La lettre juridique n°371 du 11 novembre 2009 : Éditorial

Affectio societatis du de cujus : conséquences d'un divorce sociétal

Lecture: 4 min

N3697BMU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Affectio societatis du de cujus : conséquences d'un divorce sociétal. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212112-iaffectiosocietatisiduidecujusiconsequencesdundivorcesocietal
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Ab intestat, ad litem, ad nutum, ad probationem, affirmanti incumbit probation, animus, contra legem, de cujus, de in rem verso, de lege lata, dura lex, sed lex, erga omnes, exceptio non adimpleti contractus, fraus omnia corrumpit, in bonis et autre infra petita... Autant de locutions latines qui nous rappellent que l'on doit à la "féconde Rome" nos premières théories du droit ; premières théories qui irriguent encore notre droit français. Et pourtant, si error communis facit jus (l'erreur commune crée le droit) et si tous les chemins juridiques mènent à Rome, les sentiers de la doctrine viennent -nous espérons d'ici- et d'ailleurs... du Moyen-Orient, où Hammurabi, en 1750 avant notre ère, compilait sa pratique jurisprudentielle dans un grand texte qui, moins qu'un code, s'apparentait, déjà, à un Recueil... ou d'Egypte, où le rapport d'Ounamon, au Vème siècle avant notre ère, offrait un formidable témoignage de la pratique du droit commercial international, du louage de services au principe de responsabilité solidaire en cas de vol, à travers l'histoire d'Ounamon chargé d'acheter du bois à Byblos pour construire une barque fluviale en l'honneur d'Amon... L'allégorie juridique est saillante, la poésie hiéroglyphite égyptienne, bien qu'obscure, réelle... Le texte relève l'existence de sociétés de marins, plus ou moins informelles, fondées sur l'appartenance nationale et, surtout, d'hubur, ces associations commerciales entres hryw mns, c'est-à-dire en langue sémite "amis" ou "confédérés", marquant, de ce fait, la forte volonté d'association et de partage des intérêts et des risques qui caractérisent ces sociétés ; si bien que Rome et son affectio societatis multiséculaire n'ont qu'à bien se tenir... Ils ne sont pas les seuls sur le forum à parler de collaboration volontaire et active, intéressée et égalitaire. Du haut des pyramides, l'affectio societatis nous contemple...

L'affectio societatis est une notion mystérieuse qui se cache en pleine lumière, celle des manuels de droit des sociétés, des amphithéâtres et des prétoires écrivait récemment Vincent Cuisinier. Mais, avant tout, l'affectio societatis est un critère de qualification et d'existence du contrat de société, il est utilisé pour distinguer la société de certaines situations, telles que le contrat de travail ou le contrat d'indivision. Le concept a beau être incertain et obscurci par l'emploi d'une expression latine, comme se plaisait à le souligner P. Didier, dans son traité de Droit commercial (t. II, p. 66), cette création prétorienne témoigne d'un souhait évident d'aller au-delà du simple consentement au contrat de société, pour engager l'associé dans la gestion de la société, lors de l'exécution du contrat et non seulement lors de sa formation. Et c'est cet affectio societatis multiforme, comme aime à le rappeler Yves Guyon, dans son Traité de droit des affaires (t. I, p. 128), qui constitue le fondement de l'agrément sociétal. La volonté d'union, la convergence d'intérêts, selon le doyen Hamel, suppose que les parties au "mariage sociétal" consentent à s'unir devant le Registre du commerce et des sociétés, mais aussi à fonder un foyer juridique, pour le meilleur et pour le pire ! Æquum est ut cujus participavit lucrum, participet et damnun... On comprendra, dès lors, que, loin de la polygynie sororale de la Chine féodale, les associés d'une société ne souhaitent pas convoler justes noces avec les ayant droits du défunt associé, intuitu personae oblige. Et, se pose, alors, l'incontournable question des conditions et des modalités de rachat des parts sociales des héritiers ou légataires.

Deux récentes décisions de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (bon retour au XXIème siècle !) apportent d'intéressantes précisions, l'une du 29 septembre 2009 sur les conditions de l'obligation du rachat des parts de sociétés civiles transmises aux héritiers non agréés de l'associé décédé, et l'autre du 15 septembre 2009 sur l'erreur d'évaluation des titres portés à l'actif successoral. "Les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur. Cette valeur doit leur être payée par les nouveaux titulaires des parts ou par la société elle-même si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation. La valeur de ces droits sociaux est déterminée au jour du décès dans les conditions prévus à l'article 1843-4" nous enseigne l'article 1870-1 du Code civil. C'est, alors, au visa de ce texte et de l'article 1134 du Code civil que la Cour de cassation retient que, si l'article des statuts imposant l'agrément des associés survivants renvoie à la clause relative à la cession des parts, ce renvoi "ne peut avoir pour effet d'obliger les ayants droit à présenter un projet de cession portant sur des parts qui, en l'absence d'agrément, ne leur ont pas été transmises". Rendue au visa des dispositions générales du Code civil, cette solution s'applique à toutes les sociétés civiles. "L'agrément de la raison ne suffit pas pour adopter une éthique. Il faut aussi l'adhésion du coeur" nous enseigne le poète égyptien Zaki Mubärak.

"Evaluer, c'est créer : écoutez donc, vous qui êtes créateurs ! C'est l'évaluation qui fait des trésors et des joyaux de toutes choses évaluées" s'insurgeait Nietzsche... Mais, la Haute juridiction juge qu'un titre de société peut avoir, individuellement, une valeur substantiellement différente. Ainsi, en matière d'évaluation de titres de sociétés non cotées, un redevable ne peut prétendre invoquer une erreur d'évaluation en faisant uniquement état de la cession antérieure d'un paquet minoritaire alors que, au jour de la transmission, un associé avait engagé des négociations pour l'acquisition des titres à évaluer, acquisition qui lui permettait de devenir majoritaire. "Il y a une innocence dans le mensonge qui est signe de bonne foi"... Friedrich ne fera pas d'émule auprès de l'administration fiscale volontiers zoroastrienne lorsqu'il s'agit de caractériser les intentions du contribuable... maudite mens rea !

newsid:373697