Réf. : Cass. soc., 18 décembre 2007, pourvoi n° 06-45.132, PBRI, société RATP c/ M. Serge X... (N° Lexbase : A1382D3L)
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N5941BDE
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
En se référant à la primauté du droit communautaire, sans apprécier la légalité de l'article 9 du statut de la RATP, la cour d'appel a justement décidé que ce texte ne pouvait faire obstacle à l'application du principe d'égalité de traitement entre les travailleurs masculins et féminins en matière d'emploi et de travail résultant des articles 141, paragraphe 4, du Traité CE (N° Lexbase : L5147BCM) et 2, paragraphe 4, de la Directive 76/207/CEE du 9 février 1976 (N° Lexbase : L9232AUH). L'article 9 du statut de la RATP accorde une priorité absolue et inconditionnelle aux candidatures de certaines catégories de femmes, au nombre desquelles figurent les femmes divorcées non remariées qui se trouvent dans l'obligation de travailler, en réservant à celles-ci le bénéfice de l'inopposabilité des limites d'âge pour l'accès au statut d'agent permanent de la RATP, à l'exclusion des hommes divorcés non remariés qui sont dans la même situation ; une telle réglementation est contraire au principe communautaire d'égalité de traitement entre travailleurs masculins et féminins en matière d'emploi et de travail tel qu'il résulte des articles 141, paragraphe 4, du Traité CE et 3, paragraphe 1, et 2, paragraphe 4, de la Directive 76/207/CEE. |
Commentaire
1. Le principe d'égalité entre les femmes et les hommes au travail
Le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes constitue un principe fondamental de notre droit reconnu et protégé sur le plan international (1), européen (2), communautaire (3) et bien entendu national, qu'il s'agisse des normes constitutionnelles (4) ou législatives (5).
La lutte contre les discriminations, qui frappent l'une ou l'autre catégorie de travailleurs en raison de son appartenance à un sexe, a connu ces dernières années une formidable accélération, sous une triple influence : prise en compte des discriminations indirectes, c'est-à-dire de mesures qui n'ont pas un objet discriminant, mais qui ont cet effet ; amélioration du dispositif de preuve des discriminations au travers du jeu de présomptions ; et, enfin, recherche d'une égalité réelle entre les sexes au travers de mesures positives, réservées aux femmes, et destinées à leur permettre de rattraper le retard pris, singulièrement en matière de rémunération (6).
La notion d'actions positives a fait son apparition avec la Directive de 1976 qui disposait, dans son article 2, § 4, que "la présente Directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes" (7).
La loi "Roudy" du 13 juillet 1983 a, pour sa part, introduit dans le Code du travail un article L. 123-3 (N° Lexbase : L5590ACZ) aux termes duquel "les dispositions des articles L. 123-1 (N° Lexbase : L3115HI9) et L. 123-2 (N° Lexbase : L5589ACY) ne font pas obstacle à l'intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes".
La Cour de justice des Communautés européennes a, dans un premier temps, retenu de la formule présente dans la Directive de 1976 une interprétation restrictive. Dans l'arrêt "Kalanke" (8), elle a, ainsi, jugé qu'une disposition qui accordait aux femmes une priorité de recrutement ou de promotion, lorsqu'elles avaient une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins, allait au-delà d'une promotion de l'égalité des chances et dépassait les limites de l'exception de l'article 2, § 4. La Cour a, par la suite, confirmé cette jurisprudence dans l'arrêt "Marschall" concernant une disposition similaire, avec, toutefois, une dérogation prévue pour des motifs tenant à la personne du candidat (9), ce qui a conduit la Cour à valider la disposition, dès lors que les candidatures font l'objet d'une appréciation objective qui tienne compte de tous les critères relatifs à la personne du candidat.
Cette interprétation très stricte des facultés de mise en place de politiques unilatéralement favorables aux femmes a commencé à évoluer à partir de 2000 et de l'arrêt "Badeck" (10). Cette nouvelle orientation fut confirmée en 2002 avec l'arrêt "Lommers" (11). Il s'agissait, dans cette affaire, de mesures prises par un employeur visant à réserver aux femmes des places de garderie, avec son soutien financier. Pour valider ce dispositif, la Cour avait relevé qu'il s'agissait d'éliminer les causes des moindres chances d'accès au travail et des carrières accordées aux femmes.
C'est pour tenir compte de cette évolution que la Directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9630A4G) a modifié la rédaction restrictive de l'article 2, § 4, de la Directive de 1976, le texte disposant, désormais, que "les Etats membres peuvent maintenir ou adopter des mesures au sens de l'article 141, paragraphe 4, du Traité pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes".
La Cour européenne des droits de l'Homme a eu, également, l'occasion récemment de statuer sur la conformité de dispositifs favorisant l'accès à la retraite des femmes à l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU). Dans un arrêt en date du 12 avril 2006, la Cour a, ainsi, admis comme licite "la différence existant entre les hommes et les femmes au Royaume-Uni quant à l'âge légal du départ à la retraite" dès lors qu'il vise "à corriger le désavantage dont souffraient les femmes sur le plan économique", cette différence de traitement cessant, toutefois, d'être admissible dès lors que "les changements intervenus aux plans social et économique avaient fait disparaître la nécessité d'un traitement spécial des femmes" (12).
Le Conseil constitutionnel a, également, validé des dispositifs accordant aux femmes des prérogatives spécifiques, dès lors qu'il s'agissait de rattraper des différences de situation constatées en leur défaveur. Ainsi, dans sa décision rendue en 2003 sur les retraites (13), le Conseil, après avoir rappelé "que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (§ 23), et considéré "que l'attribution d'avantages sociaux liés à l'éducation des enfants ne saurait dépendre, en principe, du sexe des parents" (§ 24), a considéré, "toutefois, qu'il appartenait au législateur de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu 'à présent été l'objet ; qu'en particulier, elles ont interrompu leur activité professionnelle bien davantage que les hommes afin d'assurer l'éducation de leurs enfants ; qu'ainsi, en 2001, leur durée moyenne d'assurance était inférieure de onze années à celle des hommes ; que les pensions des femmes demeurent en moyenne inférieures de plus du tiers à celles des hommes ; qu'en raison de l'intérêt général qui s'attache à la prise en compte de cette situation et à la prévention des conséquences qu'aurait la suppression des dispositions de l'article L. 351-4 du Code de la Sécurité sociale sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, le législateur pouvait maintenir, en les aménageant, des dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître" (§ 25).
2. L'éviction des dispositions réglementaires contraires au principe communautaire d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes
Cette affaire concernait la conformité de dispositions du statut de la RATP au principe de non-discrimination tel qu'il résulte des dispositions précitées du droit communautaire. L'article 9 de ce statut limite, en effet, l'accès aux candidats âgés de moins de trente-cinq ans, mais prévoit une dérogation pour les veuves et les femmes divorcées, non remariées, les mères de trois enfants et plus et les femmes célibataires ayant au moins un enfant à charge qui se trouvent dans l'obligation de travailler.
Un homme qui remplissait l'une de ces conditions avait réclamé l'application de ces dispositions, invoquant l'existence d'une discrimination fondée sur le sexe, et avait obtenu gain de cause tant devant la juridiction prud'homale qu'en appel.
Contestant cet arrêt, la RATP faisait valoir, non seulement que le juge judiciaire n'était pas compétent pour statuer sur la légalité du statut, mais, de surcroît, que la différence de traitement introduite au seul bénéfice des femmes n'était pas constitutive d'une discrimination.
Sur le premier point, la RATP prétendait que le contrôle de conventionalité du règlement devait échapper à la compétence du juge judiciaire pour être du ressort du seul juge administratif. Tel n'avait pas été l'avis des juridictions du fond et telle n'est pas, non plus, l'opinion de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Cette solution n'est pas une surprise.
S'agissant des questions qui intéressent les personnels des entreprises à statut gérant un service public industriel et commercial, ce sont les juridictions prud'homales qui sont compétentes pour apprécier les différends qui naissent dans le cadre de l'exécution des contrats de travail, à l'exception des personnels ayant le statut de fonctionnaire et sous réserve des questions qui intéressent la légalité des règlements propres à l'entreprise qui sont de la compétence des juridictions administratives.
Mais, dans la mesure où le demandeur n'invoquait pas l'illégalité de l'alinéa 2 de l'article 9 du statut, mais sa contrariété avec le droit communautaire, le juge judiciaire était normalement et pleinement compétent (14).
Restait la question la plus délicate à régler et qui concernait la licéité de la clause du statut qui réservait aux seules femmes la dérogation à la condition d'âge.
Pour défendre cette mesure, la RATP faisait valoir qu'elle visait à "pallier le retard de déroulement de carrière professionnelle des femmes placées dans une situation familiale difficile".
Or, l'argument n'a pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi, après avoir relevé que la rédaction de la clause litigieuse écartait les hommes "divorcés non remariés qui sont dans la même situation" que les femmes, ce qui suffisait à établir le caractère discriminatoire d'une telle mesure.
Cette solution doit être pleinement approuvée.
Les différences de traitement entre femmes et hommes ne peuvent, en effet, être justifiées que par les différences avérées de situation, soit qu'il s'agisse de protéger la femme en raison de risques particuliers auquel sa nature l'expose (il s'agira singulièrement de protéger la maternité (15)), soit qu'il s'agisse de constater que les femmes, en tant que telles, sont victimes de discriminations et qu 'elles doivent, donc, bénéficier de mesures de rattrapages.
Or, dans cette affaire, et de l'aveu même des promoteurs du statut, il s'agissait d'admettre des dérogations à la condition d'âge pour les travailleurs ayant eu des retards de carrière en raison d'une situation personnelle ou familiale particulièrement absorbante. Certes, il s'agit statistiquement de femmes ; mais certains hommes, qui se consacrent pleinement à l'éducation de leurs enfants, subissent le même genre de désagrément, et on ne voit pas au nom de quoi ils ne pourraient pas bénéficier des mêmes mesures dérogatoires.
C'est d'ailleurs pour des raisons comparables que la Cour de cassation avait censuré les dispositions de conventions collectives qui réservaient le bénéfice de primes de naissance (16) ou de crèches aux seules femmes (17), ou que le Conseil d'Etat a condamné le régime de retraite dans la fonction publique qui réservait aux seules femmes le bénéfice d'années de cotisations en moins pour charge de famille (18).
Décision
Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-45.132, PBRI, Société RATP c/ M. Serge X... (N° Lexbase : A1382D3L) Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 4 juillet 2006) Textes concernés : Traité CE, art. 141, paragraphe 4, (N° Lexbase : L5147BCM) et Directive 76/207/CEE art. 3, paragraphe 1, et 2, paragraphe 4 (N° Lexbase : L9232AUH) Mots clef : égalité femmes-hommes ; accès aux carrières ; différence de situation Liens base : |
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