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N2607BQM
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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille III
le 07 Octobre 2010
Une société s'était spontanément acquittée, pour la période du 1er janvier 2001 au 31 octobre 2003, de cotisations de taxe sur les achats de viandes. Par une réclamation du 19 décembre 2003, elle en avait demandé la restitution. La réclamation n'interrompt pas l'exécution de l'avis de mise en recouvrement ni pour le principal des sommes qui y sont énoncées, ni pour les pénalités y afférentes à moins qu'elle soit assortie d'une demande de sursis de paiement (LPF, art. L. 277 N° Lexbase : L4684ICH). L'administration, le 20 septembre 2004, avait fait droit à cette requête, sans pour autant procéder au remboursement des cotisations versées. En effet, par courrier, en date 16 novembre 2004, elle informait le contribuable de l'annulation de la décision qu'elle avait prise le 20 septembre précédent, au motif que cette dernière aurait été irrégulière.
L'article L. 256 du LPF (N° Lexbase : L9048HG9) fixe pour principe que le comptable public doit adresser un avis de mise en recouvrement à tout redevable de sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe, lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité.
Aux termes de l'article L. 256 précité, ainsi que de l'article 3-6° de la loi du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L9124AGZ), complété par l'article 98 de la loi du 31 décembre 1992 (N° Lexbase : L5405H7C), les avis de mise en recouvrement constituent des titres exécutoires.
La doctrine administrative considère que le remplacement d'un avis de mise en recouvrement par un autre ne peut être envisagé que dans l'hypothèse où le premier titre est entaché de nullité, c'est-à-dire lorsqu'il contient une irrégularité susceptible d'en affecter la validité, remarque étant faite qu'il importe peu que la nullité soit constatée par l'administration ou prononcée par le juge (DB 12 C-1232, 1er décembre 1984).
Les erreurs affectant un avis de mise en recouvrement sont susceptibles d'être réparées par l'émission, au cours de l'instance devant le tribunal administratif, d'un nouvel avis régulièrement motivé et contre lequel la réclamation doit être regardée comme ayant été dirigée (CE Contentieux, 26 juillet 1991, n° 77151 N° Lexbase : A9571AQK, RJF, 2991, 6, comm. 753). La période d'imposition est une mention obligatoire d'un avis de mise en recouvrement, mais celui-ci n'est pas rendu irrégulier par une simple erreur matérielle, dès lors qu'il renvoie à la notification de redressements (CE Contentieux, 20 mai 1998 N° Lexbase : A7137AS7, DF, 1998, 45, comm. 1007, concl. Arrighi de Casanova). Le Conseil d'Etat a jugé qu'est irrégulier l'avis de mise en recouvrement qui renvoie à la notification de redressements, aujourd'hui dénommée proposition de rectification, alors que les éléments de calcul des rappels de droits ont été modifiés ultérieurement par la réponse aux observations du contribuable (CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 175786 N° Lexbase : A4847AXS, DF, 2000, 9, comm. 161, concl. Courtial).
Dans l'affaire qui nous occupe il ne s'agit pas d'un avis de mise en recouvrement entaché de nullité mais de l'annulation de cet avis après un dégrèvement prononcé par l'administration. A cet égard, la cour administrative d'appel de Nancy apporte une précision intéressante. Quand l'administration, à la suite de la réclamation d'un contribuable, accorde un dégrèvement, celui-ci a pour effet d'éteindre la créance du Trésor. Dans l'hypothèse où l'administration considère que ce dégrèvement a été accordé à tort, il lui faut émettre un avis de mise en recouvrement, visé par l'article L. 256 du LPF, pour les impositions qu'elle entend rétablir. Ceci est d'autant plus important que la notification d'un avis de mise en recouvrement emporte un certain nombre d'effets, à partir du moment où il a été régulièrement notifié au redevable qui est visé. Il permet d'authentifier la créance du Trésor et fixe un certain nombre de délais, au regard de la réclamation, de la prescription de l'action en recouvrement notamment. Lorsqu'un avis de mise en recouvrement est abandonné et remplacé par un autre, le contribuable et l'administration sont dans le même état que celui où elles étaient lors de l'établissement de ce titre. Ajoutons, pour compléter, que lorsque l'administration a prononcé un dégrèvement elle ne peut établir sur les mêmes bases une nouvelle imposition sans avoir, préalablement, informé le contribuable de la persistance de son intention de l'imposer (CE Contentieux, 8 avril 1991, n° 67938 N° Lexbase : A0852AIE, RJF, 1991, 5, comm. 652).
Dans cette affaire, une société s'était acquittée spontanément du précompte mobilier le 13 août 1993, puis elle avait demandé, par une réclamation du 12 novembre 1996, la restitution de celui-ci considérant qu'elle l'avait acquitté à tort. Le 19 avril 2001, l'administration avait fait droit à sa demande, sans toutefois verser des intérêts moratoires.
En l'espèce les redressements notifiés à la société en matière d'impôt sur les sociétés au titre des années 1989, 1990 et 1991 avaient eu pour effet de modifier l'assiette de précompte mobilier en cause, formée de sommes mises en réserve au titre des exercices 1989 à 1993, sans avoir supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun. La mise en recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, résultant de ces redressements, était intervenue le 28 février 1994.
L'article L. 208 du LPF (N° Lexbase : L7618HEU) énonce un principe : un contribuable qui obtient un dégrèvement à la suite d'une erreur matérielle d'assiette ou de calcul de l'impôt, obtient aussi le paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt légal sur les sommes indûment perçues par l'administration. Lorsque les sommes consignées (LPF, art. L. 277 et L. 278 N° Lexbase : L4774ICS) doivent être restituées, en totalité ou en partie, la somme à rembourser est augmentée des intérêts moratoires.
En revanche n'entrent pas dans le champ d'application de cet article les restitutions d'excédents de versements opérées par les comptables, même après que le contribuable leur en ait fait la demande (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2002, n° 220998 N° Lexbase : A4730A4X, RJF, 2003, 3, comm. 378).
Même si la jurisprudence semble assouplir les conditions d'application de l'article L. 208 précité relatif à l'attribution d'intérêts moratoires sur les dégrèvements accordés par l'administration (CE Contentieux, 17 février 1988, n° 58538 N° Lexbase : A6588APP, RJF, 1988, 4, comm. 543 ; CE Contentieux, 6 juillet 1990, n° 77720 N° Lexbase : A4651AQC, RJF, 1990, 10, comm. 1170), il n'en reste pas moins que le contribuable n'a pas droit au paiement des intérêts moratoires lorsque le dégrèvement accordé résulte de la seule initiative de l'administration (CE Contentieux, 10 février 1993, n° 93124 N° Lexbase : A8319AM3, RJF, 1993, 4, comm. 602).
La chose est un peu différente en matière de TVA. En effet, l'administration doit verser au contribuable des intérêts moratoires, lorsqu'elle rembourse un crédit d'impôt ou de taxe après le délai de six mois qui lui est ouvert pour statuer sur une réclamation préalable du contribuable (CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2000, n° 207798 N° Lexbase : A9050AHN, RJF, 2001, 1, comm. 111).
La jurisprudence du Conseil d'Etat est bien établie : l'article L. 208 du LPF vise uniquement les remboursements effectués à un contribuable à la suite d'un dégrèvement prononcé par le juge de l'impôt, ou par l'administration fiscale, et consécutif à la présentation régulière d'une réclamation contentieuse (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2002, n° 220998 N° Lexbase : A4730A4X, RJF, 2003, 3, comm. 378).
La Haute assemblée a apporté un certain nombre de précisions dans un arrêt du 25 septembre 2009 (CE 3° et 8° s-s-r., 25 septembre 2009, n° 307326 N° Lexbase : A3334EL3, RJF, 2009, 12, comm. 1168). Tout d'abord, l'administration n'est pas tenue de verser des intérêts moratoires sur les dégrèvements qu'elle a prononcés, même lorsqu'ils sont accordés à la demande du contribuable, en l'absence de réclamation régulière de sa part. Ensuite, en cas de réclamation tardive du contribuable, le dégrèvement néanmoins prononcé par l'administration est qualifié de dégrèvement d'office qui n'est pas de nature à ouvrir droit au paiement des intérêts moratoires. Il résulte de l'article L. 208 précité que la décision de payer des intérêts moratoires appartient au comptable. En conséquence, la mention des intérêts moratoires portée sur une décision de dégrèvement par un fonctionnaire chargé de l'assiette de l'impôt doit être regardée comme une information destinée au comptable. La mention erronée "intérêts moratoires : oui" portée par le service d'assiette sur l'avis de dégrèvement ne constitue pas une décision créatrice de droit. Enfin, un contribuable qui a obtenu un dégrèvement gracieux ne peut soutenir qu'en l'absence de paiement des intérêts moratoires, les droits qu'il tire des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1625AZ9) auraient été méconnus dès lors que ce dégrèvement n'ouvre pas droit aux intérêts moratoires.
Dans l'affaire qui nous est donnée de commenter, le Conseil d'Etat s'inscrit dans le droit fil de sa jurisprudence en jugeant qu'à défaut de réclamation régulière de la part du contribuable, l'administration n'est pas tenue de verser des intérêts moratoires sur les dégrèvements qu'elle a prononcés, même lorsque ceux-ci sont accordés au cours d'une instance contentieuse.
Toutefois, le Conseil d'Etat a jugé que le versement de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, résultant des redressements, était constitutif d'un événement au sens de l'article R.196-1 du LPF (N° Lexbase : L6486AEX) fixant ainsi le point de départ du délai de réclamation. En effet, doivent être regardés comme constituant le point de départ du délai les événements qui sont de nature à exercer une influence sur le bien-fondé de l'imposition soit dans son principe, soit dans son montant (CE Contentieux, 30 janvier 1976, n° 96173 N° Lexbase : A7629AY9, DF, 1977, comm. 1154, concl. Schmeltz). En ne recherchant pas si cette mise en recouvrement constituait un événement de nature à rouvrir le délai de réclamation, pour la demande de restitution de l'ensemble du précompte mobilier versé en 1993 ou de la seule part du précompte acquittée à tort compte tenu de la notification d'assiette résultant des redressements notifiés à la société, la Cour a commis une erreur de droit.
En conséquence, l'affaire est renvoyée devant la cour administrative de Versailles.
L'abus de droit est un sujet de débats et controverses à peu près inépuisables. Le Conseil d'Etat vient d'en donner une nouvelle illustration. L'enchaînement des opérations, la transformation des structures existantes et la création d'une nouvelle entité illustrent la complexité de la vie des affaires, sans pour autant être obligatoirement constitutif de montages visant à éluder l'impôt.
En l'espèce, une SARL A avait été transformée, le 10 décembre 1997, en société anonyme A., créée le 23 décembre de la même année avec les mêmes associés. Elle avait cédé à la nouvelle société son fonds de commerce et son matériel le 27 décembre 1997, puis le 30 décembre de la même année son stock, ne conservant plus que des liquidités et un important portefeuille de valeurs mobilières de placement.
Les associés avaient cédé, le 30 décembre 1997, la totalité des titres de l'ancienne SA A. à la SA B., réglé en deux versements, l'un au jour de cession et l'autre au 27 juillet 1998.
Le 31 décembre 1997, l'ancienne SA A. a changé d'objet social, son siège et sa dénomination pour devenir la SA F..
L'un des associés avait déclaré des plus-values de cession de valeurs mobilières qui avaient été taxées au taux de 16 % au titre de l'année 1997.
La nouvelle SA A. a fait l'objet d'une vérification de comptabilité et les associés d'un examen contradictoire de la situation fiscale d'ensemble. L'administration à l'issue de ces contrôles avait conclu, sur le fondement de la procédure de répression des abus de droit, que la cession de l'activité industrielle puis des titres de l'ancienne société A. s'inscrivait dans un montage complexe à but exclusivement fiscal destiné en réalité à dissimuler la dissolution de cette société avec la création d'un être moral nouveau, la SA F.. Et, en conséquence, les sommes qui avaient été déclarées comme plus-values de cession de valeurs mobilières, pour bénéficier du taux forfaitaire, présentaient le caractère de boni de liquidation imposable au taux progressif.
A suivre le Conseil d'Etat le transfert du capital de l'ancienne SA A. à la SA B. ne peut pas être analysé comme ayant donné lieu à la création d'un être moral nouveau, même si l'opération a été suivie d'une modification de la dénomination, du siège et de l'objet social de la société.
L'article 221-5 du CGI (N° Lexbase : L5208IMT) dispose que "le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cession d'entreprise". A suivre la Haute assemblée, le changement d'activité et d'objet social qu'avait connu l'ancienne SA A., s'il justifiait l'imposition immédiate des bénéfices, n'entraînait pas obligatoirement la dissolution avec liquidation de la société.
Ne constitue pas un changement d'activité ou d'objet social, par exemple, le fait qu'une société holding qui initialement achetait des actions d'une société exploitant un hypermarché puis avait étendu son périmètre à l'exploitation directe de ce type de commerce, tout en procédant à la transformation sous forme de société anonyme son activité et procédant à la reprise en location gérance de l'exploitation de l'hypermarché (CAA Nantes, 1ère ch., 5 février 2003, n° 99NT01086 N° Lexbase : A0148C9D, RJF, 2003,6, comm. 695).
En outre, dans cette affaire le contribuable avait conclut un contrat dans le but unique était d'atténuer les charges fiscales, mais en réalité il n'en a rien été. A suivre la doctrine administrative, l'abus de droit suppose l'existence d'un ou plusieurs actes juridiques apparemment réguliers, mais dont le seul dessein est de masquer le véritable caractère d'une opération en vue d'éluder, en totalité ou en partie, l'impôt (DB 13 L 61531). Dans ces conditions, il n'est pas envisageable de retenir le qualificatif d'abus de droit à l'encontre de ce contribuable. Les actes juridiques susceptibles d'être mis en cause par la voie de l'abus de droit sont ceux qui n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales et qu'en outre les actes visés sont ceux qui ont un caractère fictif (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU). Rappelons que l'abus de droit réprime non seulement la simulation, mais aussi la fraude à la loi fiscale, le Conseil d'Etat considère qu'il y a abus de droit lorsque les actes passés par le contribuable ont un caractère fictif ou, à défaut, qu'ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'échapper, totalement ou en partie, aux charges fiscales (CE Contentieux, 10 juin 1981, n° 19079 N° Lexbase : A7572AKN).
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