La lettre juridique n°411 du 7 octobre 2010 : Juristes d'entreprise

[Questions à...] Paris, Capitale mondiale de l'arbitrage - Question à Gilles Mauduit, arbitre

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par L'Association française des juristes d'entreprise

le 27 Mars 2014



Mode alternatif de résolution des conflits, l'arbitrage permet de confier à une personne privée, n'ayant aucun intérêt à la cause, la mission de rechercher une solution contractuelle, qui liera les parties au litige, lesquelles doivent d'abord avoir accepté de compromettre. Gilles Mauduit (1), ancien président de l'AFJE devenu arbitre, nous explique comment et pourquoi Paris est devenue la capitale mondiale de l'arbitrage.
Association française des juristes d'entreprise (AFJE) : Pourquoi les entreprises recourent-elles de plus en plus à l'arbitrage ?

Gilles Mauduit : Face à un conflit juridique, c'est-à-dire en présence d'un noeud qui obstrue la fluidité de ses opérations, une entreprise n'a que deux solutions : soit tenter de dénouer ce noeud, soit se résoudre à le faire trancher. Le dénouer par la transaction ou en ayant recours à des techniques de transaction assistée (médiation, mini-trial, etc.), ou, au contraire, le faire trancher, que ce soit par le glaive de la justice étatique, ou celui de la justice arbitrale, dont le métal et le tranchant sont d'essence conventionnelle.

Or, pour toute une série de raisons, les parties n'arrivent pas toujours, de façon directe ou indirecte, à dénouer elles-mêmes leurs conflits et, s'agissant de le faire trancher, la justice arbitrale présente pour les entreprises de nombreux avantages par rapport à la justice étatique.

Il est d'abord des cas de plus en plus nombreux, au plan international, où aucune partie n'étant prête à accepter la compétence des tribunaux étatiques de l'autre, l'arbitrage est la seule solution car chacun exige un forum neutre. Or le développement mondial du commerce international avec des partenaires de plus en plus variés et lointains entraine ipso facto de plus en plus souvent cette conséquence.

Par ailleurs, que ce soit au plan interne ou au plan international, les atouts de l'arbitrage sont bien connus. Si, malheureusement, cette justice est plus chère, elle offre, en revanche, une confidentialité en principe absolue, une plus grande rapidité et une plus grande garantie de professionnalisme dans la mesure où les parties sont à même de choisir leurs propres juges en fonction de leur notoriété et de leurs secteurs de compétence. Elle permet aussi une plus grande contractualisation de l'administration de la preuve et de la conduite du procès. Et si, comme on vient de le dire, son coût est plus élevé, encore celui-ci est-il prévisible puisque son quantum dépend soit de barèmes officiels soit d'un accord passé entre les parties et le tribunal arbitral. Il faut en outre souligner que les parties ne sont nullement étrangères à l'inflation des coûts dont elle se plaignent parfois puisque des statistiques CCI ont établi que sur un arbitrage revenant à 100 aux parties, 2 % seulement représentent les frais de l'institution, 16 %, les honoraires des arbitres (dont 2 % de débours) et 82 % le coût des conseils, des experts et des frais internes.

AFJE : A quels types de procédure d'arbitrage les entreprises peuvent-elles faire appel ?

Gilles Mauduit : Il faut rappeler trois distinctions fondamentales.

La première oppose les arbitrages internes et les arbitrages internationaux, distinction dont les parties ne sont pas maîtresses puisqu'elle dépend de la mise en cause ou non d'intérêts du commerce international. En droit français, l'arbitrage interne est régi par les articles 1442 (N° Lexbase : L6406H7E) à 1491 du Code de procédure civile, l'arbitrage international par les articles 1492 (N° Lexbase : L6458H7C) à 1507.

La deuxième oppose les arbitrages en droit et les arbitrages en équité (ou en amiable composition). Le choix ici appartient aux parties. Dans le premier cas, le litige sera tranché selon l'application d'un droit substantiel donné (par ex. : droit anglais, français, suisse, chinois, etc.), soit que celui-ci ait été d'avance choisi par les parties dans la clause d'arbitrage, soit que le tribunal arbitral le détermine ultérieurement lui-même en fonction de règles appropriées. Dans le second cas, le litige sera tranché par référence aux règles d'équité. Dans les deux cas cet arbitrage doit être motivé.

La troisième distinction oppose les arbitrages institutionnels et les arbitrages ad hoc, distinction dont le choix appartient également aux parties.

Un arbitrage institutionnel est un arbitrage que les parties choisissent de soumettre -avec les garanties qui en découlent-, aux règles préétablies de telle ou telle institution d'arbitrage, en incorporant l'applicabilité de celles-ci dans le champ de leur consensus. C'est le cas des règlements de toutes les institutions bien connues que sont, au plan international, la CCI ou ICC (Chambre de commerce internationale ou International chamber of commerce), la LCIA (London Court international arbitration), la Cour d'arbitrage de Stockholm, la Chambre de Milan ou, au plan interne, l'AFA (Association française d'arbitrage) le CMAP (Centre de médiation et d'arbitrage de Paris), pour la France, ou bien l'AAA (American arbitration association) pour les Etats-Unis. Il faut d'ailleurs préciser que ces dernières institutions, dont la vocation originelle était essentiellement d'ordre interne cherchent également désormais à se développer de plus en plus dans le domaine de l'arbitrage international. Précisons à cet égard que sur les 80 dernières sentences rendues sous l'égide du CMAP, un tiers vise des arbitrages internationaux.

Toutes ces distinctions sont bien entendues susceptibles de se recouper. C'est ainsi qu'on peut être en présence d'un arbitrage interne AFA en équité, ou d'un arbitrage international ad hoc en droit néerlandais.

AFJE : Pourquoi Paris est-elle devenue la capitale mondiale de l'arbitrage ?

Gilles Mauduit : La vocation de Paris à ce titre tient à plusieurs raisons.

La première est le fait que Paris, outre qu'elle est déjà le siège de nombreuses institutions d'arbitrages spécialisées dans tel ou tel domaine professionnel, ainsi que le siège d'institutions à caractère général déjà mentionnées (AFA, CMAP), à la chance insigne d'être le siège mondial de la Cour d'arbitrage de la CCI depuis sa création, en 1923 (2). Or, depuis lors, cette institution a connu plus de 16 000 dossiers impliquant des parties et des arbitres ressortissants de 180 pays différents. En 2008, il y eut 685 nouvelles affaires portées devant la Cour d'arbitrage de la CCI. Paris fut retenu comme lieu de l'arbitrage dans 85 de ces affaires (soit environ 12,5 %), et 81 arbitres de nationalité française furent désignés pour en connaître.

Précisons également que l'arbitrage CCI fait autorité devant les juridictions françaises comme a eu l'occasion de le rappeler la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 6 juillet 2000 (Cass. civ. 1, 6 juillet 2000, n° 98-19.068 N° Lexbase : A9071AG3).

La deuxième raison est que le droit français et les juridictions françaises sont, contrairement à d'autres droits plus frileux, résolument favorables au recours à l'arbitrage comme mode de règlement juridictionnel des conflits commerciaux. C'est là une tendance lourde et constante de la tradition française.

La troisième raison, peut-être, est que de nombreux juristes internationaux francophones et bilingues (français, mais aussi suisses, belges et autres) se sont révélés particulièrement talentueux dans la mise au point progressive d'un droit processuel et d'administration de la preuve original et efficace dans les arbitrages internationaux, empruntant tant à la common law qu'à la civil law. Comme si, grâce à eux, Paris se révélait un lieu particulièrement créatif de solutions originales, syncrétiques et adaptées sur la ligne de fracture des deux systèmes tectoniques que sont ceux du droit anglo-saxon et du droit continental (3). On cherche ainsi résolument à emprunter leurs best practices à chacun des deux systèmes. Qu'on pense par exemple à tous ces arbitrages où les règles retenues pour l'administration de la preuve s'inspirent pour l'essentiel de la civil law en ce qui concerne la preuve écrite (avec cette conséquence qu'il n'y aura pas ou peu de discovery) , et de la common law pour la preuve orale (avec cette conséquence qu'il sera possible de préparer les témoins et de faire appel aux subtilités de la cross-examination).

AFJE : Ancien président de l'AFJE, comment et pourquoi avez-vous choisi de devenir arbitre ?

Gilles Mauduit : Mon intérêt pour l'arbitrage est bien antérieur à l'honneur qui me fut donné d'être président de l'AFJE, et il n'a pas, en réalité, de relation directe avec lui. Cet intérêt, né dès la Faculté, avait déjà trouvé à s'exercer lorsque j'eus des fonctions de direction juridique et qu'à ce titre, j'étais responsable en interne du pilotage de très gros arbitrages internes ou internationaux.

Mon intérêt pour cette matière fut donc assez tôt connu et dès le début des années 1990, j'ai eu la chance de commencer à me voir désigné comme arbitre, soit par les parties, soit par les institutions elles-mêmes.

Ce qui fait qu'à ce jour, au travers de plus d'une trentaine d'arbitrages, j'ai pu me familiariser avec à peu près tous les cas de figure : co-arbitre, arbitre unique, président du tribunal arbitral dans des arbitrages internes et internationaux, menés, selon le cas, en français ou en anglais, qu'il s'agisse d'arbitrages ad hoc ou d'arbitrages institutionnels, en équité ou en droit. C'est ainsi que j'ai connu des délibérés consensuels, d'autres plus conflictuels et qu'il m'est arrivé, indépendamment du droit français, de statuer en droit belge, suisse, anglais, grec ou libanais...

Mais il est vrai que j'eus souvent l'occasion, quand j'étais président de l'AFJE, de souligner dans tel ou tel forum, l'intérêt et l'utilité qu'il y avait, pour les juristes d'entreprise, à investir davantage le domaine de l'arbitrage et celui, pour les entreprises, d'avoir recours à des juristes d'entreprises comme arbitres. Car tous les métiers du droit peuvent apporter leur contribution propre au processus de l'arbitrage. Ainsi, pour conclure en caricaturant volontairement un peu les choses, l'on peut observer que si la fée du droit se penche volontiers sur le berceau des professeurs de faculté, celle de la motivation sur celui des magistrats, celle duc sur celui des avocats, le juriste d'entreprise a pour lui de bien connaître l'entreprise elle-même, ses dures réalités, ses contraintes et ses aléas, et la façon dont le fait juridique y fait souvent, selon les cas, flétrir ou prospérer le fruit économique.


(1) Diplômé d'Etudes Supérieures de droit privé et de sciences criminelles, titulaire du CAPA, Gilles Mauduit a commencé sa carrière comme assistant à la Faculté de droit de Rennes, puis fut assistant-Professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval, Québec, Canada. Ayant rejoint le groupe IBM, il y occupa différentes fonctions de conseil à Paris, Londres et Bruxelles. Plus tard directeur-adjoint des affaires juridiques et des accords du groupe Rhône-Poulenc, il termina sa carrière en entreprise au sein du groupe Sanofi dont il fut General Counsel et Directeur délégué auprès du Président. Consultant, il se consacre désormais essentiellement à l'arbitrage.
(2) Créée en 1926, la Chambre arbitrale internationale de Paris compte actuellement 540 arbitres, répartis en fonction de leurs spécialités (par secteur d'activité, expertise comptable ou juridique, etc.). En 85 ans d'activité, elle a connu près de 35 000 litiges, dont 75 % sont internationaux. Elle dispose de nombreux arbitres de dimension internationale susceptibles d'être désignés ou nommés dans des arbitrages qui traitent des litiges de types très divers : litiges entre associés consécutifs à des restructurations d'entreprise, litiges de distribution et de vente, sur des opérations de transport, des contrats de représentation, des licences de marque au des contrats de franchise... Sur plus d'un millier de sentences rendues par la Chambre depuis 1990, aucune n'a été annulée en appel.
(3) L'association Paris, the Home of International Arbitration a été constituée à Paris le 26 janvier 2006, à l'occasion d'une assemblée constitutive réunissant plus de trente personnalités du monde de l'arbitrage international. L'association a pour but de promouvoir Paris en tant que place mondiale de l'arbitrage. Elle est animée par un bureau composé de praticiens de l'arbitrage de diverses nationalités, basés à Paris et bénéficie du parrainage de trois personnalités de premier plan : Jean-Pierre Ancel, Président de Chambre honoraire de la Cour de cassation, Yves Derains, Président du Comité français de l'arbitrage, et Serge Lazareff, Président de l'Institut du droit des affaires de la Chambre de commerce internationale (ICC). Les premières activités envisagées sont la création et la diffusion d'une plaquette d'information sur la place de Paris, l'organisation d'actions promotionnelles internationales et la création d'un site web destiné aux usagers de l'arbitrage international. L'association est ouverte à tous les usagers et praticiens de l'arbitrage international.

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