Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 06-46.421, M. Patrick Vanlerberghe, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4244D93)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le fait qu'un salarié d'une cartonnerie ait fumé dans un local de l'entreprise, en violation d'une interdiction générale de fumer justifiée par la sécurité des personnes et des biens, interdiction imposée par un arrêté préfectoral et par le règlement intérieur de l'entreprise et mise à la connaissance du salarié par affichage et note de service, constitue une faute grave. |
Commentaire
I - Fumer constitue une faute grave en cas de risque pour la sécurité des personnes et des biens
Si la législation relative à l'interdiction de fumer dans les lieux collectifs a profondément modifié les comportements des fumeurs, y compris dans l'entreprise, le droit n'a pas toujours été aussi sévère envers les fumeurs (1).
Il a, en effet, longtemps été toléré que les salariés s'adonnent au tabagisme dans l'entreprise (2). Dans certaines entreprises productrices de tabacs, il était même offert des paquets de cigarettes aux salariés au titre d'un avantage en nature (3) ! Malgré cette grande latitude des pouvoirs publics, des éléments pouvaient, néanmoins, venir restreindre la liberté de fumer laissée aux fumeurs dans l'entreprise.
La première limitation résultait de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement qui, eu égard aux risques d'incendies, permettait au préfet d'arrêter l'interdiction de fumer dans telle ou telle entreprise. L'entreprise concernée, en l'espèce, avait fait l'objet d'un tel classement, si bien que les salariés n'étaient pas autorisés à y fumer.
La seconde limitation découlait de dispositions du règlement intérieur interdisant le tabagisme dans l'entreprise (4). En effet, le Conseil d'Etat avait jugé licites les clauses du règlement intérieur interdisant de fumer dans l'entreprise (5). Cela ne suffisait pas, pour autant, nécessairement, à juger que le salarié contrevenant à de telles dispositions avait commis une faute grave (6).
Les faits de l'espèce s'étant produits avant l'entrée en vigueur de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, la Chambre sociale de la Cour de cassation devait donc faire application des règles antérieurement applicables.
Un salarié, employé d'une entreprise de cartonnerie depuis vingt-cinq ans, avait été surpris en train de fumer dans une salle de repos de l'entreprise. Or, le règlement intérieur de l'entreprise interdisait formellement aux salariés de fumer dans les locaux. Par ailleurs, un arrêté préfectoral avait classé l'entreprise en raison de la dangerosité que représentait le fait de fumer au milieu de cartons et des risques majeurs d'incendie. Face à ce comportement, l'employeur décidait de licencier le salarié pour faute grave.
L'argumentation développée par le salarié en vue de contester cette mesure est loin d'être inintéressante. En effet, celui-ci soutenait, principalement, que l'employeur n'avait pas pris en compte l'état de dépendance au tabac du salarié, ne lui permettant pas de faire une pause à l'extérieur des locaux pour fumer, n'ayant pas aménagé d'espace fumeur pour les salariés dans l'entreprise (7) et n'ayant mis en place aucun procédé d'aide à l'arrêt du tabac pour les salariés concernés.
La Cour de cassation ne se laisse, pourtant, pas séduire par l'invocation de cette hypothétique "obligation d'adapter ses salariés à l'interdiction de fumer durant leur emploi". Elle rejette le pourvoi, confirmant, de la sorte, l'argumentation développée par la cour d'appel et estime qu'en raison de l'interdiction établie par le règlement intérieur et par l'arrêté préfectoral, mais aussi des risques encourus pour les biens et les personnes, ce comportement rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et constituait une faute grave.
II - Une qualification de faute grave influencée par la lutte contre le tabagisme
L'existence d'une faute grave avait déjà été retenue, à plusieurs reprises, par la Cour de cassation, s'agissant d'une violation d'une interdiction de fumer dans l'entreprise (8). Ces solutions semblaient toujours avoir été guidées par un objectif de sécurité, spécialement un risque d'incendie.
La mesure paraît, en outre, d'autant plus justifiée que l'employeur est, désormais, tenu d'une obligation de sécurité de résultat à l'égard de ses salariés, en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise (9). Les salariés exposant leur santé au tabagisme passif dans l'entreprise du fait de l'inaction de l'employeur face aux salariés fumeurs récalcitrants peuvent prendre acte de la rupture de leur contrat de travail aux torts de l'employeur. Autant dire qu'en la matière, l'employeur a intérêt à se faire respecter !
Il faut, néanmoins, reconnaître que l'on se place, ici, à la frontière des canons habituels de la faute grave (10). Fumer une cigarette, dans une salle de repos dans laquelle les produits sensibles utilisés par l'entreprise ne doivent probablement pas être entreposés, paraît être une faute relativement mineure. La qualification de faute grave serait beaucoup plus incontestable si le salarié avait déjà fait l'objet d'avertissements à cet égard, bref, si la violation de l'interdiction était récurrente et non ponctuelle. A titre de comparaison, on peut rappeler que la Cour de cassation ne considère même pas systématiquement que la commission d'un délit pénal constitue une faute grave dans l'entreprise (11). En outre, la jurisprudence accepte, le plus souvent, qu'une faute commise par un salarié justifiant d'une longue ancienneté dans l'entreprise et n'ayant, jusque là, jamais fait l'objet d'autre sanction disciplinaire, puisse voir son degré de gravité atténué (12). Or, en l'espèce, le salarié bénéficiait de vingt-cinq ans d'ancienneté et l'arrêt ne relève aucun fait antérieur lui ayant déjà été reprochés. A n'en pas douter, les évolutions de la réglementation à l'égard du tabagisme ont certainement pesé lourd sur la qualification de faute grave...
On relèvera, également, que la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte de nombreuses précisions quant aux moyens qui avaient été employés par l'entreprise pour diffuser et porter à la connaissance des salariés l'interdiction de fumer. Elle relève, notamment, que le règlement intérieur avait fait l'objet d'un affichage, que de nombreux panneaux signalaient l'interdiction de fumer ou, encore, qu'une note de service diffusée dans l'entreprise avait informé le personnel de l'interdiction de fumer à compter de 2003.
Cet effort de motivation ne va pas sans rappeler les hypothèses dans lesquelles des sujétions imposées par une convention collective ne peuvent être opposées au salarié qu'à condition que celui-ci ait été informé de l'existence de la convention et qu'il ait été mis en mesure d'en prendre connaissance lors de l'embauche (13). Mais surtout, il illustre, très probablement, la volonté de la Cour de cassation de renforcer son argumentation, consciente qu'un fait isolé de tabagisme dans l'entreprise cadre, quelles que soient les conditions, assez difficilement avec la qualification de faute grave.
(1) V. le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006, fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (N° Lexbase : L4959HTT) et Les nouvelles mesures d'interdiction de fumer dans l'entreprise : questions à... Nathalie Cerqueira, avocate spécialisée en droit social, Lexbase Hebdo n° 248 du 15 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0244BAB).
(2) Ce, malgré l'application aux lieux de travail, faite par l'article 1er du décret n° 94-478 du 29 mai 1992, de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif énoncée par l'article 16 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 (N° Lexbase : L3377A9X), dite loi "Evin".
(3) V. Cass. soc., 15 juin 1988, n° 86-11.074, Urssaf de la Côte d'or c/ SEITA (N° Lexbase : A1749AGU).
(4) Sur cette question, v. P. Chaumette, Le règlement intérieur et le tabac, Dr. soc., 1998, p. 1012.
(5) CE Contentieux, 18 mars 1998, n° 162055, Ministre du Travail, de l'Emploi et de la formation professionnelle c/ Groupe Credipar (N° Lexbase : A6665ASN).
(6) Cass. soc., 31 mars 1999, n° 97-41.220, Société Schwab nouveautés Est, société anonyme c/ M. Jean-Paul Mercier (N° Lexbase : A0336AUY).
(7) Ce dont, soit dit en passant, l'employeur n'a absolument pas l'obligation, y compris sous l'empire des nouvelles dispositions relevant du décret du 15 novembre 2006 (v., Les nouvelles mesures d'interdiction de fumer dans l'entreprise : questions à... Nathalie Cerqueira, avocate spécialisée en droit social, préc.).
(8) Cass. soc., 11 juin 1998, n° 96-42.244, M. Gérard Tournerie et autres c/ Société Embe VI, société anonyme (N° Lexbase : A0169AUS), dans le cas de salariés fumant dans un lieu où étaient entreposés des produits inflammables ; Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.595, Mme Isabelle Pade, épouse Kharouji c/ Société Interpar, F-D (N° Lexbase : A0410DDK), s'agissant d'une salariée ayant fumé une cigarette à son poste de travail dans une station service, "en dépit d'une interdiction justifiée par la sécurité des personnes et des biens".
(9) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412, Société ACME Protection c/ Mme Francine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8545DIC) et les obs. de N. Mingant, La prise d'acte de la rupture pour non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6574AIC), JCP éd. G, 2005, II, 10144, note D. Corrignan-Carsin ; D., 2005, p. 1965, note E. Chevrier ; Dr. soc., 2005, p. 971, note J. Savatier. V., également, CA Rennes, 5ème ch., 16 mars 2004, n° 03/03279, Comité national contre le tabagisme c/ SARL Le Damier (N° Lexbase : A9160DDM), arrêt légitimant l'exercice du droit de retrait d'un salarié non fumeur exposé au tabagisme de ses collègues.
(10) Pour une opinion contraire, v. B. Ines, obs. sous Cass. soc., 1er juillet 2008, Dalloz actualités, 2 juillet 2008.
(11) Pour des vols non qualifiés de fautes graves, v., par ex., Cass. soc., 24 mai 2000, n° 99-41.314, M. X c/ Société Sogara, société anonyme (N° Lexbase : A9044AG3) ; Cass. soc., 3 mars 2004, n° 02-41.583, Société SAS Carrefour France c/ Mme Michèle Le Peru, F-D (N° Lexbase : A4162DBR) ; Cass. soc., 21 février 2006, n° 03-40.293, Société Bazar de l'Hôtel de Ville c/ Assedic Vallée du Rhône et de la Loire, F-D (N° Lexbase : A1720DNZ).
(12) En ce sens, v. G. Couturier, Droit du travail. 1/ Les relations individuelles de travail, PUF, 3ème éd. mise à jour, p. 263.
(13) Sur cette question, v. X. Carsin, La convention collective source de sujétions pour le salarié, JCP éd. S, 2007, 1015.
Décision
Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 06-46.421, M. Patrick Vanlerberghe, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4244D93) Rejet, CA Douai, ch. soc., 14 avril 2006 Textes visés : néant Mots-clés : licenciement ; faute grave ; tabagisme ; interdiction de fumer dans l'entreprise ; sécurité des personnes et des biens. Lien base : |
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