Réf. : Cass. civ. 2, 2 juillet 2009, n° 08-14.586, M. Charles Rattaire, FS-P+B (N° Lexbase : A5829EIQ)
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N3643BMU
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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris
le 07 Octobre 2010
Devant la Cour de cassation, l'auteur du pourvoi soutenait notamment que, même si elle est réglementée, la rémunération des avocats n'est pas comprise dans les dépens lorsque leur ministère n'est pas obligatoire, ce qui est le cas devant le tribunal d'instance. Faute de disposition contraire, ce principe devrait être applicable, selon le pourvoi, en toute hypothèse, que l'avocat soit rémunéré par son client ou par l'Etat dans le cadre de l'aide juridictionnelle, alors que l'ordonnance de taxe estimait qu'il n'y avait pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle rappelle qu'aux termes des articles 25 et 43 de la loi du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE) et 123 du décret du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE), relatifs à l'aide juridique, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat.
Dès lors que son adversaire est condamné aux dépens, il est tenu de rembourser au Trésor les sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Ces textes :
- n'opèrent aucune distinction entre les dépens, au sens des articles 695 (N° Lexbase : L4893GUR) et suivants du Code de procédure civile, et les autres sommes versées par l'Etat au titre de la rétribution des officiers publics et ministériels, ou au titre de la part contributive à la mission de l'avocat et l'article 695-7° du Code de procédure civile ;
- et ne distinguent pas selon que le ministère d'avocat est ou non obligatoire.
En conséquence, estime la Cour de cassation, la rémunération de l'avocat doit faire partie des sommes que l'adversaire, condamné aux dépens, doit rembourser à l'Etat, et il importe peu, notamment, qu'il s'agisse d'une instance où le ministère d'avocat n'était pas obligatoire.
Cette décision tranche une question sur laquelle les juridictions ont peu souvent l'occasion de statuer, ce qui contribue à son intérêt pratique.
Elle mérite approbation dans la mesure où les textes mettent à la charge de la partie adverse condamnée aux dépens les sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, sans opérer de distinction entre les dépens proprement dits et les autres sommes avancées par l'Etat au titre, notamment de la part contributive à la mission de l'avocat.
D'autant que l'article 695, 7°, du Code de procédure civile, qui prévoit qu'est comprise dans les dépens la rémunération de l'avocat lorsqu'elle est réglementée ne limite pas son champ d'application à la seule hypothèse où le ministère d'avocat serait obligatoire.
Cet arrêt est l'occasion de rappeler les règles encadrant la prise en charge de frais en matière d'aide juridictionnelle.
L'article 24 de la loi du 10 juillet 1991 précise que les dépenses qui incomberaient au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle s'il n'avait pas cette aide sont à la charge de l'Etat. Il s'agit, ici, de rendre effectif l'accès à la Justice aux personnes démunies pour que les frais de procédure ne soient pas un obstacle à la possibilité de faire valoir ses droits.
L'article 40 de la loi du 10 juillet 1991 précise que l'aide juridictionnelle concerne tous les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée. Le bénéficiaire de l'aide est dispensé du paiement, de l'avance ou de la consignation de ces frais.
Les dépositaires publics délivrent gratuitement au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle les actes et expéditions nécessaires à la procédure ou à la mesure d'exécution (art. 42).
Qu'il soit demandeur ou défendeur, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle condamné aux dépens supporte exclusivement la charge des dépens effectivement exposés par son adversaire, sans préjudice des frais non compris dans les dépens, notamment les frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL) (Cass. civ. 3, 3 octobre 1991, n° 90-10.917, Epoux Da Conceicao Silva c/ Copropriété de l'immeuble Le Colombier N° Lexbase : A2951ABW).
Doivent être intégrées dans les dépens le droit proportionnel et le droit fixe (Cass. civ. 2, 2 février 1983, Mme Maurel c/ Société civile et professionnelle Pierre et Philippe Blanc N° Lexbase : A9980C7R).
Le juge peut, toutefois, même d'office, laisser une partie des dépens à la charge de l'Etat (art. 42). En cas de partage des dépens, la part de ceux-ci incombant à l'adversaire du bénéficiaire de l'aide judiciaire est récupérée sur cette partie par l'Etat qui, pour ce qui concerne ses avances, est subrogé dans les droits et actions que le bénéficiaire de l'aide judiciaire possède envers son adversaire et qui, pour le surplus, agit en qualité de mandataire légal des auxiliaires de justice désignés à ce titre (Cass. civ. 2, 12 juillet 1989, n° 88-13.815, Mme Roussen c/ Trésorier -payeur général et autre N° Lexbase : A0059ABS).
Le juge peut, en outre, mettre à la charge du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle, demandeur au procès, le remboursement d'une fraction des sommes exposées par l'Etat autres que la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle des avocats et des officiers publics et ministériels (art. 42).
Lorsque la partie condamnée aux dépens ou la partie perdante ne bénéficie pas de l'aide juridictionnelle, elle est tenue de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat, à l'exclusion des frais de justice criminelle, correctionnelle ou de police (art. 43).
C'est dans ce contexte que s'inscrit la décision commentée : la partie condamnée aux dépens était tenue de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Toutefois, pour des considérations tirées de l'équité ou de la situation économique de cette partie, le juge peut la dispenser totalement ou partiellement de ce remboursement. La demande de partage des dépens ne relève pas de la compétence du juge taxateur (Cass. avis, 13 octobre 1995, n° 09-50.012, M. Reboa et autres N° Lexbase : A3358CHT).
Le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut, en outre, demander au juge de condamner la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle au paiement d'une somme au titre des frais qu'il a exposés.
Le recouvrement des sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle est effectué par le comptable assignataire général au vu d'un état de recouvrement qui est établi et notifié à la personne contre qui les sommes sont à recouvrer par le greffier en chef ou le secrétaire de la juridiction concernée. L'état de recouvrement contient, notamment, le montant des frais avancés par l'Etat et le montant de la part contributive de l'Etat à la mission de l'avocat pour l'instance. Le montant des sommes à recouvrer est exigible le dernier jour du deuxième mois suivant l'envoi de la notification. Dans le mois de la notification, le redevable peut faire une opposition auprès du greffe ou du secrétariat de la juridiction concernée. Le greffier en chef de la juridiction saisie en avise sans délai le comptable assignataire. L'action en recouvrement se prescrit en effet par cinq ans à compter de la décision de justice ou de l'acte mettant fin à la mission d'aide juridictionnelle (art. 44).
L'aide juridictionnelle permet aux gens les plus démunis d'exercer leurs droits en justice, avec le concours gratuit ou partiellement gratuit des auxiliaires de justice. Mais, les sommes ainsi versées ne sont qu'une avance de l'Etat, à charge pour lui d'en recouvrer le montant auprès de la partie perdante si elle n'est pas, elle-même, bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. C'est dans ce contexte que s'inscrit cette complexe procédure de recouvrement des sommes avancées par l'Etat, précédemment résumée. Il n'est pas inintéressant d'achever cette présentation par des exemples chiffrés.
Le dispositif de l'aide juridictionnelle se caractérise, en outre, par un accroissement considérable du nombre des admissions depuis 1991 : + 159,5 % (en 2007). Parallèlement, l'enveloppe budgétaire consacrée à cette aide a progressé de 391,3 % entre 1991 et 2006. En 2007, elle représentait 5,2 % des crédits dédiés à la justice avec un montant de 328,7 millions d'euros. Or, en 2005, le montant effectivement recouvré par le Trésor public s'élevait à 11,5 millions d'euros. Ce qui pousse le gouvernement français à réfléchir à une réforme d'envergure de l'aide juridictionnelle (lire, sur ce sujet "Un casse-tête français : la réforme de l'aide juridictionnelle" N° Lexbase : N1645BMU).
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