Réf. : Cass. soc., 28 octobre 2009, n° 08-43.251, Mme Nicole Depoilly, F-P+B (N° Lexbase : A6166EMC)
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N3678BM8
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'initiative de la saisine du médecin du travail appartient normalement à l'employeur dès que le salarié, qui remplit les conditions pour en bénéficier, en fait la demande et se tient à sa disposition pour qu'il y soit procédé. Le refus de l'employeur s'analyse en un licenciement. |
I - Rappel et précisions quant au refus d'organiser la visite médicale de reprise du salarié
Lorsque le salarié a été absent de l'entreprise en raison de son état de santé, il bénéficie parfois d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail. Les situations ouvrant droit à cette visite sont énumérées par l'article R. 4624-21 du Code du travail ([LXB=L3918IA]).
L'exigence d'une telle visite de reprise revêt une importance fondamentale aux yeux de la Cour de cassation, qui rattache cette modalité à l'obligation de sécurité de résultat dont l'employeur a la charge (2).
Pour autant, la Cour de cassation n'a jamais été hostile à ce que le salarié puisse, de lui-même, prendre l'initiative de cette visite médicale de reprise (3). Manifestation d'une exécution loyale du contrat de travail, la faculté laissée au salarié de prendre l'initiative de suppléer la carence de l'employeur doit être saluée, même s'il demeure indispensable qu'elle ne dégénère pas en abus (4).
Si la Cour de cassation permet donc au salarié de prendre l'initiative de la visite de reprise, cela ne signifie pas pour autant que l'employeur soit dédouané de son obligation. La visite de reprise relève normalement de son initiative. L'employeur qui manque à cette obligation peut être diversement sanctionné.
D'abord, la Cour de cassation considère que ce manquement cause nécessairement un préjudice au salarié (5). L'emploi de cette formule n'est pas anodin puisque les juges du fond ne pourront refuser aux salariés qui le demandent une indemnisation du préjudice subi du fait de l'inaction de l'employeur.
Ensuite, la Haute juridiction juge que l'absence d'initiative de l'employeur ouvre la possibilité pour le salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail (6). Elle tempère tout de même cette sanction en jugeant qu'un simple retard dans l'organisation de la visite ne comporte pas une gravité suffisante pour justifier la prise d'acte (7). C'est au sujet des effets de l'absence de visite médicale de reprise sur la rupture du contrat de travail qu'était saisie la Cour de cassation dans l'espèce commentée.
Une secrétaire avait été placée en arrêt maladie pendant près de trois ans. La maladie semblait relativement grave puisque la salariée fit l'objet d'un classement en invalidité de 2ème catégorie par la Sécurité sociale (8). Deux mois après la fin de son arrêt de travail, la salariée demandait à son employeur d'organiser la visite médicale de reprise, demande à laquelle l'employeur répondit qu'il organiserait la visite lorsque la salariée aurait repris le travail. A la suite de ce refus, la salariée saisit le juge prud'homal d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.
La cour d'appel saisie du dossier rejette les demandes de la salariée. La cour juge que, tant que la reprise effective du travail n'a pas eu lieu et que la visite de reprise n'a pas été effectuée au plus tard dans le délai de huit jours après la reprise du travail, le contrat de travail demeure suspendu. Or, les juges du fond constatent que l'employeur n'avait pas refusé l'organisation de la visite de reprise, mais l'avait conditionnée à la reprise effective du travail par la salariée. Dans ces conditions, l'absence de reprise du travail était imputable à la salariée et non à l'employeur.
Cette solution est cassée par la Cour de cassation aux visas, d'une part, des articles L. 1132-1 (N° Lexbase : L6053IAG) et L. 1132-2 (N° Lexbase : L0676H9W) du Code du travail, relatifs à la rupture du contrat de travail et, d'autre part, des articles R. 4624-21 (N° Lexbase : L3918IAD) et R. 4624-22 (N° Lexbase : L3915IAA) du Code du travail, relatifs aux conditions de la visite médicale de reprise. Au soutien de cette cassation, la Cour estime que "si, en cas de carence de l'employeur, le salarié peut solliciter lui-même la visite de reprise à condition d'en aviser au préalable l'employeur, l'initiative de la saisine du médecin du travail appartient normalement à l'employeur dès que le salarié qui remplit les conditions pour en bénéficier en fait la demande et se tient à sa disposition pour qu'il y soit procédé". Par conséquent, "le refus de l'employeur s'analyse en un licenciement".
Outre ce rappel, selon lequel le refus de l'employeur d'organiser la visite de reprise permet au salarié d'obtenir la rupture aux torts de l'employeur, l'arrêt apporte quelques précisions sur le moment auquel l'employeur doit prendre l'initiative d'organiser la visite médicale de reprise.
L'arrêt apporte des précisions quant au moment auquel l'employeur doit organiser l'examen du salarié par le médecin du travail. La Chambre sociale semble imposer à l'employeur de prendre l'initiative de cette reprise "dès que le salarié qui remplit les conditions pour en bénéficier en fait la demande et se tient à sa disposition pour qu'il y soit procédé".
Cette formule générale implique d'abord que le salarié remplisse les conditions pour bénéficier de la visite de reprise. Il s'agit là d'un renvoi implicite à la liste des situations prévues par l'article R. 4624-21 du Code du travail. A partir du moment où le salarié n'est plus indemnisé par la Sécurité sociale et que l'arrêt de travail répondait aux causes et aux durées prévues par le texte, le salarié peut faire la demande de bénéficier de la visite de reprise.
Il faut, ensuite, que le salarié se tienne à la disposition de l'employeur pour qu'il soit procédé à cette visite. Ici, rien de nouveau, puisque le respect de l'obligation de subir une visite médicale de reprise s'impose depuis toujours au salarié aussi bien qu'elle s'impose à l'employeur (9). Il est donc normal que l'employeur ne soit pas tenu d'organiser la visite si le salarié refuse de s'y soumettre.
Enfin, il faut que le salarié fasse la demande à l'employeur d'organiser la visite médicale de reprise. Cette solution permettra d'alléger quelque peu l'obligation de l'employeur qui ne pourra être condamné pour s'être abstenu d'organiser la visite de reprise si le salarié ne lui en a pas fait la demande. Pourtant, cette solution n'allait pas de soi puisque la Cour de cassation a toujours jugé que l'initiative de la visite médicale incombait à l'employeur (10), qui devait tout mettre en oeuvre pour qu'elle soit assurée (11). D'une certaine manière, l'initiative de l'organisation de la visite de reprise pourrait, désormais, être partagée : le salarié demande à l'employeur de l'organiser, l'employeur l'organise. Cette précision nous paraît justifiée car l'employeur n'est pas censé être informé que le salarié est disposé à reprendre son travail. Cependant, elle introduit un élément de complexité supplémentaire dans le régime de l'initiative de la visite de reprise, complexité encore amplifiée par l'argumentation adoptée par la Cour de cassation.
II - Refus d'organiser la visite médicale de reprise du salarié : une argumentation complexe
Il convient d'abord de remarquer que la Cour de cassation se prononce extra petita sur la faculté du salarié de prendre l'initiative de la visite médicale, ainsi que sur l'incidence d'un classement en invalidité d'un salarié sur la tenue de la visite médicale de reprise. En effet, ces questions n'avaient pas été soumises à la Cour par le demandeur au pourvoi.
La Cour rappelle pourtant que "le classement d'un salarié en invalidité 2ème catégorie par la Sécurité sociale ne dispense pas" l'employeur d'organiser la visite médicale de reprise. Elle confirme également qu'"en cas de carence de l'employeur, le salarié peut solliciter lui-même la visite de reprise à condition d'en aviser au préalable l'employeur". Répondant à des questions qui ne lui étaient pas posées, la Cour de cassation se prononce donc par obiter dicta. Ces obiter dicta sont d'une nature particulière, puisqu'ils n'annoncent aucun changement de jurisprudence à venir, comme cela est parfois le cas (12). Au contraire, ils reprennent soigneusement des solutions déjà bien établies. Que faut-il comprendre ?
Ces rappels opérés par la Chambre sociale peuvent être compris comme manifestant une volonté de sa part de systématiser les solutions rendues en matière de visite médicale de reprise. En effet, le régime juridique de cette visite médicale est essentiellement jurisprudentiel et a été construit par petites touches successives par la Cour de cassation. Face aux hésitations et aux turbulences qui se manifestent encore fréquemment devant les juridictions du fond sur ces questions, la Cour de cassation réaffirme sa "doctrine" dans l'espoir d'une stabilisation des contentieux au fond.
Pour autant, ces rappels ne paraissent pas très heureux au moment où la Cour semble indiquer que le salarié doit prendre l'initiative de demander à l'employeur d'organiser la visite de reprise. Il aurait paru plus clair de limiter l'argumentation de la Cour au principe selon lequel l'employeur a la charge d'organiser cette visite et de s'abstenir de mentionner l'exception permettant au salarié de prendre lui-même l'initiative de contacter le médecin du travail.
Ensuite, la Cour de cassation confirme une position qu'elle adopte depuis longtemps déjà. En refusant que l'employeur puisse conditionner la visite médicale à la reprise effective du travail, elle juge implicitement que la visite de reprise doit intervenir avant la reprise du travail.
L'argumentation peut, de prime abord, paraître bien sévère. En effet, si l'on analyse les faits, on s'aperçoit que l'employeur n'avait pas formellement refusé de prendre l'initiative d'organiser la visite médicale du salarié, mais l'avait simplement conditionnée à la reprise effective du travail par la salariée. A moins de considérer que la condition adjointe était irréalisable, l'acceptation sous condition ne doit pas être considérée comme constituant un refus. La Cour de cassation considère, malgré tout, que l'employeur avait refusé d'organiser la visite.
En réalité, la Cour de cassation réitère seulement une position qu'elle adopte depuis toujours. Pour la Chambre sociale, seule la visite médicale de reprise met fin à la suspension du contrat de travail (13). Dans ces conditions, le travail ne devrait pas reprendre tant que la visite n'a pas eu lieu puisque le contrat est toujours suspendu. Dans la mesure où le travail ne peut pas reprendre avant la visite, la condition posée par l'employeur était une condition impossible, si bien que son acceptation conditionnée pouvait être interprétée comme un refus.
Là encore, il aurait été autrement plus simple d'affirmer que l'employeur ne peut conditionner l'organisation de la visite à la reprise effective du travail. Pour autant, une formule si simple ne pouvait que difficilement être adoptée tant elle se heurte frontalement à la lettre de l'article R. 4624-22 du Code du travail.
La Cour de cassation adopte implicitement une position contra legem, puisque l'article R. 4624-22 du Code du travail impose que "cet examen a[it] lieu lors de la reprise du travail et au plus tard dans un délai de huit jours". La visite médicale ne devrait normalement pas intervenir avant la reprise, mais à partir de la reprise et dans un délai de huit jours. L'interprétation littérale du texte devrait donc permettre à l'employeur de conditionner l'organisation de la visite à la reprise effective du travail par le salarié. Pourquoi la Cour de cassation adopte-t-elle alors une solution contraire ?
La réponse à cette question trouve probablement sa source dans le premier alinéa de l'article R. 4624-22 du Code du travail, lequel dispose que "l'examen de reprise a pour objet d'apprécier l'aptitude médicale du salarié à reprendre son ancien emploi, la nécessité d'une adaptation des conditions de travail ou d'une réadaptation du salarié ou éventuellement de l'une et de l'autre de ces mesures". L'ensemble de ces objectifs ne peut être atteint que si la visite intervient antérieurement ou concomitamment à la reprise. Finalement, l'ambiguïté née de la confrontation des deux alinéas du texte est réglée par une interprétation téléologique : c'est le but de la mesure qui prend le pas sur la lettre du texte.
Si l'on peut admettre une telle interprétation, la situation s'obscurcit à nouveau lorsque l'on constate que, parfois, la Cour de cassation s'accommode du fait que la visite de reprise intervienne dans un délai de huit jours après la reprise du travail. Si cette possibilité demeure envisageable par application de l'article R. 4624-22, elle place, cependant, les parties dans une situation tout à fait surréaliste. En effet, dans ce cas, le contrat de travail du salarié est suspendu alors que le salarié travaille (14) !
Il devient impérieux que des positions plus claires soient adoptées sur cette question. Si l'on peut regretter que l'Ani du 11 septembre 2009 n'assume pas cette mission, il reste à espérer que la loi, qui aura pour mission de transcrire l'accord, se penche sur l'imbroglio de l'initiative de la visite médicale de reprise.
(1) Protocole d'accord sur la modernisation de la médecine du travail du 11 septembre 2009 et nos obs., L'Ani du 11 septembre 2009 : réforme des services de santé au travail et du rôle préventif du médecin du travail, Lexbase Hebdo n° 364 du 24 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9275BL4).
(2) Cass. soc., 28 février 2006, n° 05-41.555, M. Dany Deprez c/ Société Cubit France technologies, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2163DNG) et les obs. S. Martin-Cuenot, Vers un principe général de sécurité dans l'entreprise ?, Lexbase Hebdo n° 206 du 16 mars 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5665AKZ), Bull. civ. V, n° 87, JCP éd. S, 2006, 1278, p. 27 ; RDT, 2006, p. 24, obs. B. Lardy-Pélissier. V., également, Cass. soc., 9 janvier 2008, n° 06-46.043, Société G Kubas, F-D (N° Lexbase : A2741D3W) et les obs. de Ch. Radé, L'obligation de sécurité de résultat de l'employeur et la visite médicale de reprise, Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8489BDR).
(3) Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 95-40.632, Mme Garofoli c/ M. Ajdonik (N° Lexbase : A2200AAQ).
(4) C'est pour cette raison que la Chambre sociale a posé les limites d'une telle initiative en imposant au salarié, avant la visite de reprise, de se présenter à son travail et d'avertir l'employeur de l'initiative qu'il s'apprête à prendre. V. Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-44.498, M. Jean-François Counil, FS-P+B (N° Lexbase : A9596ECE) et nos obs., Visite médicale de reprise : l'encadrement strict de l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 338 du 19 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5655BIB).
(5) Cass. soc., 10 octobre 1995, n° 91-45.647, Société Canjaere, société de traitement des bois par injection sous pression, société anonyme c/ Mme Francine André, venant aux droits de M. Jean André (N° Lexbase : A0834AA7).
(6) Cass. soc., 18 janvier 2000, n° 96-45.545, Mme Taiclet c/ Société Jullien (N° Lexbase : A4672AG7).
(7) Cass. soc., 16 mai 2007, n° 06-41.468, M. Matthieu Wiel, F-D (N° Lexbase : A2642DWR).
(8) Un tel classement en invalidité ne dispense pas l'employeur d'organiser la visite médicale de reprise, v. Cass. soc., 30 janvier 1991, n° 87-41.967, Mme Brudner c/ M Caminati (N° Lexbase : A4074AGY).
(9) Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 97-45.286, M. Denis Nisi c/ Société Bata Hellocourt, société anonyme (N° Lexbase : A9274ATN).
(10) Cass. soc., 12 mars 1987, n° 84-43.003, Entreprise Leveaux c/ Mme Boggio Bernier (N° Lexbase : A1611ABB).
(11) Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 03-40.893, Société Artisanat Toiture Vigneron c/ M. Grégory Novack, F-P+B (N° Lexbase : A3064DGL).
(12) L'obiter dictum est souvent considéré comme un moyen d'anticiper les revirements de jurisprudence. V. Ch. Mouly, Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ?, LPA, 18 mars 1994, n° 33, p. 15.
(13) Cass. soc., 16 mai 2000, n° 98-42.942, M. Walpole c/ Société Paul Bergeroux (N° Lexbase : A8753AHN).
Décision
Cass. soc., 28 octobre 2009, n° 08-43.251, Mme Nicole Depoilly, F-P+B (N° Lexbase : A6166EMC) Cassation, CA Amiens, ch. soc., 28 mai 2008 Textes visés : C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR) ; L. 1232-2 (N° Lexbase : L1075H9P) ; R. 4624-21 (N° Lexbase : L3918IAD) et R. 4624-22 (N° Lexbase : L3915IAA) Mots-clés : maladie du salarié ; visite médicale de reprise ; initiative de la visite ; refus de l'employeur ; sanction Lien base : ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 46955, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "L'initiative de la visite m\u00e9dicale de reprise", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E3227ETP"}}) |
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