La lettre juridique n°411 du 7 octobre 2010 : Libertés publiques

[Doctrine] Protection des sources journalistiques par la Cour européenne des droits de l'Homme : le retour du libéralisme

Réf. : CEDH, 14 septembre 2010, Req. 38224/03 (N° Lexbase : A2131E9S)

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

le 07 Octobre 2010

La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme vient de se prononcer, 14 septembre 2010, dans une affaire relative à la protection des sources journalistiques, ce qui fait d'ailleurs indirectement mais curieusement écho à l'actualité française et aux débats qui ont lieu à cette occasion sur la portée de la récente loi relative à la protection des sources des journalistes (loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 N° Lexbase : L1938IGU). La formation solennelle de la Cour a été saisie sur renvoi (CESDH, art. 43 N° Lexbase : L4779AQ3) de l'arrêt de chambre qui avait, à une infime minorité (quatre voix contre trois), refusé de conclure à une violation de la liberté d'expression (CESDH, art. 10 N° Lexbase : L4743AQQ) (1). Cette première solution est renversée par la Grande Chambre de façon d'autant plus remarquable qu'elle s'est décidée, cette fois, à l'unanimité de ses dix-sept juges et qu'elle consacre de façon détaillée des exigences supplémentaires dans la protection des sources journalistiques. La Grande Chambre fait droit aux prétentions de la société requérante, éditrice du magazine, qui alléguait d'une violation de la liberté d'expression du fait "d'avoir été contrainte de livrer à la police des informations propres à permettre l'identification de ses sources journalistiques" (§ 49). Cet arrêt est une réaffirmation éclatante de l'importance, aux yeux de la Cour européenne des droits de l'Homme, de la liberté d'expression des journalistes et de l'un de ses corollaires les plus essentiels, le droit à la protection de leurs sources. Il est d'autant plus remarquable qu'il nuance d'autres récentes décisions où la Cour semblait moins ferme quant à ces principes protecteurs (2). I - La primauté de l'"effet inhibant" sur l'intention ou le fait de dévoiler effectivement les sources journalistiques

A - Les faits de l'espèce et l'arrêt rendu par la chambre

La société requérante est une société néerlandaise ayant son siège à Hoofddorp (Pays-Bas) et dont l'activité consiste à publier et vendre des magazines. L'affaire concerne des photographies devant accompagner un article au sujet de courses automobiles illégales que la société requérante fut contrainte de remettre à la police qui enquêtait sur une autre infraction, bien que les journalistes se fussent fortement élevés contre l'obligation de livrer des informations propres à permettre l'identification de leurs sources.

Le 12 janvier 2002, une course de voitures illégale eut lieu dans une zone industrielle à la périphérie de la ville de Hoorn. La société requérante affirme que des journalistes travaillant pour son magazine spécialisé -et qui avaient l'intention de publier un article au sujet des courses automobiles illégales- se virent offrir la possibilité de prendre des photos de la course à condition de donner l'assurance que l'identité des participants ne serait pas divulguée. Les photographies devaient être retouchées de manière à ce que les voitures et les spectateurs ne pussent être identifiés, puis sauvegardées sur un Cd-rom. Finalement, la course fut interrompue par la police, qui était sur place. Il ne fut procédé à aucune arrestation. La police fut par la suite amenée à penser que l'un des véhicules qui avait participé à la course de rue avait été utilisée pour s'enfuir par les auteurs d'un casse bélier qui avait eu lieu le 1er février 2001 au cours duquel un distributeur de billets avait été dérobé et un passant menacé avec une arme à feu. Plus tard dans la même journée, la police tenta de se faire remettre le Cd-rom où se trouvaient contenues les photographies en question. La société requérante s'y refusa afin de protéger l'anonymat de ses sources journalistiques. Le procureur d'Amsterdam délivra alors à la société requérante une injonction au titre de l'article 96a du Code de procédure pénale lui ordonnant de remettre les photographies, ainsi que toutes pièces connexes concernant la course. Le rédacteur en chef du magazine refusa, invoquant à nouveau l'engagement que les journalistes avaient pris envers les participants quant à la protection de leur anonymat. Le 1er février 2002 à 18h01, le rédacteur en chef fut arrêté et fut présenté au procureur d'Amsterdam. Il fut libéré à 22 heures.

L'avocat de la société invita les procureurs, qui y consentirent, à solliciter l'intervention du juge d'instruction de garde du tribunal d'arrondissement d'Amsterdam qui, tout en reconnaissant d'emblée que la loi ne lui donnait aucune compétence en la matière, exprima l'avis que les nécessités de l'enquête pénale l'emportaient sur le privilège journalistique de la société requérante. Le 2 février 2002 à 1h20 du matin, la société requérante remit, non sans protester, le Cd-rom au procureur, qui le plaça formellement sous main de justice. Le 15 avril 2002, la société requérante forma une plainte devant le tribunal régional, sollicitant la mainlevée de la saisie et la restitution du Cd-rom, la délivrance à la police et au parquet d'une injonction leur ordonnant de détruire les éventuelles copies des données enregistrées sur le Cd-rom et d'une autre leur interdisant de prendre connaissance ou de faire usage des informations contenues dans celui-ci. Le 19 septembre 2002, le tribunal d'arrondissement fit droit uniquement à la demande de mainlevée de la saisie et de restitution du Cd-rom à la société requérante.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l'Homme le 1er décembre 2003. Invoquant l'article 10, la société requérante se plaignait d'avoir été contrainte de livrer à la police des informations propres à permettre l'identification des sources de ses journalistes. Dans son arrêt de chambre, communiqué par écrit le 31 mars 2009, la Cour a conclu que, même si en principe le recours à la contrainte lorsqu'il s'agit d'obtenir la remise de matériaux journalistiques peut avoir un effet inhibant sur l'exercice de la liberté d'expression journalistique, il n'était pas interdit aux autorités néerlandaises de mettre en balance les intérêts concurrents en jeu. En particulier, les informations qui se trouvaient contenues dans le Cd-rom étaient pertinentes pour les infractions concernées et de nature à permettre l'identification des auteurs d'autres infractions sur lesquelles la police enquêtait, les autorités n'ayant utilisé les informations obtenues par elles que dans ce but. La chambre a, en conséquence conclu, par quatre voix contre trois, à l'absence de violation de l'article 10.

B - L'existence d'une atteinte à la protection des sources journalistiques doit être appréciée indépendamment de l'intention des autorités, ainsi que de l'effectivité et de l' usage" de cette atteinte

Sans surprise, la Cour commence par rappeler le fort degré de protection que sa jurisprudence a constamment accordé à la liberté d'expression journalistique (§ 50 et 51) (3), en particulier pour l'une de ses déclinaisons : la protection des sources (§ 59 et 63 pour un état des lieux de la jurisprudence), comme elle le rappelle au paragraphe 50 : "Le droit pour les journalistes de protéger leurs sources fait partie de la liberté de 'recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques' consacrée par l'article 10 de la Convention et il en constitue l'une des garanties essentielles. Il s'agit là d'une pierre angulaire de la liberté de la presse, sans laquelle les sources pourraient se montrer réticentes à aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. La presse pourrait alors être moins à même d'assumer son rôle vital de chien de garde, et sa capacité à fournir des informations précises et fiables au public pourrait s'en trouver amoindrie" (4).

Comme la chambre, la Cour n'aperçoit aucune raison de mettre en doute l'affirmation de la société selon laquelle ses journalistes s'étaient engagés à ne pas révéler l'identité des participants à la course automobile illégale en question. L'affaire concerne une injonction de remise de matériaux journalistiques renfermant des informations propres à permettre d'identifier les sources journalistiques. Cela suffit pour que la CEDH estime que l'injonction constituait en soi une ingérence dans la liberté de la société de recevoir et de communiquer des informations garantie par l'article 10 § 1 de la Convention.

Contrairement à la chambre, la Grande Chambre estime, toutefois, que l'ingérence n'était pas "prévue par la loi". Il n'est pas contesté que l'ingérence litigieuse avait une base légale (C. pr. pén., art. 96a § 3). La discussion porte sur la qualité de la loi (en particulier sur les garanties procédurales requises). La Cour relève qu'une injonction de divulgation des sources peut avoir un impact préjudiciable non seulement sur les sources, dont l'identité peut être révélée, mais, également, sur le journal ou toute autre publication visée par l'injonction, dont la réputation auprès des sources potentielles futures peut être affectée négativement par la divulgation, et sur les membres du public, qui ont un intérêt à recevoir les informations communiquées par des sources anonymes.

La Grande Chambre contredit, ainsi, radicalement la position de la chambre. Elle estime, en effet, que "n'est pas cruciale [la] distinction" entre une action qui aspire directement à "l'identification des sources elles-mêmes" (l'ensemble des participants à la course) et une autre qui, bien que pouvant conduire indirectement à cette identification, tend à poursuivre une autre fin, à savoir identifier les auteurs d'une infraction distincte (§ 66). En d'autres termes, la Cour juge qu'une violation du droit à la protection des sources ne s'apprécie pas en fonction de l'intention des autorités d'y porter ou non atteinte (§ 66), ni en fonction de son résultat de divulgation ou non des sources. Elle énonce au paragraphe 67 que, "dans des affaires antérieures, la Cour a jugé non pertinente aux fins de la détermination du point de savoir s'il y avait eu atteinte au droit pour les journalistes de protéger leurs sources la mesure dans laquelle l'exercice d'une contrainte avait effectivement eu pour résultat la divulgation ou la poursuite de sources de journalistes". Cette appréciation d'une action tendant à la "remise obligatoire" (§ 65) d'"informations propres à permettre l'identification de sources journalistiques" (§ 72) est avant tout fonction de l'"effet inhibant sur l'exercice de la liberté d'expression des journalistes" qu'elle peut entraîner (§ 65 et 71). Or, ici, les juges strasbourgeois estiment que cet effet était suffisant pour caractériser une ingérence au sein du droit à la protection des sources dérivé de la liberté d'expression, et ce, même si "aucune perquisition ne fut menée dans les locaux de la société requérante" (§ 69). La "menace" d'une telle perquisition était ici "crédible", notamment au regard de la brève arrestation du rédacteur en chef et des conséquences économiques des autres sanctions envisagées comme la fermeture temporaire du magazine (§ 69). En conséquence, l'injonction de la police et du procureur de remettre les photographies constitue bien une ingérence au sein de l'article 10 (§ 72).

II - La saisie de documents pouvant conduire à l'identification des sources journalistiques : des exigences procédurales strictes

A - Les carences de la législation néerlandaise en matière de contrôle juridictionnel des informations susceptibles de permettre l'identification des sources

La protection des sources journalistiques suppose, selon la jurisprudence de la CEDH, que les atteintes pouvant y être portées fassent l'objet d'une procédure juridictionnelle à même de permettre au journaliste de faire valoir ses droits. Au premier rang des garanties exigées doit figurer la possibilité de faire contrôler la mesure par un juge ou tout autre organe décisionnel indépendant et impartial. Le contrôle requis doit être mené par un organe, distinct de l'exécutif et des autres parties intéressées, investi du pouvoir de dire, avant la remise des éléments réclamés, s'il existe un impératif d'intérêt public l'emportant sur le principe de protection des sources des journalistes et, dans le cas contraire, d'empêcher tout accès non indispensable aux informations susceptibles de conduire à la divulgation de l'identité des sources. Dans les cas urgents, un contrôle indépendant mené à tout le moins avant que les éléments obtenus ne soient consultés et exploités devrait être suffisant pour permettre de déterminer si une question de confidentialité se pose et de peser les divers intérêts en jeu. Un contrôle indépendant pratiqué seulement après la remise d'éléments susceptibles de conduire à l'identification de sources est inapte à préserver l'essence même du droit à la confidentialité.

Le juge ou autre organe indépendant et impartial doit donc être en mesure d'effectuer avant toute divulgation cette mise en balance des risques potentiels et des intérêts respectifs relativement aux éléments dont la divulgation est demandée. La décision à prendre doit être régie par des critères clairs, notamment quant au point de savoir si une mesure moins intrusive peut suffire. Le juge ou autre organe compétent doit avoir la faculté de refuser de délivrer une injonction de divulgation ou d'émettre une injonction de portée plus limitée ou plus encadrée, de manière à ce que les sources concernées puissent échapper à la divulgation de leur identité. En cas d'urgence, une procédure doit pouvoir être suivie qui permette d'identifier et d'isoler, avant qu'elles ne soient exploitées par les autorités, les informations susceptibles de permettre l'identification des sources de celles qui n'emportent pas semblable risque.

En l'espèce, la Grande Chambre n'a guère besoin d'aller très loin sur le terrain de l'examen de la conventionalité de l'ingérence litigieuse (CESDH, art. 10 § 2) et constate la violation de la liberté d'expression, faute pour cette ingérence d'avoir été "prévue par la loi". Plus précisément, c'est la "qualité de la loi" néerlandaise et l'insuffisante protection que celle-ci offre aux journalistes qui sont à l'origine de la sanction des Pays-Bas. En effet, la loi néerlandaise confie au procureur, et non à un juge indépendant, la procédure permettant d'identifier les informations susceptibles de permettre l'identification des sources. Or, du point de vue procédural, le procureur est une "partie" et ne peut guère passer pour suffisamment objectif et impartial : plus précisément, le procureur "est une 'partie' qui défend des intérêts potentiellement incompatibles avec la protection des sources des journalistes et il ne peut guère passer pour suffisamment objectif et impartial pour effectuer la nécessaire appréciation des divers intérêts en conflit " (§ 93). La législation néerlandaise n'offre, ainsi, aucun contrôle indépendant préalable. La Cour estime, en outre, que l'on ne peut pas voir dans l'intervention du juge d'instruction en l'espèce une garantie adéquate ; le juge d'instruction avait, en effet, un rôle uniquement consultatif et son intervention s'est faite en dehors de toute base légale, comme il l'a du reste lui-même reconnu (§ 97). Il n'avait donc pas la faculté de délivrer une injonction, de rejeter ou d'accueillir une demande d'injonction ou de mettre des conditions ou des limites à une injonction. Pareille situation ne peut guère être réputée compatible avec l'état de droit. La Cour ajoute qu'elle serait parvenue à cette conclusion sur chacun des deux aspects mentionnés s'ils avaient été considérés séparément.

Ces déficiences ne furent pas purgées en l'espèce par le tribunal d'arrondissement, tout aussi impuissant à empêcher le procureur et la police d'examiner les photographies stockées sur le Cd-rom une fois celui-ci parvenu en leur possession : il ne s'agit là que d'un contrôle juridictionnel a posteriori. La Cour estime, ainsi, que les "déficiences [constatées au préalable] ne furent pas purgées par le contrôle post factum effectué par le tribunal d'arrondissement, tout aussi impuissant à empêcher le procureur et la police d'examiner les photographies stockées sur le Cd-rom une fois celui-ci parvenu en leur possession" (§ 99).

En conclusion, la qualité de la loi était déficiente dans la mesure où il n'existait aucune procédure entourée de garanties légales adéquates qui eût permis à la société requérante d'obtenir une appréciation indépendante du point de savoir si l'intérêt de l'enquête pénale qui était en cours devait l'emporter sur l'intérêt public à la protection des sources des journalistes. Il y a donc eu violation de l'article 10 à raison du fait que l'ingérence incriminée n'était pas "prévue par la loi".

B - L'affirmation de la nécessité d'un contrôle juridictionnel a priori et d'exigences procédurales strictes

A l'occasion de l'affaire en cause, et à l'invitation d'ailleurs de la société requérante (§ 77), la Cour précise et accroît explicitement le niveau de ses exigences en matière de contrôle juridictionnel de l'atteinte portée à la protection des sources. Ainsi, les juges européens estiment que, "compte tenu de l'importance vitale pour la liberté de la presse de la protection des sources des journalistes et des informations susceptibles de conduire à leur identification, toute atteinte au droit à la protection de pareilles sources doit être entourée de garanties procédurales, définies par la loi, en rapport avec l'importance du principe en jeu" (§ 88). Puisque la divulgation des sources peut avoir des conséquences graves pour l'intérêt de trois parties ("les sources, dont l'identité peut être révélée" ; "la réputation [du journal] auprès des sources potentielles futures" ; "les membres du public, qui ont un intérêt à recevoir les informations communiquées par des sources anonymes"), la Cour consacre solennellement une importante "garantie" : "la possibilité de faire contrôler [les mesures destinées à obtenir des documents pouvant révéler les sources journalistiques] par un juge ou tout autre organe décisionnel indépendant et impartial " (§ 90).

Ces exigences procédurales impliquent en principe "un contrôle [...] mené par un organe, distinct de l'exécutif et des autres parties intéressées, investi du pouvoir de dire, avant la remise des éléments réclamés, s'il existe un impératif d'intérêt public l'emportant sur le principe de protection des sources des journalistes et, dans le cas contraire, d'empêcher tout accès non indispensable aux informations susceptibles de conduire à la divulgation de l'identité des sources" (§ 90). Par exception, en cas d'urgence, "un contrôle indépendant mené à tout le moins avant que les éléments obtenus ne soient consultés et exploités devrait être suffisant pour permettre de déterminer si une question de confidentialité se pose et, le cas échéant, si, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, l'intérêt public invoqué par les autorités d'enquête ou de poursuite l'emporte sur l'intérêt public général à la protection des sources" (§ 91). Mais, en toutes circonstances, "un contrôle indépendant pratiqué seulement après la remise d'éléments susceptibles de conduire à l'identification de sources est inapte à préserver l'essence même du droit à la confidentialité" (§ 91).

Au-delà de "la nécessité d'un contrôle de nature préventive" avant toute divulgation (§ 92), la procédure d'examen de l'opportunité de la remise d'éléments est elle-même soumise à des exigences précises. Il est, en effet, indiqué que la décision du contrôleur "doit être régie par des critères clairs, notamment quant au point de savoir si une mesure moins intrusive peut suffire pour servir les intérêts publics prépondérants ayant été établis" (§ 92). Outre cette exigence de clarté, ainsi que de stricte proportionnalité de la mesure, des pouvoirs suffisants doivent être conférés au contrôleur afin qu'il puisse "avoir la faculté de refuser de délivrer une injonction de divulgation ou d'émettre une injonction de portée plus limitée ou plus encadrée, de manière à ce que les sources concernées puissent échapper à la divulgation de leur identité, qu'elles soient ou non spécifiquement nommées dans les éléments dont la remise est demandée, au motif que la communication de pareils éléments créerait un risque sérieux de compromettre l'identité de sources de journalistes" (§ 92). Cette possibilité de tri entre les informations doit également être prévue en cas d'urgence (§ 92 in fine).

C - La "conventionnalité" de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection des sources des journalistes

L'arrêt du 14 septembre 2010 présente un important intérêt pratique. La fixation d'exigences procédurales précises et détaillées offre la possibilité de passer au crible les législations des Etats parties et donc de vérifier si ces dernières respectent un tel standard de protection.

A cet égard, l'on peut estimer que la législation française, bien que récemment modifiée par la loi du 4 janvier 2010, ne se trouve pas nécessairement à l'abri d'une sanction strasbourgeoise. Certes, par exemple, l'intervention d'un magistrat est bien prévue pour les perquisitions visant les locaux -professionnels ou personnels- de journalistes (C. pr. pén., art. 56-2 N° Lexbase : L3573IGG). Toutefois, il n'est pas sûr que ce magistrat réponde à l'exigence d'"impartialité" car il mène lui-même la perquisition qu'il aura autorisé, et même parfois en pratique aux fins de nourrir sa propre instruction. Ce problème est d'ailleurs mis en exergue par l'intervention possible, dans un délai de cinq jours, du juge des libertés et de la détention qui sera compétent pour examiner les contestations des saisies. Ce dernier répond bien, semble-t-il, aux exigences d'indépendance et d'impartialité. Cependant, non seulement ce contrôle intervient a posteriori mais, de plus, la nécessité d'une telle intervention tend à démontrer a contrario que le premier magistrat ayant réalisé la perquisition n'était pas placé dans une situation aussi impartiale vis-à-vis de l'affaire.

Plus sûrement encore, la conformité de la loi de 2010 vis-à-vis de la jurisprudence strasbourgeoise semble plus douteuse au regard du champ d'application matériel limité de la procédure évoquée plus haut. Celle-ci ne couvre pas aussi clairement les hypothèses -comme dans l'affaire examinée par la chambre- où l'exigence de remise de document ne s'insère pas dans une perquisition officielle, mais résulte de pressions des autorités de poursuite. En tout état de cause, l'intensité accrue de la protection strasbourgeoise des sources journalistiques ne peut qu'inciter le législateur -et l'ensemble des autorités publiques- à résorber les lacunes et autres carences du droit français qui ont pu être pointées par nombre d'observateurs, ceci même après l'entrée vigueur de la loi de 2010.


(1) CEDH, 31 mars 2009, Req. 38224/03 (N° Lexbase : A4634E9I).
(2) CEDH, 6 avril 2010, Req. 45130/06 (N° Lexbase : A1237GBG) ; CEDH, 30 juin 2009, Req. 17215/06 (N° Lexbase : A0320GBH).
(3) CEDH, 1er juin 2010, Req. 16023/07 (N° Lexbase : A7685EXW) ; CEDH, 6 mai 2010, Req. 17265/05 (N° Lexbase : A9814EWE) ; CEDH, 22 avril 2010, Req. 40984/07 (N° Lexbase : A1235GBD).
(4) CEDH, 15 décembre 2009, Req. 821/03 (N° Lexbase : A1236GBE) ; CEDH, 27 mars 1996, Req. 17488/90 (N° Lexbase : A1234GBC) (§ 39).

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