Réf. : Cass. soc., 13 décembre 2007, n° 06-46.302, FS-P+B (N° Lexbase : A0831D38)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 02 Février 2024
Parmi les nombreux congés prévus par le Code du travail, le congé parental d'éducation est certainement l'un de ceux qui connaît le plus de succès depuis sa création. Il permet, en effet, à l'un des parents de suspendre, en tout ou partie, l'exécution de son contrat de travail afin de consacrer au plus trois années à élever son enfant. S'il s'agit d'un véritable droit conféré au salarié, droit auquel l'employeur ne peut pas s'opposer, cela n'empêche pas ce droit d'être encadré par le Code du travail, spécialement s'agissant de l'information que doit fournir le salarié à l'employeur de sa volonté de bénéficier d'un tel congé. L'absence d'information adéquate peut-elle justifier un licenciement pour motif disciplinaire ? C'est sur ce thème que la Cour de cassation s'est prononcée par un arrêt du 13 décembre 2007. En répondant par la négative, la Chambre sociale rappelle la teneur de cette obligation d'information (1) même si elle laisse indéniablement planer le doute sur la nature de la sanction pouvant intervenir en cas de manquement à cette formalité (2).
Résumé Lorsqu'une salariée est en congé parental, son contrat de travail est suspendu, si bien que les absences injustifiées visées dans la lettre de licenciement ne sont pas susceptibles de revêtir la qualification de faute grave ou de cause réelle et sérieuse. La transaction conclue à la suite du licenciement est donc dépourvue de concessions réciproques et pouvait être annulée. |
Commentaire
1. La teneur de l'obligation d'information de l'employeur de la volonté de bénéficier d'un congé parental d'éducation
Les articles L. 122-28-1 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L9582GQX) mettent en place, pour les parents qui viennent d'avoir un enfant, le congé parental d'éducation. Il s'agit d'un congé d'une durée d'un an renouvelable à la disposition de chaque parent et durant lequel il peut percevoir une allocation parentale d'éducation servie par la Sécurité sociale (1). Le congé pourra être renouvelé au maximum jusqu'aux trois ans de l'enfant ou, s'il s'agit d'une adoption, jusqu'au troisième anniversaire de la date d'arrivée de l'enfant au foyer.
Si l'employeur ne peut refuser au salarié l'exercice de ce congé, il doit, néanmoins, être dûment informé par le salarié de son intention de bénéficier de celui-ci. Ainsi, le cinquième alinéa de l'article L. 122-28-1 du Code du travail prévoit que "le salarié doit informer son employeur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge, du point de départ et de la durée de la période pendant laquelle il entend bénéficier" de ce congé. Ce texte semble donc faire de cette information une véritable obligation pour le salarié, quoiqu'il reste bien évasif quant à la sanction de la mauvaise exécution de cette formalité.
Les modalités de cette information obligatoire diffèrent selon que l'un des parents souhaite en jouir ultérieurement, le congé pouvant toujours être pris plus tard à la condition, bien entendu, que l'enfant n'ait pas atteint l'âge de trois ans, ou que la salariée demande à bénéficier de ce congé dans la continuité du congé maternité. Dans le premier cas, le salarié doit informer son employeur par lettre recommandée de son intention de bénéficier de ce congé deux mois avant la date effective du début du congé. Dans le second, le délai est réduit à un mois avant la fin du congé maternité. Mais, dans tous les cas, cette notification doit intervenir par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge.
Le congé parental d'éducation opère une suspension du contrat de travail, suspension à laquelle des effets classiques sont attachés.
Le premier alinéa de l'article L. 122-28-1 prévoit explicitement que, pendant la durée du congé parental d'éducation, le contrat de travail du salarié "est suspendu". Le jeune parent conserve donc le statut de salarié, le congé parental peut, d'ailleurs, n'être constitué que d'une diminution de l'horaire de travail d'au moins un cinquième du temps de travail applicable à l'entreprise.
Le contrat n'étant que suspendu, l'employeur conserve son droit de résiliation unilatérale. La jurisprudence décide, ainsi, depuis longtemps que l'employeur peut toujours licencier un salarié en congé parental (2), à la condition, toutefois, que le licenciement ne soit pas fondé sur l'existence de ce congé parental, ce qui constituerait à n'en pas douter un motif discriminatoire (3). En revanche, l'employeur peut parfaitement prononcer un licenciement pour motif économique (4). On pourrait même envisager un licenciement fondé sur un motif disciplinaire, à la condition que celui-ci soit sans rapport avec le bénéfice du congé parental (5).
La question posée dans l'espèce commentée regroupait ces deux problèmes. La défectuosité de l'information fournie par la salariée à son employeur, s'agissant du bénéfice du congé parental d'éducation, permettait-elle de conférer un caractère injustifié aux absences de la salariée partie en congé et donc de prononcer un licenciement pour un motif disciplinaire ?
Dans cet arrêt, la salariée avait entendu bénéficier d'un congé parental à la suite de son congé maternité. Pourtant, elle n'avait pas respecté la procédure prescrite par l'article L. 122-28-1, alinéas 5 et 6, du Code du travail puisque, la notification à l'employeur n'avait pas été opérée par voie de lettre recommandée avec accusé de réception.
Dans ces conditions, la cour d'appel avait pu considérer que les personnes qui avaient mené la procédure de licenciement n'avaient pas connaissance de l'intention de la salariée de se prévaloir de son congé, si bien que les absences de celle-ci après son congé maternité pouvaient, à leurs yeux, constituer une faute grave justificative du licenciement. En conséquence, il n'était pas envisageable de satisfaire la demande de la salariée qui contestait la validité de la transaction conclue à la suite du licenciement pour défaut de concessions réciproques. On sait, en effet, que la transaction ne comportant pas de concessions réciproques peut être annulée par le juge, ce qui n'était donc pas le cas pour les juges de la cour d'appel (6).
La Cour de cassation ne l'entend, cependant, pas de cette oreille. Ainsi, au visa des articles 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE), L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) et L. 122-28-1 du Code du travail, elle casse la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en estimant que le contrat de travail de la salariée était suspendu, "ce dont il résultait qu'au regard de sa situation juridique, les absences injustifiées visées dans la lettre de licenciement n'étaient pas susceptibles de revêtir la qualification de faute grave ou de cause réelle et sérieuse de licenciement". Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, la transaction ne comportait, dès lors, aucune concession réciproque si bien que la demande en nullité formulée par la salariée aurait dû être accueillie.
Il faut relever que la Chambre sociale de la Cour de cassation ne fait là que confirmer une solution déjà pressentie en 2002, quoique celle-ci concernait alors la réalité d'une démission. Dans cet arrêt du 12 mars 2002, elle avait décidé que l'obligation d'information imposée par l'article L. 122-28-1, alinéa 5, au salarié "[n'était] pas une condition du droit du salarié au bénéfice de ce congé mais [n'était] qu'un moyen de preuve de l'information de l'employeur". Elle concluait alors de cette règle que le seul fait que la salariée ne reprenne pas son travail à la suite du congé maternité ne suffisait pas à caractériser une volonté claire et non équivoque de rompre son contrat de travail.
La solution est donc aujourd'hui étendue au licenciement qui ne peut être prononcé en raison de l'absence de la salariée remplissant les conditions pour bénéficier du congé parental. Si l'on comprend parfaitement les raisons qui guident la Cour de cassation dans cette voie, on peut, néanmoins, s'interroger sur l'orthodoxie juridique d'une telle interprétation.
2. Les effets modérés de la violation de l'obligation d'information de l'employeur de la volonté de bénéficier d'un congé parental d'éducation
La Cour de cassation refuse de considérer que l'absence de la salariée soit injustifiée et donc qu'un licenciement disciplinaire puisse être prononcé, cela pour deux raisons.
La première raison repose sur la réalité de l'information fournie à l'employeur. Autrement dit, les juges de la Chambre sociale ont cherché à savoir si l'entreprise avait, ou non, été informée de l'intention de la salariée de bénéficier du congé parental. Or, l'argumentation de la cour d'appel permettait de penser que, quoique les formes prévues par le Code du travail n'aient pas été respectées, l'employeur avait bien connaissance de cette volonté de la salarié de suspendre son contrat de travail par le jeu d'un congé parental d'éducation. Peu importe en réalité, comme le soutenaient les juges d'appel, que seules certaines personnes de l'encadrement de l'entreprise aient eu connaissance de cette volonté. On peut légitimement penser que la salariée n'avait pas à subir les effets d'une mauvaise communication entre les dirigeants de l'entreprise.
La seconde raison est plus directement fondée sur la lettre de l'article L. 122-28-1 du Code du travail. Si ce texte prévoit bien une obligation d'information à la charge du salarié, information devant être produite par lettre recommandée ou, à défaut, par lettre remise en main propre contre décharge, il reste, en revanche, taisant quant à la sanction devant intervenir en cas d'exécution défectueuse de cette obligation. En aucun cas le texte ne prévoit que la salariée pourrait être privée du droit de bénéficier du congé parental d'éducation pour un tel motif. En outre, comme nous l'avons vu, l'employeur avait bien été informé de la décision de bénéficier du congé, quand bien même les formalités idoines n'avaient pas été respectées. Il pouvait donc paraître tout à fait logique de considérer qu'un tel manquement ne pouvait pas priver la salariée de son droit. Pourtant, une telle interprétation n'est-elle pas de nature à vider l'obligation d'information de toute force obligatoire ?
Si le défaut d'information n'est pas sanctionné par le Code du travail, cela ne signifie bien évidemment pas que le manquement à ce devoir soit dépourvu de toute sanction. Reste à savoir quelle est la sanction la plus adéquate.
La formulation de l'article L. 122-28-1 emploie des termes très clairs puisque le salarié "doit" informer l'employeur. La positivité de l'obligation ne fait donc aucun doute. La logique voudrait que l'employeur qui n'est pas dûment informé de la volonté du salarié de bénéficier du congé parental d'éducation se trouve dans la situation suivante : une de ses salariées est partie en congé maternité. Le jour prévu de son retour, elle ne se présente pas à son poste, situation qui perdure pendant plusieurs jours. L'apparence est donc celle d'un abandon de poste qui, on le sait, suffit à justifier un licenciement pour motif disciplinaire.
Si la Cour de cassation écarte ce raisonnement, c'est parce qu'elle classe volontairement cette obligation d'information et la formalité qui lui est attachée, c'est-à-dire la notification par lettre recommandée avec avis de réception, à un degré de positivité moindre. Autrement dit, la Chambre sociale estime que cette obligation d'information n'est pas une condition de validité du congé parental d'éducation, ce n'est qu'une simple obligation probatoire permettant de s'assurer que l'employeur a bien connaissance de la volonté du salarié de bénéficier du congé.
Ce raisonnement, qui n'est pas nécessairement critiquable en soi, devrait néanmoins impliquer des effets différents à l'égard de l'employeur. En effet, s'il ne s'agit pas d'une condition de validité, il devrait néanmoins s'agir d'une condition d'opposabilité du congé à l'employeur. Ainsi, en faisant une application classique des règles sanctionnant un défaut d'information, on devrait considérer que l'employeur n'est pas informé du bénéfice du congé parental d'éducation, qu'il ne lui est pas opposable et, partant, qu'il s'agit pour lui d'un abandon de poste.
On comprend bien pourtant les raisons pour lesquelles la Cour de cassation ne s'oriente pas dans ces débats entre validité et opposabilité du droit de la salariée. En effet, la proximité entre le congé parental et le congé de maternité semble, par diffusion, conférer au premier un caractère quasi fondamental. Quoique les protections garanties par le Code du travail à la femme en couches ne lui soient pas transposables (7), les juges entendent, néanmoins, assurer le caractère absolu du droit au congé parental d'éducation, lequel s'illustre déjà dans l'impossibilité pour l'employeur de refuser ce droit au salarié. Impossibilité de le refuser, même s'il n'en a pas été convenablement informé !
Si l'on peut donc penser que la solution de la Cour de cassation se trouve être justifiée par la volonté de protéger le droit effectif des salariés à bénéficier d'un congé parental d'éducation, il faut, néanmoins, se demander quelle sera la sanction du manquement à l'obligation d'information et à la formalité y afférente, sous peine de vider totalement l'obligation de toute portée.
Cela nous paraît d'autant plus impérieux que les obligations d'information comme les formalités obligatoires ont, en général, une portée grandissante dans notre droit positif. Ainsi, on sait que le formalisme auquel est astreint l'employeur en matière de licenciement est aujourd'hui une pièce essentielle de la résiliation, à tel point que certaines conditions de forme non respectées peuvent emporter avec elle une irrégularité de fond du licenciement. De la même manière, le droit de la responsabilité médicale et le droit de la consommation ont été les étendards les plus visibles de l'extension des effets des obligations d'information des cocontractants. Même si l'obligation d'information n'a pas connu le même essor en droit du travail, il est, pourtant, surprenant de constater qu'on lui donne ici une portée bien moindre que dans les autres branches du droit.
Reste donc la possibilité d'envisager une sanction indemnitaire à l'encontre de la salariée n'ayant pas respecté ces formalités. C'est bien là le moins que l'on puisse faire afin de compenser le préjudice que peut dans certain cas subir l'employeur qui s'attendait au retour de sa salariée après son congé maternité...
(1) Allocation versée sous réserve du respect des conditions prévues par les articles R. 532-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5432DYT).
(2) V. Cass. soc., 18 octobre 1989, n° 87-45.724 (N° Lexbase : A4083AGC) ; Cass. soc., 12 février 1997, n° 93-42.510 (N° Lexbase : A1476ACN).
(3) On pourrait, ainsi, penser qu'un tel licenciement tomberait sous le coup de la prohibition des licenciements prononcés en raison de la situation de famille du salarié. V., par ex., pour un licenciement fondé sur le lien matrimonial du salarié, Cass. soc., 10 février 1999, n° 96-42.998 N° Lexbase : A4593AG9) ; Dr. soc. 1999, p. 410, obs. M. Bonnechère.
(4) Cass. soc., 12 février 1997, n° 93-42.510, préc..
(5) Quoiqu'une telle hypothèse semble ne jamais s'être encore présentée devant la Cour de cassation. V. contra une décision rendue par la cour d'appel de Bourges et selon laquelle "le licenciement ne pouvait reposer sur une cause propre à la salariée puisque la procédure de licenciement a été entamée alors qu'elle était en congé parental" (CA Bourges, 8 novembre 2002). Le Code du travail prévoit, en revanche, explicitement la possibilité de licencier une salariée durant son congé maternité en raison d'une faute grave de l'intéressée non liée à l'état de grossesse (C. trav., art. L. 122-25-2 N° Lexbase : L5495ACI). L'analogie semble donc tout à fait envisageable.
(6) Sur la nullité de la transaction ne comportant pas de concessions réciproques, voir la jurisprudence développée sur le fondement de l'article 2044 du Code civil : Cass. soc., 13 octobre 1988, n° 85-45.309, publié (N° Lexbase : A8559AAA). V., également, s'agissant des concessions réciproques, Cass. soc., 1er décembre 2004, n° 02-46.341, F-P+B (N° Lexbase : A1259DED) et les obs. de Ch. Radé, Démission et transaction : des précisions utiles, Lexbase Hebdo n° 146 du 9 Décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3851ABA).
(7) Garanties prévues aux articles L. 122-25-2 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L5495ACI).
Décision Cass. soc., 13 décembre 2007, n° 06-46.302, FS-P+B (N° Lexbase : A0831D38) Cassation, Cour d'appel de Versailles, 15ème ch., 28 septembre 2006. Textes visés : C. civ., art. 2044 (N° Lexbase : L2289ABE), C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) et L. 122-28-1 (N° Lexbase : L9582GQX). Mots-clés : Congé parental d'éducation. Licenciement. Absence injustifiée. Faute grave (non). Transaction. Nullité. Liens base : ; . |
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