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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Comprendre le blanchiment pour mieux se prémunir :
Définition : l'article 324-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) définit le blanchiment comme étant "le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens et des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct et indirect". Le texte élargit, encore, la définition : "constitue également le blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit".
Nulle référence n'étant faite à l'intention de celui qui prête son concours, il faut considérer que le blanchiment ne suppose pas l'intention de le commettre. Or, l'avocat, de par son champ d'intervention, est particulièrement exposé aux risques de contribuer, à son insu, à un blanchiment. Ainsi, il conseille ses clients sur toutes les opérations susceptibles de le constituer (listée à l'article L. 561-3 I du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7104IC4). Le blanchiment est, en effet, effectué :
- par le bais de placements (le "prélavage"). Les fonds illicites sont pour la première fois réinjectés dans l'économie légale (investis dans des oeuvres d'arts, des métaux précieux, etc.) ;
- par la dissimulation (le "lavage"), en multipliant les écrans (comptes bancaires, sociétés, etc.) ;
- et par l'intégration finale (l'"essorage"), via des investissements en SCAV, des activités commerciales, etc..
Les risques pour un conseil de tomber sous le coup de sévères condamnations sont donc accrus.
La lutte contre le blanchiment est articulée, de façon cohérente, sur trois niveaux :
- la prévention qui consiste à effectuer des contrôles pour éviter le risque de blanchiment ;
- la déclaration de soupçon, en cas de doute sur la provenance des fonds ;
- et, enfin, la répression.
La prévention : afin de se prémunir contre ces lourdes condamnations, l'avocat doit tout d'abord remplir un certain nombre de diligences. Il doit, notamment, vérifier l'identité de son client et celle du bénéficiaire effectif de la "relation d'affaires" (C. mon. fin., art. L. 561-5 N° Lexbase : L7211IC3). Il vérifie la réalité de celle-ci par des documents écrits probants (carte d'identité, extrait K-Bis, etc.). Il doit, également, recueillir des informations sur la nature et l'objet de la relation d'affaires qui se noue. En réalité, le professionnel doit appréhender cette relation d'affaires dans son intégralité, tout son long. Le décret du 2 septembre 2009 (6) adapte cette obligation de vigilance au risque encouru, distinguant :
- la vigilance "normale" ;
- la vigilance "allégée", lorsque le client est réputé sûr ;
- et la vigilance "renforcée", lorsque le client est chef d'Etat, notamment, ou qu'on ne l'a pas directement rencontré.
La déclaration de soupçon : l'article L. 561-15 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7202ICQ) dispose que les personnes assujetties doivent déclarer "les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme".
Ces règles s'appliquent à tous, sauf dans deux cas. Sont, en effet, exclues les seules activités :
- qui se rattachent à une procédure juridictionnelle (au sens le plus large, incluant, notamment, la médiation, l'arbitrage, etc.) ;
- et les informations recueillies à l'occasion d'une consultation juridique, à moins que le client ne souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment de capitaux.
Déplorant ce trop large champ d'application, François-Xavier Mattéoli s'est, aussi, inquiété de la difficulté de déterminer le moment, précisément, où l'on sort du cadre de la simple consultation et de la stigmatisation par le décret du 30 janvier 2009 (5) de nombreuses activités (informatique, téléphonie, etc.), le texte préférant énoncer des situations, plutôt que fixer un principe. Ces inquiétudes sont partagées par William Feugère, qui en a profité pour dénoncer la multiplication des perquisitions effectuées au sein des cabinets d'avocats.
La répression : le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende, la peine doublant, en application de l'article 324-2 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) (dix ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende), "lorsque le blanchiment est commis en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle" (6).
Le soupçon : l'avocat doit déclarer son soupçon auprès de Tracfin. Le Conseil d'Etat a, en matière bancaire, défini ce soupçon comme l'absence de certitude (7). La formule ne pouvait être plus large et il est fort à parier que la Cour de cassation se rallie à la position de la Haute juridiction administrative.
La question se pose, également, de savoir si l'avocat peut se reposer sur les diligences accomplies par les banques dans le cadre de l'opération en cause. Il n'y aurait, dès lors, plus lieu au soupçon. Bien que la Directive de 2005 permette aux Etats membres de recourir à des tiers pour l'exécution des obligations de vigilance, l'ordonnance du 30 janvier 2009 n'a pas usé de cette possibilité. Ainsi, chacun se doit d'effectuer ses propres contrôles, sous peine d'engager sa propre responsabilité.
Enfin, l'importance de la CARPA, dans le maniement des fonds, a été soulignée par William Feugère, qui conseille de recourir à ses services aussi souvent que possible, eu égard aux garanties qu'elle offre.
Le rôle des Bâtonniers et des ordres : le dispositif vise à empêcher toute relation directe de l'avocat avec Tracfin, en cas de déclaration de soupçon, faisant du Bâtonnier un filtre. Ainsi, les avocats, quand ils n'agissent pas en qualité de fiduciaire, adressent leur déclaration écrite au Bâtonnier de leur ordre, qui devra vérifier que les conditions d'une telle déclaration sont remplies.
De la même façon, Tracfin ne peut demander à un avocat la communication des pièces qu'il conserve que par l'intermédiaire du Bâtonnier de l'ordre auprès duquel il est inscrit. L'obligation de conservation porte sur les documents attestant du respect des obligations de vigilance quant à l'identité du client et quant à l'opération concernée. Elle s'étale sur une période de cinq ans à compter de la fin des relations, dans le premier cas, et à compter de l'exécution des opérations, dans le second. Ces pièces, quand elles sont demandées, sont communiquées par l'avocat à son Bâtonnier, à charge pour lui de les transmettre à Tracfin, sauf dans l'hypothèse où il estime que cette procédure n'est pas respectée. Le Bâtonnier a un rôle incontournable : Tracfin ne peut enregistrer de déclaration directe.
Enfin, les avocats sont contrôlés par les ordres, qui peuvent être assistés par le Conseil national des barreaux, afin de vérifier le respect de l'ensemble de leurs obligations. En outre, lorsque dans l'exercice de ses missions, l'ordre découvre des faits susceptibles de blanchiment, il doit prévenir le Procureur général, qui lui même informera Tracfin.
Les effets de la déclaration de soupçon : en cas de soupçon, l'avocat doit s'abstenir de poursuivre l'opération jusqu'à ce qu'il ait procédé à la déclaration.
Tracfin dispose, alors, d'un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la déclaration pour s'opposer à l'exécution de l'opération. A défaut, l'opération peut être reprise. Dans l'hypothèse où Tracfin ne répond pas dans le délai accordé, l'avocat a tout de même l'obligation de se déporter, d'autant que l'omission de Tracfin peut être motivée par des raisons stratégiques (la conclusion de l'opération leur permettant d'appréhender les "gros poissons").
L'article L. 561-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7152ICU) pose le principe d'exonération de l'avocat ayant déclaré son soupçon. Ainsi, aucune peine pénale ne sera encourue pour violation du secret professionnel et aucune action en responsabilité civile ne pourra être intentée, ni aucune sanction professionnelle ne pourra être prononcée. Tout préjudice résultant d'une déclaration sera, en fait, dû par l'Etat. Mais, William Feugère croit peu en l'immunité absolue, d'autant qu'en cas de concertation frauduleuse (qui sera très souvent présumée) l'exonération tombe. Il rappelle, enfin, que l'obligation de se déporter subsiste, dès lors qu'un doute existe.
Reste à déterminer si l'avocat est en droit d'informer son client de la déclaration de soupçon. La question est opportune quand le soupçon porte sur la partie dont le professionnel suspicieux n'est pas le conseil. La troisième Directive anti-blanchiment a supprimé cette possibilité. Mais, si l'avocat ne peut pas informer, il peut, pour le moins, dissuader, ce qui lui est conseillé de faire. Des dérogations à la confidentialité existent : peuvent s'informer mutuellement de l'existence d'une déclaration les avocats d'un même cabinet ou d'un même réseau et ceux qui interviennent pour un même client et pour une même opération.
Organisation des cabinets : les textes imposent aux avocats de mettre en place des procédures écrites destinées à assurer une mise en oeuvre efficace des mesures de prévention. Ils doivent, également, assurer, la diffusion de procédures et d'informations régulières à l'ensemble de leurs personnels concernés et la formation de ces derniers.
Dans le cadre de l'obligation de conservation, William Feugère recommande de constituer des dossiers à part, contenant les seuls documents relatifs à l'identité des parties et aux liens d'affaires qui se créent (ce qui n'inclut pas tous les documents d'un dossier).
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