Réf. : Cass. com. 29 septembre 2009, n° 08-16.368, Mme Jennifer Bertrand, épouse Cabanne, agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de ses enfants mineurs, Elora et Florian Cabanne,F-P+B (N° Lexbase : A5844ELZ)
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N3713BMH
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 07 Octobre 2010
Abstract
L'absence d'agrément n'ayant pas permis la transmission des parts sociales d'un GAEC aux ayants droit d'un associé décédé, ces derniers ne peuvent être contraints, par des stipulations statutaires, à présenter un projet de cession aux associés survivants. |
I - La mise en oeuvre des clauses statutaires du GAEC en cas de décès d'un associé
Usant de la possibilité offerte par l'article 1870-1 du Code civil de réserver au groupement le pouvoir d'agréer les héritiers ou légataires de l'associé décédé, les statuts du GAEC (A) avaient utilisé cette faculté, à l'appui d'un ensemble de stipulations prévoyant, en particulier, les conditions de rachat des parts en cas de refus d'agrément. C'est ainsi que le groupement, soulevant l'absence de respect par les héritiers des procédures prévues dans les statuts, avait pu refuser le remboursement de la valeur de leurs parts (B).
A - Des dispositions statutaires supplétives de l'article 1870-1 du Code civil
A la suite du décès de M. C., associé d'un groupement agricole d'exploitation en commun (le GAEC), ses héritiers -en la personne de son épouse Mme B. représentant leurs deux enfants mineurs- obtiennent, en référé, la désignation d'un expert chargé de déterminer la valeur des parts sociales dépendant de la succession. L'expert établit, alors, leur valeur au jour du décès de M. C., à la somme de 109 760 euros. Mme B. n'ayant pas manifesté son souhait de devenir associée du groupement, aucune délibération n'intervient dans le délai de 6 mois prévu à l'article 10.2 1° des statuts, le GAEC se prononçant, toutefois, par une décision plus de 6 mois après le décès, contre l'agrément des ayants droit de l'associé.
Madame B., face au refus du GAEC de lui rembourser la valeur des parts, demande en conséquence au premier juge le paiement de la somme litigieuse assortie des intérêts à dater du jour du décès de son époux. Ce dernier ayant rejeté sa demande, la requérante interjette appel devant la cour de Pau qui confirme le jugement, en s'appuyant sur les stipulations des statuts, supplétives des dispositions de l'article 1870-1 du Code civil.
L'analyse des motifs de la cour d'appel fait, toutefois, ressortir que les statuts en cause usaient de la possibilité d'aménager les dispositions légales au titre de deux textes. Le premier est l'article 1870 du Code civil (N° Lexbase : L2067AB8) qui établit que : "la société n'est pas dissoute par le décès d'un associé mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu'ils doivent être agrées par les associés". Le second est l'article 1870-1 qui prévoit que les héritiers ou légataires qui n'ont pas été agréés "n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur. Cette valeur doit leur être payée par les nouveaux titulaires des parts ou par la société elle-même si celle-ci les a achetés en vue de leur annulation". Le jeu de ces deux dispositions entraînait, ainsi, la mise en oeuvre des statuts du groupement.
Ces dernières établissaient, en l'espèce, un ensemble de stipulations relatives au vote des associés survivants. Leur article 9.2 prévoyait, ainsi, que "toute cession de parts, même entre associés, est subordonnée à l'accord unanime des autres associés, donné dans les conditions suivantes : 1. Le cédant notifie au groupement et à chacun de ses coassociés son projet de cession [...] 4. [lorsque le projet de cession] est rejeté, les associés autres que le cédant sont tenus :
- soit d'acquérir eux-mêmes les parts cédées ;
- soit de les faire acquérir par un ou plusieurs tiers agréés à l'unanimité par eux ;
- soit de les faire racheter en vue de leur annulation par le groupement lui-même qui réduit alors d'autant son capital, cette décision étant également prise à l'unanimité".
La cour d'appel motivait donc son refus de faire droit à la demande de remboursement de la valeur des parts par le GAEC, par le constat que ses associés n'avaient pas rejeté le projet de cession et, qu'ainsi, les survivants n'étaient pas tenus de faire racheter les parts par le groupement.
B - Le non-respect de la procédure statutaire d'agrément, argument clé pour le rejet de la demande de remboursement
La décision du juge du fait trouvait, en réalité, un fondement factuel d'importance, en raison du non-respect, par Mme. B., de la procédure initiale d'agrément inscrite dans les statuts. Leur article 10.2 prévoyait, en effet, que "à la requête de tout associé ou de tout ayant droit de l'associé décédé, le ou les associés survivants doivent, dans les six mois du décès, se prononcer sur l'agrément d'un ou de plusieurs ayants droit". Or, comme l'article 9.2 (précité), établissait, par ailleurs, que "le cédant notifie au groupement et à chacun de ses coassociés son projet de cession", il aurait fallu que Mme B., au regard de ces stipulations (2), ait notifié un projet de cession avant le 31 avril 2001. N'ayant pas respecté ce délai, l'application des stipulations précitées, combinées avec celles de l'article 10.3 des statuts, imposaient, donc, à cette dernière, de "proposer un candidat à la reprise des parts", le remboursement de la valeur desdites parts ne pouvant être envisagée, selon le juge d'appel, qu'en cas de refus d'agrément, sur la foi des statuts.
A cette interprétation stricte des stipulations de l'ordre sociétaire, l'auteur du pourvoi opposait une lecture différente. D'une part, elle s'appuyait sur la combinaison des dispositions des articles 1870-1 et 1134 du Code civil et des articles 9.2 et 10.2 des statuts, pour soutenir que "à défaut de décision" dans le délai de 6 mois sus indiqué, le rachat devait être opéré soit par les associés survivants, soit par un tiers, soit par le groupement selon la procédure prévue à l'article 9.2. Cette interprétation s'appuyait, selon toute vraisemblance, autant sur l'économie de l'alinéa 3 de l'article 1134 qui établit que les conventions "s'exécutent de bonne foi" que sur celle de l'article 1870-1, qui pose le principe du remboursement de la valeur des parts pour les héritiers "qui ne deviennent pas associés".
Il demeure que l'application combinée de ces deux textes ne pouvait, en l'espèce, permettre d'écarter ipso facto la mise en oeuvre des stipulations statutaires. D'abord, en raison du caractère supplétif des règles posées aux articles 1870 et 1870-1 du Code civil qui laissent une large part à la mise en oeuvre de l'ordre sociétaire. Ensuite, parce que le refus d'agrément n'ayant pas été matérialisé dans les formes prescrites, Mme. B., comme les héritiers représentés, ne pouvaient véritablement prétendre se voir refuser la qualité d'associé, condition posée par l'article 1870-1, pour pouvoir obtenir le remboursement de la valeur des parts. L'auteur du pourvoi, en conséquence, n'omettait pas de souligner, à ce titre, que les ayants droit de l'associé décédé "n'avaient pas exprimé le désir de faire partie du groupement".
II - L'application des articles 1870-1 et 1134 du Code civil, justifiée par le caractère inopérant des clauses statutaires
L'argument implicite, issu de l'absence de bonne foi du groupement, pouvait-il prospérer ? On aurait pu en douter. Le GAEC, en effet, en invoquant, à l'appui de l'application stricte des stipulations des statuts, l'impossibilité de faire droit à la demande de remboursement, faute pour Mme B. de pouvoir présenter un cessionnaire, ne se trouvait pas véritablement en contradiction, comme l'avait rappelé le juge d'appel dans son arrêt, avec les dispositions de l'article 1870-1 du Code civil. Le juge du droit, cependant, va retenir une solution plus nuancée que celle du juge du fond : tout en faisant porter son visa sur les articles 1870-1 et 1134, il met en lumière l'impossibilité, pour les ayants cause, de faire jouer les clauses statutaires (A), justifiant, de la sorte, que les stipulations des statuts soient écartées pour violation des articles précités. La question se pose, cependant, de la portée de cette décision en raison du particularisme du fonctionnement des GAEC (B).
A - L'impossibilité de mettre en oeuvre les clauses statutaires
Les motifs de la cour d'appel, tout en reconnaissant aux ayants droit la faculté, consacrée par l'article 1870-1 du Code civil, d'obtenir la valeur des parts de leur auteur, avait pu souligner qu'aucun projet de cession n'ayant été proposé aux associés survivant, ces derniers n'avaient pu ni racheter les parts, ni rejeter l'agrément. Ils n'étaient pas, en conséquence, tenus de faire acquérir les parts par le groupement. Confronté à une situation de blocage incontestable, née d'une rédaction imparfaite des statuts, le juge du fait ne faisait ressortir que l'impossibilité, pour le groupement, de mettre en oeuvre les mécanismes légaux ou statutaires.
La réponse de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en revanche, replace la problématique dans la perspective inverse de celle qui avait été retenue par les juges du fond. Alors que ces derniers, en effet, n'envisageaient que la situation de blocage à laquelle le groupement était confronté, le juge du droit va, lui, mettre en évidence l'impossibilité, pour les ayants droit, de mettre en oeuvre ces mêmes statuts afin d'obtenir le remboursement de la valeur des droits sociaux. Il va, ainsi, dans son dernier attendu, casser l'arrêt pour violation des articles 1870-1 et 1134 du Code civil, précisant que la mise en oeuvre des clauses statutaires ne peut "avoir pour effet d'obliger les ayants droit à présenter un projet de cession portant sur des parts qui, en l'absence d'agrément, ne leur ont pas été transmises".
L'inefficacité de l'article 1870-1 est ainsi levée, face aux clauses statutaires, en raison de l'absence de transmission des parts. En tout état de cause, la solution d'espèce tient, sans doute, à l'agencement fort imparfait des statuts examinés, alors qu'en pratique ces groupements recourent habituellement à l'adoption de statuts-types, solution distinguée par le législateur puisque le choix de ce mécanisme, confère aux sociétés civiles le droit d'être reconnue en tant que GAEC (C. rur., art. L. 323-11 N° Lexbase : L9582HDA, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-637 du 1er juillet 2004, relative à la simplification de la composition et du fonctionnement des commissions administratives et à la réduction de leur nombre N° Lexbase : L7395D7Z) (3) .
B - Une décision limitée à l'agrément des associés d'un GAEC
L'originalité du fonctionnement de GAEC doit, en effet, conduire à interpréter l'arrêt commenté, et plus encore les décisions des juges du fond, au regard du statut particulier qui est celui des associés de ces groupements. Le GAEC, en tant que société civile, obéit, au demeurant, au droit commun des sociétés civiles, mais il y est apporté des dérogations suffisamment importantes pour faire naître le type de difficultés rencontrées en l'espèce. On soulignera, d'une part, le fort intuitu personae qui caractérise ce type de groupement (par exemple, l'obligation faite aux associés du GAEC de participer au travail au commun ou la disposition de l'article L. 323-2 du Code rural N° Lexbase : L3551G9E, qui établit que le travail en commun doit se faire dans des conditions comparables à celui des exploitations de caractère familial). Cet intuitu personae conduit, ainsi, en pratique, à conditionner l'agrément à un vote unanime. On relèvera d'autre part, que le fonctionnement des GAEC exclut, dans à peu près tous les cas, que des mineurs en deviennent associés, les textes établissant que ces derniers doivent tous participer, dans l'égalité, aux responsabilités de la conduite de l'entreprise (l'article L. 323-1 du Code rural N° Lexbase : L3826AEG prohibe même la constitution de tels groupements avec des mineurs). Il apparaît, enfin, que les ayants droit bénéficient d'un statut particulier puisque l'article R. 323-41 du Code rural (N° Lexbase : L6081AEX) dispose que les héritiers d'un associé décédé participent, jusqu'à la décision d'agrément, aux délibérations de l'assemblée générale, avec les voix dont disposait leur auteur.
Le particularisme de la situation des ayants droit pourrait, donc, permettre de souligner la portée limitée de l'arrêt, la nature particulière du GAEC ayant pu, seule, conduire le juge du droit à anticiper d'éventuels problèmes d'agrément. L'interrogation sur la généralisation éventuelle de la solution retenue dans cet arrêt, renverrait, dès lors, à l'unique question de l'extension de cette solution à des situations équivalentes, nées d'une rédaction perfectible des statuts. Il demeure que l'arrêt, rendu au visa de l'article 1134 du Code civil, semble permettre le recours à la notion de bonne foi, combiné avec d'autres dispositions, l'article 1870-1 du Code civil constituant, en l'espèce, grâce au renforcement que lui confère le renvoi aux dispositions de l'article 1134, un rempart contre l'impossibilité de rembourser la valeur des droits sociaux en application d'une interprétation trop stricte des statuts.
(1) Géorgiques, II, 458-459.
(2) Et à défaut d'une saisine des associés survivants qui ne se prononceront que le 16 décembre 2002, soit 13 mois après le décès de l'associé.
(3) Cf. arrêté du 6 août 1990, portant approbation des statuts types concernant les groupements agricoles d'exploitation en commun, JORF n° 205 du 5 septembre 1990 (N° Lexbase : L9049IEU).
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