La lettre juridique n°326 du 13 novembre 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] De l'importance des mentions du catalogue en matière de vente d'oeuvres d'art (à propos de l'erreur sur les qualités substantielles)

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-20.298, FS-P+B (N° Lexbase : A5831EA9), Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-12.147, F-P+B (N° Lexbase : A7999EAI) et Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-17.523, M. François Pinault, F-P+B (N° Lexbase : A0616EBG)

Lecture: 5 min

N6995BHK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] De l'importance des mentions du catalogue en matière de vente d'oeuvres d'art (à propos de l'erreur sur les qualités substantielles). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210650-jurisprudence-de-limportance-des-mentions-du-catalogue-en-matiere-de-vente-doeuvres-dart-a-propos-de
Copier

par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

le 07 Octobre 2010

Après avoir, à l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8), expressément fait du "consentement de la partie qui s'oblige" l'une des quatre "conditions [...] essentielles pour la validité d'une convention", et avoir indiqué, à l'article 1109 (N° Lexbase : L1197ABX), ouvrant la section première "Du consentement" du chapitre II du titre III du livre III du code, qu'"il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol", l'article 1110 (N° Lexbase : L1198ABY) précise les cas dans lesquels l'erreur est susceptible d'entraîner la nullité du contrat. Ainsi est-il énoncé, dans un alinéa premier, que "l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet", tandis que l'alinéa second, lui, exclut que la nullité puisse résulter d'une erreur sur la personne du cocontractant, "à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention". Alors que l'erreur sur la personne ne donne lieu, en définitive, qu'à un contentieux assez limité, du moins en droit commun des obligations (l'erreur de l'article 180 du Code civil N° Lexbase : L1359HI8 en droit de la famille ayant connu, à une époque récente, un certain regain d'intérêt...), il en va certainement différemment de l'erreur sur la substance, particulièrement dans le domaine de la vente d'oeuvres d'art, la notion même de substance ainsi que les conditions de mise en oeuvre de cette erreur faisant l'objet, assez régulièrement, d'un nombre important de décisions. Pour preuve, chronologiquement, trois arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation des 30 septembre, 16 et 30 octobre 2008.

Dans le premier arrêt (n° 06-20.298), l'acquéreur d'une oeuvre présentée au catalogue comme de Salvador Dali avait demandé la nullité de la vente pour erreur sur la substance après s'être vu refuser l'oeuvre par une galerie new-yorkaise au motif qu'elle n'était pas de la main de Salvador Dali. La Cour de cassation approuve les premiers juges d'avoir prononcé la nullité. Elle relève, en effet, que "s'il était bien fait mention de l'existence d'un décor de scène, il n'était pas indiqué que l'oeuvre mise en vente était seulement une partie de celui-ci et non une oeuvre réalisée par Dali lui-même, intégrée dans ce décor, que le certificat établit par M. X, qui précisait qu'il s'agissait d'une création originale avec intervention de la main de l'artiste, n'y était pas reproduit et qu'il était au contraire indiqué que l'oeuvre vendue était un 'tableau' ce qui, s'agissant d'une simple partie de châssis de coulisse, était inexact ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu en déduire que par leur insuffisance les mentions du catalogue avaient entraîné la conviction erronée de l'acquéreur que l'oeuvre en cause était certainement de la main de l'artiste quand, comme élément d'un décor conçu par celui-ci, elle pouvait ne pas l'être, et a prononcé à bon droit la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue".

C'est donc l'insuffisance ou l'imprécision des mentions du catalogue qui a créé un décalage entre la croyance des contractants, en l'occurrence des acquéreurs, et la réalité. Il a, au demeurant, déjà été jugé que l'inexactitude de la référence à une période historique, portée sans réserve expresse au catalogue de la vente publique, suffit à provoquer l'erreur sur la substance (v. Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 02-13.420, FS-P+B N° Lexbase : A4065DU4). L'arrêt rendu le 30 octobre dernier se situe dans le sillage de cette jurisprudence (n° 07-17.523). Il décide, sous le visa de l'article 1110 du Code civil, que "les mentions du catalogue, par leur insuffisance, n'étaient pas conformes à la réalité et avaient entraîné la conviction erronée et excusable des acquéreurs que bien que réparé et accidenté [le] meuble n'avait subi aucune transformation depuis l'époque Louis XVI de référence". Ces décisions attestent de l'importance qu'il convient d'attacher aux mentions portées au catalogue qui constituent en quelque sorte le critère susceptible d'établir l'existence de l'erreur. En creux, un autre arrêt de la première chambre civile, du 16 octobre 2008 (n° 07-12.147), confirme cette analyse. En l'espèce, une société avait acquis aux enchères publiques un tableau présenté au catalogue sous les mentions suivantes : "Ecole française vers 1600", et avait, ensuite, demandé la nullité de la vente pour réticence dolosive et erreur sur la substance. La Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir rejeté la demande aux motifs, d'une part, que le tableau litigieux n'était pas une copie puisqu'il avait bien été réalisé conformément au style propre à l'Ecole française et, d'autre part, que la mention au catalogue n'était pas inexacte car elle garantissait seulement que le tableau offert à la vente avait été réalisé pendant la durée d'existence du mouvement artistique désigné dont la période était précisée et par un artiste ayant participé à ce mouvement.

On rappellera, en tout état de cause, que, pour apprécier l'existence d'un vice du consentement, il faut se placer au jour de la formation du contrat (voir encore, récemment, Cass. civ. 3, 4 juillet 2007, n° 06-15.881, Société civile immobilière (SCI) du Res, FS-P+B N° Lexbase : A0858DX3), ce qui, au reste, est parfaitement logique puisque l'article 1108 du Code civil précité fait bien, on l'a déjà signalé, du consentement, à côté de la capacité, de l'objet et de la cause, une condition de validité du contrat, autrement dit une condition nécessaire à sa formation. La Cour de cassation a, d'ailleurs, déjà eu l'occasion de le rappeler en décidant que la validité du consentement doit être appréciée au moment de la formation du contrat, si bien que les juges du fond ne peuvent débouter l'acquéreur d'une voiture d'occasion de son action en nullité pour erreur en se fondant sur le fait que, pour revendre le véhicule, le demandeur avait fait paraître une annonce dans laquelle il indiquait que l'état de la voiture était bon (Cass. civ. 1, 26 octobre 1983, n° 82-13.560, Rouche c/ Mougin N° Lexbase : A1196CKI, Bull. civ. I, n° 249), ou encore, pour écarter la nullité, sur le fait qu'un terrain est devenu inconstructible après la vente s'il l'est devenu par suite de l'annulation du plan d'occupation des sols par application de la législation en vigueur au jour de la vente (Cass. civ. 3, 13 juillet 1999, n° 97-16.362, M. Maillet c/ Société Empain Graham et autres N° Lexbase : A3196CHT, Bull. civ. III, n° 178 ; Cass. civ. 3, 26 mai 2004, n° 02-19.354, FS-P+B N° Lexbase : A2740DCH, Bull. civ. III, n° 107). En revanche, le droit de se servir d'éléments d'appréciation postérieurs à la vente pour prouver l'existence d'une erreur au moment de la vente ne peut être dénié au vendeur (Cass. civ. 1, 13 décembre 1983, n° 82-12.237, Epoux Saint-Arroman c/ Réunion des Musées Nationaux, Ministre de la Culture, Rheims, Laurin, Lebel N° Lexbase : A3665CH9, Grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd., par F. Terré et Y. Lequette, n° 149 et les références citées). Et il a, plus généralement, été décidé que pour se prononcer sur l'existence d'un vice du consentement au moment de la formation du contrat, les juges du fond peuvent faire état d'éléments d'appréciation postérieurs à cette date (Cass. com., 13 décembre 1994, n° 92-12.626, Mme Magnetti c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Midi et autres N° Lexbase : A6841ABY, Bull. civ. IV, n° 375 ; pour une illustration appliquée au cas de violence au sens de l'article 1112 du Code civil N° Lexbase : L1200AB3, voir not. Cass. civ. 3, 13 janvier 1999, n° 96-18.309, Société Jojema c/ Mme X N° Lexbase : A2555CH4, Bull. civ. III, n° 11).

newsid:336995

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus