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N5752BIU
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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
le 07 Octobre 2010
La déductibilité des provisions constituées par un contribuable est subordonnée au respect de conditions de forme et de fond.
S'agissant de la forme, le droit fiscal, traditionnellement attaché au formalisme, exige une inscription en comptabilité et sur le tableau des provisions, même s'il n'y a qu'une seule provision constituée par l'entreprise (CE, 22 avril 1963, n° 57820, Dupont 1963, p. 458).
En second lieu, les dispositions de l'article 39-1-5° du CGI et la jurisprudence subordonnent la déductibilité des provisions aux conditions de fond suivantes.
- Les pertes ou les charges provisionnées sont admises en déduction : elles entraînent, à ce titre, une diminution de l'actif net.
- Les pertes ou les charges doivent être nettement précisées : à ce titre, leur montant doit être évalué avec une approximation suffisante. Ainsi, une assignation délivrée à une entreprise, afin de mettre en cause sa responsabilité civile, ne comportant aucun élément chiffré ne peut être considérée comme étant d'une approximation suffisante justifiant la constitution d'une provision (CAA Paris, 2ème ch., 28 mars 1995, n° 93PA01414, Société Etudes et Réalisations de Constructions (ERC) N° Lexbase : A2489BIZ). La jurisprudence reconnaît l'usage des statistiques, élaborées par un syndicat professionnel ou par l'entreprise elle-même, si elles sont pertinentes et fiables (CE 9° et 10° s-s-r., 14 février 2001, n° 189776, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Catalogne Poids Lourds N° Lexbase : A8859AQ8). Telle est l'hypothèse d'une provision pour créances douteuses basée sur un pourcentage d'irrécouvrabilité issu des observations de l'entreprise. En revanche, pour un magasin de vêtements, le fait de constituer une provision à partir d'un taux identique de dépréciation à l'ensemble des collections sans distinction entre les vêtements "hommes", "femmes" et "enfants" ne répond pas aux exigences de la loi (CAA Nantes, 1ère ch., 3 mars 1998, n° 95NT01197, SARL Les Fadas N° Lexbase : A9954BGR).
- Les pertes ou les charges sont probables : elles ne peuvent être éventuelles et les circonstances de fait et de droit ont un rôle déterminant dans chaque cas d'espèce. Ainsi, est probable le risque supporté par l'entreprise lors d'un recours contentieux initié par un tiers à son encontre, telle qu'une action prud'homale, par exemple.
- Les pertes ou les charges résultent d'événements en cours à la date de clôture de l'exercice mais le contribuable est libre (1) de doter l'intégralité de la provision ou de reporter cette décision sur un exercice ultérieur, toutes choses égales par ailleurs (CE Contentieux, 2 décembre 1977, n° 1247 N° Lexbase : A5203AZQ). Il est toutefois possible de s'interroger sur l'influence de la date de prise de connaissance, par l'entreprise, de l'événement en cours justifiant la provision. Le contribuable peut-il ainsi déduire la provision lorsqu'il prend connaissance, après la clôture de l'exercice mais avant l'expiration du délai de déclaration des résultats, d'un événement en cours à la date de clôture ? La cour administrative d'appel de Lyon y a répondu par l'affirmative s'agissant d'une entreprise victime de malversations commises lors d'un exercice clôturé au 31 décembre, mais en ayant eu connaissance avant l'expiration du délai de déclaration des résultats de l'exercice en question, a pu constituer une provision (CAA Lyon, 2ème ch., 24 mai 2000, n° 96LY00682, SARL L'Orangeraie N° Lexbase : A8222AZK). L'arrêt "Société Abstract Medecine" rendu par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 9ème ch., 16 octobre 2008, n° 07PA02745, Société Abstract Medecine N° Lexbase : A0919ECZ) prend position dans le même sens : "dès lors que les événements justifiant la provision sont intervenus au cours de l'exercice, cette provision peut être constituée jusqu'à l'expiration du délai de déclaration alors même que l'entreprise n'aurait eu connaissance des événements dont s'agit que postérieurement à la clôture de l'exercice". Cette jurisprudence doit être approuvée car elle est commandée par le bon sens : c'est bien l'événement qui constitue le fait générateur de la provision et non l'instant de sa connaissance par le contribuable, dont il serait par ailleurs bien difficile de rapporter la preuve tant sa fugacité paraît étrangère à la rationalité cartésienne du fiscaliste !
En l'espèce, une société mère s'est portée caution à hauteur de 1 000 000 decfrancs (152 449 euros) au profit de sa filiale détenue à 100 % qui avait contracté un prêt de 5 000 000 de francs (762 245 euros) auprès d'un établissement financier afin de lancer un journal grand public consacré à la santé. La cour va alors vérifier que l'engagement de la société mère n'était pas anormal : on sait, en effet, que la théorie prétorienne de l'acte anormal de gestion permet au juge de l'impôt de refuser la déduction d'une charge considérée comme anormale dans le cadre de la gestion de l'entreprise (3). La jurisprudence témoigne à ce titre d'un contrôle opéré (4) quant à l'engagement d'une caution à l'égard d'un tiers (CE Contentieux, 24 mars 1978, n° 02628 N° Lexbase : A5160AIX) en autorisant la déduction de la provision de la base imposable (v. s'agissant d'engagements à titre gratuit : CE Contentieux, 17 février 1992, n° 74272, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget c/ Société Carrefour N° Lexbase : A5069AR8, concl. P. Martin, RJF, avril 1992, p. 267 ; CAA Lyon, 4ème ch., 25 octobre 1995, n° 94LY00427, Société Montlaur Sakakini N° Lexbase : A3094BGP ; CAA Nancy, 1ère ch., 23 novembre 1993, n° 92NC00303, SA Sodibrag N° Lexbase : A6605AWK). Puis, la cour administrative d'appel de Paris va reprendre les critères tenant en l'évaluation précise de la perte probable ainsi que l'établissement des circonstances qui vont permettre de conclure en la défaillance du débiteur principal, l'intervention de la caution ainsi que l'impossibilité pour cette dernière de "recouvrer la créance à laquelle elle sera subrogée". Au cas d'espèce, les conseillers de la cour rejettent in fine les prétentions de la requérante car la condition de probabilité n'était pas satisfaite : le constat au 1er avril 1996 -c'est-à-dire avant l'expiration du délai légal de déclaration des résultats- de l'existence de comptes déficitaires de la société filiale n'induit pas que cette dernière ait été dans l'impossibilité d'honorer la première échéance du prêt prévue au mois de juillet 1996. Partant, la provision constituée au 31 décembre 1995 n'était pas justifiée. Il y a, en effet, une distinction entre la notion de déficit et celle de trésorerie dès lors que des résultats déficitaires peuvent être la conséquence de charges non décaissables -tels que des amortissements- ne se traduisant pas par des flux monétaires. Il n'y a pas, par conséquent, de relation systématique de cause à effet entre des déficits et un futur incident de trésorerie justifiant la dotation d'une provision.
Les arrêts "Société Industrielle et Financière de l'Artois" soulèvent deux aspects l'un ayant trait à la durée de vérification de comptabilité (1) ; l'autre portant sur l'application de l'article 209 B du CGI (2).
1. Procédure
Sauf exception (5), aux termes de l'article L. 52 du LPF (N° Lexbase : L3957AL7) : "Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois". Cette garantie ne concerne que "Les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes" n'excède pas 763 000 euros (6) s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement ; ou de 230 000 euros s'il s'agit d'autres entreprises proposant des prestations de services ou exerçant une activité non commerciale (7).
La conséquence tirée par l'administration fiscale dans sa doctrine (D. adm. 13 L-1314, 1er juillet 2002, § 12) en cas de violation de cette garantie légale est la nullité absolue et inconditionnelle de la procédure même en cas d'accord tacite ou expressément formulé par le contribuable quant à la durée de la vérification sur place (8).
Que faut-il entendre par "chiffre d'affaires" ? La jurisprudence s'est prononcée à plusieurs reprises en excluant du champ d'application de l'article L. 52 du LPF les entreprises qui se livraient à des activités civiles même si le contribuable est une société de forme commerciale (CE 9° et 10° s-s-r., 28 mars 2008, n° 284548, Me Ancel, es-qualité de liquidateur de la SARL Janfin N° Lexbase : A5935D7X ; CE 9° et 10° s-s-r., 21 décembre 2007, n° 281068, Société Centre d'Etudes et d'Intérêts Particuliers N° Lexbase : A1471D3U ; CE 9° et 10° s-s-r., 21 décembre 2007, n° 281123, SCI La Baronne N° Lexbase : A1472D3W ; CE 9° et 10° s-s-r., 21 décembre 2007, n° 281124, Société Saipa N° Lexbase : A1473D3X).
Au cas particulier, la société requérante a soulevé l'irrégularité de la procédure au regard des dispositions de l'article L. 52 du LPF mais un tel grief était voué à l'échec compte tenu de la jurisprudence développée par le Conseil d'Etat et les cours administratives d'appel (CAA Nantes, 1ère ch., 5 février 2007, n° 04NT00207, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Financière du Val N° Lexbase : A3645DWW) dont la présente juridiction confortée récemment (9) par le juge de cassation (CAA Paris, 2ème ch., 11 mars 2005, n° 01PA01660, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SCI La Baronne N° Lexbase : A4445DIH ; CAA Paris, 2ème ch., 11 mars 2005, n° 01PA01650 Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Saipa N° Lexbase : A4442DID ; CAA Paris, 2ème ch., 11 mars 2005, n° 01PA01649, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SARL Centre d'études et d'intérêts particuliers N° Lexbase : A4441DIC).
En effet, l'activité de la société requérante consistait en la gestion d'un portefeuille de titres et de créances ayant un caractère civil quand bien même la société anonyme relevait de l'IS. En conséquence, c'est sans surprise que la société Industrielle et Financière de l'Artois ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 52 du LPF.
2. Sur le fond
Les faits de cette espèce ont un point commun avec les poupées russes ! Qu'on en juge : la société requérante, sise en France, détenait 20 % du capital et 27 % des droits de vote d'une société dont le siège social était au Vanuatu -Etat paradisiaque situé à l'est de l'Australie- qui elle-même détenait la quasi-totalité du capital et des droits de vote de trois sociétés dont deux avaient leurs sièges sociaux aux Iles Caïman et la troisième au Luxembourg ; cette dernière détenant la quasi-totalité du capital et des droits de vote de deux sociétés situées respectivement au Panama et à Hong-Kong.
L'intérêt soutenu de la société contribuable pour les contrées exotiques et fiscalement "avantageuses" a attiré l'attention de l'administration fiscale qui a usé d'une arme redoutable pour les exercices clos de 1993 à 1995 : l'article 209 B du CGI (CGI, art. 209 B N° Lexbase : L3877HL8).
Ayant fait l'objet d'une substantielle réécriture applicable à compter du 1er janvier 2006 (loi n° 2004-1484 du 31 décembre 2004, de finances pour 2005, art. 104 N° Lexbase : L5203GUA ; instruction du 16 janvier 2007, BOI 4 H-1-07 N° Lexbase : X7928ADY) à la suite de critiques de la doctrine fiscale française dont les termes employés traduisaient la vivacité ("Waterloo morne plaine" (10), "Pour qui sonne le glas" (11), "le paradis retrouvé" (12), "Après les ténèbres, la lumière" (13)) en écho à la jurisprudence "Société Schneider Electric" (CE Contentieux, 28 juin 2002, n° 232276, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Schneider Electric N° Lexbase : A0219AZ7), les dispositions de l'article 209 B visent à déroger au principe de territorialité de l'impôt sur les sociétés (CGI, art. 209 I N° Lexbase : L3755IAC) en permettant à l'administration d'imposer en France des résultats, notamment (14), de sociétés filiales ou d'établissements sis dans des territoires à fiscalité privilégiée (CGI, art. 238 A N° Lexbase : L4758HLS).
Deux aspects méritent d'être relevés dans cet arrêt : l'un a trait au caractère privilégié des régimes fiscaux des filiales et des sous-filiales qui ne peut être mis en évidence que par des comparaisons. Or, il s'infère des faits que la filiale Plantations des Terres Rouges sise au Vanuatu avait également un établissement en Malaisie et que la charge d'impôt était alors comparable à celle qu'elle aurait supportée en France si on acceptait l'idée de tenir compte de l'ensemble de ses résultats au Vanuatu et en Malaisie. On sait, en effet, que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 209 B est conditionnée par la constatation de l'existence d'un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du CGI et que, si la loi de finances pour 2005 a offert une définition légale (15), la doctrine administrative (16) applicable au cas particulier avait auparavant précisé ce qu'il fallait comprendre lorsque le second alinéa de l'article 238 A du CGI disposait qu'il s'agissait d'"impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France" (17). La cour administrative d'appel juge alors que la société sise au Vanuatu n'était pas soumise à un régime fiscal privilégié car il fallait également prendre en compte les résultats de l'établissement malaisien. Elle infirme ainsi le raisonnement de l'administration fiscale qui entendait écarter les résultats de l'établissement installé en Malaisie au nom de la territorialité de l'IS puisque, selon elle, les dispositions de l'article 209 B I bis 3 applicables aux faits de l'espèce précisaient que le résultat devait être "déterminé selon les règles fixées par le présent code". Si l'article 209 B est, de par sa rédaction-même, une dérogation au principe de territorialité présentée en son temps comme une "consolidation-punition" selon l'expression du Professeur Maurice Cozian (18) (v. également N. Melot, Territorialité et mondialité de l'impôt, Dalloz, coll. : Nouvelles Bibliothèque de Thèses, 2004, p. 684 et s.), la thèse de l'administration fiscale peut paraître paradoxale car elle consistait tout à la fois à écarter la territorialité de l'IS pour appréhender les bénéfices de structures étrangères et les imposer en France, tout en se réfugiant dans le même temps derrière le paravent de la territorialité afin d'exclure les résultats d'un établissement d'une société étrangère dans le cadre de l'évaluation de sa charge fiscale au regard de la notion de régime fiscal privilégié. Par conséquent, il faudrait comprendre que la formulation -aujourd'hui encore d'actualité (19)- de l'article 209 B I bis 3 du CGI ("Le résultat [...] est déterminé selon les règles fixées par le présent code") ne renverrait pas aux dispositions de droit commun portant sur la territorialité de l'IS tant pour la détermination du résultat -puisque l'article 209 B y déroge- que pour l'appréciation d'un régime fiscal privilégié visé par l'article 238 A du CGI.
Le second aspect a trait à la conformité de ce dispositif anti-évasion fiscale au regard du principe communautaire de liberté d'établissement : pour la cour administrative d'appel, l'article 209 B du CGI est une restriction à l'article 43 du Traité CE mais il est néanmoins applicable dans l'hypothèse de "montages purement artificiels destinés à éluder l'impôt national normalement dû en France". Une telle prise de position est directement inspirée par les canons de la jurisprudence communautaire (CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer N° Lexbase : A0410AW4 ; CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise (20) N° Lexbase : A0045DNY) et plus particulièrement de l'arrêt "Cadbury Schweppes plc et Cadbury Schweppes Overseas Ltd" (CJCE, 12 septembre 2006, aff. C-196/04, Cadbury Schweppes plc c/ Commissioners of Inland Revenue N° Lexbase : A9641DQ7) dont la cour va reprendre les termes-mêmes (21) tenant en la vérification, "sur la base d'éléments objectifs et vérifiables par des tiers", d'une réelle implantation dans l'Etat membre d'accueil de la société en question qui doit "y exerce[r] des activités économiques effectives" pour en conclure, au cas particulier, que la requérante n'apportait pas la preuve de l'effectivité de l'activité économique de la sous-filiale luxembourgeoise, et qu'ainsi, l'application par l'administration fiscale de l'article 209 B du CGI ne violait pas le principe de liberté d'établissement.
L'arrêt "Lecomte" rendu par la cour administrative d'appel de Lyon s'inscrit dans le cadre des dispositions adoptées par le CGI afin de lutter contre la tentation de certains dirigeants d'entreprise de s'octroyer des revenus présentés sous une autre forme que des salaires ou des dividendes et de les imposer au titre des distributions "camouflées" (CGI, art. 109-1 N° Lexbase : L2060HLU), "présumées" (CGI, art. 111-a N° Lexbase : L2066HL4) ou "occultes" (CGI, art. 111-c), pour reprendre les expressions employées par le Professeur Maurice Cozian (M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis, coll. : Litec Fiscal, 32ème édition, 2008, p. 250 et s.) et en tout état de cause irrégulières.
Les faits de l'espèce rapportent qu'une SARL, dirigée par l'un des requérants, a financé de substantiels travaux immobiliers dans son habitation personnelle ainsi que dans un immeuble appartenant à une société civile immobilière dont le contribuable était également le gérant et associé. La SARL a traduit, dans ses livres comptables, les flux au débit d'un compte d'immobilisation soldé, dans un second temps, par l'inscription des sommes représentatives des travaux à un compte de tiers au nom de Lecomte.
L'administration fiscale a réintégré dans la base imposable du couple la cession non déclarée de la participation au capital de la SARL ainsi que le montant des travaux immobiliers au titre des revenus réputés distribués.
Les contribuables ayant été déchargés en première instance des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des accessoires, le ministre a relevé appel du jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble.
Deux problématiques étaient soulevées : d'une part, les requérants entendaient opposer le fait que M. Lecomte n'était plus associé à la date de clôture de l'exercice le 31 décembre 1995 puisque la veille, il avait cédé la totalité de sa participation au capital de la SARL. Mais, pour la cour, dès lors que le compte de tiers ouvert en son nom n'était pas soldé en fin d'exercice, la présomption de distribution des sommes ne pouvait être remise en cause car les sommes restant dues ont bien été octroyées par la société au contribuable lorsque ce dernier avait la qualité d'associé ; peu importait, alors, la cession ultérieure de la totalité des titres à un tiers. L'argumentation du contribuable était cousue de fil blanc et la décision rendue par la cour administrative d'appel de Lyon a le mérite de ne pas encourager une fraude consistant pour un contribuable à se présenter comme une personne non associée le jour de la clôture de l'exercice après avoir disposé des fonds de la société. Bien que l'arrêt ne le rapporte pas, l'enchaînement parfait des événements en période de fêtes de fin d'année est susceptible de semer le trouble pour le lecteur quant à l'attitude du rédacteur de l'acte qui aurait -bien malgré lui- cédé à la tentation de l'acte antidaté, pour les besoins de la cause, conclu et rédigé en réalité après la clôture de l'exercice litigieux au profit d'un tiers. De ce point de vue, l'arrêt nous semble conforme à l'esprit du législateur qui n'a pas entendu permettre une appréhension de facto (22) des actifs de la société sans en tirer les conséquences fiscales.
D'autre part, si les contribuables établissent le versement, le 29 décembre 1995, à la SARL d'une somme d'argent, ils ne peuvent pas démontrer qu'elle correspondait au remboursement des travaux pris en charge par la société. On sait, en effet, que l'administration fiscale admet "de ne pas imposer comme revenus distribués les sommes que le contribuable établit avoir remboursées à la société distributrice" (23) (CE 3° et 8° s-s-r., 10 octobre 2003, n° 244445, M. Lascaze N° Lexbase : A8445C9N). La jurisprudence en tire les conclusions en déchargeant le contribuable qui aurait effectué le remboursement avant la clôture de l'exercice (CAA Paris, 2ème ch., 14 décembre 2005, n° 03PA00052, M. Maurice Erner N° Lexbase : A7040DMP). Mais encore faut-il en établir la preuve devant le juge du fond : les écritures comptables en sont un moyen privilégié (24) et le juge commettrait une erreur de droit s'il écartait tout autre moyen de preuve (25). Au cas d'espèce, la juridiction d'appel n'a a priori écarté aucun moyen de preuve -son arrêt n'étant alors pas susceptible de donner prise à la cassation sur ce dernier aspect- mais, pour autant, elle n'a visiblement pas été convaincue par les requérants (26).
Quant à la procédure suivie par l'administration fiscale, la cour contrôle que l'exercice du droit de communication auprès de tiers (LPF, art. L. 81 et s. N° Lexbase : L3950ALU) -au cas d'espèce auprès de l'architecte- a bien fait l'objet d'une information au profit des requérants à peine de nullité (CE Contentieux, 13 octobre 1999, n° 181010 N° Lexbase : A5023AXC ; CAA Bordeaux, 3ème ch., 5 janvier 1999, n° 97BX02300, Société Amibu Inc N° Lexbase : A9974BDR). Mais il appartenait aux contribuables, s'ils souhaitaient en débattre, de réclamer auprès de l'administration la communication des documents lui ayant permis d'établir ses constatations et ses appréciations. Cette exigence procédurale d'origine prétorienne (CE Contentieux, 9 juillet 1986, n° 30770, Société Financière de placement et de gestion immobilière N° Lexbase : A3898AMC ; CE Contentieux, 9 novembre 1990, n° 78795, Giral N° Lexbase : A4827AQT ; CE Contentieux, 12 octobre 2001, n° 217378, M. Piang-Siong N° Lexbase : A1808AXA ; CE 3° et 8° s-s-r., 21 décembre 2006, n° 293749, Mme Duguay (27) N° Lexbase : A1476DTT) a été reprise dans la loi (LPF, art. L 76 B N° Lexbase : L7606HEG) et elle a été commentée par la doctrine aujourd'hui en vigueur (28). In casu, la juridiction d'appel s'appuie sur la jurisprudence "Thiry" (CE 9° et 8° s-s-r., 6 juillet 1994, n° 120120, Mme Thiry N° Lexbase : A0054AIT) selon laquelle il n'est pas exigé de l'administration fiscale une communication spontanée des documents en cause. Il appartient par conséquent au contribuable d'oeuvrer en ce sens avant la mise en recouvrement des impositions (CE Contentieux, 9 juillet 1986, n° 30770 N° Lexbase : A3898AMC). La position de la cour administrative d'appel de Lyon s'inscrit dans le cadre de la primauté des droits de la défense -auxquels d'autres juridictions du fond font référence (CAA Bordeaux, 5ème ch., 8 novembre 2004, n° 01BX01877, Mlle Hélène Rosieres N° Lexbase : A8344DER ; CAA Paris, 2ème ch., 15 décembre 2004, n° 01PA03912, Société Tessier One N° Lexbase : A1148DID)- pourvu que les contribuables veuillent bien exercer leurs prérogatives à temps !
(1) Comp. avec la législation commerciale et comptable : C. com., art. L. 123-20 (N° Lexbase : L5578AIG) et Plan comptable général, art. 312-2.
(2) "Considérant qu'il résulte des dispositions précitées qu'une entreprise peut valablement, jusqu'à l'expiration du délai de déclaration, porter en provisions et déduire des bénéfices imposables les sommes correspondant aux pertes ou charges qu'elle ne supportera qu'ultérieurement, à la condition notamment qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux événements en cours à la date de clôture de l'exercice ; que, par suite, et dès lors que lesdits événements étaient en cours à cette date, l'entreprise est en droit de constater ces pertes ou charges sous forme de provision dans les écritures dudit exercice jusqu'à l'expiration du délai de déclaration, alors même qu'elle n'aurait eu connaissance des événements dont s'agit que postérieurement à sa clôture".
(3) D'après les conclusions du commissaire du Gouvernement Racine à propos de l'arrêt "Renfort Service" rendu par le Conseil d'Etat le 27 juillet 1984 (CE Contentieux, 27 juillet 1984, n° 34588, SA Renfort Service c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7122ALD), une comparaison peut être effectuée entre la théorie de l'acte anormal de gestion et le concept juridique d'intérêt social pour les sociétés. Ainsi, il a précisé dans ses écritures qu'"une entreprise, surtout lorsqu'elle est constituée sous forme de société, a pour objet la recherche et le partage de bénéfices. Tout acte qu'elle accomplit, pour réaliser cet objet, est présumé effectué dans son intérêt propre. Toutefois, à cet intérêt social, l'une des notions fondamentales du droit des sociétés, certains actes ou opérations peuvent apparaître contraires. Il est, alors, possible à ceux qui prétendent, ainsi, s'immiscer dans la gestion de l'entreprise de demander au juge commercial la nullité de ces actes et, le cas échéant, au juge pénal d'en réprimer l'auteur si l'acte normal de gestion peut être qualifié de délit, ce qui est le cas, par exemple, pour l'abus de biens sociaux. En droit fiscal, l'acte anormal de gestion est un acte ou une opération qui se traduit par une écriture comptable affectant le bénéfice imposable que l'administration entend écarter comme étrangère ou contraire aux intérêts de l'entreprise [...]. En résumé sur ce premier point, le concept d'acte anormal de gestion est le fruit de l'acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social, mais avec deux différences de taille : seule l'administration peut l'invoquer et elle peut agir d'office".
(4) "Considérant qu'il résulte de l'instruction que la Société xxxxx avait pour objet d'étudier la mise en oeuvre de systèmes nouveaux de production, de stockage et de manutention des farines et leur adaptation aux entreprises de meunerie de moyenne importance ; que le sieur xxxxx en a suscité la création en 1961 en vue d'assurer le développement ultérieur des activités de sa propre entreprise en même temps que de l'ensemble des entreprises da meunerie de taille comparable, et que, participant à la gestion de cette société, il était en mesure de bénéficier parmi les premiers du résultat des études qu'elle pouvait mener à bien ; que, dès lors, ni l'engagement de caution donné par lui, en 1961, à cette société, ni, par suite, les charges que pouvait entraîner l'exécution de cet engagement ne sont étrangers à la gestion commerciale normale de son entreprise ; que l'administration ne conteste ni le caractère probable de la perte en cause, ni son montant ; qu'ainsi la constitution de la provision dont s'agit était justifiée".
(5) En cas de graves irrégularités privant la comptabilité de valeur probante, la durée de vérification sur place ne pourra excéder six mois (loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007, de finances rectificative pour 2007, article 14 N° Lexbase : N6028BDM). Cette garantie n'est, par ailleurs, pas opposable par le contribuable si l'administration a dressé un procès-verbal de flagrance fiscale. Enfin, lorsqu'il s'agit de répondre aux observations du contribuable ou d'instruire les réclamations formulées par ce dernier, le délai de trois mois n'est évidemment pas invocable par le contribuable.
(6) Limites prévues à l'article 302 septies A du CGI (N° Lexbase : L2540HNE) instituant le régime simplifié d'imposition.
(7) S'agissant des contribuables se livrant à une activité agricole, le montant annuel des recettes brutes ne doit pas excéder la limite prévue au b du II de l'article 69 du CGI (N° Lexbase : L3060HNN), soit 350 000 euros.
(8) La jurisprudence abonde dans le même sens tant en ce qui concerne le juge administratif (CE Contentieux, 6 avril 2001, n° 205365, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M Bertrand N° Lexbase : A4649AYT) que le juge judiciaire (Cass. com., 31 janvier 2006, n° 02-18.309, FS-P+B+R N° Lexbase : A6432DM8).
(9) Supra paragraphe précédent.
(10) A. de L'Estoile-Campi et P. Juilhard, Waterloo, morne plaine L'article 209 B après l'arrêt Schneider, RJF, février 2003, p. 113.
(11) P. Juilhard, "Pour qui sonne le glas ? : Propos inconvenants sur l'article 209 B, RJF, avril 2001, p. 303.
(12) B. Boutemy, E. Meier et T. Perrot, Evasion fiscale, art. 209 B et conventions fiscales internationales : le paradis retrouvé, LPA, 27 août 2002, n° 171, p. 4.
(13) L. Olléon, Article 209 B et conventions fiscales internationales : "Après les ténèbres, la lumière", RJF, octobre 2002, p. 755.
(14) Le texte applicable à compter du 1er janvier 2006 vise une entreprise ou "une entité juridique : personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable".
(15) BOI 4-H-1-07 précité, 88 et 89.
(16) "L'appréciation de ces écarts ne peut donc dépendre que des constatations de fait effectuées à propos de chaque cas particulier, de la nature du cas examiné comme de ses circonstances propres. Toutefois, à titre de règle pratique, on pourra présumer qu'on se trouve en présence d'un régime fiscal privilégié lorsque, dans l'Etat étranger ou le territoire considéré : - le bénéficiaire étant une personne physique, une personne mariée ayant deux enfants à charge et disposant d'un revenu net global de 500 000 francs y est redevable d'un impôt personnel sur le revenu dont le montant est inférieur d'au moins un tiers à celui qu'elle aurait à supporter en France pour la même base taxable ; - le bénéficiaire étant passible des impôts sur les bénéfices, le niveau du prélèvement fiscal global supporté par une entreprise à raison des revenus ou des rémunérations en cause, ainsi que de ses autres profits professionnels (cf. n° 9 et suiv.) est inférieur d'au moins un tiers au taux normal de l'impôt français sur les sociétés", Doc. adm. 4 C-9113, 30 octobre 1997, § 15. V. également : instruction du 17 avril 1998, BOI 4 H-3-98 (N° Lexbase : X6204AAZ), § 94 à 99.
(17) Comp. depuis le 1er janvier 2006 : "Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies".
(18) Expression employée dans la 28ème édition du Précis de fiscalité des entreprises, Litec, coll. : Litec fiscal, 2004, § 707.
(19) Formulation que l'on retrouve dans la nouvelle mouture entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2006 (CGI, art. 209 B I 3).
(20) "Quant au second élément, selon lequel les opérations en cause doivent avoir pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu'il incombe à la juridiction nationale d'établir le contenu et la signification réels des opérations en cause. Ce faisant, elle peut prendre en considération le caractère purement artificiel de ces opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et / ou personnelle entre les opérateurs impliqués dans le plan de réduction de la charge fiscale (voir, en ce sens, arrêt "Emsland-Stärke", précité, point 58)", § 81.
(21) "La Cour (grande chambre) dit pour droit : Les articles 43 CE et 48 CE [N° Lexbase : L5358BCG] doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à l'incorporation, dans l'assiette imposable d'une société résidente établie dans un Etat membre, des bénéfices réalisés par une société étrangère contrôlée dans un autre Etat membre lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d'imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat, à moins qu'une telle incorporation ne concerne que les montages purement artificiels destinés à éluder l'impôt national normalement dû. L'application d'une telle mesure d'imposition doit par conséquent être écartée lorsqu'il s'avère, sur la base d'éléments objectifs et vérifiables par des tiers, que, nonobstant l'existence de motivations de nature fiscale, ladite société contrôlée est réellement implantée dans l'Etat membre d'accueil et y exerce des activités économiques effectives", § 76.
(22) C'est-à-dire en dehors de toute décision régulière prise par les organes compétents au regard du droit des sociétés.
(23) "Toutefois, cette instruction [du 19 septembre 1957] subordonne cette tolérance à la condition que le remboursement ait été effectivement opéré à une date antérieure à celle de la réception par la société de l'avis de vérification dudit exercice ou en cas de contrôle inopiné, antérieurement au passage du vérificateur'", décision "Lascaze" précitée ; v. également : CE 3° et 8° s-s-r., 13 avril 2005, n° 256847, M. Lecointre N° Lexbase : A8426DHK ; CGI ann. III, art. 49 bis (N° Lexbase : L1272HM3) à art. 49 sexies pour la restitution des impôts consécutivement au remboursement des sommes visées à l'article 111-a du CGI.
(24) Décision "Lascaze" précitée.
(25) Décision "Lascaze" précitée.
(26) La cour administrative d'appel de Lyon estime que les contribuables ne peuvent se prévaloir de la doctrine administrative 4 J-1212 du 1er novembre 1995 applicable en cas d'"avances non constatées dans un acte de prêt, mais remboursées antérieurement à la clôture de l'exercice au cours duquel elles ont été consenties".
(27) "1. L'administration ne peut, en principe, fonder le redressement des bases d'imposition d'un contribuable sur des renseignements et des documents qu'elle a obtenus de tiers sans l'avoir informé, avant la mise en recouvrement, de la teneur ou de l'origine de ces renseignements. Avant même l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 7 décembre 2005 d'où est issu l'article L. 76 B du Livre des procédures fiscales, cette obligation, qui s'impose à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, ne se limite pas aux renseignements et documents obtenus de tiers par l'exercice du droit de communication. Toutefois, elle ne s'étend pas aux informations fournies annuellement par des tiers à l'administration et au contribuable conformément aux dispositions du code général des impôts".
(28) "L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet d'une proposition de rectification. Cette information est effectuée au stade de la proposition de rectification, dans l'exposé des faits utiles à la motivation des rehaussements", instruction du 21 septembre 2006, BOI 13 L-6-06, n° 8 (N° Lexbase : X7347ADH).
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