à son renouvellement n'ont, bien entendu, pas échappé à cette réforme, même si la Cour de cassation avait déjà façonné la plupart des règles aujourd'hui reprises par les articles L. 1221-19 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L8751IAD).
En effet, après avoir longtemps été laissés à la discrétion de la volonté des parties, le renouvellement ou la prolongation de la période d'essai ont été encadrés par la jurisprudence.
D'abord, le renouvellement de la période d'essai doit avoir été envisagé dès l'origine de la relation contractuelle. Cette prévision doit ressortir à la fois de la convention collective de branche applicable à l'entreprise et du contrat de travail du salarié. Il doit donc nécessairement exister une double prévision du renouvellement de l'essai (4). Cette double prévision est désormais reprise aux articles L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3) et L. 1221-23 (N° Lexbase : L8368IA8) du Code du travail.
Ensuite, le renouvellement doit être justifié et ne pas emporter une durée excessive d'essai (5). La durée excessive, qui était autrefois entendue comme une durée déraisonnable, est aujourd'hui plus objectivement délimitée par le Code du travail, qui fixe des durées maximales d'essai, renouvellement compris (6).
Enfin, si ce renouvellement a bien été anticipé et que la durée en est raisonnable, il faudra encore que la volonté de chacune des parties de renouveler l'essai soit réitérée avant l'échéance de la période d'essai initiale. Le consentement du salarié au renouvellement de l'essai doit être exprès, comme l'a rappelé à de nombreuses reprises la Cour de cassation (7).
C'est de cette manière que la Cour de cassation refusa l'accord tacite par le silence du salarié, appliquant le principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation (8) ou l'accord tacite du fait que le salarié avait poursuivi son travail sans protestation (9). Allant plus loin encore, la Cour de cassation sanctionna le mécanisme de tacite reconduction utilisé pour renouveler de façon automatique l'essai (10) et proscrivit la décision unilatérale de l'employeur de renouveler la période d'essai (11).
Si l'accord entre l'employeur et le salarié devait être exprès, on pouvait encore se demander si cet accord devait revêtir un formalisme particulier. La Cour de cassation avait déjà partiellement répondu à cette question en jugeant que l'accord donné par le salarié doit être exprès et que, par suite, la simple signature au bas d'une note d'évaluation ne pouvait suffire à caractériser cet accord (12). Le formalisme du renouvellement de la période d'essai est donc très surveillé par la Chambre sociale, comme en témoigne, une nouvelle fois, l'espèce sous examen.
Un salarié avait été engagé en qualité de responsable de l'administration et de la gestion en 2003, son contrat de travail prévoyant une période d'essai de trois mois renouvelable une fois. La question de la double prévision du renouvellement, à la fois par le contrat de travail et la convention collective, ne semblait pas faire difficulté. En revanche, c'est la manière dont le salarié donna son accord au renouvellement qui mit le feu aux poudres.
En effet, deux jours avant l'expiration de la période d'essai initiale, l'employeur présenta au salarié une lettre faisant état de l'accord auxquels les parties étaient parvenues de renouveler la période d'essai pour une durée de trois mois supplémentaires, lettre que le salarié contresigna. Durant le renouvellement de la période d'essai, l'employeur rompit le contrat de travail. La cour d'appel saisie de cet affaire estima que l'acceptation du salarié du renouvellement de la période d'essai était équivoque, si bien que le renouvellement n'était pas valable et que la rupture du contrat de travail devait s'analyser comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Par l'intermédiaire d'un chapeau interne à l'arrêt rendu, la Chambre sociale rappelle que "le renouvellement ou la prolongation de la période d'essai doit résulter d'un accord exprès des parties et exige une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié". Il en découle que cette manifestation de volonté ne pouvait "être déduite de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l'employeur".
II - Caractère excessif du formalisme exigé en matière de renouvellement de la période d'essai
Par cette décision, la Cour de cassation ne paraît faire que rappeler son exigence de voir les parties formuler leur volonté de renouveler la période d'essai de manière expresse. La règle selon laquelle la manifestation de volonté devait être claire et non équivoque est, en effet, depuis longtemps affirmée par la cour, il n'y a donc, à première vue, rien de nouveau dans cette solution. La Chambre sociale persiste dans sa tendance à exiger un formalisme accru en matière de renouvellement de l'essai.
Si la règle est donc classique, la conséquence que la Cour de cassation en tire ne laisse, cependant, pas indifférent. En effet, la formule générale utilisée par la Cour de cassation nous semble périlleuse en ce qu'elle pourrait, potentiellement, mettre à mal la quasi-totalité des renouvellements de périodes d'essai.
Deux interprétations nous semblent pouvoir être retenues de l'affirmation selon laquelle le consentement du salarié ne peut être déduit de l'apposition de sa signature à un "document établi par l'employeur".
A minima, cette affirmation pourrait simplement signifier que les nombreux documents que l'employeur peut être amené à fournir au salarié ne peuvent constituer le support d'un renouvellement. Une fiche d'évaluation du salarié avait déjà été écartée de la sorte. C'est, cette fois, une lettre établie par l'employeur qui est écartée, au motif implicite que la lettre ne matérialisait pas l'accord des parties, mais prenait simplement acte d'un accord verbal intervenu précédemment.
Cette interprétation justifierait alors qu'il soit désormais tout à fait indispensable que les parties concluent un véritable avenant au contrat de travail, dont le seul objet soit le renouvellement de la période d'essai, pour que l'accord du salarié soit jugé comme étant exprès.
Cependant, une autre interprétation a maxima peut être envisagée. Quelle est donc cette catégorie visée par la Cour de cassation de "document établi par l'employeur" sur lequel le salarié appose sa signature ? La Cour de cassation est-elle véritablement dupe du fait que le contrat de travail ou un avenant à celui-ci, prévoyant le renouvellement de la période d'essai, n'est jamais rédigé à quatre mains par l'employeur et le salarié, mais est toujours établi par l'employeur, le plus souvent à partir de modèles fournis par les différents éditeurs juridiques ? La généralité de la formule est donc malheureuse. Interprétée strictement, elle signifierait que la période d'essai ne peut être renouvelée qu'à la condition que le document n'émane pas de l'employeur ou, du moins, pas seulement de l'employeur.
Pour tout dire, il nous semble qu'il y a là une véritable hypocrisie de la Cour de cassation au sujet du renouvellement de la période d'essai. Le renforcement progressif de son formalisme est destiné à limiter le caractère quasi automatique du renouvellement dans bien des cas. Pour autant, l'objectif n'est pas atteint et la Cour de cassation ne parvient pas à endiguer cet automatisme dans la pratique.
La solution aurait été de purement et simplement interdire le renouvellement de la période d'essai, quitte à prévoir la faculté, dès l'origine, de périodes d'essai plus longues tout en respectant le caractère nécessairement raisonnable de cette durée (13). Le renforcement à outrance du formalisme peut alors être vu comme un moyen détourné d'endiguer au maximum les hypothèses de renouvellement de la période d'essai.
Cependant, cette volonté de juguler le recours au renouvellement de la période d'essai va désormais à l'encontre de la volonté du législateur. En effet, si la loi du 25 juin 2008 n'a pas spécifiquement encadré la réitération de la volonté des parties au renouvellement pendant la période d'essai initiale, elle a tout de même introduit dans le Code du travail la possibilité du renouvellement, si bien qu'il paraît désormais aller à l'encontre de l'esprit de la loi de tenter d'empêcher par ce moyen détourné de renouveler l'essai.
Si l'on peut regretter que le législateur n'ait pas plus sérieusement encadré le renouvellement, voire qu'il ne l'ait pas interdit, cela ne permet pas d'avaliser une position de la Cour de cassation qui mène peu ou prou au déni de la reconnaissance législative de la technique du renouvellement de l'essai.
Décision
Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008, Société Costimex, F-P+B (N° Lexbase : A1681EPX) Rejet, CA Colmar, ch. soc., sect. B, 27 mai 2008 Textes visés : néant Mots-clés : période d'essai ; renouvellement ; formalisme ; volonté claire et non équivoque du salarié Lien base : (N° Lexbase : E8903ESK) |
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