Réf. : Cass. soc., 28 octobre 2009, n° 08-40.457, Société Pfizer PGM, F-P+B (N° Lexbase : A6131EMZ)
Lecture: 9 min
N3676BM4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Un accord d'entreprise ne peut prévoir de différences de traitement entre salariés d'établissements différents d'une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence. Le conseil de prud'hommes a fait ressortir que le choix des partenaires sociaux de priver un certain nombre de salariés du site de Val-de-Reuil du bénéfice de la prime anniversaire aux fins de permettre au plus grand nombre de salariés des autres établissements de bénéficier sans délai de la plupart des avantages issus de l'accord cadre, choix que l'employeur justifiait par l'insuffisance de ses capacités financières, ne reposait sur aucune explication objective relative à la situation des salariés, propre à justifier les différences de traitement constatées entre les salariés de l'établissement de Val-de-Reuil et ceux affectés dans les autres établissements de l'entreprise. |
I - Sort des différences de traitement entre salariés appartenant à la même entreprise
Il est acquis, depuis 1999, que des différences de traitement entre salariés appartenant à une même entreprise peuvent s'expliquer par la variété des accords d'établissements. La Cour de cassation a toutefois précisé, à partir de 2004, que ces différences devaient être justifiées par les particularités de ces établissements tenant soit aux zones géographiques dans lesquelles ils sont implantés, soit aux sujétions particulières liées à la nature de l'activité (4), compte tenu de la nature des avantages en cause.
Par ailleurs, s'est posée, à plusieurs reprises, la question de la possibilité de justifier des différences de traitement par les difficultés économiques rencontrées par l'employeur. Ces tentatives ont toutes échoué, la Cour de cassation n'étant jamais convaincue de savoir en quoi les difficultés économiques devraient être supportées par certains salariés et pas par d'autres (6).
Ce sont ces principes qui se trouvent appliqués ici, dans une nouvelle affaire intéressant des salariés de la société Pfizer, au sein de laquelle un accord-cadre était intervenu en 2004 concernant son Groupe Pfizer en France, qui prévoyait, notamment, le bénéfice d'une prime anniversaire d'entrée dans le groupe pour les salariés justifiant d'une certaine ancienneté. Cet accord cadre renvoyait, en outre, pour sa mise en oeuvre, à un calendrier, qui devait être négocié dans chaque société ; l'accord intervenu le 30 novembre 2004 au sein de la société Pfizer PGM disposait que la prime anniversaire d'entrée dans le groupe serait applicable à compter du 1er mois suivant la date de signature de l'accord, à l'exception de l'établissement de Val-de-Reuil, pour lequel la date d'application était fixée au 1er décembre 2005. Un certain nombre de salariés de l'établissement de Reuil, dont la date anniversaire d'entrée dans le groupe était antérieure au 1er décembre 2005, ont saisi le conseil de prud'hommes de Louviers en paiement de cette prime anniversaire en se prévalant, notamment, du principe "à travail égal, salaire égal", et ont obtenu gain de cause, ce que contestait, ici, l'entreprise dans le cadre de son pourvoi.
Le pourvoi est rejeté et le jugement confirmé. Après avoir indiqué "qu'un accord d'entreprise ne peut prévoir de différences de traitement entre salariés d'établissements différents d'une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence", la Haute juridiction relève "que le conseil de prud'hommes, qui n'était pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a fait ressortir que le choix des partenaires sociaux de priver un certain nombre de salariés du site de Val-de-Reuil du bénéfice de la prime anniversaire aux fins de permettre au plus grand nombre de salariés des autres établissements de bénéficier sans délai de la plupart des avantages issus de l'accord cadre, choix que l'employeur justifiait par l'insuffisance de ses capacités financières, ne reposait sur aucune explication objective relative à la situation des salariés, propre à justifier les différences de traitement constatées entre les salariés de l'établissement de Val-de-Reuil et ceux affectés dans les autres établissements de l'entreprise".
La solution n'est guère surprenante, compte tenu des termes de la jurisprudence actuelle. On relèvera, d'ailleurs, que la défense de l'employeur, même devant la Cour de cassation, était des plus maladroites, puisque ce dernier tentait de justifier le différé d'entrée en vigueur de la prime dans l'établissement incriminé par l'existence de l'accord d'établissement l'ayant prévu et sur la justification économique de cet étalement dans une entreprise en proie à des difficultés économiques. Or, l'employeur n'expliquait nullement pourquoi les salariés de cet établissement devaient attendre pour bénéficier de la prime, le cas échéant, compte tenu des difficultés de cet établissement ou de sa situation particulière. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, l'existence de difficultés économiques est susceptible de justifier le niveau de rémunération des salariés de l'entreprise, mais pas une différence de traitement, sauf à établir un lien direct, établissement par établissement, entre la situation économique de l'établissement et le sort des salariés, ce qui n'avait pas été le cas ici.
II - L'absence d'autonomie des partenaires sociaux au sein des établissements
La solution adoptée semble extrêmement restrictive puisqu'en affirmant que la différence de traitement "ne reposait sur aucune explication objective relative à la situation des salariés, propre à justifier les différences de traitement constatées entre les salariés de l'établissement de Val-de-Reuil et ceux affectés dans les autres établissements de l'entreprise", la Cour semble exclure que des justifications puissent relever non pas de la "situation des salariés", mais bien de la "situation de l'établissement", comme nous l'avons indiqué.
L'arrêt repose donc, une nouvelle fois, la question du contrôle judiciaire sur les justifications avancées aux différences de traitement, lorsque celles-ci résultent d'un accord collectif. Si, en effet, le juge apparaît comme le seul rempart face au pouvoir unilatéral de l'employeur, la situation est bien différente lorsque les différences de traitement résultent d'un accord collectif où les partenaires sociaux ont nécessairement étudié la question de la justification et de l'opportunité des différences de traitement introduites. Est-il, dans ces conditions, souhaitable que le juge substitue totalement son appréciation à la leur, hormis les hypothèses de violation flagrante du principe "à travail égal, salaire égal" ? Nous ne le croyons pas et souhaitons vivement que la Cour de cassation réduise son contrôle des conventions collectives à un seul contrôle de l'erreur manifeste et se rapproche, ainsi, du type de contrôle qu'exerce le Conseil constitutionnel sur la loi (8).
La solution montre, ainsi, la différence qui existe entre le pouvoir des partenaires sociaux, au sein de l'entreprise, et ceux dont ils disposent dans le cadre de la négociation d'établissement. Lorsqu'ils négocient au niveau de l'entreprise, les partenaires sociaux sont, en effet, libres d'accorder, ou non, au personnel certains avantages et ce, y compris si, au sein du groupe ou du réseau, toutes les entreprises n'en bénéficient pas, dans la mesure où le principe "à travail égal, salaire égal" ne s'applique qu'aux salariés appartenant à une même entreprise (9) et ce, même si un accord de groupe existe (10). Lorsqu'ils négocient au niveau de l'établissement, les partenaires sociaux bénéficient d'une autonomie conventionnelle moindre dans la mesure où, même si cette possibilité résulte des termes mêmes de l'accord d'entreprise, ils ne peuvent se désolidariser des autres établissements de l'entreprise sans une bonne raison, et ne peuvent donc, si les salariés de ces établissements sont dans une situation identique et si l'établissement ne présente pas par ailleurs de caractéristiques particulières, inscrire leur accord dans l'ensemble, sauf à voir les salariés obtenir gain de cause en justice.
Décision
Cass. soc., 28 octobre 2009, n° 08-40.457, Société Pfizer PGM, F-P+B (N° Lexbase : A6131EMZ) Irrecevabilité partielle et rejet CPH Louviers, sect. industrie, 8 novembre 2007 Textes concernés : principe "à travail égal, salaire égal" Mots clef : rémunération ; principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; établissements distincts Lien base : (N° Lexbase : E0721ETU) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:373676