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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
Chez Proust, au commencement, il y a "je". Et si "le sentiment religieux cosmique est le motif le plus puissant et le plus noble de la recherche scientifique", selon Einstein, nous ne sommes pas loin de penser que l'introspection littéraire n'est pas si éloignée que cela de la quête scientifique. Ne dit-on pas d'A la recherche du temps perdu, qu'il s'agit là non pas seulement de la recherche de la mémoire et du coeur, mais la conquête audacieuse des lois générales de l'esprit et du monde. L'objectif de cette somme littéraire est d'effacer progressivement la personnalité du petit, puis du grand, Marcel, pour découvrir la loi du temps qui passe et qui métamorphose tout. Les progrès techniques, les aléas de la mode et plus encore, les morts, jalonnent ainsi le récit. Et malgré les excroissances anarchiques et monstrueuses, les phrases longues et embrouillées, l'unité du projet [ici littéraire] ne cesse jamais de s'affirmer. Ne voit-on pas, alors, la méthodologie si chère aux sciences exactes ? Même le sujet de recherche de Proust est digne d'un sujet de recherche scientifique : le temps. Et quelle est la téléologie de la recherche, si ce n'est de gagner du temps ?
Encore, l'oeuvre de Proust s'analyse comme un tableau impressionniste de la fin du XIXème siècle, sur un air de déclin de civilisation, dont l'écho se fait étrangement sentir en notre propre temps où règnent les déclinologues. Finalement rechercher le temps perdu et pourquoi pas rattraper le temps, n'est-ce pas ce que souhaite le Gouvernement, en réformant le crédit d'impôt recherche et en soutenant les entreprises innovantes, lorsque la Cour des comptes, dans son rapport annuel 2007, marque que les systèmes les plus efficaces pour stimuler les efforts de recherche, notamment en période de récession économique, sont fondés sur le volume des dépenses engagées et non sur leur simple accroissement, et ce bien que le coût budgétaire en soit plus élevé. Le couperet est lourd : le crédit d'impôt institué en 1983 et pérennisé en 2004, et qui favorise l'accroissement, va droit dans le mur. Il s'agit alors de redresser la barre et de rattraper l'investissement ainsi perdu à la suite d'une mesure ayant découragé ou pas assez valorisé l'investissement, même constant, dans la recherche, en France.
Globalement la loi de finances pour 2008 n'est pas des lois les plus ambitieuses ; et ne parlons pas de la loi de finances rectificative dont ce n'est d'ailleurs pas l'essence que d'impulser une dynamique économique quelconque. Le "paquet fiscal" de l'été 2007 aura gommé tous ses effets à la traditionnelle loi de finances de fin d'année, mais il en résulte tout de même une impulsion clairement revendiquée, celle d'encourager la recherche afin de préparer la compétitivité de l'économie française de demain et d'assurer les emplois à forte valeur ajoutée d'aujourd'hui.
D'aucuns regretteront que le crédit d'impôt recherche constitue le principal, voire le seul, instrument d'incitation à la recherche en direction des entreprises françaises, et qu'il est insuffisant à engager une dynamique forte pour combler la régression des investissements en faveur de la recherche de ces dernières années, toujours est-il qu'une réforme s'imposait. La formule en accroissement entraînait des effets procycliques contraires à l'objectif recherché puisque le crédit d'impôt disparaissait au moment où l'entreprise menait moins de recherche, pour des raisons souvent conjoncturelles. Afin de renforcer tout en le simplifiant ce dispositif, la loi a supprimé le plafond et la part en accroissement et de fixer le taux du crédit d'impôt assis sur le volume des dépenses de recherche à 30 % jusqu'à 100 millions d'euros de dépenses et 5 % au-delà. En outre, le taux du crédit d'impôt recherche la première année pour les entreprises qui en bénéficient pour la première fois ou n'en ont pas bénéficié pendant cinq ans, est majoré. Ce taux de 30 % est porté à 50 % la première année. Enfin, deux aménagements visent à sécuriser le dispositif pour les entreprises en améliorant les procédures de validation préalable des projets éligibles au crédit d'impôt (rescrit et contrôle sur demande du contribuable). C'est, désormais, le montant global de l'investissement qui est valorisé plus volontiers que son accroissement.
Alors, sept tomes... Imagine-t-on que Proust se serait plus investi, pour sa recherche, dans Le temps retrouvé que Du côté de chez Swann ? Certes, A l'ombre d'une jeune fille en fleurs aura connu les honneurs du Goncourt, mais pouvait-on décemment donner à l'auteur, chaque année, entre 1913 et 1927, le précieux sésame littéraire ? C'eût pu être fait sans peine. Mais sept volumes d'égal génie littéraire pour la recherche la plus absolue qui soit, c'eût été contraire à l'objectif du temps retrouvé que de ne créditer Proust que pour certaines de ces oeuvres...
En juillet 2000, les premières pages de Du côté de chez Swann on été vendues pour la somme de 663 750 livres sterling, le record du monde pour un manuscrit littéraire français... pas mal pour un écrivain dont la recherche constitua le but de toute une vie. Mais laissons là "l'appât du gain [qui] ne représentera jamais la motivation principale du chercheur" écrivait Pierre Joliot, dans La recherche passionnément, même si la formule est d'une naïveté économique et fiscale des plus touchantes...
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