La lettre juridique n°339 du 26 février 2009 : Famille et personnes

[Questions à...] Loi n° 2006-728 du 26 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités : quel bilan deux ans après son entrée en vigueur ? Questions à Marceau Clermon, Notaire associé de l'étude Dupont-Cariot, Depaquit et Clermon

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[Questions à...] Loi n° 2006-728 du 26 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités : quel bilan deux ans après son entrée en vigueur ? Questions à Marceau Clermon, Notaire associé de l'étude Dupont-Cariot, Depaquit et Clermon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211532-questionsaloin2006728du26juin2006portantreformedessuccessionsetdesliberalitesquelbi
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par Anne Lebescond - Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités (N° Lexbase : L0807HK4), entrée en vigueur le 1er janvier 2007, a réformé tous les pans d'un système juridique qui n'avait jamais connu la moindre modification substantielle depuis la rédaction du Code civil, en 1804. Véritable bouleversement de la matière, cette loi permet, sur de nombreux points, des schémas et solutions diamétralement opposés à ceux imposés jusqu'alors. Grâce à elle, la liberté contractuelle -celle-là même qui s'invite, depuis peu, dans toutes les affaires touchant à la famille- se substitue à la rigidité de l'ancien régime, dans lequel l'autonomie de la volonté n'avait quasiment pas sa place. Toutes les composantes des successions et des libéralités étaient, en effet, encadrées par des textes, pour la majeure partie, d'ordre public. Cette liberté toute neuve se traduit, essentiellement, par la possibilité d'aménager sa succession de son vivant, au moyen de nouveaux outils et, le plus souvent, avec l'acceptation des héritiers concernés. Ont, également, été placés au premier plan de la réforme, les biens professionnels, avec l'introduction en droit français, du mandat posthume, censé faciliter la transmission de l'entreprise. Cette importante réforme des successions et des libéralités révolutionne la pratique du notariat. Face à cette multitude de possibilités, les notaires, quelle que soit la qualité qu'ils attribuent à la loi, ne peuvent dénier qu'elle leur offre des perspectives. Cela implique, cependant, qu'ils se forment à la technique contractuelle, quand leur rôle a, toujours, principalement consisté à faire respecter les nombreux impératifs posés par les textes. Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Marceau Clermon, Notaire associé de l'étude Dupont-Cariot, Depaquit et Clermon et Chargé d'enseignement à l'Université Paris-Dauphine, pour faire un premier bilan de l'application de ce texte essentiel, deux ans après son entrée en vigueur.

Lexbase : La loi du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités, a mis à plat un régime juridique, qui n'avait, jusqu'alors, jamais été modifié. Quelles sont les raisons d'un revirement aussi soudain ?

Marceau Clermon : La réforme des successions et des libéralités promulguée en juin 2006 et entrée en vigueur le 1er janvier 2007 s'inscrit dans le mouvement de contractualisation du droit de la famille, initié en France très récemment. Si la prise de conscience de la nécessité d'adapter le droit aux évolutions de la société a été tardive, dès lors qu'elle est survenue, la soudaineté des réformes et la rapidité de leur mise en place ont été symptomatiques de cet élan. Malgré tout, le législateur a prévu un délai de plus de six mois entre la promulgation de la loi et son application, afin de permettre à tous et, en particulier, aux professionnels du droit, dont les notaires, de la "digérer".

Sous l'empire du régime antérieur, l'ensemble des règles qui gouvernaient les rapports familiaux a été imprégné de la crainte de la pression patriarcale. Il fallait "extraire" les membres de la famille d'une éventuelle soumission au patriarche. Concernant plus particulièrement les libéralités, ces appréhensions justifiaient les interdictions d'aménager une succession tant qu'elle n'était pas ouverte et rendait inconcevables des mécanismes tels que la renonciation à l'action en réduction, la donation graduelle... Aujourd'hui, le législateur décide de faire confiance aux personnes et à la justesse de leur jugement pour les choses qui les concernent directement. Il met à leur disposition toute une série de moyens -à efficacité variable-, nouveaux ou, pour certains, inspirés d'une certaine féodalité. La loi pose, parallèlement, des gardes-fous, sur le fond et sur la forme. Elle a introduit, en particulier :

- la donation graduelle, qui a complété le dispositif de la donation résiduelle. Celle-ci consiste à léguer un bien, qui, s'il subsiste dans le patrimoine de son donataire à son décès, sera transmis à un tiers (second gratifié) désigné par le donateur. Si le donataire peut disposer de son bien, il ne peut, toutefois, le léguer. La donation graduelle renforce les obligations à la charge de ce dernier, puisqu'elle lui impose de conserver le bien, afin de le léguer obligatoirement au second gratifié. Elle doit être acceptée par lui dans un acte authentique, du vivant du donateur, qui, tant qu'aucune acceptation n'est pas intervenue, peut révoquer la donation ;

- la donation-partage transgénérationnelle ; la donation-partage permet de régler tout ou partie de sa succession de son vivant au profit de ses héritiers présomptifs. La loi a étendu les bénéficiaires des donations-partages, auparavant, les seuls enfants des donataires ou descendants de premier degré, à leurs enfants, sous réserve de recueillir la renonciation des parents à leur héritage. Il est, également, possible, pour les familles recomposées, de procéder à une donation-partage, dite conjonctive, à l'égard des enfants de lits différents, aux côtés des enfants communs ;

- le pacte successoral, qui permet à une personne, avec l'accord de l'ensemble de ses héritiers réservataire, d'organiser librement la transmission de ses biens après son décès. Il comporte, en effet, la renonciation anticipée des réservataires à agir en réduction pour atteinte à leur réserve. La gravité de l'acte pour ceux-ci impose la forme authentique à peine de nullité, pour s'assurer de la réalité des consentements ;

- et le mandat à effet posthume, prémices, en quelques sortes, de la fiducie en France, qui consiste à désigner de son vivant une personne chargée, après le décès, d'administrer (ce qui exclut tout acte de disposition), pour une durée plafonnée par la loi, tout ou partie de la succession pour le compte et dans l'intérêt d'un ou plusieurs héritiers déterminés. Le mandat doit être justifié par un intérêt légitime et sérieux, lié, soit à la personne de l'héritier, soit au patrimoine. Il requiert l'acceptation du mandataire et doit être passé par acte notarié.

La loi permet, également, le cantonnement de l'émolument du conjoint, en application de l'article 1094-1 du Code civil (N° Lexbase : L0260HPC), selon les termes duquel, "pour le cas où l'époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l'autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d'un étranger, soit d'un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement. Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles".

Dans l'élaboration de ces nouveaux dispositifs, le législateur a cherché à prendre en compte les évolutions de la société, notamment, en termes de démographie (1). L'analyse des données démographiques révèle, en particulier, un vieillissement de la population tel que, demain, les héritiers seront, pour la plupart, des retraités. Il arrivera alors, très souvent, que leurs enfants aient plus besoin de l'héritage qu'eux-mêmes. Afin de donner plus de cohérence au régime, la loi a "multiplié" les héritiers probables, notamment, dans le cadre de la donation transgénérationnelle ou du pacte successoral.

Lexbase : Quel bilan faîtes-vous de l'application de la loi du 23 juin 2006, depuis son entrée en vigueur, il y a deux ans ?

Marceau Clermon : La loi portant réforme des successions et des libéralités est, selon moi, une "bonne loi", dans l'ensemble, parce qu'elle répond à des besoins contemporains, d'une part, et parce qu'elle recèle de trésors de subtilité, d'autre part. La loi pose des mécanismes intelligents. Il en va, par exemple, ainsi du cantonnement de l'émolument ou de la renonciation. Prenons le cas de deux frères héritiers. Sous le régime antérieur, en cas de renonciation de l'un d'entre eux, sa part d'héritage allait obligatoirement à son frère, plutôt qu'à ses enfants. Aujourd'hui, ceux-ci peuvent, sans difficulté, hériter.

Les apports de la loi ne sont, néanmoins, pas tous aussi positifs. Je pense, notamment, au mandat posthume et aux donations graduelles.

Ces dernières présentent une certaine dangerosité. Le premier bénéficiaire, qui a l'obligation de conserver le bien en vue du legs au profit du tiers gratifié, n'a pas toujours conscience de l'étendue de son engagement. Les charges qui seront engendrées pour la conservation du bien peuvent être au dessus des moyens du donataire, ou le devenir, en raison des aléas de la vie. Or l'acceptation de la donation graduelle est irréversible. Le rôle du notaire est, alors, de s'assurer de la réalité du consentement du donataire.

Concernant les mandats posthumes, il s'agit, à mon sens, purement et simplement, de publicité mensongère. Alors qu'on suppose, fréquemment, que le mandat porte sur la gestion de l'entreprise, il concerne, en réalité, les biens professionnels que sont les titres composant le capital de la société. Le mandataire administrera, donc, les actions ou les parts sociales, ce qui se traduira, essentiellement, par l'exercice des droits politiques y attachés -soit, le droit de vote, lors des assemblées générales-. Cette confusion écartée, il reste, encore, à s'attarder sur les nombreuses limites posées par le législateur. Tout d'abord, le mandat est seulement conféré, en principe, pour une durée qui ne peut être supérieure à deux ans (C. civ., art. 821-1, al. 2 N° Lexbase : L9953HNX) (2). Il pourra, cependant, être prorogé par le juge, sur la demande d'un héritier ou du mandataire. Autre limite considérable, qui vide quasiment de sa substance le dispositif : tant que la succession n'a pas été acceptée par au moins un héritier, le mandataire n'est autorisé à effectuer que les seuls actes conservatoires, visés à l'article 784 du Code civil (N° Lexbase : L9857HNE) (C. civ., art. 812-1-3 N° Lexbase : L9909HNC), à l'exception des actes de gestion et d'administration. Dès lors que la succession sera acceptée, les héritiers conservent, en outre, le droit de disposer du bien. Ils seront donc habilité à s'en départir à tout moment, mettant, par là, fin à la mission du mandataire. Les héritiers disposent, donc, de nombreux moyens d'atteindre à la volonté du défunt. Les statuts de la société peuvent constituer un obstacle supplémentaire à l'exercice du droit de vote du mandataire. Ensuite, les actes de disposition étant exclus, la question s'est posée de savoir si le mandataire pouvait voter à toutes les résolutions, quel que soit leur objet ou la majorité requise. La jurisprudence rendue en matière d'indivision des droits sociaux doit pouvoir être transposée : le mandataire ne sera pas autorisé à voter de résolutions portant sur des actes de disposition, telles la fusion, la dissolution (3) ou encore la prorogation de la durée de la société (4)-. Pour finir, le mandat pose le problème de la responsabilité civile du mandataire. Compte tenu des enjeux, il est vivement conseillé de souscrire une assurance pour la couvrir, ainsi que la rémunération que le mandataire perçoit éventuellement. En conclusion sur ce point, je ne vois pas, personnellement, d'autres réelles fonctions au mandat posthume, que celles psychothérapeutiques, qui permettent au dirigeant d'exprimer qui il veut aux manettes ou plutôt, qui il ne veut pas.

Lexbase : Concernant la transmission d'entreprise, si l'efficacité du mandat posthume est finalement réduite, quels moyens reste-t-il à la disposition du chef d'entreprise pour s'assurer de la bonne continuation de sa société ?

Marceau Clermon : Je conseille plus volontiers à mes clients d'envisager la transmission de leur entreprise sous l'angle du pacte successoral ou de la donation-partage, lorsque, dans ce dernier cas, la personne que l'on souhaite aux commandes fait partie des héritiers potentiels. Dans de tels mécanismes, l'accord de tous est requis, ce qui évite toute situation de blocage une fois la succession ouverte. L'héritier dispose, ici de l'ensemble des prérogatives sur le bien, des actes de conservation aux actes de disposition (hors le cas des donations graduelles et/ou sauf volonté contraire du mandat). Il ne risque pas, en outre, d'être inquiété par les autres héritiers, l'acceptation de ceux-ci étant irrévocable. Cependant, les dirigeants ne pourront recourir à ces dispositifs, qu'à la condition qu'ils aient, dans leur entourage, une personne à même de gérer au mieux la société, ce qui n'est pas toujours le cas..

Lexbase : En quoi la loi du 23 juin 2006 a-t-elle révolutionné l'exercice de la profession de notaire ?

Marceau Clermon : La contractualisation des successions et des libéralités implique, en premier lieu, que le notaire acquière des réflexes dont il n'avait pas besoin jusqu'alors. Du jour au lendemain, les règles qu'il devait appliquer et qu'il n'arrivait, souvent, pas à justifier à ses clients, ne s'imposent plus. Adopter un discours opposé à celui que l'on a toujours tenu depuis le premier jour de notre exercice est loin d'être évident.

Il ne faut pas, non plus, perdre de vue, que le pendant de la contractualisation est, en principe, la multiplication des contentieux. Le contrat doit faire mieux que la loi, pour prévenir un tel risque, et c'est au notaire qu'il revient de le rédiger. Or celui-ci n'est pas encore rompu à la technique contractuelle. Il n'est accoutumé, ni aux exposés préalables, ni aux clauses d'interprétation ou de définitions, pourtant indispensables, et appréhende, finalement, de travailler sans filet. Pour cette raison, beaucoup des dispositifs permis par la loi du 23 juin 2006 ne sont, en définitive, pas ou peu utilisés. La profession, il me semble, n'a pas encore digéré tous les enjeux de la réforme de l'autonomie de la volonté. Pourtant, il faudra bien qu'elle passe d'une attitude passive à une attitude active, du subi au géré, pour s'approprier ces nouveaux outils de travail.


(1) Cf. Marceau Clermon, Transmission et démographie - Cantonner, renoncer, sauter : les nouvelles stratégies de transmission, JCP, éd. N., n° 51 du 19 décembre 2008, p. 13 et s..
(2) La durée du mandat posthume peut être portée à cinq ans, avec faculté de prorogation de la même façon, en raison de l'inaptitude, de l'âge du ou des héritiers ou de la nécessité de gérer des biens professionnels.
(3) Cass. civ. 1, 6 février 1980, n° 78-12.513, Consorts Constant, Feutrel c/ Consorts Constant (N° Lexbase : A3458AG8).
(4) TGI Lille, 26 février 1962.

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