Réf. : Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-42.890, Société La Compagnie des fromages & Richesmonts, FS-P+B (N° Lexbase : A6850E4H)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé Les primes de pause doivent être exclues du salaire devant être comparé au Smic dès lors que les salariés ne sont pas, pendant ces pauses, à la disposition de l'employeur, de sorte que celles-ci ne constituent pas du temps de travail effectif, qu'elles ne sont pas la contrepartie du travail et que leur détermination dépend de facteurs généraux sur lesquels les salariés n'influent pas. |
I - Détermination des sommes à prendre en compte dans la vérification du respect du Smic
La détermination des sommes versées au salarié et devant être prises en compte pour vérifier s'il perçoit le Smic ou le minimum conventionnel fait depuis longtemps difficulté (1). Lorsque le salarié doit percevoir le minimum conventionnel et que celui-ci lui garantit une rémunération supérieure au Smic, les juges se fient aux termes des conventions collectives pour intégrer ou exclure les primes des sommes à prendre en compte. Mais lorsque les conventions collectives ne comportent pas d'indices d'intégration ou d'exclusion ou lorsqu'il s'agit de vérifier que le minimum conventionnel est bien au moins égal au Smic, alors les juges doivent se référer aux dispositions de l'ancien article D. 141-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3714AB8), devenu D. 3231-6 (N° Lexbase : L9056H9B) après la recodification (2).
L'article D. 141-3 disposait que "le salaire horaire à prendre en considération pour l'application de l'article précédent est celui qui correspond à une heure de travail effectif compte tenu des avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire, à l'exclusion des sommes versées à titre de remboursement de frais, des majorations pour heures supplémentaires prévues par la loi et, pour la région parisienne, de la prime de transport".
Ce texte a été légèrement remanié à l'occasion de sa recodification, même si son sens et sa portée n'ont pas varié ; l'article D. 3231-6 du Code du travail dispose, désormais, que "le salaire horaire à prendre en considération pour l'application de l'article D. 3231-5 (N° Lexbase : L9059H9E) est celui qui correspond à une heure de travail effectif compte tenu des avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire. Sont exclues les sommes versées à titre de remboursement de frais, les majorations pour heures supplémentaires prévues par la loi et la prime de transport".
Les magistrats doivent donc déterminer, hormis les "remboursements de frais, les majorations pour heures supplémentaires prévues par la loi et la prime de transport" légalement exclus de l'assiette, ce qu'il convient d'entendre par "avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire".
La présente affaire portait sur l'intégration, ou l'exclusion, d'une prime de pause instaurée par un accord d'entreprise conclu en 2001 et révisé en 2004 et qui portait sur l'aménagement et la réduction du temps de travail. Cette prime avait été instaurée, de l'aveu même des partenaires sociaux (art. 6 de l'accord), pour "maintenir le salaire de base actuel sans augmenter le taux horaire", en complément du salaire horaire de base et du complément différentiel de salaire (3).
La cour d'appel avait donné raison aux salariés qui prétendaient que cette prime ne devait pas être prise en compte pour vérifier s'ils percevaient le Smic, et l'employeur tentait d'obtenir la cassation de cette décision défavorable.
Pour y parvenir, il faisait valoir qu'il était inexact d'exclure de l'assiette les primes de pause sous prétexte qu'elles ne rémunéraient pas un temps de travail effectif et que l'intention des partenaires sociaux était bien de donner à cette prime la nature d'un complément de salaire, puisqu'elle était versée en plus du salaire de base et du complément différentiel pour assurer aux salariés embauchés avant le passage aux 35 heures le maintien de leur rémunération au niveau antérieur (4).
Le moins que l'on puisse dire est que les arguments semblaient doublement sérieux.
En premier lieu, l'examen de la jurisprudence démontre clairement que de très nombreuses primes ont été prises en compte dans la vérification du Smic et ce, alors qu'elles ne rémunéraient pas du temps de travail effectif : on songera ici, pour ne prendre que quelques exemples (5), aux primes annuelles de congés (6), de vacances (7) ou de jours fériés (8), de treizième mois (9) ou de fin d'année (10), une prime d'amplitude journalière "versée aux salariés des entreprises de transports routiers [...] dès lors qu'elle s'ajoutait au salaire de base garanti, qu'elle est garantie dans les mêmes conditions que le salaire de base [...], qu'elle présente un caractère uniforme et forfaitaire et constitue une rémunération sur lequel le salarié peut toujours compter" (11), ou, encore, une prime de compensation horaire (12), et, plus généralement, à toutes les compensations salariales (13).
En second lieu, les dispositions conventionnelles en cause semblaient réserver la même qualification de "complément de salaire", formellement visé comme devant être pris en compte pour la vérification du Smic, au "salaire de base [...], à la prime de pause équivalente à 20 mn/jour [et le] complément différentiel RTT", les trois étant d'ailleurs également indexés.
Pourtant, l'arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi, la Haute juridiction affirmant que "dès lors qu'il n'est pas contesté que pendant les pauses, les salariés n'étaient pas à la disposition de l'employeur de sorte que celles-ci ne constituaient pas du temps de travail effectif, les primes les rémunérant, qui ne sont pas la contrepartie du travail et dont la détermination dépend de facteurs généraux sur lesquels les salariés n'influent pas, sont exclues du salaire devant être comparé au Smic".
II - L'exclusion des primes forfaitaires de pause de la rémunération à prendre en compte pour la vérification du respect du Smic
De cette décision importante sur le plan pratique ressortent deux éléments importants.
En premier lieu, mais cela n'est pas une surprise, les éléments de rémunération directement versés en contrepartie d'un travail effectif doivent être pris en compte ; il s'agit, ici, du salaire, qui constitue le noyau dur des sommes intégrées, et plus largement tous les compléments qui en sont l'accessoire.
En second lieu, et c'est, ici, que réside le principal intérêt de la décision qui retient une formule inédite, sont exclues les primes "qui ne sont pas la contrepartie du travail et dont la détermination dépend de facteurs généraux sur lesquels les salariés n'influent pas". Il s'agit, par conséquent, d'un double critère cumulatif faisant référence à la cause du versement (ne pas être la contrepartie du travail) et à ses modalités de calcul (dépendant de facteurs généraux sur lesquels les salariés n'influent pas).
L'application de ce second double critère à certaines primes dont le régime a été précisé par la jurisprudence ne semble pas faire difficulté.
Il semble, en effet, logique, compte tenu de ces critères, d'intégrer les primes de congé, dans la mesure où leur existence et leur montant dépend du travail fourni par le salarié, les primes de vacances, qui compensent directement le travail (considéré au sens large) du salarié, et de manière générale toutes les primes liées à des critères de durée du travail (jours fériés, treizième mois, fin d'année). Il est également logique d'intégrer les primes dont le versement est directement déclenché par le travail accompli par les salariés (prime de rendez-vous, de polyvalence, de rentabilité ou rendement).
Selon les mêmes critères, ne doivent pas être prises en compte les primes dont le montant dépend non pas du travail réalisé, mais de facteurs personnels au salarié (comme l'ancienneté, l'assiduité, la fidélité) ou, au contraire, de "facteurs sur lesquels les salariés n'avaient pas d'influence directe" (14) (critère repris dans cette décision à quelque chose près : "dont la détermination dépend de facteurs généraux sur lesquels les salariés n'influent pas"), ainsi que, d'une manière générale, les primes visant à compenser des "sujétions particulières" (et ce contrairement aux primes compensant des conditions générales de la relation de travail), qu'il s'agisse de l'insalubrité, la pénibilité, l'insécurité, la cherté de la vie du salarié, le "travail de nuit, le dimanche ou les jours fériés", ou encore la soumission à une obligation de non-concurrence.
Reste à déterminer si la solution qui résulte de l'arrêt rendu le 13 juillet 2010 s'insère harmonieusement dans cet ensemble, ou non. Si, dans un premier temps, on pourrait en douter, il nous semble à la réflexion que la solution est logique compte tenu de la jurisprudence actuelle.
Comme cela a été relevé, toutes les primes liées à la durée du travail avaient été jusqu'à lors prises en compte, qu'il s'agisse des primes de jours fériés, de vacances ou de treizième mois, de telle sorte que le sort réservé à la prime de pause en question pourrait étonner. La raison d'être de cette intégration semblait en effet claire car il s'agissait toujours d'asseoir leur calcul sur la durée réellement travaillée par le salarié et d'en déterminer le montant par une référence à un pourcentage de celle-ci (prime de congés payés correspondant à 10 % du salaire perçu, par exemple).
Or, en l'espèce, la prime de pause avait été fixée dans son montant de manière forfaitaire à vingt minutes par salarié et par jour, sans référence aucune à la durée réellement travaillée. Les partenaires sociaux avaient, par conséquent, déconnecté le montant de la prime de facteurs individuels, tenant à la durée du travail réellement accomplie par chaque salarié, donnant ainsi à la prime le caractère d'un avantage collectif et l'absence d'influence directe des salariés sur son montant (15).
Si telle est bien la justification de la solution, ce ne sont donc pas toutes les primes de pause qui doivent ainsi être écartées, mais seulement celles dont le montant n'est pas calculé par référence au pourcentage de la durée effectuée par les salariés. Lorsque ce montant est déterminé en fonction de la durée du travail des salariés, comme c'est le cas dans de nombreuses autres conventions collectives, alors le montant de la prime dépend bien de facteurs particuliers sur lesquels les salariés influent et doit donc bien être intégré dans la masse prise en compte pour vérifier le respect du Smic.
(1) Dernièrement Cass. soc., 7 avril 2010, n° 07-45.322, Société de transports en commun de Limoges (STCL), FS-P+B (N° Lexbase : A5782EUP) et nos obs., La Cour de cassation apporte des précisions sur l'assiette des minima conventionnels, Lexbase Hebdo n° 392 du 22 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9426BNG).
(2) G. Pignarre, J. Cl. Trav. Traité, Fasc. 25-10: Salaire et accessoires-Notion. Eléments.
(3) Accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail conclu au sein de la société La Compagnie des fromages & Richesmonts.
(4) Sur la mise en place des garanties mensuelles de rémunération destinées à assurer le maintien des rémunérations des salariés payés au Smic et embauchés avant le passage aux 35 heures, lire notre chronique, Smic et réduction du temps de travail : la politique des petits pas, Dr. soc., 1999, p. 986-995 et Smic et réduction du temps de travail : la fin du cauchemar, Dr. soc., 2003, p. 18-24 ; Problèmes économiques n° 2.815 du 25 juin 2003, p. 11.
(5) Pour d'autres exemples, nos obs., La Cour de cassation apporte des précisions sur l'assiette des minima conventionnels, préc..
(6) Cass. soc., 12 février 1985, Dr. soc., 1985, p. 819, chron. J. Savatier.
(7) Cass. soc., 17 mars 1988, n° 85-41.930, Société anonyme Cambrai Chrome c/ Mme Goulin (N° Lexbase : A7605AAW) ; Cass. soc., 2 mars 1994, n° 89-45.881, Mme Bouvier (N° Lexbase : A0409ABR), Bull. civ. V, n° 76 ; Cass. soc., 26 septembre 2001, n° 00-40.819, Société Axa Conseil, inédit (N° Lexbase : A1071AWL) ; CA Aix-en-Provence, 18ème ch. soc., 29 mars 1990 ; CA Aix-en-Provence, 9ème ch. soc., 26 mars 1990.
(8) Cass. soc., 26 septembre 2001, n° 00-40.819, préc..
(9) Cass. soc., 17 mars 1988, n° 85-41.930, Société anonyme Cambrai Chrome c/ Mme Goulin (N° Lexbase : A7605AAW), Bull. civ. V, n° 187 ; Cass. crim., 29 novembre 1988, n° 86-92.449, Lenoir Jérôme (N° Lexbase : A8833AAE), Bull. crim. n° 405.
(10) Cass. soc., 2 mars 1994, n° 89-45.881, préc..
(11) Cass. crim., 18 juillet 1991, n° 89-83.128, Mendes Maïa Miguel et autre (N° Lexbase : A5046ABI).
(12) Cass. soc., 15 octobre 1987, n° 85-41.535, Société à responsabilité limitée Skalski Meubles c/ Mme Vincent et autre (N° Lexbase : A1979ABW), Bull. civ. V, n° 576.
(13) Cass. soc., 19 mars 1985, n° 84-43.194, Fédération Nationale des Travailleurs de la Céramique et autres c/ Société Lafarge-Réfractaires et autres (N° Lexbase : A3261AAZ), Dr. soc., 1985, p. 491 ; Cass. soc., 10 décembre 1985, n° 82-43.515, Société Kléber-Colombes c/ Catier et autres.
(14) Cass. crim., 5 novembre 1996, n° 95-82.994, préc..
(15) La finalité de la prime conventionnelle en cause n'en détermine pas la qualification (Cass. soc., 7 avril 2010, n° 07-45.322, préc., à propos d'une prime destinée à améliorer le pouvoir d'achat des salariés), ce qui est logique compte tenu du caractère d'ordre public des critères réglementaires d'intégration dans la masse des sommes à prendre en compte pour vérifier le respect du Smic, et de l'office du juge, maître des qualifications.
Décision Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-42.890, Société La Compagnie des fromages & Richesmonts, FS-P+B (N° Lexbase : A6850E4H) Rejet CA Caen, 3ème ch., sect. Soc. 1, 29 mai 2009 Texte visé : C. trav., art. D. 3231-5 (N° Lexbase : L9059H9E) Mots clef : Smic ; rémunération de référence ; prime de pause Lien base : (N° Lexbase : E0878ETP) |
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