La lettre juridique n°326 du 13 novembre 2008 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Conséquences du décès du salarié sur le paiement de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence

Réf. : Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-43.093, Société Cima c/ Mme Violaine Briand, veuve Riaux, FS-P (N° Lexbase : A0715EB4)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


S'il est, désormais, acquis que la clause de non-concurrence n'est licite qu'à la condition de comporter une contrepartie financière à la charge de l'employeur et au bénéfice du salarié, le régime juridique de cette dernière continue de susciter des interrogations. Souvent présentée comme la cause de l'engagement du salarié, cette contrepartie s'apparente fort à une indemnité compensatrice, alors même que la Cour de cassation l'analyse comme un salaire. En tous cas, et c'est la solution qui se dégage d'un intéressant arrêt rendu le 29 octobre 2008, il faut, désormais, savoir que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence n'est pas due en cas de rupture du contrat de travail par suite du décès du salarié.
Résumé

La contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi. Il en résulte qu'elle n'est pas due en cas de rupture du contrat de travail par suite du décès du salarié.

Commentaire

I - L'exigence d'une contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence

  • Principe

Visant tout à la fois "le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle" et l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI, art. L. 1221-1, recod. N° Lexbase : L0767H9B), la Cour de cassation a fini par affirmer, dans plusieurs arrêts rendus le 10 juillet 2002, qu'une "clause de non-concurrence n'est licite que si elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière" (1).

Cette solution trouve à se justifier par le principe général du droit des contrats, selon lequel, dans les contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque partie doit avoir une cause, qui est la contrepartie fournie par le contractant (2). En d'autres termes, le versement par l'employeur d'une contrepartie financière sert de cause à l'obligation de non-concurrence pesant sur le salarié en vertu de la stipulation en cause. La justification précitée peut ne pas emporter pleinement la conviction, dès lors que l'on considère que l'obligation de non-concurrence trouve sa contrepartie dans l'exécution de la relation de travail passée. La solution est, toutefois, acquise aujourd'hui : faute de contrepartie pécuniaire, la clause de non-concurrence est illicite.

  • L'obligation au paiement de la contrepartie financière

A supposer que la clause de non-concurrence comporte une contrepartie pécuniaire, l'obligation au paiement de celle-ci est soumise à trois conditions : la cessation d'activité du salarié, le respect de la clause de non-concurrence et l'absence de renonciation de l'employeur. Il en résulte que l'obligation au paiement de la contrepartie financière ne peut être affectée par les circonstances de la rupture du contrat de travail et la possibilité pour le salarié de reprendre, ou non, une activité. Partant, l'indemnité compensatrice est due alors même que le salarié, postérieurement à la rupture de son contrat, n'est plus en mesure d'exercer une activité professionnelle (3) ou a fait valider ses droits à pension de retraite (4). Pour étrange qu'elle soit, cette position se conçoit au regard de la force obligatoire du contrat.

Dans l'affaire qui nous intéresse, les juges du fond avaient précisément fait application des principes qui viennent d'être évoqués. En l'espèce, un salarié avait été engagé en qualité de technico-commercial à compter du mois d'août 2003, aux termes d'un contrat de travail stipulant une clause de non-concurrence. Ce contrat ayant été rompu au mois de décembre 2004, en raison du décès du salarié, sa veuve a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Pour faire droit à cette demande, l'arrêt attaqué a retenu que l'obligation au paiement de la contrepartie financière, qui est liée à la cessation d'activité du salarié, au respect de la clause de non-concurrence et à l'absence de renonciation de l'employeur, ne peut être affecté par les circonstances de la rupture du contrat de travail. Par conséquent, le droit conditionnel à la contrepartie financière étant entré dans le patrimoine du salarié dès la conclusion du contrat de travail contenant son engagement de non-concurrence, sa veuve est en droit d'en demander le paiement.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui, après avoir visé l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), affirme que "la contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi ; [...] il en résulte qu'elle n'est pas due en cas de rupture du contrat de travail par suite du décès du salarié".

Ainsi que le souligne la Cour de cassation, cette solution se justifie par l'idée que la contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié. Ce fondement reste, cependant, difficile à concilier avec l'analyse prétorienne selon laquelle la contrepartie en cause est un salaire.

II - La nature de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence

  • Une indemnité compensatrice

Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation affirme que la contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après la rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi. Dans un important arrêt rendu le 7 mars 2007, la Cour de cassation avait retenu semblable argumentation pour affirmer que le paiement de la contrepartie ne peut intervenir avant la rupture (5). Parce que la contrepartie pécuniaire vise à réparer l'atteinte portée à la liberté du travail du salarié, elle ne peut être versée qu'au moment où le salarié subit effectivement cette atteinte, soit postérieurement à la cessation de la relation de travail. Un tel fondement n'est, évidemment, pas sans rappeler l'une des règles fondamentales de la responsabilité civile, selon laquelle le dommage éventuel ne peut donner lieu à réparation tant que l'éventualité ne s'est pas transformée en certitude (V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, § 700).

En résumé, il n'y a lieu de verser la contrepartie pécuniaire que parce que le salarié subit effectivement une atteinte à l'une de ses libertés fondamentales en respectant l'obligation contractuelle de non-concurrence. A ce titre, il importe peu que celui-ci respecte son obligation de gré ou de force, parce que, notamment, il n'est plus en mesure de travailler. Ce qui compte, c'est qu'il ne fasse pas concurrence à son employeur. Or, lorsque le salarié vient à décéder avant même que la clause de non-concurrence ait pu recevoir application, aucune atteinte à sa liberté du travail n'a pu naître faute, précisément et malheureusement pour ce dernier, d'avoir pu respecter son obligation. Il est, dès lors, difficile de souscrire à l'argumentation développée en l'espèce par les juges du fond. Sans doute le droit à la contrepartie financière est-il un droit "conditionnel". Mais la condition ne réside pas uniquement dans la rupture du contrat de travail, mais bien dans le respect de l'obligation de non-concurrence stipulée dans ce dernier.

Cette dernière assertion explique, sans doute, le visa de l'article 1134 du Code civil retenu par la Cour de cassation. On peut, néanmoins, se demander s'il n'aurait pas été plus opportun de viser l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9). En effet, à partir du moment où l'on admet que la contrepartie financière constitue la cause de l'obligation qui pèse sur le salarié, il est logique de considérer que l'obligation au paiement de la contrepartie n'a plus de cause, dès lors que le salarié ne peut plus respecter son obligation. A dire vrai, ce fondement ne convainc guère plus. Ce sentiment procède, au fond, de l'idée que ce qui fonde le paiement de la contrepartie pécuniaire, c'est moins l'obligation du salarié en tant que telle que l'atteinte à la liberté du travail qu'elle induit. Cela démontre tout le particularisme de la clause de non-concurrence qu'il est difficile d'assimiler à un engagement contractuel classique. La contrepartie pécuniaire semble, en réalité, jouer deux rôles. Au moment de la formation du contrat, elle est une condition de validité de la stipulation en tant qu'elle constitue la cause de l'engagement du salarié, tandis que lors de l'exécution de la stipulation la Cour de cassation paraît l'analyser en une indemnité réparant un préjudice subi par le salarié.

  • Une indemnité assimilée à un salaire

On admettra qu'il est troublant que la Cour de cassation se réfère à la notion d'indemnisation pour analyser l'objet de la contrepartie financière, là où elle pourrait se contenter de dire qu'elle est la contrepartie de l'engagement du salarié. Mais il est vrai que cette position laisserait dans l'ombre l'atteinte à la liberté du travail qu'induit le respect de l'obligation en cause.

Cela étant, la référence à la notion d'indemnisation suscite une autre interrogation. Il convient de rappeler que, de longue date, la Cour de cassation analyse la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence comme un salaire (6). Or, en affirmant que la contrepartie financière a pour objet "d'indemniser" le salarié, la Chambre sociale laisse plutôt à penser que celle-ci constitue des dommages-intérêts. Cette qualification serait, sans doute, préférable, dès lors que l'on considère que cette "indemnité" peut se cumuler avec un revenu de remplacement.

En tout état de cause, l'arrêt commenté démontre, une nouvelle fois, qu'une précaution élémentaire pour les employeurs consiste à prévoir une faculté de renonciation unilatérale à l'obligation de non-concurrence dès la conclusion du contrat de travail.


(1) Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, M. Fabrice Salembier c/ Société La Mondiale, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1225AZE) et les obs. de S. Koleck-Desautel, Revirement de jurisprudence : la contrepartie financière est désormais une condition de validité de la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 33 du 24 juillet 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N3576AAP).
(2) V., en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 245.
(3) Cass. soc., 10 octobre 2001, n° 99-42.404, Société Perron Tortay c/ M. Yannick Mollet (N° Lexbase : A5931AGR).
(4) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 01-41.874, M. Jean-Claude Léon c/ Société Jagep Jeune ([LXB=7581BSL]).
(5) Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.511, Société Publications Pierre Johanet, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6024DUN), RDT, 2007, p. 308, avec nos obs.. Lire, également, les obs. de Ch. Radé, Indemnité compensatrice de non-concurrence : la fin des versements anticipés ?, Lexbase Hebdo n° 252 du 14 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3315BAZ).
(6) Cass. soc., 6 juillet 2000, n° 98-15.307, Société Cheynet et fils, société anonyme c/ Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale (N° Lexbase : A8266AHM).


Décision

Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-43.093, Société Cima c/ Mme Violaine Briand, veuve Riaux, FS-P (N° Lexbase : A0715EB4)

Cassation de CA Caen, 3ème ch., sect. soc. 2, 8 juin 2007

Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clefs : clause de non-concurrence ; contrepartie financière ; paiement ; décès du salarié.

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