Réf. : Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 09-40.473, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5847E9G)
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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262-Université de Rennes I)
le 07 Octobre 2010
Indubitablement, la prévisibilité du rythme de travail constitue un élément-clé du statut du salarié à temps partiel, renforcé par la loi du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37, 19 janvier 2000 N° Lexbase : L0988AH3) au titre de la protection à assurer à ce type de travailleur tout au long de l'exécution du contrat de travail. Mais cette orientation joue également un rôle désormais prépondérant dans le cadre du contentieux relatif au travail à temps partiel, spécialement celui de la requalification en contrat de travail à temps complet. Cette préoccupation a très largement "déteint" en jurisprudence.
L'article L. 3123-14 du Code du travail (N° Lexbase : L3882IBE) subordonne la validité du contrat de travail à temps partiel au respect d'un certain nombre de mentions obligatoires (2) dont la plupart ont trait au rythme de travail : la durée hebdomadaire (ou mensuelle) de travail, la répartition de cette durée entre les jours de la semaine (ou les semaines du mois), les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification, les modalités d'information sur les horaires quotidiens. A défaut, il est de jurisprudence constante que le contrat de travail est présumé avoir été conclu à temps complet. Pour autant, on le sait, il ne s'agit là que d'une présomption simple autorisant l'employeur à établir la preuve contraire.
Depuis plusieurs années, la jurisprudence se montre exigeante quant au contenu de la preuve contraire. S'il est nécessaire que l'employeur puisse prouver la durée exacte du travail convenue (par définition inférieure à la durée légale (3)), la preuve simplement contraire qui consiste à établir l'accord sur le principe d'un engagement à temps partiel ne saurait suffire. Il importe également -en l'absence d'écrit ou d'écrit incomplet- de démontrer que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'était pas tenu de se tenir constamment à la disposition de son employeur (4). Cette dernière exigence, qui se cumule avec la première, ressortit incontestablement du courant de protection du salarié à temps partiel qui doit pouvoir, en dehors de périodes de travail clairement identifiées, pouvoir vaquer librement à d'autres occupations. Et, à défaut de pouvoir rapporter cette double preuve, le juge conclura à la requalification du contrat de travail en contrat à temps complet.
Que le travail à temps partiel soit subi ou choisi, il n'est pas moins exact que la visibilité du salarié sur ses plannings est essentielle. Dans le premier cas, la prévisibilité du rythme de travail conditionne la possibilité de trouver un emploi complémentaire dont les horaires seront compatibles avec ceux du premier emploi (5). Dans l'hypothèse où l'activité à horaires réduits résulte d'un choix du salarié, la prévisibilité du rythme de travail est seule à même de garantir qu'il puisse concilier l'exercice de son emploi avec ses activités extraprofessionnelles (suivi d'une formation, éducation des enfants, ...).
La prévisibilité du rythme de travail s'avère gage de protection du salarié quelles que soient les raisons expliquant sa situation de travailleur à temps partiel. A cet effet, la législation prévoit des mécanismes visant à rendre effective cette protection en accordant au salarié :
- le droit d'être informé des horaires de travail pour chaque journée travaillée par une communication écrite dont la forme n'est pas précisée par le Code du travail (C. trav., art. L. 3123-14, 3°) ;
- le droit à un quota limitatif d'heures complémentaires (C. trav., art. L. 3123-17 N° Lexbase : L3844IBY et L. 3123-18 N° Lexbase : L0426H9N) permettant au salarié de refuser d'effectuer de telles heures en cas de dépassement des limites légales ou conventionnelles ;
- le droit de refuser d'accomplir des heures complémentaires en raison d'un délai de prévenance trop bref que la loi fixe à trois jours minimum (C. trav., art. L. 3123-20 N° Lexbase : L0428H9Q) ;
- le droit de s'opposer à des changements de la répartition de la durée contractuelle du travail qui s'opéreraient en dehors du cadre contractuel prévu (C. trav., art. L. 3123-24 al. 1er (6) N° Lexbase : L0435H9Y) ou qui interviendraient en méconnaissance du délai de prévenance légal de sept jours (C. trav., art. L. 3123-21 N° Lexbase : L0429H9R) ou encore qui mettraient à mal certains aspects de son organisation extraprofessionnelle tels que des obligations familiales impérieuses ou le suivi d'un enseignement (C. trav., art. L. 3123-24, al. 2).
L'arrêt commenté constitue une illustration de la jurisprudence s'étant développée ces dernières années et les faits d'espèce sont révélateurs de la rigueur que la Cour de cassation entend exiger des juges du fond en ce domaine. Au cas présent, il s'agissait d'une femme de ménage ayant enchaîné une douzaine de CDD à temps partiel pour remplacer des salariés absents. Elle sollicitait des indemnités pour non respect de la législation sur le travail à temps partiel (7), faisant valoir à cet effet l'imprévisibilité de son planning de travail. Pour la débouter, les juges d'appel avaient retenu la faible variation de ses horaires (8) conduisant à une amplitude insuffisante à leurs yeux pour maintenir la salariée en permanence à la disposition de l'employeur et ce d'autant plus que les révisions d'horaires intervenaient pour les besoins du service. En d'autres termes, pour les juges du fond, les variations horaires étaient justifiées et pas assez significatives pour en conclure que la salariée ne pouvait prévoir son rythme de travail. La décision de la cour d'appel de Paris est cassée sur ce point.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour de cassation recourt à un long attendu rappelant la liste des mentions obligatoires relatives à la durée et au rythme de travail et reprenant sa jurisprudence relative à la double preuve exigée de l'employeur pour combattre la présomption d'emploi à temps complet. Mais, au final, elle reproche aux juges d'appel d'avoir débouté la salariée alors qu'ils avaient relevé que ses horaires pouvaient être révisés en fonction des besoins du service mais sans avoir précisé si l'employeur avait respecté le délai de prévenance de sept jours avant de mettre en oeuvre les modifications. La Cour semble assimiler révision des horaires quotidiens et modification de la répartition de la durée du travail qui sont des situations dont le cadre juridique diffère a priori.
II - Horaires de travail et répartition de la durée du travail, deux notions à distinguer ?
Hors hypothèse de travail à temps partiel, on sait que le changement des horaires de travail relève en principe du pouvoir de direction de l'employeur, qu'il s'agisse de prévoir une nouvelle répartition journalière ou hebdomadaire du travail... sauf si la modification envisagée bouleverse l'économie de l'organisation initialement prévue (passage d'un travail de jour à un travail de nuit, ...) ou se heurte à une prévision contractuellement convenue.
En matière de contrat de travail à temps partiel, la situation est juridiquement toute autre. En effet, la répartition des jours de travail sur la semaine est de nature contractuelle. Qui plus est, l'instrumentum doit prévoir non seulement les circonstances à l'occasion desquelles une modification peut être envisagée (sorte de motifs légitimes) mais également la nature de celle-ci (c'est-à-dire les modalités et l'amplitude de la variation (9)), étant précisé que la mise en oeuvre de la clause suppose le respect d'un délai de prévenance d'au moins sept jours (10). Les prérogatives unilatérales de l'employeur s'en trouvent considérablement réduites, d'autant plus que la jurisprudence fait preuve de rigueur dans l'appréciation de la validité des clauses afin d'éviter que leur libellé n'accorde de fait un pouvoir quasi discrétionnaire à l'employeur. Est spécialement mise sous surveillance la détermination des motifs permettant l'application d'une modification. Ainsi, une clause prévoyant une variation d'horaires lorsque "les circonstances le demandent" (11) ou encore "en fonction des nécessités du service" (12) ne présente pas de caractère de validité.
En revanche, les variations affectant les horaires quotidiens emportent davantage d'incertitudes juridiques. En effet, à défaut de clause expresse contractuelle fixant un horaire de travail quotidien, il a été jugé que "le changement de l'horaire de la journée de travail d'un salarié à temps partiel relève en principe du pouvoir de direction de l'employeur" (13), ce dernier devant cependant donner une information écrite préalable au salarié sur ses horaires de chaque journée travaillée. On pourrait donc en déduire un alignement sur la situation de travail à temps complet.... si ce n'était la confusion entretenue par le législateur lui-même. La dernière phrase de l'article L. 3123-24 du Code du travail, insérée dans la sous-section consacrée à la modification de la répartition de la durée du travail, décide, en effet, de rendre applicables certaines dispositions prévues pour ce type de modification au cas de changement des horaires quotidiens ; il s'en déduit que, si cette révision intervient dans un des cas et selon les modalités préalablement définies dans le contrat de travail pour la modification de la répartition des jours de travail sur la semaine, le refus du salarié ne constitue ni une faute ni un motif de licenciement "dès lors que ce changement n'est pas compatible avec des obligations familiales impérieuses, avec le suivi d'un enseignement scolaire ou supérieur, avec une période d'activité fixée chez un autre employeur ou avec une activité professionnelle non salariée" (14) .
Au vu de la jurisprudence, la distinction des situations de révision des horaires quotidiens et de modification de la répartition de la durée du travail sur les jours de la semaine doit être fortement relativisée. On constate, en effet, une assimilation partielle des révisions des horaires quotidiens aux modifications de la répartition des jours de travail sur la semaine. Les juges font, en effet, application des dispositions des articles L. 3123-21 au changement affectant les horaires journaliers alors que ce texte vise expressément le cas où l'employeur demande au salarié une "modification de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois". Ainsi, dans l'arrêt du 15 septembre 2010, la Cour de cassation reproche aux juges d'appel, de ne pas s'être assurés, à l'occasion de la révision des horaires quotidiens de la femme de ménage, du respect du délai de prévenance de sept jours imposé à l'employeur par l'article L. 3123-21 lorsqu'il envisage de modifier la répartition de la durée du travail.
Reste à se demander si la perspective d'une révision de ses horaires quotidiens ouvre au salarié un droit de refus comparable à celui institué dans le cadre de l'alinéa 1er de l'article L. 3123-24 : refus légitime -et donc non fautif- si la révision n'est pas guidée par les circonstances contractuellement prévues pour la modification de la répartition de la durée du travail et n'intervient pas selon les modalités prédéfinies. Une décision rendue en 2004 en fait douter (15), le refus d'une salariée d'accepter de nouveaux horaires consécutivement à un changement de chantier (de 10h30-13h30 à 18h30/19h-22h) ayant été considéré comme fautif quand bien même la salariée le justifiait par l'existence de contraintes familiales (16).
Pourtant, la prudence doit être de mise au regard de l'omniprésence jurisprudentielle de l'idée de prévisibilité du rythme de travail puisque, rappelons-le, l'impossibilité de prévoir le rythme de travail est incompatible avec une relation de travail à temps partiel. Or, nul ne peut contester que la prévisibilité des horaires quotidiens participe de la prévisibilité du rythme de travail au même titre -même si c'est à un degré moindre- que la prévisibilité de la répartition des jours de travail sur la semaine. Cependant, la difficulté tient ici à l'état du droit, l'article L. 3123-14 n'exigeant pas la mention d'une tranche horaire dans le contrat de travail à temps partiel. Il devient, dès lors, indispensable que soit communiqué au salarié un planning quotidien faisant état des horaires précis d'exécution de sa prestation de travail au risque qu'il soit considéré que le salarié ne disposait pas d'une visibilité suffisante sur son rythme de travail (17), la prévisibilité devant certainement s'apprécier a priori (18). Dans cette mesure, rien ne semble pouvoir empêcher l'employeur de mettre en oeuvre unilatéralement un changement d'horaires quotidiens (19) à condition de respecter un délai de prévenance dont on ne peut que conseiller de calquer la durée minimale sur celle de l'article L. 3121-21 (N° Lexbase : L0313H9H) (soit sept jours)... comme le laisse entendre implicitement la décision du 15 septembre 2010. Il peut également envisager d'insérer une clause au contrat prévoyant les modalités d'éventuelles variations mais en prenant garde d'en faire un usage modéré car de modifications fréquentes peut se déduire l'impossibilité dans laquelle se trouve le salarié de prévoir son rythme de travail (21).
Est-il encore besoin de souligner l'omniprésence de la question de la prévisibilité du rythme de travail ? Non, seulement elle inspire la législation sur le contrat à temps partiel, mais elle guide aussi le juge dans de nombreux contentieux mettant en cause ce type de contrat (requalification, rupture, ...).
(1) Pour une illustration toute récente, voir Ch. Radé, L'égalité de traitement entre salariés à temps plein et à temps complet en questions, Lexbase Hebdo n° 410 du 30 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1000BQ4) à propos de Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 08-45.050 (N° Lexbase : A5754E9Y).
(2) L'absence de tout contrat écrit emporte a fortiori la même conséquence. Voir Cass. soc., 14 mai 1987, n° 84-43.829 (N° Lexbase : A7455AAD), Bull. civ. V, n° 337.
(3) C. trav., art. L. 3123-1 (N° Lexbase : L0404H9T).
(4) Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-47.648 (N° Lexbase : A2969DG3) -Bull. civ. V, n° 24. Tout récemment, voir 3 arrêts rendus par la Chambre sociale le 30 juin 2010 concernant notamment des distributeurs de journaux et documents publicitaires, n° 09-40.042 (N° Lexbase : A6791E3W), Cass. soc., 30 juin 2010, 3 arrêts, n° 09-40.041 (N° Lexbase : A6790E3U) et n° 08-45.400 (N° Lexbase : A6693E3B).
(5) Dans une récente décision, il est mis en évidence que l'impossibilité dans laquelle la salariée travaillant pour une association d'aide à domicile avait été de prévoir son rythme de travail l'avait "privée d'une chance d'exercer un autre emploi" (Cass. soc., 8 juillet 2010, n° 09-40.965 N° Lexbase : A2375E4Q).
(6) Dans l'arrêt de juillet 2010, il a été ainsi été jugé que la méconnaissance avérée et répétée des stipulations contractuelles de variation de la durée du travail pouvait légitimer une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement injustifié dès lors que la salariée était laissée "dans l'incertitude quant à la répartition hebdomadaire de son horaire de travail...L'employeur a [donc] empêché la salariée de prévoir son rythme de travail, l'a maintenue en permanence à sa disposition et l'a ainsi privée d'une chance d'exercer un autre emploi" (Cass. soc., 8 juillet 2010, n° 09-40.965, préc.).
(7) Le litige portait également sur la requalification des douze CDD en un contrat de travail à durée indéterminée. Sur ce point, les hauts magistrats ne tranchent pas la question sur le fond mais reprochent à la cour d'appel d'avoir inversé la charge de la preuve de la réalité des motifs de recours au CDD en faisant supporter cette preuve à la salariée et non à l'employeur.
(8) Le travail commençait toujours à 6 heures le matin et la fin du service était fixée le plus souvent à 9h ou 9h30. Parfois, le travail prenait fin à 11h et, de façon exceptionnelle, à 12h et 12h45.
(9) C. trav., art. L. 3123-14, 2°.
(10) Délai pouvant être ramené jusqu'à un minimum de trois jours ouvrés par convention ou un accord collectif de branche étendu ou convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement (C. trav., art. L. 3123-22 N° Lexbase : L0431H9T).
(11) Cass. soc., 7 juillet 1998, n°95-43.443 (N° Lexbase : A3691ABC).
(12) Cass. soc., 6 avril 1999, n° 96-45.790 (N° Lexbase : A4648AGA).
(13) Cass. soc., 18 juillet 2001, n° 99-45.076 (N° Lexbase : A2250AUU).
(14) Cass. soc., 9 juillet 2003, n° 01-42.723 (N° Lexbase : A1085C93).
(15) Cass. soc., 15 décembre 2004, n° 02-44.924 (N° Lexbase : A4692DEI).
(16) Ses charges de famille ont toutefois conduit les juges à ne pas qualifier son refus de faute grave.
(17) Voir qu'on lui imposait de rester en permanence à la disposition de l'employeur (Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.726 N° Lexbase : A5297A7C). Voir le cas "exemplaire" de certains salariés distribuant des prospectus dans les boîtes aux lettres dont les jours de travail sont définis mais qui ne savent pas à l'avance le temps qui leur sera nécessaire pour procéder à leur tournée quotidienne... donc qui ignorent quels seront leurs horaires de travail (Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-40.041 N° Lexbase : A6790E3U).
(18) Il semble indifférent de savoir si, en réalité, le salarié aurait pu vaquer à d'autres occupations faute pour l'employeur de l'avoir sollicité.
(19) Mise en oeuvre dont l'effectivité suppose toutefois que le salarié n'oppose pas à son employeur les dispositions de l'article L. 3123-24 (cas d'incompatibilités). Voir supra.
(20) Il importe toutefois de garder à l'esprit que la jurisprudence relative au changement des horaires de travail, qui prend en compte l'importance de la variation pour le déqualifier le cas échéant en modification contractuelle, est d'application aussi en matière de contrat de travail à temps partiel.
(21) Cass. soc., 19 mai 2010, n° 09-40.056 (N° Lexbase : A3885EX8) (affaire dans laquelle l'employeur avait procédé une quinzaine de fois à la modification de la répartition des horaires entre le 21 février 2001 et le 18 septembre 2003).
Décision Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 09-40.473, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5847E9G) Cassation partielle (CA Paris, 22ème ch., sect. C, 4 décembre 2008) Textes visés : C. trav., art. L. 3123-14 (N° Lexbase : L3882IBE) et L. 3123-24 N° Lexbase : L0435H9Y) Mots-clés : Travail à temps partiel. Durée du travail. Liens base : (N° Lexbase : E0438ETE) |
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