Réf. : TGI Angers, 8 octobre 2009, n° 09/00568, Monsieur Pascal O., Madame Isabelle C., épouse O. c/ Monsieur le Préfet de Maine-et-Loire (N° Lexbase : A5217EM8)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 07 Octobre 2010
Mesure in futurum. La demande des grands-parents consiste seulement, au moins dans un premier temps, à obtenir, en référé, une mesure d'instruction in futurum, plus précisément, un examen comparé des sangs sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile. Ce texte permet d'obtenir d'un juge des référés qu'il ordonne une mesure d'instruction pour établir des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige à venir. Reprenant une jurisprudence bien établie, le tribunal de grande instance d'Angers rappelle que la seule condition pour obtenir une mesure d'instruction in futurum réside dans la possibilité d'un procès, c'est-à-dire que celui-ci puisse au moins être envisagé, et dans la nécessité "d'établir ou de conserver la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige".
Le procès envisagé : le recours contre l'arrêt d'admission en qualité de pupille de l'Etat. Il ne s'agissait évidemment pas, comme tente de le faire croire le préfet de Maine-et-Loire, d'une action en établissement de la filiation de l'enfant réservée au seul enfant et pour laquelle les grands-parents n'ont pas qualité pour agir. En l'espèce, la procédure envisagée par les grands-parents de l'enfant est celle dont l'objet est de contester l'admission de leur petite-fille en qualité de pupille de l'Etat, et donc sa qualité d'enfant adoptable. Cette admission résulte d'une procédure administrative à l'issue de laquelle le président du Conseil général prend cette décision par arrêté. Pour les enfants appartenant aux quatre premières catégories de l'article L. 224-4 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5359DKP), dont les enfants sans filiation ou dont la filiation est inconnue, l'admission se déroule en deux étapes : l'article L. 224-5 du même code (N° Lexbase : L5361DKR) prévoit qu'un procès-verbal est d'abord établi lors du recueil de l'enfant à la date duquel l'enfant est déclaré pupille de l'Etat à titre provisoire (2). Le délai de deux mois pendant lequel la mère peut obtenir restitution de l'enfant de plein droit court à partir de cette date. Et ce n'est qu'à l'issue de ce délai que l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat devient définitive. L'article L. 224-8 du Code l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5365DKW) prévoit un recours contre l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat qui est subordonné à certaines conditions de qualité et de délai pour agir, lesquelles devaient être satisfaites pour que le procès susceptible d'être envisagé ne soit pas voué à l'échec.
Le délai pour agir. Clairement affirmée par l'article L. 224-8 du Code l'action sociale et des familles la durée du délai pour agir de trente jours n'est pas en elle-même discutable. C'est la détermination du point de départ de ce délai qui n'est pas claire ou qui, du moins, est discutée. Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision commentée l'enfant née en juin 2009 a fait l'objet d'une admission en qualité de pupille de l'Etat le 14 août. Les grands-parents, pensant que la recevabilité de leur action en contestation de l'arrêté exigeait qu'ils établissent leur lien avec l'enfant, ont attendu pour agir. Si l'on considère que le délai de trente jours court à compter de la date de l'arrêté, ce que semble indiquer les termes du texte, l'action des grands-parents visant à contester celui-ci est prescrite. Dans ce cas, le procès envisagé par les grands-parents, à l'appui de leur demande d'expertise, n'a aucune chance d'aboutir et le juge des référés ne peut ordonner la mesure. Toutefois, le tribunal a considéré que "le recours contre l'arrêté n'est pas manifestement irrecevable, pour n'avoir pas été introduit dans le délai d'un mois dès lors qu'il n'est pas douteux que ce délai ne peut commencer à courir que du jour de la notification dudit arrêté et qu'il est constant, pour n'être pas contesté, qu'il ne l'a pas été aux époux O.". Très favorable aux grands-parents, ce raisonnement n'en comporte pas moins un risque pour l'enfant puisqu'il permet finalement la remise en cause à tout moment de l'arrêté, et donc de toute la procédure d'adoption qui pourrait s'en suivre. Si l'on considère en effet, avec la Cour européenne des droits de l'Homme, qu'il est de l'intérêt d'un enfant abandonné de trouver le plus rapidement possible une famille de substitution (3), il n'est pas certain que la possibilité de remettre en cause pendant une longue période son statut de pupille de l'Etat et donc sa qualité d'enfant adoptable soit une solution opportune. Il est, en effet, probable que l'arrêté ne soit notifié qu'aux personnes dont les autorités compétentes connaissent l'existence. Or, la liste des personnes pouvant intenter un recours contre cette décision est relativement longue et un certain nombre d'entre elles peut ne pas être connu des services sociaux. Il reste qu'en l'espèce, il n'en allait vraisemblablement pas ainsi des demandeurs qui étaient venus voir la mère et l'enfant à la maternité. Les services sociaux, sans aucun doute, avertis de cette visite, aurait pu leur notifier l'arrêté. L'argument selon lequel la mère avait accouché dans le secret ne pouvait justifier qu'ils ne l'aient pas fait puisque la mère elle-même avait levé le secret en demandant à ses parents de venir la voir et de voir l'enfant.
La qualité pour agir. Le préfet de Maine-et-Loire a raison d'affirmer que la demande d'expertise des grands-parents devant le juge des référés "tend en réalité à leur reconnaître une qualité pour agir" ; mais l'action envisagée n'a pas pour objet, comme il l'affirme, d'établir une filiation, mais de contester l'arrêté d'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat. Outre les parents en effet, figurent parmi les personnes susceptibles d'intenter ce recours, "en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale", ce qui était le cas en l'espèce, les alliés de l'enfant, que n'étaient pas juridiquement les grands-parents, ou "toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait et qui demandent à en assumer la charge". C'est bien ce lien que les grands-parents, qui n'ont pas assuré la garde de l'enfant, veulent faire établir en recourant à une expertise génétique, sachant qu'ils demandaient à assumer la charge de leur petite-fille.
La preuve et l'appréciation du lien. Les juges angevins, selon un raisonnement audacieux mais difficilement contestable en droit comme en opportunité, admettent que ce lien résulte de la réalité biologique. Ils considèrent, en effet, que "s'il est manifeste que la preuve du lien avec l'enfant [...] n'implique pas celle d'un lien biologique de parenté ou d'un lien juridique de filiation avec lui, elle n'interdit pas celle d'un lien biologique dont il appartiendra à la juridiction saisie d'apprécier le bien fondé et la pertinence dans l'optique de la contestation de l'admission en qualité de pupille". Autrement dit, ce n'est pas au juge des référés de décider avant tout procès si l'existence d'un lien biologique suffit à fonder la qualité pour agir en contestation de l'arrêté d'admission mais au juge du fond, comme l'affirme la décision du 8 octobre 2009 selon laquelle "il appartiendra au tribunal de grande instance saisi sur le recours d'apprécier si la preuve de ce lien est apportée et s'il est de l'intérêt de l'enfant de leur en confier la garde à charge de l'organisation d'une tutelle ou toujours dans son intérêt de leur octroyer un droit de visite".
Le juge des référés ne peut que constater que le procès n'est pas totalement voué à l'échec en raison de la possibilité d'un lien, qui demande cependant à être prouvé dans les meilleurs délais, notamment pour qu'il soit statué le plus rapidement possible sur le statut de l'enfant. C'est bien l'objectif de la demande en référé fondée sur l'article 145 du Code de procédure civile qui paraissait donc logiquement recevable. On peut, toutefois, se demander s'il n'y avait pas suffisamment d'éléments pour établir le lien entre l'enfant concerné et les personnes qui demandaient à la prendre en charge sans avoir à recourir à un examen comparé des sangs, qui implique l'établissement d'une vérité biologique quelque peu problématique...
II - L'établissement problématique de la vérité biologique
Exclusion du recours aux empreintes génétiques. Il faut, au préalable, préciser que la demande d'expertise des grands-parents portait sur un examen comparé des sangs et non sur une mesure d'identification de l'enfant par un recours à ses empreintes génétiques. L'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M) restreint, en effet, ce dernier recours aux mesures d'instruction ordonnées par un juge saisi d'une action en établissement ou en contestation d'un lien de filiation ou visant à obtenir des subsides. Faute de qualité pour agir, les grands-parents ne pouvaient évidemment pas intenter une telle action. Le juge des référés ne pouvait donc pas ordonner une mesure portant sur les empreintes génétiques. Il pouvait, en revanche, ordonner un examen comparé des sangs qui n'est pas, ce qui pourrait d'ailleurs être contesté, soumis au même régime restrictif.
Etablissement du lien biologique. L'examen comparé des sangs établira vraisemblablement le lien de parenté biologique entre l'enfant et les demandeurs et, par conséquent, entre l'enfant et la fille de ces derniers, réduisant à néant les efforts de cette dernière pour que l'enfant ne lui soit rattaché ni en fait, ni en droit. En fait tout d'abord. En appelant ses parents à son chevet à la maternité, la jeune mère a, elle-même, levé le secret sur son accouchement et peut difficilement prétendre ensuite imposer sa volonté que n'existe aucun lien entre son enfant et ses parents. En abandonnant l'enfant sans établir de filiation à son égard elle renonce à exercer des droits sur lui, y compris celui de décider si oui ou non il doit avoir des liens avec ses grands-parents biologiques. En droit ensuite. En levant le secret sur son identité, et compte tenu de la suppression -d'ailleurs fortement critiquable- de la fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité par la loi de ratification de 2009 (loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009, ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation N° Lexbase : L5763ICG), la mère s'expose à une action en recherche en maternité de l'enfant qui, du fait de l'action des grands-parents, connaîtra l'identité de sa mère même si, comme le relève le tribunal, l'enfant "restera libre d'exercer ou non l'action en établissement de sa filiation". On peut s'en réjouir ou le regretter... mais en tout état de cause ce n'est pas au juge des référés d'en décider et comme le note le tribunal "l'attitude ambigüe de mère d'Héléna, ne doit pas être occultée" !
(1) Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-20.153, M. X, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7497EII), et nos obs., Pour qu'il y ait des grands-parents, il faut des parents..., Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0027BLL).
(2) C. act. soc. fam., art. L. 224-6 (N° Lexbase : L5362DKS).
(3) CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04, Kearns c/ France (N° Lexbase : A2492D3P) et nos obs., Le consentement de la femme qui accouche sous X doit être libre et éclairé, Lexbase Hebdo n° 297 du 18 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4397BEL).
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