Réf. : CAA Nantes, 4ème ch., 23 janvier 2009, n° 08NT01579, Département du Loiret (N° Lexbase : A2817EDP)
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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis
le 07 Octobre 2010
Dans sa décision, elle indique que "compte tenu de la durée de cette situation et de ses divers inconvénients, et alors que l'évaluation à laquelle a procédé le département du Loiret établissait que le recours au contrat de partenariat permettait, en l'espèce, la réalisation du projet dans un délai inférieur d'une année, au moins, à celui qu'aurait imposé la passation d'un marché soumis aux dispositions du Code des marchés publics, le principe de ce recours se trouvait justifié par la nécessité de rattraper un retard particulièrement grave, préjudiciable à l'intérêt général, et affectant le bon fonctionnement du service public de l'enseignement ; qu'ainsi, le projet arrêté par la commission permanente du conseil général du Loiret, dans sa délibération du 18 novembre 2005, doit être regardé comme répondant à la condition d'urgence à laquelle les dispositions de l'article L. 1414-2 du Code général des collectivités territoriales subordonnent la passation d'un contrat de partenariat".
Une telle solution ne manque pas de surprendre et l'on espère que le Conseil d'Etat aura l'occasion de se prononcer. En attendant, l'on ne peut que constater que la cour administrative d'appel de Nantes a retenu, en l'espèce, une conception de la condition relative à l'urgence assez particulière, car ressemblant fortement à une sorte de bilan avantageux et s'inscrivant dans le mouvement actuel de banalisation du contrat de partenariat (II). Pour mieux mesurer la portée de l'appréciation ainsi portée par les juges nantais, sans doute convient-il de rappeler dans quelles conditions cette condition relative à l'urgence du projet est apparue (I).
I - Les origines de la condition relative à l'urgence
Alors que le Gouvernement souhaitait faire des contrats de partenariat des contrats globaux de droit commun, il a dû faire machine arrière à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003 (4). Celui-ci a, en effet, considéré que de tels contrats dérogeaient au droit commun de la commande publique et de la domanialité publique, et que de semblables dérogations devaient être réservées "à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé" (considérant 18).
Prenant acte des exigences constitutionnelles, le législateur délégué a conditionné la conclusion du contrat de partenariat pour en faire des contrats subsidiaires. En effet, l'ordonnance du 17 juin 2004 et le Code général des collectivités territoriales disposaient, dans leur version initiale, que "les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que pour la réalisation de projets pour lesquels une évaluation, à laquelle la personne publique procède avant le lancement de la procédure de passation : a) montre ou bien que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n'est pas objectivement en mesure de définir seule, et à l'avance, les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d'établir le montage financier ou juridique du projet, ou bien que le projet présente un caractère d'urgence ; b) expose avec précision les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif qui l'ont conduite, après une analyse comparative, notamment en termes de coût global, de performance et de partage des risques, de différentes options, à retenir le projet envisagé et à décider de lancer une procédure de passation d'un contrat de partenariat".
Tout en reprenant l'esprit de la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003, à savoir le caractère subsidiaire du contrat de partenariat, le Gouvernement s'était bien gardé, en 2004, d'expliciter le sens de la condition relative à l'urgence du projet, urgence pouvant justifier le recours au contrat de partenariat à condition qu'il soit, également, démontré le caractère avantageux de la réalisation du projet envisagé selon la formule partenariale. La raison de ce silence était évidente : en ne définissant pas l'urgence, le Gouvernement souhaitait se réserver une marge de manoeuvre conséquente et le risque était donc que le contrat de partenariat devienne, en pratique, et grâce à une interprétation libérale de l'urgence, un authentique contrat de droit commun. Dans son jugement du 29 avril 2008, le tribunal administratif d'Orléans avait clairement indiqué qu'il n'entendait pas laisser les personnes publiques profiter abusivement du silence de l'ordonnance du 17 juin 2004. En effet, il avait visé et cité la décision du Conseil constitutionnel pour rappeler au département du Loiret que l'urgence ne pouvait pas être librement définie, mais "s'attache en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable". Mais les juges orléanais étaient aussi allés plus loin en reprenant la définition de l'urgence donnée par le Conseil d'Etat dans son arrêt "M. Sueur et autres" du 29 octobre 2004 (5), reprise à son tour par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 décembre 2004 (Cons. const., décision n° 2004-506 DC, du 2 décembre 2004, Loi de simplification du droit N° Lexbase : A0966DEI). Dans cette affaire, la Haute juridiction administrative avait, en effet, pris soin d'indiquer que l'urgence devait résulter "objectivement, dans un secteur ou une zone géographique déterminés, de la nécessité de rattraper un retard particulièrement grave affectant la réalisation d'équipements collectifs".
Tout en appliquant fidèlement les jurisprudences du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel, le tribunal administratif d'Orléans avait pris soin de les préciser en donnant un véritable contenu à la condition relative à l'urgence du projet. En l'espèce, le département du Loiret avait approuvé, en mars 1996, son programme prévisionnel d'investissements dans les collèges, à la suite de l'adoption d'une nouvelle carte scolaire, créant un secteur "Villemandeur" regroupant les élèves de Villemandeur, Vimory, Chevillon-sur-Huillard et Saint-Maurice-sur-Fessard, qui se répartissaient auparavant entre les secteurs d'Amilly et de Montargis. Ce programme concernait 18 collèges à construire ou à rénover et le classement établi plaçait le collège de Villemandeur au 13ème rang.
Après accord de l'inspecteur d'académie en mars 1999, le programme prévisionnel des investissements avait été mis à jour en décembre 1999, et la mise en service du collège de Villemandeur avait alors été programmée pour la rentrée 2002. Malheureusement, le département avait alors rencontré diverses difficultés pour l'acquisition des terrains nécessaires. Il avait, également, dû faire face à l'échec de deux appels d'offres successifs et avait dû se résoudre à résilier le marché conclu avec le maître d'oeuvre. Dans l'attente de l'évolution de la situation, c'est le collège Robert Schumann qui avait accueilli à Amilly les élèves qui étaient normalement destinés à fréquenter le collège de Villemandeur. Une telle situation présentait un caractère d'urgence aux yeux des élus du département du Loiret. Ils soutenaient, en effet, que l'accumulation des retards et la circonstance que le collège Robert Schumann accueillait 900 élèves, alors que sa capacité d'accueil n'était que de 600 collégiens, justifiaient le recours au contrat de partenariat pour la construction du collège de Villemandeur.
C'est avec une rigueur et une précision toute particulière que les juges orléanais avaient, en l'espèce, apprécié la réalisation de la condition relative à l'urgence. Ils avaient d'abord souligné que les marchés relatifs à la restructuration du collège d'Amilly avaient fait l'objet d'avenants relatifs à l'ajout de 5 salles banalisées, d'une nouvelle salle de sciences, et à l'extension du réfectoire afin, précisément, de permettre à l'établissement d'accueillir à la rentrée 2005 le surplus de collégiens en provenance du secteur de Villemandeur. Le tribunal administratif avait ainsi mis en exergue le fait que le département du Loiret avait "oublié" de mentionner l'existence de ces travaux. A cela s'ajoutait la circonstance que des moyens logistiques avaient été mobilisés pour assurer le transport des collégiens vers Amilly. Enfin, le jugement du 29 avril avait noté que le rapport d'évaluation mentionné à l'article L.1414-2 du Code général des collectivités territoriales faisait apparaître que le gain de temps qui était escompté par la collectivité du fait du recours au contrat de partenariat, avec une mise en service du collège de Villemandeur à la rentrée 2007, était d'une à deux années. Le tribunal administratif d'Orléans avait conclu que ce délai n'était pas décisif dans la mesure où les conditions matérielles de transport d'accueil, d'enseignement et de restauration mises en place à titre provisoire, permettaient sans difficulté particulière d'attendre un peu plus longtemps, notamment pour mettre en oeuvre les procédures de commande publique de droit commun. Au total, "l'atteinte portée au fonctionnement du service public par le retard affectant la réalisation du collège de Villemandeur ne présentait pas, à supposer même que le département ait accompli toutes diligences pour y remédier, un caractère de gravité suffisant pour justifier légalement qu'il soit dérogé au droit commun de la commande publique par le recours au contrat de partenariat".
II - Une conception particulière de la condition relative à l'urgence
C'est une appréciation totalement différente que les juges de la cour administrative d'appel de Nantes ont porté. Ils ont, en effet, pris appui sur les inconvénients résultant du retard pris dans la réalisation du collège de Villemandeur, avant de relever que le recours au contrat de partenariat permettait de "gagner" au moins une année par rapport à la solution qui aurait consisté à conclure un marché public. Plus précisément, les juges d'appel ont considéré que le retard pris dans la construction du collège de Villemandeur avait contraint le collège d'Amilly, conçu pour accueillir 600 élèves et équipé d'un restaurant scolaire de 220 places, de recevoir un nombre total de 900 élèves. Cette situation de sureffectif entraîna ainsi, pendant deux années, jusqu'à l'ouverture du collège de Villemandeur à la rentrée de 2007, de nombreuses difficultés relatives à la gestion des locaux, à la discipline et à la sécurité des élèves, ainsi qu'aux possibilités d'accès à la cantine. Partant de ce constat, la cour administrative d'appel a, alors, considéré que le gain d'au moins une année procuré par le recours au contrat de partenariat par rapport à une procédure de marché public était décisif, et permettait de satisfaire à la condition d'urgence posée par l'article L. 1414-2 précité.
Une telle argumentation ne manque pas de surprendre car elle repose sur l'idée que la preuve du bilan avantageux du contrat de partenariat suffirait, à elle seule, à établir la légalité du recours à ce type de contrat. Un rappel des conditions posées par l'ordonnance du 17 juin 2004 (et par le Code général des collectivités territoriales) n'est peut-être pas inutile à ce stade. Dans leur version initiale qui était applicable en l'espèce, ces deux textes posaient deux conditions cumulatives. Le recours au contrat de partenariat devait être justifié par l'urgence ou la complexité du projet et il fallait, en plus, procéder à une évaluation préalable exposant les motifs justifiant le choix du contrat de partenariat par rapport aux autres procédés de la commande publique et apportant la preuve du bilan avantageux du recours au contrat de partenariat. Que les juges nantais viennent donc, dans l'espèce commentée, prendre appui sur l'évaluation préalable et le gain supposé d'une année pour apporter la preuve de l'urgence du projet a donc de quoi surprendre. Un tel raisonnement revient purement et simplement à banaliser le recours au contrat de partenariat, en liant sa conclusion à la seule démonstration d'un bilan favorable.
Il faut dire que la cour administrative d'appel de Nantes a peut-être été influencée par les modifications qui ont été apportées par la loi du 28 juillet 2008 aux dispositions initiales de l'ordonnance du 17 juin 2004 et au Code général des collectivités territoriales. Même si ces nouvelles dispositions n'étaient pas applicables au cas d'espèce, il faut savoir que la loi du 28 juillet 2008 a considérablement modifié l'agencement des conditions du recours au contrat de partenariat, et cela afin d'en faciliter la conclusion. Au système reposant sur deux conditions cumulatives (projet urgent ou complexe et bilan avantageux), le législateur a substitué un dispositif reposant sur trois conditions alternatives (projet urgent ou complexe ou avantageux). De fait, il est, désormais, plus facile de justifier le recours au contrat de partenariat car la simple démonstration de son efficience (pour reprendre les termes employés par le secrétaire d'Etat chargé du Commerce) suffit.
Initialement subsidiaire, le contrat de partenariat tend à devenir progressivement un contrat dont la conclusion est faussement conditionnée. C'est oublier, pourtant, que s'il offre de nombreux avantages, il présente, également, de sérieux risques pour les collectivités publiques comme le montre, notamment, le retour d'expérience britannique (endettement déguisé des personnes publiques, coût de l'ouvrage finalement plus élevé en partenariat public-privé, gain de temps minime voir nul, etc.). On ne peut donc qu'inciter les collectivités publiques à faire preuve de la plus grande prudence en la matière.
(1) Loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008, relative au contrat de partenariat, JO du 29 juillet 2008, p. 12144. Et nos obs., La loi du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat : une promotion du partenariat public-privé à la française enfin assurée, Lexbase Hebdo n° 80 du 24 septembre 2008 - édition publique (N° Lexbase : N1937BH9).
(2) Loi n° 2009-179 du 17 février 2009, pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés, JO du 18 février 2009, p. 2841.
(3) TA Orléans, 29 avril 2008, n° 0604132, M. Jean-Pierre Lenoir, Syndicat national des entreprises de second oeuvre du bâtiment ([LXB=A8857D8K)]), Dr. adm., 2008, comm. 92, note F. Melleray, et nos obs. Le contrat de partenariat, un contrat administratif résolument subsidiaire, Lexbase Hebdo n° 71 du 25 Juin 2008 - édition publique (N° Lexbase : N3767BGM).
(4) Cons. const., décision n° 2003-473, du 26 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : A9631C89).
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 29 octobre 2004, n° 269814, M. Sueur (N° Lexbase : A6635DD4), RFDA, 2004, p. 1108, concl. D. Casas.
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