La lettre juridique n°371 du 11 novembre 2009 : Marchés publics

[Jurisprudence] La Cour de justice et les contrats publics : des exigences en baisse

Réf. : CJCE, 10 septembre 2009, 2 arrêts, C-573/07, Sea Srl c/ Comune di Ponte Nossa (N° Lexbase : A8897EKQ) et C-206/08, WAZV Gotha c/ Eurawasser Aufbereitungs (N° Lexbase : A8887EKD)

Lecture: 10 min

N3669BMT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] La Cour de justice et les contrats publics : des exigences en baisse. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212118-jurisprudence-la-cour-de-justice-et-les-contrats-publics-des-exigences-en-baisse
Copier

par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

En matière de commande publique, les exigences du droit communautaire varient en fonction de la qualité du cocontractant de l'administration et de la nature du contrat. Si le pouvoir adjudicateur exerce sur son cocontractant un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services, et si ce cocontractant réalise l'essentiel de son activité avec l'autorité ou les autorités qui la détiennent, l'exception in house peut jouer, et il n'y a lieu à aucune mise en concurrence. Si le contrat n'est pas un marché public, mais une concession de service public, il n'est pas soumis aux Directives communautaires et aux règles de passation qui en découlent (1). Toutefois, il doit respecter les règles du marché intérieur et spécialement les principes d'égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité, ainsi que l'obligation de transparence, assurée grâce à une publicité adéquate. Dans deux arrêts du 10 septembre 2009, la Cour de justice est venue mieux délimiter le champ de ces exceptions. Dans la première affaire (C-573/07), était en cause la passation d'un contrat relatif à la collecte, au transport et à l'élimination de déchets urbains entre une commune et une société à capitaux entièrement publics. La commune n'était, toutefois, qu'un associé minoritaire et les statuts de la société prévoyaient la possibilité d'une participation de capitaux privés. La Cour a estimé que l'exception in house pouvait jouer (I). Dans la seconde affaire (C-206/08), était en cause la passation d'un contrat relatif au service public de l'eau (distribution de l'eau potable et traitement des eaux usées). Par ce contrat, la collectivité publique adjudicatrice avait confié ce service public à une société dont la rémunération était constituée par les redevances versées par les usagers. Ce contrat avait été passé entre le pouvoir adjudicateur et la société adjudicataire à la suite d'une procédure informelle avec publication au Journal officielle de l'Union européenne, mais sans respect des procédures formelles prévues par la Directive (CE) 2004/17 du 31 mars 2004 (N° Lexbase : L1895DYT). La Cour de justice a estimé qu'il ne s'agissait pas d'un marché public, mais bien d'une concession, et donc que la procédure informelle était suffisante (II).

I - Le champ de l'exception in house

Dans l'affaire "Comune di Ponte Nossa" (C-573/07), la Cour a rappelé que les sociétés adjudicataires à capitaux privés ne pouvaient jamais bénéficier de l'exception in house (A), mais que les sociétés à capitaux entièrement publics peuvent, en revanche, sous condition, être admises dans le champ de l'exception (B).

A - L'exclusion systématique des sociétés adjudicataires à capitaux privés

La Cour de justice rappelle, d'abord, fermement que l'exception in house n'est remplie que si "la collectivité territoriale qui est le pouvoir adjudicateur exerce sur l'entité adjudicataire un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services, et si cette entité réalise l'essentiel de son activité avec l'autorité ou les autorités qui la détiennent" (2). Elle précise, également, que "la circonstance que l'entité adjudicataire [prenne] la forme d'une société de capital n'exclut nullement l'application de l'exception admise par la jurisprudence rappelée au point précédent" (3). Toutefois dans cette hypothèse, "la participation, fût-elle minoritaire, d'une entreprise privée dans le capital d'une société à laquelle participe, également, le pouvoir adjudicateur concerné exclut, en tout état de cause, que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services" (4). Cependant, cette condition doit être appréciée à la date de conclusion du contrat.

Dès lors, si les statuts de la société permettent que certaines de ses actions soient cédées ultérieurement à des opérateurs privés, cela ne suffit pas à remettre en cause, au moment de la conclusion du contrat, le fait que le contrôle du pouvoir adjudicateur est analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services. Selon la Cour, "admettre que cette simple possibilité puisse indéfiniment tenir en suspens l'appréciation quant au caractère public ou non du capital d'une société adjudicataire d'un marché public, ne serait pas conforme au principe de sécurité juridique" (point 49). Toutefois, la Cour prend soin de mettre en garde les pouvoirs adjudicateurs. Si, postérieurement à la passation du contrat sans mise en concurrence et pendant la durée de validité du contrat, des actionnaires privés sont admis au capital de ladite société, il s'agit d'un "changement d'une condition fondamentale du marché qui nécessiterait une mise en concurrence" (point 53). Cette fermeté à l'égard des sociétés à capitaux privés a, toutefois, pour contrepartie une plus grande souplesse lorsque les sociétés sont uniquement détenues par des capitaux publics.

B - L'inclusion conditionnelle des sociétés à capitaux entièrement publics

La Cour de justice avait déjà jugé que l'exception in house pouvait jouer dans l'hypothèse où une concession de service public était confiée à une société coopérative intercommunale dont tous les affiliés sont des autorités publiques, dès lors que ces autorités publiques exercent, sur cette société, un contrôle analogue à celui qu'elles exercent sur leurs propres services, et que ladite société réalise l'essentiel de son activité avec ces autorités publiques. Elle avait, également, estimé qu'"exiger que le contrôle exercé par une autorité publique en pareil cas soit individuel aurait pour effet d'imposer une mise en concurrence dans la plupart des cas où une autorité publique entendrait s'affilier à un groupement composé d'autres autorités publiques, tel qu'une société coopérative intercommunale" (5).

La Cour rappelle, ensuite, sa jurisprudence selon laquelle, dans une telle configuration, "si une autorité publique devient associée minoritaire d'une société par actions à capital entièrement public en vue de lui attribuer la gestion d'un service public, le contrôle que les autorités publiques associées au sein de cette société exercent sur celle-ci peut être qualifié d'analogue au contrôle qu'elles exercent sur leurs propres services lorsqu'il est exercé conjointement par ces autorités" (6).

Pour apprécier la réalité de ce contrôle, la Cour de justice pose ici trois critères : la législation applicable, la question de savoir si la société a une vocation de marché, et les mécanismes de contrôle prévus. S'agissant du premier critère, en l'espèce, la législation allemande reprenait les principes posés par la jurisprudence communautaire en matière d'exception in house. Pour apprécier le deuxième critère, la Cour estime qu'il convient d'examiner "la portée géographique et matérielle des activités de cette société, ainsi que la possibilité, pour celle-ci, de nouer des relations avec des entreprises du secteur privé" (point 73). Ici, les statuts imposent que la société ne gère que les services publics des collectivités publiques qui la composent. Pour le troisième critère, les statuts de la société avaient été modifiés pour répondre aux exigences de la jurisprudence communautaire et, spécialement, quant à la nature du contrôle exercé par les collectivités sur la société. La Cour se montre donc relativement souple dans l'appréciation de l'exception in house. Sa mansuétude est encore plus grande s'agissant de la délimitation des contours de la notion de service public.

II - La notion de concession de service public

Dans l'arrêt "WAZV Gotha" (C-206/08), la Cour de justice retient une conception extensive de la notion de concession de service public (A), qui apparaît plus laxiste que celle retenue par la jurisprudence administrative française (B).

A - Une conception extensive

Selon l'article 1er, paragraphe 3, sous b), de la Directive (CE) 2004/17, "la concession de services est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu'un marché de services, à l'exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d'exploiter le service, soit dans ce droit assorti d'un prix". La Cour de justice, pour souligner l'importance de la question qui lui est posée, rappelle, à titre liminaire, que cette définition est identique à celle de l'article 1er, paragraphe 2, sous a), et 4 de la Directive (CE) 2004/18 (N° Lexbase : L1896DYU). Elle en conclut donc que "cette similarité requiert que les mêmes considérations soient utilisées en vue de l'interprétation des notions de marché de services et de concession de services dans les champs d'application respectifs des deux Directives susmentionnées" (point 43).

La définition de la concession est donc opérée par renvoi à la définition du marché de service. Pour interpréter le sens de cette définition, la Cour prend donc, également, en compte la définition de l'article 1er, paragraphe 2, sous a) et d), de la Directive (CE) 2004/17 qui dispose que "les marchés de fournitures, de travaux et de services' sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre une ou plusieurs entités adjudicatrices visées à l'article 2, paragraphe 2, et un ou plusieurs entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services". Conformément à une jurisprudence classique (7), la Cour en déduit qu'"il résulte de la comparaison de ces deux définitions que la différence entre un marché de services et une concession de services réside dans la contrepartie de la prestation de services. Le marché de services comporte une contrepartie qui est payée directement par le pouvoir adjudicateur au prestataire de services [...] alors que, dans le cas d'une concession de services, la contrepartie de la prestation de services consiste dans le droit d'exploiter le service, soit seul, soit assorti d'un prix" (point 51). Mais la principale difficulté consiste à déterminer ce qu'implique le droit d'exploiter, comme contrepartie de la prestation de services.

Selon une jurisprudence constante (8), la Cour estime que "lorsque le mode de rémunération convenu tient dans le droit du prestataire d'exploiter sa propre prestation, ce mode de rémunération implique que le prestataire prenne en charge le risque lié à l'exploitation des services en question" (point 59). La Cour en déduit donc, de manière fort expéditive, que "le risque est inhérent à l'exploitation économique du service" (point 66), et, qu'"en l'absence complète de transfert au prestataire du risque lié à la prestation de service, l'opération visée constitue un marché de services" (point 68). Dès lors, s'il y a eu transfert du service, il y a bien concession. Peut importe qu'en l'espèce, le risque réel encouru par le concessionnaire soit mineur, notamment en raison d'une réglementation administrative du prix de l'eau et de la soumission de ce type de contrat à des principes de droit public.

B - Une conception divergente

Comme l'on justement souligné les premiers commentateurs (9), cette définition de la concession "vient non pas, bien sûr, remettre en cause la prise en compte du risque d'exploitation dans la définition mais [...] vient, en quelque sorte, circonscrire cet élément dans la définition en considérant que l'existence d'un risque, même très limité, n'est pas nécessairement de nature à remettre en cause la qualification de concession de service d'un contrat".

L'on rappellera que l'article 3 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (N° Lexbase : L0256AWE), a repris la définition jurisprudentielle de la délégation de service public (10), et impose que la rémunération du délégataire soit "substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service". Cette définition semble appliquée par le juge administratif de manière assez erratique. R. Noguellou (11) a, ainsi, remarqué que "certains arrêts retiennent, en effet, la qualification de délégation de service public pour des montages dans lesquels le risque financier pris par le cocontractant paraît minime (12), voire inexistant (13). Dans d'autres arrêts, en revanche, le juge retient la qualification de marché public au motif que le cocontractant 'n'assume pratiquement aucun risque d'exploitation'" (14).

Le Conseil d'Etat a, toutefois, récemment jugé qu'un contrat dans lequel la rémunération du délégataire d'un service public de restauration municipale était principalement assurée par des redevances versées par des usagers, était un marché public. Les usagers (enfants des écoles et des centres aérés, personnes âgées des maisons de retraite) constituaient une clientèle en quelque sorte captive, dès lors il n'y avait pas véritablement un risque pour le délégataire (15). Sa rémunération n'était donc pas substantiellement liée aux résultats de l'exploitation.

Les commentateurs de cette jurisprudence avaient souligné la volonté du Conseil d'Etat français de se mettre au diapason de la Cour de justice (16). C'était sans compter sur la mansuétude actuelle de la Cour de justice à l'égard des Etats membres.

Pour conclure, l'on regrettera qu'eu égard aux intéressantes précisions apportées par cet arrêt, celui-ci ait été rendu sans conclusions de l'Avocat général. Si le "tout concurrence" trouve, enfin, des limites dans la jurisprudence de la Cour, il conviendrait que le new public management en trouve, également, dans ses méthodes de travail...


(1) Directive (CE) 2004/17 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT), JOUE n° L 134 du 30 avril 2004, p. 1 ; Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU), JOUE n° L 134 du 30 avril 2004 p. 114.
(2) Point 40 ; cf. CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia (N° Lexbase : A0591AWS), Rec. p. I-8121 ; CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen, Stadtwerke Brixen AG (N° Lexbase : A7748DK8).
(3) Point 41 ; cf. CJCE, 6 avril 2006, aff. C-410/04, Associazione Nazionale Autotrasporto Viaggiatori (ANAV) c/ Comune di Bari, AMTAB Servizio SpA (N° Lexbase : A9381DNR), Rec., p. I-3303.
(4) Point 46 ; cf. CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmbH c/ Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall- und Energieverwertungsanlage TREA Leuna (N° Lexbase : A9511DEY), Rec., p. 1.
(5) CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-324/07, Coditel Brabant SA c/ Commune d'Uccle et Région de Bruxelles-Capitale (N° Lexbase : A2174EB7), spéc. n° 47.
(6) Point 63 ; cf. CJCE, 19 avril 2007, aff. C-295/05, Asociación Nacional de Empresas Forestales (Asemfo) c/ Transformación Agraria SA (Tragsa) et Administración del Estado (N° Lexbase : A9407DUX), Rec., p. I-2999 ; dans cette affaire, la collectivité ne détenait que 0,25 % du capital de l'entreprise publique.
(7) CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen, précité.
(8) CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-437/07, Commission des Communautés européennes c/ République italienne N° Lexbase : A2176EB9).
(9) W. Zimmer, Notion de risque d'exploitation dans la définition de la concession de service, Contrats et Marchés publics n° 10, octobre 2009, comm. 329.
(10) CE, 15 avril 1996, n° 168325, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ Commune de Lambesc (N° Lexbase : A8735ANT), Rec., p. 137.
(11) R. Noguellou, Champ d'application matériel, J.-Cl., Contrats et marchés publics, fasc. 41, n° 64.
(12) CAA Marseille, 3ème ch., 5 mars 2001, n° 99MA01751, Département du Var (N° Lexbase : A2393BML), Rec. CE, Tables, p. 1040, Dr. adm., 2001, comm. 230 : contrat dans lequel la rémunération était assurée de redevances perçues sur les usagers et d'une subvention couvrant 90 % de la différence entre le montant des charges et le montant des recettes perçues par l'exploitant.
(13) CE 2° et 7° s-s-r., 28 juin 2006, n° 288459, Syndicat intercommunal d'alimentation en eau de la moyenne vallée du Gier (N° Lexbase : A0906DQM), Dr. adm., 2006, comm. 185, note A. Ménéménis, AJDA, 2006, p. 1781, note L. Richer, Contrats-Marchés publ., 2006, comm. 232, note G. Eckert.
(14) CAA Versailles, 3ème ch., 14 septembre 2006, n° 04VE03566, Société Avenance enseignements et santé (N° Lexbase : A3323DRI), Contrats-Marchés publ., 2006, comm. 283, note G. Eckert.
(15) CE 2° et 7° s-s-r., 5 juin 2009, n° 298641, Société Avenance Enseignement et Santé (N° Lexbase : A7215EHP).
(16) G. Eckert, La délégation de service public requiert un risque d'exploitation, Contrats et Marchés publics n° 7, juillet 2009, comm. 236 ; B. Plessix, Chronique "droit administratif", JCP éd. G, 2009, n° 317.

newsid:373669