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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 07 Octobre 2010
Lexbase : S'il a déjà été long de faire reconnaître le principe d'un droit à déduction de la TVA grevant les péages acquittés entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2000, les usagers des autoroutes sont désormais confrontés chaque fois à un nouvel obstacle dans les modalités d'exercice de ce droit à déduction. Pouvez-vous nous rappeler les principales étapes ?
Jérémy Duret : La TVA est un impôt particulièrement formaliste. En particulier, la détention par le contribuable d'une facture mentionnant la TVA conditionne l'exercice de son droit à déduction.
Or, les efforts entrepris par les usagers des autoroutes, dès 2001, pour obtenir auprès des sociétés concessionnaires des factures rectificatives faisant ressortir la TVA grevant les péages acquittés entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2000 ont été contrariés par des directives ministérielles (courrier du 27 février 2001 de la secrétaire d'Etat au Budget au délégué général de la Fédération nationale des transporteurs routiers, et courrier du 15 janvier 2003 du directeur de la législation fiscale au président du comité des sociétés concessionnaires d'autoroutes) leur faisant interdiction de délivrer de telles factures.
Saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre ces décisions ministérielles, le Conseil d'Etat a condamné cette interdiction le 29 juin 2005 (CE 3° et 8° s-s-r., 29 juin 2005, n° 268681, précité). Il a confirmé, dans cette décision, que les péages étaient bien grevés de la TVA pour la période antérieure au 1er janvier 2001 et que la circonstance que la TVA n'aurait pas été acquittée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes au titre des péages perçus avant le 1er janvier 2001 ne saurait faire obstacle à l'exercice du droit à déduction, qui est subordonné à l'exigibilité de la taxe, et non à son versement effectif par le redevable. Il a également jugé que c'est illégalement que le ministre a prétendu empêcher certaines sociétés concessionnaires de délivrer des factures rectificatives faisant ressortir la TVA exigible pendant la période antérieure au 1er janvier 2001, car ces sociétés doivent pouvoir délivrer ces documents lorsque la demande leur en est faite.
A la suite de cet arrêt du Conseil d'Etat, le législateur, entendant empêcher la délivrance de factures rectificatives par les sociétés concessionnaires d'ouvrages autoroutiers, a alors adopté une disposition dans la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6430HEU), selon laquelle la TVA qui aurait dû grever le prix d'une opération non soumise à la taxe en application de dispositions jugées incompatibles avec les règles communautaires ne peut être déduite que sur présentation d'une facture rectificative attestant que son montant a été payé en sus du prix figurant sur la facture initiale.
Cette disposition, ayant pour principal objet de priver d'effet tant la jurisprudence communautaire que la décision précitée du Conseil d'Etat, a été déclarée contraire à la constitution, pour atteinte au principe de séparation des pouvoirs (Cons. const., 29 décembre 2005, décision n° 2005-531 DC N° Lexbase : A1205DML).
C'est seulement en 2006 que les sociétés concessionnaires d'autoroute ont accepté de délivrer des factures rectificatives mentionnant la TVA.
La plupart des usagers assujettis ont alors sollicité la délivrance de telles factures, la démarche ayant été largement facilitée par la mise en place de portails électroniques.
Mais, d'autres usagers avaient entrepris de demander le remboursement de la TVA grevant les péages, bien avant la décision du Conseil d'Etat du 29 juin 2005 et donc avant que les sociétés d'autoroute ne délivrent les factures rectificatives.
Ces usagers considéraient qu'ils pouvaient obtenir le remboursement de TVA, alors même qu'ils ne pouvaient pas produire de factures mentionnant la TVA. Ils soutenaient que l'exigence de production de factures rectificatives était disproportionnée, dès lors qu'il était alors impossible d'obtenir de tels documents. Le principe de proportionnalité étant un principe général du droit communautaire, les tribunaux administratifs de Clermont-Ferrand et de Grenoble avaient fait droit à cet argument dans des jugements qui ont été confirmés par la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 5ème ch., 12 juillet 2007, n° 04LY00592, précité).
C'est cette décision qui vient d'être infirmée par le Conseil d'Etat dans une décision du 5 mai 2010. La Haute juridiction considère que l'exigence de factures rectificatives n'est pas disproportionnée dès lors que les concessionnaires d'autoroutes ont offert la possibilité de délivrer des factures rectificatives en 2006 et en 2007. L'argument soulevé devant les juridictions du fond avait donc perdu sa pertinence.
Lexbase : Dans quelle mesure la décision du Conseil d'Etat du 5 mai 2010 peut faire obstacle, en pratique, à la récupération de la TVA par les intéressés ?
Jérémy Duret : La plupart des usagers assujettis ont obtenu la délivrance de factures rectificatives en 2006 et en 2007. La décision du Conseil d'Etat du 5 mai 2010 n'a donc aucune conséquence pour tous ces usagers qui ont obtenu la récupération de la TVA.
J'observe, d'ailleurs, que l'une des deux sociétés requérantes, dans cette affaire tranchée par le Conseil d'Etat, avait produit des factures rectificatives au cours de la procédure contentieuse et que l'administration avait alors procédé au remboursement de la TVA correspondante. Pour cette société, le litige ne subsistait que pour la moitié des péages du tunnel de Fréjus, puisqu'elle considérait (à tort) que l'exploitant du tunnel aurait dû faire figurer la TVA correspondant à l'ensemble du tunnel et non à la seule partie française.
Ainsi, le débat sur la récupération de la TVA grevant les péages acquittés entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2000 pour les usagers assujettis me paraît désormais être clos.
Lexbase : Concernant la question de la réparation du préjudice financier subi par les usagers à raison du décalage dans l'exercice de leur droit à déduction, les intéressés peuvent-ils espérer, le cas échéant, le paiement d'intérêts moratoires ?
Jérémy Duret : La question de l'indemnisation des contribuables qui ont été privés jusqu'en 2006 de l'exercice de leur droit à déduction en ce qui concerne la TVA ayant grevé les péages pour la période 1996-2000 est une question légitime.
On sait que certains transporteurs ont engagé la responsabilité de l'Etat devant les juridictions administratives et demandé le paiement de dommages-intérêts. A ma connaissance, ces actions n'ont pas prospéré, le juge administratif refusant cette indemnisation. Les juridictions se fondent, notamment, sur la circonstance qu'une action spécifique existe en matière fiscale.
Cette procédure spécifique est celle de l'article L. 208 du LPF (N° Lexbase : L7618HEU), selon lequel "quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires [...]". Selon cette disposition, les contribuables qui obtiennent un dégrèvement d'impôt à l'issue d'une procédure contentieuse ont droit à des intérêts moratoires, aussi bien lorsque le dégrèvement est consécutif à une instance devant les tribunaux que lorsqu'il est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation.
Dans ce dernier cas, il faut, en principe, pour pouvoir prétendre au paiement d'intérêts moratoires, avoir formé une réclamation contentieuse et avoir obtenu un dégrèvement d'impôt.
Le problème rencontré actuellement par les transporteurs routiers tient au fait que la récupération de la TVA ne s'est généralement pas faite par dégrèvement d'impôt mais plus simplement par imputation sur la déclaration CA3. En effet, les exploitants des autoroutes ont délivré des factures rectificatives, ce qui a permis de déduire la TVA sur CA3, sans passer par la voie de la réclamation contentieuse.
Certains services locaux ont accédé à des demandes de paiement d'intérêts moratoires. Toutefois, de nombreuses directions départementales des finances publiques refusent l'application de l'article L. 208 du LPF et donc l'indemnisation, en arguant que la restitution s'est faite par demande de remboursement de crédit de TVA sur CA3 et non par voie de dégrèvement.
Or, il me semble légitime que les intérêts moratoires puissent être accordés à toute demande formée dans le cadre de l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L2974IAE), notamment toutes les actions tendant à l'exercice de droits à déduction et fondées sur la conformité d'une règle de droit interne à une règle de droit supérieure, qui doivent pouvoir être regardées comme des réclamations.
D'ailleurs, l'administration fiscale elle-même, dans une instruction du 10 mai 1990 (BOI 10 O-2-90), prévoit l'application des intérêts moratoires à l'action tendant à l'exercice de droits à déduction fondée sur la non-conformité d'une règle de droit interne à une règle de droit supérieure.
Enfin, il existe une obligation de réparation à laquelle les Etats sont tenus en cas de violation du droit communautaire. Le principe d'une telle obligation est clairement établi par la Cour de justice de l'Union européenne depuis une décision du 19 novembre 1991 (CJCE, 19 novembre 1991, aff. jointes C-6/90 et C-9/90 N° Lexbase : A5783AYT : RJF, 12/91, n° 1615).
Ainsi, je considère non seulement que la demande d'indemnisation est légitime mais aussi qu'il y a des arguments sérieux à faire valoir dans le cadre de cette demande.
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