La lettre juridique n°326 du 13 novembre 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Défaut de conformité et vices cachés : retour sur la distinction des qualifications et des régimes

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 07-16.876, M. Antoine Van Loon, F-P+B (N° Lexbase : A5910EA7) et Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-17.977, Société Toujas et Coll, matériaux de construction, FS-P+B (N° Lexbase : A8093EAY)

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

le 07 Octobre 2010

L'occasion a été donnée, à plusieurs reprises, d'insister sur l'une des difficultés essentielles du droit de la vente tenant à la distinction de l'obligation de délivrance du vendeur, d'une part, définie par l'article 1604 du Code civil (N° Lexbase : L1704ABQ) comme "le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur", et qui suppose, précisément, que le vendeur lui délivre une chose conforme à ce à quoi il s'est engagé, et, d'autre part, de l'obligation de garantie des vices cachés de l'article 1641 du même code (N° Lexbase : L1743AB8), aux termes duquel "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus". Et nul n'ignore que les enjeux pratiques attachés à la distinction sont considérables, ne serait-ce que parce que, s'agissant du délai de prescription de l'action, l'action en garantie des vices cachés, qui, autrefois, devait être engagée à "bref délai", doit, depuis une ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur (N° Lexbase : L9672G7D), être exercée dans les "deux ans à compter de la découverte du vice" (C. civ., art. 1648), délai distinct du délai de droit commun applicable à l'action en défaut de conformité.

Au reste, les différences ne s'arrêtent pas là : ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation a-t-elle décidé que, "en matière de garantie des vices cachés, lorsque l'acquéreur exerce l'action rédhibitoire, le vendeur, tenu de restituer le prix qu'il a reçu, n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation" (1), alors qu'il a été jugé que "l'effet rétroactif de la résolution d'une vente pour défaut de conformité permet au vendeur de réclamer à l'acquéreur une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la chose en raison de l'utilisation que ce dernier en a faite", étant entendu qu'"il incombe au vendeur de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue de cette dépréciation" (2), solution assez récemment confirmée par un arrêt de la Chambre commerciale en date du 30 octobre 2007 (3).

Ainsi, une différence existe-t-elle selon que l'action de l'acquéreur est une action en défaut de conformité, comme en l'espèce, ou une action rédhibitoire en garantie des vices cachés : alors, en effet, on vient de le rappeler, que la résolution de la vente pour défaut de conformité peut permettre au vendeur qui démontrerait l'existence et l'étendue de la dépréciation subie d'obtenir une indemnité de l'acquéreur, la solution est inverse en cas de rédhibition consécutive à l'exercice d'une action en garantie des vices. On a pu s'étonner de cette distinction, d'autant que, comme la résolution, la rédhibition entraîne, elle aussi, l'anéantissement rétroactif de la vente (4). Nous pensons, après d'autres, que cette différence peut pourtant s'expliquer par des considérations concrètes tenant à la cause de l'anéantissement du contrat, distincte d'un cas à l'autre. La mise en oeuvre de la garantie des vices cachés supposant un défaut de la chose la rendant impropre à l'usage auquel elle est destinée (C. civ., art. 1641), on peut assez légitimement considérer que le fait "que l'utilisation de cette chose l'ait éventuellement en outre usée importe peu puisqu'elle est de toute façon viciée et impropre à son usage" (5), alors qu'il en va autrement en cas de défaut de conformité, la chose, certes non-conforme aux spécifications convenues, pouvant parfaitement convenir à un autre acquéreur, de telle sorte qu'il peut paraître juste de tenir compte de la dépréciation qu'elle a pu subir et d'indemniser, dans ce cas, le vendeur. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 30 septembre dernier, à paraitre au Bulletin, est venu rappeler ce principe de solution en affirmant, sous le visa des articles 1641 et 1644 du Code civil (N° Lexbase : L1747ABC), "qu'en matière de garantie des vices cachés lorsque l'acheteur exerce l'action rédhibitoire, le vendeur, tenu de restituer le prix qu'il a reçu, n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation".

Tout cela suppose tout de même de bien distinguer, du point de vue conceptuel, le défaut de conformité du vice caché. Or, à examiner le droit positif, la distinction des deux notions, hors le cas de la vente de meubles aux consommateurs où elles ont été unifiées (C. consom., art. L. 211-1 N° Lexbase : L9679G8Y à L. 211-18), continue de susciter quelques difficultés. Un arrêt de la Chambre commerciale du 14 octobre 2008, à paraitre au Bulletin, permet précisément d'y revenir. L'arrêt casse un arrêt de cour d'appel, sous le visa de l'article 1604 du Code civil, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si la chose vendue, en l'occurrence des rayonnages métalliques, présentait les qualités décrites dans les conditions générales du vendeur et si, dans la négative, le vendeur n'avait pas manqué à son obligation de délivrance conforme.

Il faut rappeler que la non-conformité de la chose vendue aux spécifications convenues par les parties est une inexécution de l'obligation de délivrance ; en revanche, la non-conformité de la chose à sa destination normale ressortit à la garantie des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil (6).

Si, donc, ce qui est discuté tient à la conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties, c'est-à-dire au contrat, c'est bien l'obligation de délivrance qui est en cause, le vendeur devant délivrer la chose contractuellement convenue, avec ses caractéristiques, de telle sorte que la délivrance d'une chose différente constitue un manquement à cette obligation (7).

Si, au contraire, ce qui est discuté tient à la conformité de la chose à sa destination normale, c'est alors la garantie des vices qui est en cause, les vices étant, précisément, des défauts de la chose qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine (8).


(1) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, 2 arrêts, n° 03-16.075, Société Automobiles Citroën c/ M. Gauthier Carles (N° Lexbase : A6389DNX et n° 03-16.307, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6390DNY).
(2) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 02-19.236, Safirauto c/ Société Sonauto-Hyundaï, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6388DNW).
(3) Cass. com., 30 octobre 2007, n° 05-17.882, Société Anciens Etablissements Branger (AEB), FS-P+B (N° Lexbase : A2281DZI).
(4) Voir, très nettement en ce sens, F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Précis Dalloz, 6ème éd., n° 287 p. 247 ; A. Bénabent, Droit civil, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Domat-Montchrestien, 5ème éd., n° 235 et s., qui consacre un chapitre à "L'anéantissement de la vente" présenté comme l'effet, soit de l'annulation du contrat lorsque sa formation était entachée d'une cause de nullité, soit de la résolution du contrat lorsqu'une des parties a manqué à ses obligations, soit, enfin, de l'action rédhibitoire en matière de garantie des vices cachés.
(5) L. Leveneur, obs. sous Cass. civ. 1, 21 mars 2006, préc., Contrats, conc., consom., 2006, n° 130.
(6) Cass. civ. 1, 27 octobre 1993, n° 91-21.416, Compagnie La Concorde c/ Société MTS et autre (N° Lexbase : A8458AXK), Bull. civ. I, n° 305 ; Cass. civ. 1, 8 décembre 1993, n° 91-19.627, M. Prario c/ M Hennequin de Villermont (N° Lexbase : A5323ABR), Bull. civ. I, n° 362.
(7) Voir, not., Cass. civ. 1, 5 novembre 1996, n° 94-15.898, Mlle Badiou c/ M. Faure et autres (N° Lexbase : A8550ABB), JCP éd. G, 1997, II, 22872, note Ch. Radé ; Cass. civ. 1, 17 juin 1997, deux arrêts, n° 95-18.981, Société Plâtres Lambert production c/ M. Poux (N° Lexbase : A0677AC3) et n° 95-13.389, Société Garage Saurel c/ M. Hercher et autres (N° Lexbase : A0414ACC), Bull. civ. I, n° 205 et n° 206.
(8) Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-22.263, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Epoux Journe (N° Lexbase : A0802ACP), Bull. civ. III, n° 181 ; Cass. civ. 3, 15 mars 2000, n° 97-19.959, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Société Thoretim et autres (N° Lexbase : A3495AUY), Bull. civ. III, n° 61 ; Cass. com., 28 mai 2002, n° 00-16.749, Société Wartsila NSD corporation c/ Société Méca Stamp international, F-D (N° Lexbase : A7838AYX), Contrats, conc., consom., 2002, n° 139, obs. Leveneur.

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