La lettre juridique n°411 du 7 octobre 2010 : Éditorial

Jeux télévisés : qu'importe le contenu, pourvu qu'on ait l'ivresse !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Cauchemardesque ! J'étais Griffin Mill, le Player de Robert Altman, pourchassé par un maître chanteur qui ne cessait de me menacer de mort, ou tout comme, de dévoiler, au monde entier, l'intrigue du jeu télévisé que j'avais mis tant de temps, non, pas à concevoir, mais à acheter aux canadiens, pour la transposer, telle une Directive européenne -c'est-à-dire, en tenant compte de l'acquis socio-culturel ou audiovisuel (n'est-ce pas la même chose)-, dans le paysage français. Tant d'efforts pour recruter cet animateur "passe partout", recueillant 80 % de capital sympathie chez la ménagère de moins de 50 ans ; tant d'efforts, pour réaliser un casting de candidats capable d'un illusoire melting pot à la française et représentant toutes les composantes caricaturales de la société ; tant d'efforts, pour que les téléspectateurs accordent de leur temps, des plus précieux, entre les RTT, le faible taux d'employabilité des seniors, le chômage et la précarité de l'emploi... Et voilà qu'un magazine, peu scrupuleux, véritable lombard de la presse, surfant sur la vague de mes efforts titanesques pour obtenir la case de du début soirée, veut détruire en une seule phrase ("le gagnant est"...), que dis je, en un seul nom (Dupont, Dupond, qu'importe), toute l'économie générale d'un divertissement, lâchons le mot : évergétique-offert par des annonceurs nantis, pour avoir pignon sur rue et, à travers leur publicité, vendre, ainsi, leurs biens et services : magistrature suprême (cf. Paul Veyne)-.

Et bien, tout David Kahane que vous êtes, magazine du sensationnel télévisuel, le droit et la justice sont pour moi ! La révélation de l'issue d'un jeu télévisé constitue un comportement parasitaire justifiant l'octroi de dommages-intérêts, me livre la cour d'appel de Versailles, ce 1er juillet 2010. Par ailleurs, éditeur, vous avez bénéficié du détournement des investissements que j'avais engagés pour concevoir et produire ce jeu télévisé, en attisant la curiosité du public en vue d'augmenter vos ventes, profitant ainsi du succès d'un programme particulièrement difficile à réaliser et coûteux. C'est que l'affaire est sérieuse : révéler l'issue d'un jeu télévisé, c'est le condamner à une mort certaine... à une déflation de l'audimat, à un désintérêt progressif des mordus du petit écran. Alors passe encore que vous nous enleviez le pain ! Croyez vous pouvoir nous enlever impunément les jeux ?

Panem et circenses : tous les chemins mènent à Rome ! Même en matière de jeux télévisés, vous dis-je...

Suffit que la Cour de cassation retienne, il y a peu, que les candidats participant à jeu télévisé puissent être assimilés à des salariés ; et il est, dès lors, heureux que, lorsqu'il est affaire du travail d'autrui, même en maillot de bain sous les tropiques ou sac au dos en plein Sichuan, le droit de la concurrence condamne tout acte de parasitisme. La révélation de l'issue d'un jeu télévisé par un magazine fait perdre à l'émission une partie de son intérêt (sic), ce qui se traduit par une baisse d'audience... et donc par une baisse des recettes publicitaires et, à terme, par la disparition de ce bienfait culturel qu'est le jeu télévisé.

Les ludi de la Rome antique, ne sont plus ; mais la télévision, nouvelle Rome, papesse de la new culture est la fille des jeux du cirque, de ces courses de chars sans lesquelles elle n'aurait pas, non plus, existé... Et, ces jeux sont d'autant plus importants en période de crise : n'est-ce pas à l'occasion de la deuxième Guerre punique que de nombreux jeux ont été créés et inscrits métronomiquement dans le calendrier des Hommes... au point qu'un auteur télégénique, et néanmoins de talent, écrira que "la vie est une suite de jeux télévisés : d'abord Tournez manège', puis La roue de la fortune' et si tout se passe bien Le juste prix'" (Frédéric Beigbeder, Mémoires d'un jeune homme dérangé).

Les Romains étaient pointilleux sur les questions d'équité sportive. Et, en matière de jeu télévisé, la compétition n'est pas entre les candidats participants -les scenarii sont là pour fixer la place de chacun : au "souffre douleur", la victoire ; à l'arrogant, la défaite et, si possible, l'humiliation !-. Pas de tiare papale sur la formation des esprits, sans un brin de morale tout de même ! "La télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d'une partie très importante de la population" confiait Pierre Bourdieu ; la compétition qui doit être équitable se joue entre les médias, toujours plus avides de former nos cerveaux et de nous divertir, quand ce n'est pas la même chose.

Alors, au diable, les Juvénal de tout poil, que vous soyez député de Saône-et-Loire ou lecteur engagé de la Critique de la raison pratique ! Vous, qui vociférez sur l'abêtissement des masses, sachez que, si la censure épargne les corbeaux et tourmente les colombes (dat veniam corvis, vexat censura columbas, dans la langue du poète satirique), alors ce sera la chute de l'empire Romain, Sophia Loren en moins. Reproduisez le logo de la chaîne de télévision diffusant l'émission et la marque du jeu télévisé, tant en page de couverture que dans le corps de l'article, si nécessaire, pour désigner l'émission sur laquelle vous entendez écrire ; vous ne risquez pas les tribulations de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, car interdire à un magazine dédié au média télévisuel de reproduire quelques images tirées d'une émission reviendrait à le priver de toute possibilité d'illustration pertinente -notre publicité nous est tout de même salutaire-. Mais, de grâce, ne privez pas les bonnes âmes cathodiques du suspens, de la trame quasi-romanesque de nos jeux toujours plus réalistes, bien que parfaitement fantaisistes. "Il existe une télévision pour passer le temps et une autre pour comprendre le temps" disait André Malraux. Et, en tant que producteur, je puis vous dire, Monsieur Carcopino, à la suite de Groucho Marx, que "la télévision est très favorable à la culture. Chaque fois que quelqu'un l'allume chez moi, je vais dans la pièce à côté et je lis"... les magazines qui en parlent...

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