La lettre juridique n°326 du 13 novembre 2008 : Concurrence

[Jurisprudence] La remise en cause du statut des architectes en chef des Monuments historiques pour discrimination par rapport aux autres professionnels établis en France

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 6 octobre 2008, n° 310146 et n° 311080, Compagnie des architectes en chef des Monuments historiques (N° Lexbase : A7108EAI)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 07 Octobre 2010

Le positionnement des professions libérales au regard du droit de la concurrence est un sujet suscitant de constantes interrogations, qui plus est lorsque certaines de ces professions peuvent bénéficier, au surplus, d'un statut particulier et unique. Par une décision du 6 octobre 2008, le Conseil d'Etat annule partiellement l'article 9 du décret n° 2007-1405 du 28 septembre 2007, portant statut particulier des architectes en chef des Monuments historiques et adaptation au droit communautaire des règles applicables à la restauration des immeubles classés (N° Lexbase : L5697HYN) (1). Les architectes en chef ont toujours eu un statut assez particulier, combinant à la fois le statut de fonctionnaires d'Etat et, celui, essentiel et libéral, d'architecte. En ce sens, ils ne sont pas des agents de l'Etat comme les autres, il s'agit d'une particularité ancienne tenant à ce que leur activité porte sur les Monuments historiques, à l'égard desquels ils sont spécialisés et dont l'Etat veut assurer la protection. Cette dernière, dans sa forme moderne, a été engagée par la grande loi du 31 décembre 1913 sur les Monuments historiques (N° Lexbase : L4485A8M) (2) dont les dispositions, avec les modifications dont elles ont fait l'objet ultérieurement, ont été reprises dans le Code du patrimoine dans le titre II du livre VI aux articles L. 621-1 (N° Lexbase : L3980HCE) et suivants. Le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 (N° Lexbase : L8702HUT) (3) en détermine, aujourd'hui, les modalités d'application. Le Code du patrimoine dispose que les Monuments historiques peuvent être constitués d'objets mobiliers autant que d'immeubles, et c'est pour ceux-là seuls que les architectes des Monuments historiques exercent leur activité. Leur caractère commun tient, outre leur nature immobilière, "à l'intérêt public" que, selon l'article L. 621-1 du Code du patrimoine, leur "conservation présente, au point de vue de l'histoire ou de l'art". La reconnaissance des Monuments historiques s'effectue à deux titres : le premier est celui du classement, et le second celui de l'inscription sur l'inventaire supplémentaire, les architectes en chef étant compétents, à la fois en vue de ce classement et de cette inscription, mais aussi pour la conservation des immeubles ainsi classés et inscrits.

Une dernière distinction doit être établie selon que les Monuments historiques appartiennent à l'Etat ou à d'autres personnes, personnes publiques ou personnes privées, sachant que c'est sur cette seconde catégorie d'appartenance que porte l'arrêt du Conseil d'Etat ici commenté. En l'espèce, le juge administratif suprême a eu à se prononcer sur deux requêtes. La première, qui a été rejetée par le Conseil d'Etat, était introduite par la Compagnie des architectes en chef des Monuments historiques et tendait, notamment, à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2007-1405 du 28 septembre 2007 précité (4). La seconde était présentée par l'association "architecte du patrimoine" et tendait à l'annulation de l'article 9 du décret. Le Conseil d'Etat, faisant en partie droit aux conclusions de cette dernière association, annule partiellement l'article susvisé.

Cet article, qui dispose que "la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration des Monuments classés autres que ceux mentionnés au premier alinéa du III de l'article 3 peut, également, être assurée sur une opération donnée par un ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen établi dans un autre Etat que la France", a pour objet de permettre de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration des Monuments historiques classés n'appartenant pas à l'Etat à d'autres catégories de professionnels que les architectes en chef des Monuments historiques.

Il faut préciser, à cet égard, que la maîtrise d'oeuvre des travaux sur les Monuments historiques classés distingue, depuis 1913, les travaux d'entretien ou de réparation ordinaire, et les travaux de restauration. Pour l'entretien des monuments classés, la maîtrise d'oeuvre doit être confiée aux architectes des Bâtiments de France en vertu du décret n° 84-145 du 27 février 1984, portant statut particulier des architectes des Bâtiments de France (N° Lexbase : L7150IBG) (5) et, pour les opérations de restauration, elle doit être confiée aux architectes en chef des Monuments historiques en vertu du décret n° 80-911 du 20 novembre 1980, portant statut particulier du corps des architectes en chef des Monuments historiques (N° Lexbase : L7149IBE) (6), dès lors que la maîtrise d'ouvrage des travaux est assurée par l'Etat ou lorsque les propriétaires ou affectataires reçoivent une aide financière de l'Etat au titre du Livre VI du Code du patrimoine, ce qui est presque toujours le cas.

Ce monopole des architectes en chef, souvent critiqué, a amené la Commission européenne à adresser à la France un avis motivé en date du 19 avril 2006 l'avertissant du caractère "contraire aux articles 43 et 49 du Traité CE" de ce monopole. L'un porte sur la liberté d'établissement devant permettre l'accès de tous les ressortissants communautaires aux activités non salariées et leur exercice , et l'autre assure la libre prestation des services dans la communauté (Traité CE, art. 49 N° Lexbase : L5359BCH). En effet, l'activité d'architecte est une activité de service, qui s'exerce, normalement, à titre libéral. Or, pour les Monuments historiques, celle des architectes, si elle s'en différencie par son objet, ne s'en distingue pas dans sa réalisation. En adoptant le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 précité, la France a évité que la procédure engagée par la Commission se poursuive par un recours devant la Cour de justice en constatation de manquement, sur le fondement de l'article 226 du Traité CE .

L'article 9 susvisé du décret permet aux ressortissants communautaires, sous certaines conditions de qualification, de se voir confier la maîtrise d'oeuvre de ces travaux, mais cette extension est limitée aux professionnels établis dans un autre Etat que la France. Ces dispositions ont donc pour effet d'exclure de l'ouverture de l'accès à la maîtrise d'oeuvre les architectes établis en France, qu'ils soient de nationalité française, ressortissants d'autres Etats membres de la Communauté européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen. Elles font perdurer, finalement, une sorte de monopole de fait des architectes en chef des Monuments historiques, puisqu'il semble plus probable que ce soit des architectes français ou étrangers résidant en France qui soient susceptibles de proposer leurs compétences en la matière, plutôt que des résidents étrangers. C'est cette discrimination envers les résidents français qui a poussé l'association des "architectes du patrimoine" à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la disposition en cause alors que, parallèlement, la Compagnie des architectes en chef des Monuments historiques demandait le rejet de cette requête et la conservation en l'état de la disposition litigieuse.

Le Conseil d'Etat juge que cette distinction entre professionnels, selon qu'ils sont établis en France ou dans l'un de ces Etats, n'est pas en rapport avec l'objet de ces dispositions, et n'est pas justifiée pour des raisons d'intérêt général. Il annule donc l'article 9 en tant qu'il exclut de son champ d'application les professionnels établis en France. Par cette annulation, le Conseil d'Etat sanctionne l'apparente libre concurrence interne du marché des Monuments historiques (I), même si cette annulation laisse persister encore une certaine mainmise de l'Etat en la matière (II).

I - La sanction d'une apparente libre concurrence du marché des Monuments historiques

Le Gouvernement a mis fin, par le décret n° 2007-1405 du 28 septembre 2007, à la situation de monopole quasi-juridique des architectes en chef des Monuments historiques, pour le rendre conforme aux principes communautaires de libre prestation de service et de liberté d'établissement (Traité CE, art. 49 et 43) (A). Cependant, en agissant de la sorte, il a, en réalité, fait perdurer une sorte de monopole de fait de la profession vis-à-vis des autres catégories de professionnels établies en France (B).

A - Un statut qui se veut pourtant conforme aux principes communautaires

On a déjà pu relever que l'activité d'architecte est une activité qui s'exerce normalement à titre libéral et que, pour les Monuments historiques, celle des architectes, si elle s'en différencie par son objet, ne s'en distingue pas dans sa réalisation. Il a pu être question de certaines hésitations par rapport au droit de la concurrence, eu égard à la situation particulière de ses professions.

En effet, d'une part, elles font l'objet, en raison de la spécificité de leur domaine d'intervention, de réglementations particulières édictées dans des conditions souvent exorbitantes du droit commun. Les professionnels en cause interviennent dans des domaines où les exigences de sécurité et de qualité sont très fortes, et les services rendus dépassent la relation bilatérale entre le professionnel et son client pour intéresser l'ensemble de la collectivité. Or, précisément, les seules règles du marché sont, dans ces secteurs, insuffisantes à garantir que les exigences de sécurité et de qualité seront satisfaites, aussi bien au niveau du bénéficiaire direct de ces services qu'à celui de la collectivité.

D'autre part, les professions libérales se définissent comme non commerciales mais s'exercent comme une activité économique, puisqu'elles consistent à offrir des services à des personnes ou des entreprises qui en expriment le besoin. Elles sont donc bien des entreprises au sens du droit communautaire. Dès lors, les ordres professionnels, lorsqu'ils représentent leurs membres en tant qu'entreprises, sont des associations d'entreprises sans que leur nature particulière et, notamment, le fait qu'ils agissent sur la base d'une délégation donnée par les pouvoirs publics, les fassent échapper au droit de la concurrence s'ils adoptent des règlements ou des comportement restrictifs de concurrence non justifiés par ce qui est nécessaire à l'exercice de leur mission.

Parmi ces comportements restrictifs de concurrence figure celui, notamment, de réserver l'accès au corps de la profession aux seuls nationaux français contraire au principe de liberté d'établissement (Traité CE, art. 43) devant permettre l'accès de tous les ressortissants communautaires aux activités non salariées et leur exercice, auquel s'ajoute l'article 49 du Traité CE assurant la libre prestation des services dans la communauté.

Les conditions restrictives d'accès à la profession, destinées à garantir un haut niveau de qualification, sont généralement considérées comme nécessaires à l'exercice de la profession et échappent à toute condamnation. Mais les conditions définies doivent l'avoir été de manière objective, transparente et non discriminatoire. Il ne faut pas, sous couvert d'interprétation de la loi, donner une définition extensive et tendancieuse du monopole légal reconnu, et empêcher l'accès d'autres professionnels à certaines activités. En ce cas, il y a infraction au droit de la concurrence et cette infraction doit être sanctionnée.

B - Un monopole de fait qui perdure vis-à-vis d'autres catégories de professionnels établis en France

L'article 9 du décret ouvre la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration des Monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat aux ressortissants communautaires, à l'exclusion des ressortissants français. Ces dispositions ont donc pour effet de priver cet accès aux architectes établis en France, qu'ils soient, comme le relève l'association requérante, de nationalité française ou, d'ailleurs, ressortissants d'autres Etats membres. Pour apprécier la légalité des dispositions contestées, le Conseil d'Etat se fonde uniquement sur le principe d'égalité et semble, ainsi, mettre de côté les moyens tirés du droit communautaire.

De manière générale, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations diverses, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. Il faut alors que la différence qui en résulte soit, dans l'un et l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit, et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier.

Pour le Conseil d'Etat, l'objet de l'article 9 est, justement, de permettre de confier la maîtrise d'oeuvre de travaux de restauration de Monuments historiques classés n'appartenant pas à l'Etat à d'autres catégories de professionnels que les architectes en chef. Il est ainsi "loisible au Gouvernement de réserver, pour des raisons d'intérêt général, l'exercice de la maîtrise d'oeuvre de la restauration de ces Monuments historiques classés à des professionnels disposant d'une qualification et d'une expérience suffisante en ce domaine", mais "il ne ressort pas des pièces du dossier que des raisons d'intérêt général suffisantes justifient la différence de traitement qu'instituent les dispositions précitées au détriment des professionnels établis en France".

La décision du Conseil d'Etat fait suite, en ce sens, à une autre décision importante prise en la matière quant aux menaces de la décentralisation sur le statut, à la fois des architectes des Bâtiments de France, et des architectes en chef des Monuments historiques. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4) (7) a procédé à des transferts de compétences, notamment dans le domaine du patrimoine. Son article 99 (N° Lexbase : L7586GT7) a prévu, en particulier, plusieurs mesures relatives à la politique d'entretien et de restauration du patrimoine classé ou inscrit n'appartenant pas à l'Etat et à ses établissements publics.

La mesure principale permettait d'expérimenter, pendant quatre ans, un transfert de la gestion des crédits budgétaires affectés à l'entretien et à la restauration des immeubles, orgues et objets mobiliers classés ou inscrits. Le texte a prévu qu'un décret en Conseil d'Etat "détermine les modalités d'application du présent article, notamment les catégories de professionnels auxquels le propriétaire d'un immeuble classé monument historique est tenu de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration".

Ce décret a été pris le 20 juillet 2005 (8), et son article 3 fixe les règles de maîtrise d'oeuvre des travaux d'entretien et de réparations ordinaires des immeubles concernés. Ces travaux d'entretien et de réparations doivent, en principe, être déterminés et dirigés par l'architecte des Bâtiments de France territorialement compétent, mais le décret permet de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux à d'autres catégories d'architectes, sous réserve que les intéressés soient titulaires de certains diplômes.

Un syndicat de fonctionnaires du ministère de la Culture a attaqué ces dispositions devant le Conseil d'Etat, en tant qu'elles permettaient de confier la maîtrise d'oeuvre des travaux d'entretien et de réparation d'un immeuble classé à des professionnels autres qu'un architecte des Bâtiments de France ou un architecte en chef des Monuments historiques. L'arrêt rejette leur requête en jugeant que le décret est conforme à la volonté du législateur, qui n'a pas entendu réserver à ces deux catégories d'architectes la maîtrise d'oeuvre des travaux d'entretien et de réparation ordinaires des immeubles classés visés par le processus d'expérimentation, mais a, au contraire, entendu élargir le champ des professionnels qualifiés auxquels peut être confiée cette mission (9).

Le débat ne portait que sur le cas des travaux d'entretien et de réparations ordinaires, car le décret précité du 20 juillet 2005 confirmait la compétence exclusive des architectes en chef des Monuments historiques pour ce qui est de la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration. Est, ainsi, ébauchée la jurisprudence développée par la suite par le Conseil d'Etat relative aux architectes en chef et par rapport, cette fois-ci, au décret du 28 septembre 2007. Il y a, de la sorte, confirmation de la volonté de libéralisation de ces différents statuts protecteurs concernant la profession d'architecte sous couvert, essentiellement, des grands principes communautaires, même si le Conseil d'Etat le fonde, en l'espèce, sur le principe d'égalité. Pour autant, cette libéralisation s'accompagne encore d'une certaine mainmise de l'Etat en la matière.

II - La persistance d'une certaine mainmise de l'Etat

Loin de se contenter d'annuler la disposition litigieuse, le Conseil d'Etat a enjoint l'Etat de modifier la rédaction de l'article 9 du décret, obligeant ainsi le ministre de la Culture à proposer un nouveau texte en la matière. Pour autant, il reste que l'Etat continue à disposer d'une certaine mainmise et à assurer une protection à ces architectes au statut particulier, que ce soit à travers la procédure du choix de l'architecte (A), ou en raison de la nécessité, toujours présente, d'obtenir des garanties des professionnels agissant dans ce secteur ou ce domaine (B).

A - Le rôle encore essentiel de l'Etat dans la mise en oeuvre de la procédure du choix de l'architecte

La décision du Conseil d'Etat vient confirmer le fait que les propriétaires autres que l'Etat peuvent attribuer la maîtrise d'oeuvre à un professionnel qui n'est pas un architecte en chef des Monuments historiques, et qui est ressortissant d'un autre Etat membre de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen. Sont, ainsi, satisfaites les exigences communautaires de libre prestation de service et de liberté d'établissement, aussi bien vis-à-vis des autres professionnels en France ou dans d'autres Etats membres.

Pour autant, une fois modifié par le Gouvernement conformément au respect du principe d'égalité, l'article 9 continuera à fixer les conditions nécessaires pour qu'un professionnel autre qu'un architecte en chef puisse obtenir la maîtrise d'oeuvre. Il ne pourra s'agir que d'une personne présentant les conditions requises, à la fois pour se présenter au concours sur titres des architectes en chef et pour être inscrit à un tableau régional de l'ordre des architectes (art. 9 du décret précité). Par cette procédure, l'Etat garde une marge de manoeuvre importante quant au choix de l'architecte. Il est positivement exigé une expérience professionnelle et celle-ci doit être caractérisée par la détention d'un diplôme d'architecte reconnu par l'Etat avec "la capacité à exercer la maîtrise d'oeuvre". Pour répondre aux critères requis pour se présenter aux concours sur titres, les intéressés "doivent justifier d'une activité professionnelle régulière dans le domaine de la restauration du bâti ancien pendant les dix années qui précèdent l'ouverture du concours". En ce sens, il peut y avoir matière à appréciation de la part de l'autorité qui arrête la liste des candidats admis à se présenter au concours, que ce soit par rapport aux candidats étrangers ou aux candidats français.

De même, selon l'article 2 du décret, les candidats reçus aux concours qui, à la date des épreuves, ne sont pas inscrits à un tableau régional de l'ordre des architectes, doivent, préalablement à leur nomination, dans un délai de six mois suivant leur réussite au concours, obtenir leur inscription à ce tableau régional sous peine d'en perdre le bénéfice (10). Normalement, l'inscription au tableau n'implique pas un certain contrôle de la part des autorités ordinales, puisque l'appréciation des diplômes et des garanties a déjà été donné positivement, mais il peut y avoir certaines divergences et c'est au ministre qu'il appartient, finalement, de statuer en cas de refus d'inscription. Sa décision peut autant régler la question de l'inscription à l'ordre que celle de la nomination dans le corps des architectes en chef.

Hormis cette double barrière mise en place par l'Etat, il faut aussi relever que le maître d'ouvrage doit, toujours selon l'article 9 du décret, et avant le commencement des travaux, fournir aux services déconcentrés du ministère de la Culture, "des justifications utiles de nature à établir que la formation et l'expérience professionnelle de ce maître d'oeuvre attestent des connaissances historiques, architecturales et techniques nécessaires à la conception et à la conduite des travaux sur l'immeuble faisant l'objet des travaux de restauration". Cette possibilité d'exiger un minimum de qualification peut permettre d'éviter les incompétents, mais ce rôle de l'administration peut prêter à discussion (11).

Ce contrôle dont la forme n'est pas précisée peut, dès lors, entraîner des difficultés quant à son application. L'accord de l'administration est-il obligatoire ? Si tel était le cas, l'administration pourrait faire en sorte que la mise en concurrence ne puisse aboutir, et que les propriétaires autres que l'Etat ne puissent trouver de maître d'oeuvre. Il faut, à cet égard, ne pas oublier une dernière disposition qui veut que, lorsqu'aucun maître d'oeuvre ne peut être retenu pour des travaux de restauration des Monuments historiques classés n'appartenant pas à l'Etat, cette maîtrise d'oeuvre soit confiée à l'architecte en chef dans la circonscription territoriale dans laquelle se trouve le monument en cause (art. 3 du décret précité). Dans ce cas, l'architecte en chef conserverait la totalité des fonctions qu'il exerce déjà sur les Monuments de l'Etat, certes par défaut, mais ce qui démontre bien, au final et en tenant compte de l'ensemble des dispositions, que malgré l'ouverture ainsi permise par le droit communautaire mais aussi le Conseil d'Etat, par la décision d'espèce, l'Etat conserve une certaine mainmise sur le statut avec comme ambition majeure de sauvegarder le riche patrimoine des Monuments historiques.

B - La nécessité constante d'avoir des garanties quant aux professionnels intervenant dans le secteur

Il ressort de la décision du Conseil d'Etat qu'aujourd'hui, dès lors que le propriétaire n'est pas l'Etat, la maîtrise d'oeuvre n'est plus attribuée d'office aux architectes en chef. Ainsi, l'architecte en chef chargé, au titre de fonctions "administratives", de la surveillance d'un monument historique n'appartenant pas à l'Etat ne peut en assurer la maîtrise d'oeuvre, contrairement au monument appartenant à l'Etat où il dispose d'une exclusivité de maîtrise d'oeuvre.

Comme l'indique le professeur Delvolvé, "la solution a sa logique. Elle n'en est pas moins paradoxale : l'architecte qui connaît le mieux un monument ne peut assurer la maîtrise d'oeuvre des travaux le restaurant" (12). La question se pose de savoir si toutes les garanties sont ainsi données pour qu'aucun monument historique ne puisse être privé d'une maîtrise d'oeuvre compétente, car, au-delà de l'ouverture à la concurrence, il faut reconnaître, "l'intelligence d'un statut permettant à l'Etat de disposer, pour les Monuments historiques, d'un corps d'agent qui, par la double qualité de fonctionnaires et d'architectes, peuvent assurer toutes les fonctions s'y rapportant" (13). Les obligations du droit communautaire n'ont donc pas altéré les idées initiales et l'objet de l'activité des architectes en chef.

Les fonctions exercées par les architectes en chef sont d'abord des fonctions administratives, ils "apportent leur concours au ministre chargé de la Culture pour protéger, conserver et faire connaître le patrimoine architectural de la France" (décret du 28 septembre 2007, art. 3.I). A ce titre, "ils réalisent les études qui leur sont demandées par le ministre [...] celui-ci peut les charger d'accomplir toute mission d'expertise et de proposition en relation avec leurs attributions [...] ils peuvent participer à des programmes de recherche et enseignements sur le patrimoine" (art. 3. I du décret). Plus spécialement, selon l'article 3. II, chaque architecte en chef des Monuments historiques est chargé "des missions de surveillance et de conseil" sur des Monuments ou dans une inscription déterminée. Chacun se voit affecter un (ou des) monument(s) historique(s), ou une circonscription territoriale. Les deux sortes d'affectation peuvent être alternatives ou cumulatives.

La décision du Conseil d'Etat intervient aussi dans un contexte où, depuis plusieurs années, il est mené un combat contre l'opacité de la gestion du ministère de la Culture, notamment par la Cour des Comptes ou la commission des Finances du Sénat (14). La Cour des comptes a, en ce sens, vivement condamné la pratique de la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration des Monuments historiques : "les ACMH restent juge et partie du bien fondé, de la nature et des coûts des travaux qu'ils estiment nécessaires sur les Monuments historiques [...] [Leurs] rémunérations sont pour l'essentiel composé par les honoraires qu'ils perçoivent, à taux élevés, sur les montants de travaux définis par eux-mêmes" (15).

Dans un contexte de tentative de maîtrise des coûts (16), il faut prendre garde à ne pas sacrifier, sur l'autel de la rationalité administrative ou dans l'optique d'une certaine libéralisation de la profession, la spécificité et les garanties de la profession d'architecte en chef. Ces spécificités et ces garanties sont largement justifiées par les caractères propres de leur activité et l'intérêt du patrimoine monumental.


(1) JO, 30 septembre 2007, page 10, texte n° 13.
(2) JO, 4 janvier 1914, page 129.
(3) La compagnie soutenait que le décret ne maintenait pas en vigueur les dispositions de l'article 3 du décret n° 80-911 du 20 novembre 1980 au moins jusqu'au 1er janvier 2009 et, en tout état de cause, jusqu'au 1er jour du septième mois suivant la publication du décret prévu à l'article L. 621-9 du Code du patrimoine. Qu'il instituait une astreinte qui ne pouvait être appliquée en l'absence du même décret d'application et, qu'enfin, il ne comportait pas de dispositions transitoires applicables aux opérations de travaux en cours.
(4) Décret n° 2007-487 du 30 mars 2007, relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (JO, 31 mars 2007, page 6046).
(5) JO, 29 février 1984, page 735.
(6) JO, 21 novembre 1980, page 2713.
(7) JO, 17 août 2004, page 14545.
(8) Décret n° 2005-837 du 20 juillet 2005, pris en application de l'article 99 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales et relatif à la maîtrise d'oeuvre de certains travaux portant sur les monuments historiques classés et à la définition du patrimoine rural non protégé au titre des monuments historiques (N° Lexbase : L8730G99) (JO, 23 juillet 2005, page 12032).
(9) CE, 9 mars 2007, n° 285289, Syndicat CFDT Culture (N° Lexbase : A5825DUB), BJCL, 2007, page 343, concl., F. Séners.
(10) La procédure est organisée par le décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977 (N° Lexbase : L2892HKC) (JO, 1er janvier 1978, p. 19) sur l'organisation de la profession d'architecte, modifié par le décret n° 2007-790 du 10 mai 2007 (N° Lexbase : L5085HXM) (JO, 11 mai 2007, page 8584).
(11) Voir, en ce sens, Pierre Delvolvé, "Un statut très "particulier" : le statut des architectes en chef des monuments historiques", RFDA, 2007, page 1227, § 39 et suivants.
(12) Ibid., § 37.
(13) Ibid., § 41.
(14) Voir, notamment, Cour des Comptes, Rapport de 2001 et Sénat, Rapport d'information n° 378 (2001-2002) du sénateur Yann Gaillard, déposé le 25 juillet 2002.
(15) Cour des Comptes, Rapport au Président pour l'année 2005, page 211. La charge est introduite de la façon suivante : "Le ministère de la Culture a reconnu, tant devant la mission d'évaluation et de contrôle que devant la commission des finances du Sénat, la nécessité de remédier aux anomalies et aux surcoûts relevés dans le fonctionnement des monopoles des architectes en chef des monuments historiques".
(16) Le différentiel extravagant entre ce qui était voté par le Parlement en millions d'euros, ce qui était effectivement dépensé et ce qui apparaissait en "autorisations de programme" a amené à ce que le ministère de l'Economie et des Finances réduise de façon considérable les crédits de paiement attribués aux Monuments historiques, faisant en sorte de fragiliser la profession et de faire perdre un certain nombre d'emplois de restaurateurs hautement qualifiés.

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