La lettre juridique n°375 du 10 décembre 2009 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Quand le caractère exceptionnel du bien à évaluer autorise une entorse aux principes d'évaluation

Réf. : Cass. com., 27 octobre 2009, n° 08-11.362, Directeur général des finances publiques, F-P+B (N° Lexbase : A6056EMA)

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N5900BMH

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par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris

le 07 Octobre 2010

Le propriétaire d'un château avec parc d'agrément et dépendances, utilisé à titre de résidence secondaire, considérait que ce dernier, pour l'assiette de l'ISF, avait une valeur de 1 690 000 francs (soit 257 638 euros). En effet, il avait fait donation à ses enfants, en 1978, de la nue-propriété de ce bien immobilier avec une clause de réserve d'usufruit avec réversion de l'usufruit à son épouse en cas de prédécès et d'une interdiction imposée aux nus-propriétaires d'aliéner et d'hypothéquer le bien pendant la vie de l'usufruitière et de son époux. A la suite d'un contrôle de valeur, le service, pour sa part, retenait une évaluation de 20 000 000 de francs (soit 3 048 980 euros). En réponse aux observations des redevables, ce montant a été ramené à 12 000 000 de francs (1 829 388 euros) pour tenir compte de l'indivision. A la suite du contentieux initié par le redevable, la cour d'appel, après avoir fixé la valeur libre du bien à 12 998 000 francs (soit 1 981 532 euros), avait appliqué successivement un abattement de 20 %, pour le caractère indivis de la nue-propriété, 15 %, pour l'existence d'une réserve d'usufruit et d'une clause d'interdiction d'aliéner et d'hypothéquer durant la vie de l'usufruitière, et 20 % pour tenir compte de l'occupation familiale du château. La Cour de cassation, dans une décision du 27 octobre 2009, promise aux honneurs du Bulletin, casse et annule cet arrêt au motif que l'existence de l'indivision sur la nue-propriété avait été prise en considération par le service des impôts, qui avait appliqué un abattement de 40 %, que la limite à la liberté de disposer de stipulée dans l'acte n'affecte pas la valeur vénale réelle, et, enfin, que seule l'occupation à titre de résidence principale justifie une décote.

1. Réserve d'usufruit et interdiction d'aliéner

Le juge ne pouvait que confirmer sa jurisprudence concernant, d'une part, la règle de l'article 885 G du CGI (N° Lexbase : L8787HLZ), et d'autre part, l'absence d'influence d'une interdiction d'aliéner. En effet, selon une décision récente (Cass. com., 20 mars 2007, n° 05-16.751, F-P+B N° Lexbase : A7392DUC ; lire nos obs. in Chronique de fiscalité du patrimoine, Lexbase Hebdo n° 279 du 1er novembre 2007 - édition fiscale N° Lexbase : N9541BCD), en matière d'ISF, les biens ou droits grevés d'un usufruit sont, sauf exceptions, compris dans le patrimoine de l'usufruitier pour leur valeur en pleine propriété. Cette décision a pour but de faire obstacle à la prise en compte du démembrement pour la détermination de cet impôt et s'oppose à l'application de tout abattement dont l'objet serait de constater une diminution de valeur du bien à raison de l'existence d'une interdiction d'aliéner. Il est vrai que, non sans pertinence, dans l'affaire examinée en 2007, la cour d'appel avait relevé que c'est le donateur qui, d'une part, avait décidé du démembrement, et, d'autre part, avait instauré une clause d'inaliénabilité pesant sur les donataires. L'administration a repris cette décision dans sa doctrine (instruction du 11 septembre 2007, BOI 7 S-4-07 N° Lexbase : X9638ADC).

2. Occupation à titre de résidence secondaire

Que ce soit au regard des droits de mutation à titre gratuit ou au regard de l'ISF, la loi fiscale (CGI, art. 764 bis N° Lexbase : L8133HLS) accorde un abattement de 20 % lorsque le bien transmis, ou détenu, est occupé à titre de résidence principale. Amené à juger de la conformité de la décision de la cour d'appel qui avait accordé un abattement de 20 % pour occupation à titre de résidence secondaire, la Haute juridiction ne manque de relever que seule une occupation pérenne permet de revendiquer cet abattement. En effet, l'utilisation d'un bien en tant que résidence secondaire suppose une occupation intermittente, non permanente. Dont acte.

3. L'"entorse" à la notion de biens comparables au regard des biens indivis

En principe, les éléments de comparaison, justifiant une sous-évaluation, doivent connaître les mêmes contraintes juridiques que le bien à évaluer. En particulier, en cas de bien détenu en indivision, ces éléments de comparaison doivent être tirés de la cession de biens indivis (Cass. com., 4 décembre 2001, n° 98-17.227, FS-D N° Lexbase : A5578AXU). Autrement dit, la valeur vénale de droits indivis diffère de la seule fraction de la valeur vénale totale du bien correspondant à la proportion des droits de l'indivisaire. Pour contester l'évaluation retenue par les parties, l'administration doit invoquer la cession de biens similaires, c'est-à-dire de droits indivis. Cette dernière a intégré cette analyse dans sa doctrine (instruction du 9 septembre 2004, BOI 7 G-6-04 N° Lexbase : X3818ACE : "pour l'appréciation de cette dernière, le caractère indivis de la pleine propriété existant préalablement à la mutation à titre gratuit doit être pris en compte par le choix en termes de comparaison afférents à des biens eux-mêmes indivis"). La solution est identique lorsque c'est le redevable de l'ISF qui entend faire prendre en compte l'indivision par voire d'abattement. Ainsi la Cour de cassation affirme que la valeur vénale d'un bien doit être déterminée de manière concrète et objective, à partir des seuls termes de comparaison tirés de la cession de biens similaires, à la date de la mutation litigieuse ou du fait taxable (Cass. com., 6 mars 2007, n° 05-21.216, F-D N° Lexbase : A5965DUH).

En conséquence de cette jurisprudence, la Cour aurait dû conclure, comme le lui le demandait le redevable, à l'annulation de la procédure concernant l'influence de l'indivision au motif que les termes de comparaison invoqués par le service ne portaient par sur la cession de droits indivis sur un immeuble exceptionnel. Ce qu'elle n'a pas fait à raison de la nature du bien à évaluer, en acceptant implicitement l'application de l'abattement de 40 % effectué par le service. Cette "entorse" au principe concernant la notion de bien similaires semble justifiée par la quasi-impossibilité de trouver des cessions de droits indivis portant sur un château. On attend la confirmation d'un maintien de sa jurisprudence par la Cour s'agissant de biens immobiliers "ordinaires".

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