La lettre juridique n°405 du 29 juillet 2010 : Avocats

[Questions à...] Aide juridictionnelle : comment rentabiliser la gestion des dotations ? - Questions à Philippe Duprat, ancien Bâtonnier du barreau de Bordeaux, membre du bureau de la Conférence des Bâtonniers

Lecture: 8 min

N6986BPG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Aide juridictionnelle : comment rentabiliser la gestion des dotations ? - Questions à Philippe Duprat, ancien Bâtonnier du barreau de Bordeaux, membre du bureau de la Conférence des Bâtonniers. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211091-questionsaaidejuridictionnellecommentrentabiliserlagestiondesdotationsquestionsabphilip
Copier

par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef

le 07 Octobre 2010

Le débat sur l'aide juridictionnelle, plus que jamais ouvert, est essentiellement tourné sur la question du financement de l'aide. Le tout dernier épilogue, en date du 13 juillet 2010, a été lancé par le ministre de la Justice, annonçant qu'il étudiait une nouvelle piste de financement portant sur la participation des justiciables. Les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle pourraient ainsi être mis à contribution à hauteur d'un montant de 8,84 euros pour l'ensemble de la procédure. Sans revenir sur les termes de ce débat, il est une autre question, moins controversée, mais non moins importante, celle de la gestion des dotations de l'aide juridictionnelle. Philippe Duprat, ancien Bâtonnier du barreau de Bordeaux, membre du bureau de la Conférence des Bâtonniers, et chargé, à ce dernier titre, de réfléchir aux questions économiques, a publié un rapport sur la gestion des dotations versées au titre de l'aide juridictionnelle par lequel il préconise un nouveau mode de gestion, qui repose sur l'idée d'une concentration de cette gestion, afin de réduire les frais de fonctionnement. Il a accepté de répondre à nos questions.
Lexbase : Quelles sont les limites du système actuel de gestion par les CARPA ?

Philippe Duprat : Depuis 1991, les CARPA sont délégataires d'une mission de service public. Elles gèrent les dotations versées par l'Etat destinées à rémunérer les confrères qui interviennent au titre de l'aide juridictionnelle. Cependant, la gestion de ces dotations est déficitaire. Cela a été mis en évidence de manière incontestable par la Cour des comptes à la suite de la mission qui lui a été confiée par le Sénat. En effet, la réglementation applicable aux CARPA prévoit que les intérêts générés par le placement des fonds de tiers sont, notamment, affectés à la gestion du service d'aide juridictionnelle. Il en va de même des produits financiers générés par le placement de la dotation d'aide juridictionnelle. Mais, compte tenu, d'une part, de la baisse des taux d'intérêt, et, d'autre part, d'un certain tassement global des dépôts de fonds de tiers à raison de la crise économique, le mouvement déficitaire qui est constaté depuis très longtemps dans les CARPA, au titre de la gestion de ce service d'aide juridictionnelle, s'amplifie. La situation ne peut plus durer. Il convient donc de trouver des solutions aussi novatrices et pragmatiques que possible. D'où l'idée d'une concentration.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter brièvement les modalités d'organisation de la gestion que vous proposez ?

Philippe Duprat : Avant tout, il s'agit uniquement de réorganiser le système d'un strict point de vue économique, en partant du principe que l'Etat, qui est défaillant dans le financement de l'aide juridictionnelle, n'a pas, aujourd'hui, l'intention d'augmenter sa participation qui restera limitée aux alentours de 300 millions d'euros. Il faut donc bien distinguer l'aspect politique du financement de l'aide juridictionnelle -dont je redis qu'il est insuffisamment assuré par l'Etat qui, en Europe, est un de ceux qui consacre le moins de moyens au financement de l'accès au droit- de la gestion de la dotation, laquelle est lourdement déficitaire. C'est cette situation qui doit pouvoir être améliorée.

L'idée est assez simple, elle consiste à concentrer la gestion des dotations de l'aide juridictionnelle en cinq régions, ou en cinq centres de paiement d'aide juridictionnelle, qui tiendraient compte du découpage des circonscriptions territoriales des cours d'appel -pour éviter qu'une cour d'appel ne dépende de deux régions différentes-, en sachant que le barreau de Paris resterait autonome.

Ce découpage amènerait chaque centre à gérer à peu près 50 millions d'euros de dotation. Les produits financiers générés par le placement de cette dotation seraient, toujours, nettement insuffisants pour financer le fonctionnement de chaque centre. L'idée consiste à permettre à chaque CARPA, dépendant de chacun des cinq centres (environ une trentaine de CARPA par centre), d'affecter une partie des produits financiers provenant du placement des fonds de tiers, dans des proportions nettement moins importantes qu'aujourd'hui, de telle sorte que cela créerait un écrasement de la charge par CARPA. Après simulation, sur la base de l'affectation des produits financiers générés par le placement de 20 millions d'euros de fonds de tiers pour trente CARPA, il apparaît que l'on arrive, alors, à générer une gestion, sinon bénéficiaire, du moins à l'équilibre.

La clé de répartition, entre les CARPA, pour l'abondement de 20 millions d'euros des fonds de tiers peut s'envisager selon différents critères. Une répartition per capita supposerait que chaque CARPA dépendant d'un même centre de paiement consacre les produits financiers générés par le placement 660 000 euros de fonds tiers. Sur la base d'une rémunération de 2 %, chaque CARPA consacrerait, ainsi, environ 13 200 euros au financement du fonctionnement du centre outre le produit de placement de la dotation d'aide juridictionnelle, soit un rendement estimé de 125 000 euros pour 50 millions d'euros de dotation. Chaque centre disposerait d'un budget de fonctionnement de l'ordre 522 000 euros. Mais l'on peut aussi imaginer de pondérer en fonction de la taille des barreaux ou de la taille des CARPA, et ce de façon totalement proportionnelle, ou sur une base fixe (un forfait) et une pondération. Dans tous les cas, force est de constater que le système est très nettement amélioré. Il permettrait une gestion au moins équilibrée

Lexbase : La concentration du système implique des conséquences sociales, de même qu'un problème de proximité. Que répondez-vous aux éventuelles critiques ?

Philippe Duprat : Comme toute décision d'entreprise, elle emporte des conséquences sociales, mais celles-ci ne doivent pas occulter l'intérêt général. De surcroît, dans toutes les expériences de regroupement de CARPA, il faut savoir que l'on a toujours réussi à gérer les conséquences sociales dans de très bonnes conditions, avec un reclassement de tous les salariés. Cela ne doit pas être considéré comme un obstacle majeur. Quant à l'argument de proximité, il doit également être ramené à de justes proportions compte tenu du recours à la dématérialisation des moyens de paiement, de la transmission électronique de l'attestation de fin de mission (AFM), de la demande de paiement, etc..

Lexbase : La gestion par les CARPA est jugée irréprochable par la Cour des comptes et les différentes instances d'audit. Ne craignez-vous pas que la refonte du système se heurte à différentes oppositions ?

Philippe Duprat : La Cour des comptes a jugé la gestion par les CARPA irréprochable, en raison de sa transparence et de la traçabilité existante, ce qui permet d'éviter tout risque de détournement et de fraude. Cependant, la Cour des comptes a relevé que la gestion était déficitaire dans la mesure où la profession, par l'intermédiaire de ses CARPA, se voyait imputer des charges qu'elle n'avait pas à assumer. Ce modèle de gestion doit donc être transposé dans une configuration à tout le moins équilibrée. Cela ne pourra passer que par la concentration de moyens. Il faut donc aller en ce sens, car le temps n'est plus à la gestion de la profession par des structures trop réduites et isolées, qui n'ont plus l'envergure économique suffisante pour pouvoir faire face à leurs obligations et à leur projet de développement.

Lexbase : Que pensez-vous de l'opportunité d'une autorité indépendante de gestion du financement de l'aide ?

Philippe Duprat : La gestion de l'aide juridictionnelle doit être réalisée de telle manière qu'elle ne crée pas de charges à la profession qui est débitrice d'une obligation de service public. Elle doit, ensuite, permettre une rémunération décente des avocats, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Elle doit, enfin, et indépendamment du seuil de rémunération, permettre un paiement des honoraires sans délai. A partir de là, est-ce que la création d'une autorité indépendante de gestion du financement de l'aide juridictionnelle est susceptible d'apporter ces services ? Tout dépendra de la manière dont elle sera conçue. Mais les autorités indépendantes que l'on connaît par ailleurs, dans d'autres domaines, ont parfois fait la preuve des limites de leur propre fonctionnement. Cette idée ne doit pas être écartée, mais ce n'est pas là, à mon sens que se situe la solution.

Lexbase : D'un point de vue matériel, comment s'organiserait le système proposé ? Quel serait le délai de mise en place ?

Philippe Duprat : Les questions matérielles ne posent guère de difficultés. Il faut commencer par localiser les centres de paiement dans chacune des cinq régions dédiées. Cela imposera seulement de gérer les susceptibilités. Il faudra, ensuite, trouver des locaux d'une superficie adaptée au travail d'une dizaine de personnes. Ceci est réalisable dans n'importe quelle ville.

Au-delà de ces questions, le projet présente cet avantage qu'il n'implique aucune modification d'importance au fonctionnement actuel. En effet, il ne modifie rien sur le plan technique. L'avocat sera toujours dépendant de son Bâtonnier, au titre de la désignation d'office, ou du bureau d'aide juridictionnelle (BAJ), en cas de choix fait par le client en matière civile. Concernant les liaisons informatiques, il faudra simplement assurer une liaison entre les BAJ et les centres de paiement, telle qu'elle existe déjà entre les BAJ et la CARPA. L'organisation de ce nouveau système n'implique donc aucun coût particulier, et, de surcroît, présente le mérite, sur le plan politique, d'éviter la question polémique d'un regroupement de barreaux ou d'un regroupement de CARPA.

Si ce n'est la concentration autour de cinq grandes régions, et une adaptation des textes concernant le fonctionnement des CARPA (mesure purement technique, qui ne pose aucune difficulté), le système proposé ne suppose pas de changement structurel.

Sa mise en place peut donc être très rapide, d'autant plus que le projet est considéré comme une piste sérieuse de réflexion. La Chancellerie, déjà saisie du projet, a indiqué qu'elle souhaitait y consacrer un groupe de travail et lui commander une analyse technique. La profession, par l'intermédiaire de la Conférence des Bâtonniers, l'a, par ailleurs, bien accueilli ainsi que le conseil d'administration de l'UNCA, organe technique de la profession.

Lexbase : Au-delà du problème de la gestion du financement, quelle est votre position concernant les sources de financement ?

Philippe Duprat : Le principe est que l'accès au droit fait partie des missions régaliennes de l'Etat. Pour des raisons historiques, force est de constater qu'il ne l'a jamais assumé, puisque les statistiques européennes relèguent la France au 25ème rang sur 27. Dans un contexte de crise économique, on ne peut espérer que l'Etat, du jour au lendemain, fasse l'effort qu'il n'a jamais pu ou voulu faire sur les précédentes décennies. Partant de là, il faut trouver d'autres pistes de financement.

L'assurance de protection juridique présente une difficulté majeure. Sur le plan économique, nombreux sont les assureurs qui proposent aux avocats des rémunérations à peu près équivalentes à celles de l'aide juridictionnelle. Or l'on sait que cela ne correspond pas à une juste rémunération des avocats. S'agissant de la taxation des assurances, les assureurs ne sont pas réceptifs à cette idée, et l'on peut comprendre que cela ne soit pas vraiment leur priorité.

La taxation de chaque acte juridique pose, à mon sens, plusieurs questions. En effet, un certain nombre d'actes échapperait à la taxation dans la mesure où ils ne seraient pas tous enregistrés. En outre, de quels moyens de contrôles disposera-t-on pour vérifier que tout acte assujetti génère effectivement le paiement de la taxe ? En tous les cas, cette idée suppose la mise en oeuvre de modalités qui ne sont pas encore totalement définies.

Il reste la création d'un fonds spécial qui serait abondé par une taxation que l'Etat déciderait de faire supporter à tel ou tel type d'activité. Mais, l'Etat nous dit qu'il n'est plus favorable à la création de taxe particulière...

Il faut donc trouver des solutions un peu plus originales... C'est ainsi que l'on peut imaginer la taxation des amendes pénales, douanières, fiscales, cela représenterait une source non négligeable de revenus... On pourrait également proposer la création d'un compte épargne-procès, que les justiciables constitueraient tout au long de leur vie. Il serait rémunéré dans des conditions à déterminer. Le capital et les intérêts produits, seraient affectés au financement d'honoraires d'avocat avec la liberté pour le justiciable de reprendre à tout moment son épargne. Il s'agirait de s'inspirer du plan d'épargne logement. On peut, enfin, imaginer le système du micro-crédit -dont l'expérience montre qu'il s'agit, structurellement, du crédit le mieux remboursé par les débiteurs-, et pour lequel on pourrait proposer au banquier d'être subrogé au titre de l'indemnité allouée à la partie gagnante en application de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL) qu'il affecterait en remboursement anticipé du crédit consenti.

newsid:396986