Réf. : Cass. com., 17 juin 2008, deux arrêts, n° 06-15.045, Société Marina Airport, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2140D97) et n° 07-14.965, M. Jean Vercellone, gérant du groupement d'exploitation agricole en commun (GAEC) Vercellone et fils, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2228D9E)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 07 Octobre 2010
La Cour de cassation répondra par l'affirmative, posant, avec la force que donne la double décision, une solution unique (I), estimant que la qualité d'associé est invocable par celui qui s'est retiré jusqu'au remboursement de ses droits sociaux. Il reste, toutefois, à déterminer, compte tenu de la prudence de la rédaction adoptée par le juge, la portée (II) véritable de ces deux décisions.
I - Une solution unique pour deux situations de retrait distinctes
Les deux espèces, en dehors de leur problématique commune quant à la perte de la qualité d'associé, présentent des aspects dissemblables. En effet, alors que dans l'arrêt "Vercellone" (A) c'est la dissolution du GAEC pour mésentente qui était demandée par les associés dont le retrait avait été constaté, dans l'arrêt "Marina Airport" (B) c'était un abus de majorité qui était invoqué par l'associé retiré d'une SCI.
A - Qualité d'associé et retrait d'un groupement d'exploitation agricole en commun
Le GAEC Vercellone et fils avait, pour associés, MM. Pierre, Georges et Jean V.. Une résolution prise en assemblée générale extraordinaire ayant constaté le retrait de MM. Georges et Pierre V., prenant acte, par ailleurs, de la dissolution du groupement et désignant un liquidateur, M. Jean V. demanda l'annulation des résolutions emportant dissolution du GAEC et désignation du liquidateur. MM. Pierre et Georges V., agissant reconventionnellement, invoquèrent, alors, la mésentente entre associés pour obtenir la dissolution du groupement. La cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant fait droit à cette demande et l'ayant jugée recevable, M. Jean V. formera un pourvoi devant la Cour de cassation, invoquant l'impossibilité, pour une personne retirée de la société, même si elle était encore titulaire de parts sociales, de pouvoir prétendre à la qualité d'associé.
L'auteur du pourvoi invoquait ainsi -entre autres arguments- une violation de l'article 1869 du Code civil, la cour d'appel ayant, selon lui, "ajouté une condition supplémentaire à la loi" en subordonnant la perte de la qualité d'associé au remboursement des droits sociaux. La Cour de cassation, cependant, rejette le pourvoi, au motif que "la perte de la qualité d'associé ne peut, en cas de retrait, être antérieure au remboursement de la valeur des droits sociaux".
Cette première solution appelle quelques remarques, tenant à la spécificité de l'espèce.
La première permet de souligner que, dans cette affaire, les associés dont le retrait avait été constaté souhaitaient, manifestement, que ce retrait entraîne toutes les conséquences juridiques attachées au statut et au fonctionnement du GAEC et, plus particulièrement, la dissolution du groupement. Ainsi, reconnaître la recevabilité de la demande des retirés, qui invoquaient, comme la majorité des associés du GAEC, la dissolution et la liquidation, n'aboutissait qu'à accorder la position des retirés (qui n'avaient pas pris part au vote) avec celle des associés majoritaires, contre la seule volonté du gérant, M. Jean V..
La seconde remarque vise à relever l'ambiguïté de la situation des associés qui, après la décision de retrait, invoquaient la dissolution judiciaire du groupement pour mésentente entre associés. De facto, ils plaçaient le juge d'appel devant une alternative mais, in fine, la solution du litige aurait été semblable, quelque ait été l'option choisie. En effet, soit il admettait l'annulation des résolutions attaquées, ce qui entraînait la réintégration des associés retirés qui pouvaient alors invoquer, dans un second temps, la mésentente entre associés, soit il leur reconnaissait immédiatement la qualité d'associé en raison de l'absence de paiement des droits sociaux, ce qui entraînait l'admissibilité de la demande reconventionnelle. C'était contraindre les deux associés, dans le premier cas, à former un recours ultérieur, dans le second, à leur reconnaître directement ce droit, tout en prenant en considération la nécessité de privilégier la souplesse, dans un type de groupement caractérisé par sa plasticité de fonctionnement.
L'arrêt "Vercelonne", en raison des particularités qui viennent d'être évoquées, aurait, de la sorte, pu être analysé comme un cas d'espèce, développé à partir du vide juridique né de la rédaction de l'article 1869 du Code civil, si la solution n'avait pas été amplifiée par sa confirmation dans l'arrêt "Marina Airport" rendu le même jour.
B - Qualité d'associé et retrait d'une société civile immobilière
Dans l'affaire "Marina Airport", le retrait de la société ne résultait pas, comme dans l'arrêt précédent, d'une décision d'assemblée, mais du "jugement définitif du 11 mars 1999" ayant autorisé le retrait de la société pour justes motifs de M. M., associé minoritaire de la SCI. En l'espèce, ce dernier, se prévalant de sa qualité d'associé, demandait l'annulation, pour abus de majorité, de résolutions adoptées lors des assemblées générales de 1998, 1999 et 2000, résolutions qui avaient emporté l'affectation en réserve de l'ensemble des bénéfices réalisés au cours des exercices précédents. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, ayant déclaré recevable la demande de M. M., la SCI et ses associés forment alors un pourvoi en cassation.
C'est, essentiellement, la première branche du premier moyen de ce pourvoi, qui se rapporte à la question de la qualité d'associé en cas de retrait, qui retiendra notre attention. Dans celle-ci, en effet, les auteurs du pourvoi font grief à la cour d'appel d'avoir transposé la solution prévue à l'article 1860 du Code civil, qui traite de l'exclusion, à celle qui relève du retrait et qui ne subordonne pas, aux termes de l'article 1869 du même code, la perte de la qualité d'associé au paiement des droits sociaux.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette, cependant, cette argumentation, au motif que "l'associé qui est autorisé à se retirer d'une société civile pour justes motifs par une décision de justice, sur le fondement de l'article 1869 du Code civil, ne perd sa qualité d'associé qu'après remboursement de la valeur de ses droits sociaux". Ce libellé, on le voit, diffère quelque peu de celui qui a été retenu dans l'affaire "Vercelonne". Il faut y voir la volonté de la Cour de distinguer entre les deux situations dont elle avait à connaître : dans l'affaire du GAEC, le retrait résultait d'un vote d'assemblée, dans celle de la SCI, d'une décision de justice.
Quant au fond, la position du juge, dans ces deux espèces, permet de faire apparaître l'intérêt du maintien de la qualité d'associé. Dans le cas du GAEC, dénier cette qualité aux personnes retirées eut été leur interdire, indirectement, de bénéficier des conséquences de leur retrait (la dissolution). Dans le cas de la SCI, nier la qualité d'associé aurait abouti à empêcher l'actionnaire minoritaire de dénoncer la cause de son retrait (l'abus de majorité constitué par la mise en réserve systématique des bénéfices de la société).
II - Quelle portée pour ces deux décisions ?
Cette absence d'unité dans la rédaction et dans les objectifs visés par le juge, conduit, ainsi, à s'interroger sur la portée des deux arrêts et sur la reconnaissance, dans ces deux décisions, de l'étendue de la solution et, notamment, de son application à l'ensemble des sociétés civiles. En effet, ce sont, autant des aspects de forme que de fond, qui font transparaître une certaine prudence (A) de la Chambre commerciale quant à l'avancée juridique qu'elle propose en matière de retrait (B).
A - Une avancée prudente en matière de retrait
La prudence de la Chambre commerciale semble, en premier lieu, se manifester sur la forme retenue dans les deux arrêts. En effet, alors que ceux-ci sont signalés à l'attention du lecteur par leur notation en matière de publication (FS-P+B+R) et que les deux espèces, pourtant rendues par la même cour d'appel à deux années de distance (2005 et 2007), sont traitées le même jour par la Chambre commerciale, leur analyse ne conduit pas, d'emblée, à y voir des arrêts de principe.
Si, incontestablement, il faut y voir la consécration d'une analyse élaborée au fond par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, il leur manque, d'une part, la force que le juge donne à sa solution par la rédaction d'un attendu de principe et, d'autre part, l'homogénéité de rédaction qui caractérise les arrêts destinés à poser la jurisprudence. Ce point a, en effet, déjà été souligné : le juge du droit a pris soin de distinguer la situation de l'associé dont le retrait était constaté en assemblée, de celle dans laquelle l'associé l'avait obtenu par la voie judiciaire. Ainsi, là où une rédaction homogène aurait pu être adoptée, qui aurait donné le signe d'une interprétation générale de l'article 1869 du Code civil, la Chambre commerciale ne nous livre qu'une solution homogène, certes, mais duale, concernant, d'une part, l'hypothèse du constat d'un retrait par une assemblée générale extraordinaire et, d'autre part, celle de la solution à donner en cas de retrait judiciairement constaté.
Au-delà de ces aspects, qui renvoient à une sorte de codification littéraire dont l'interprétation peut paraître divinatoire, les deux solutions apportées (puisque la forme nous invite à y voir deux solutions) méritent d'être comparées, au fond, aux différentes décisions rendues dans des affaires voisines. Ces comparaisons permettent de souligner la difficulté, pour le juge, à imposer un traitement unique, en cas de retrait et d'exclusion, de la perte de la qualité d'associé.
Concernant, en premier lieu, la force à donner aux dispositions régissant la qualité d'associé, on renverra utilement à l'interprétation faite par la jurisprudence de l'article 1860 du Code civil. Ce dernier établit, on s'en souvient, qu'en cas d'exclusion, la perte de la qualité d'associé est subordonnée au paiement des droits sociaux. Or, la troisième chambre civile, dans un arrêt du 9 décembre 1998, a dû souligner, en dépit de la clarté du texte, que la perte de la qualité d'associé, en cas d'exclusion, ne saurait être préalable au remboursement des droits sociaux (1). Cette décision semble rappeler l'impossibilité de recourir à des aménagements conventionnels dans le cadre de l'exclusion de l'associé. A l'inverse, si on peut augurer du caractère d'ordre public des dispositions de l'article 1860, l'interprétation que donne la même chambre des aménagements statutaires et/ou conventionnels du droit de retrait semble fort différente. Ainsi, par exemple, le juge a-t-il validé, le 8 juillet 1998, la limitation apportée par le règlement de copropriété au droit de retrait des associés d'une société civile d'activité sportive et de loisir d'une résidence immobilière (2). On pourrait, ainsi, en conclure que si les dispositions du Code civil sont d'ordre public en matière d'exclusion (solution justifiée par l'ampleur de la protection à apporter), elles sont, pour la plupart d'entre elles, supplétives en matière de retrait, ce dernier ne jouant qu'à la demande de l'associé et n'étant possible qu'après un vote majoritaire de l'assemblée ou une décision judiciaire.
S'agissant, en second lieu, de la distinction ou non entre la date de retrait et celle de la perte de la qualité d'associé, là également, la jurisprudence ne permet pas de conclure à l'existence d'un traitement unique de l'exclusion et du retrait. En effet, si, en cas d'exclusion, la perte de la qualité d'associé ne peut, conformément au Code civil, n'être réalisée qu'à la condition du paiement des droits sociaux, il nous apparaît que de nombreux facteurs peuvent constituer un frein à l'évolution vers un traitement homogène de la perte de la qualité d'associé en cas de retrait. Ainsi, en matière de société civile professionnelle (SCP), la première chambre civile, le 13 avril 1999 (3), a pu décider que la perte de la qualité d'associé était effective à la date de l'arrêté autorisant le retrait de l'associé de la SCP. En conséquence, ce dernier s'est vu dénier le droit de se prévaloir, après l'édiction de cet arrêté, de la mésentente susceptible de justifier le retrait, car il n'était plus associé à compter de cette date.
B - Une avancée limitée face à l'éparpillement du contentieux des sociétés civiles
Les quelques divergences quant aux solutions applicables en matière de retrait et d'exclusion des sociétés civiles expliquent, sans doute, la difficulté pour la Chambre commerciale à dégager immédiatement une solution de principe dans un contentieux largement éparpillé entre la Chambre commerciale et les chambres civiles. En effet, s'il demeure possible, théoriquement, d'imposer par l'interprétation de l'article 1869 du Code civil un alignement du régime du retrait sur celui de l'exclusion, la solution ne saurait être affirmée in abstracto, sans prendre en considération les obstacles nés d'autres volets de la jurisprudence dégagée par d'autres chambres et relatives au retrait.
On mesure ainsi, eu égard, d'abord, aux solutions dégagées par la première chambre civile, que la perte de la qualité d'associé dans les SCP ne peut, pour l'instant, être alignée sur celle de l'exclusion, notamment en raison des rigidités induites par les textes régissant les professions réglementées, surtout s'agissant de ceux qui encadrent l'exercice de leurs professions par les officiers publics et ministériels. On relèvera, ensuite, que le caractère supplétif qui caractérise l'essentiel de l'organisation du droit de retrait s'accommode mal, semble-t-il, du caractère rigide, dominé par l'ordre public, de l'encadrement de l'exclusion.
La rédaction adoptée par la Chambre commerciale apparaît, donc, résulter de la difficulté à imposer une solution univoque en cas de retrait, le juge se contentant d'adopter un libellé limité aux deux cas d'espèce examinés. Tout, dans la présentation des deux affaires, laisse, cependant, entrevoir la possibilité d'une évolution de la jurisprudence qui vraisemblablement, pourrait être cristallisée par un arrêt de la Cour de cassation réunie en Chambre mixte.
(1) Cass. civ. 3, 9 décembre 1998, n° 97-10.478, M. Causse (N° Lexbase : A5430A4U), D, 2000, Somm. 237, obs. J.-C. Hallouin, JCP éd. E, 1999, n° 1395, note J.-P. Garçon.
(2) Cass. civ. 3, 8 juillet 1998, n° 96-20.583, Société Cercle des sports et des loisirs Château-des-Dames et autres c/ M. Pioceau et autres (N° Lexbase : A5551ACL), Defrénois, 1999, n° 243, note P. Le Cannu.
(3) Cass. civ. 1, 13 avril 1999, n° 96-20.864, M. André Bounel c/ M. Rémi Capmas et autres, inédit (N° Lexbase : A4915CST), Bull. Joly, 1999, § 904, note J.-J. Daigre.
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